Alois crapahutait dans la jungle depuis le matin, son excursion dans les terres libres durait depuis la veille. Pour plus de facilité, le lion crème avait choisi la voie des arbres, sautant de branches en branches moins lestement qu'un singe, mais quand même !

En quête d'un petit déjeuner plus calant que son dernier repas, Alois était attentif au moindre son. Mais rien de comestible ne lui venait... Le soleil continuait sa course et l'estomac d'Alois restait vide. Oubliant les prudence puisque, apparemment, il n'y avait rien dans les environs, il progressa plus en avant dans la jungle. Il préférait désormais ne pas se casser la gueule plutôt que de ne pas déranger son potentiel repas, le sol était plus loin qu'il ne l'avait pensé.

Il cherchait à retrouver un sol moins loin quand une odeur lui parvient. Un lion... Tiens ? Il allait rencontrer quelqu'un dans cette jungle ? Il s'approcha, il voulait être discret, mais une branche craqua sous lui, et tant bien que mal, il rata la chute de près. Reprenant patte sur l'arbre, il s'approcha encore un peu de l'odeur, pour voir celui à qui elle appartenait.

Un grognement, des branches qui crissaient sous des griffes sorties, il s'arrêta net. Observant les feuillages, il devina un lion plutôt grand au pelage crème. Il n'était apparemment pas le bienvenu...

Il baissa la tête, s'inclinant devant cet inconnu ; il ne cherchait pas à s'attirer les animosités d'autrui. Dévoilant sa nuque en guise de soumission, après tout, il n'était pas chez lui, et dit :

"Je m'appelle Alois, pardonnez-moi si je vous ai dérangé... Mais si vous me le permettez ; qui êtes-vous que je doive m'incliner si bas ?"

Un rire, léger mais moqueur ; Alois se sentait mal à l'aise. Il le vit descendre dans un grondement de l'arbre qu'il avait lui-même quitté après avoir failli en tomber. Il n'avait pas encore relevé la tête mais il observait tout de même le félin qui le menaçait de ses crocs ensanglantés, il devait avoir trouvé une proie, lui. Mais le fauve fleuri se sentait très mal, ce lion crème était borgne et sa pupille aveugle semblait danser d'excitation.

Comme le fauve de sable s'avançait, grondant et menaçant, Alois recula d'un pas et releva la tête, observant tous ses mouvements. Les yeux plantés dans celui valide du borgne, le fauve fleuri s'était déterminé à ne pas se laisser prendre par la peur et se concentra sur son adversaire.

Celui-ci eut un râle particulier après l'avoir observer un instant. En tant que séducteur et amateur de la beauté, le lion à la fleur n'en crû pas son expérience ; ce félin, agressif et mauvais, le trouvait à son goût ?? Qu'est-ce que c'était que ces idioties !? La pupille folle du borgne s'agita méchamment et si Alois ressentait une émotion qui se rapprochait à de la peur, il resta stoïque et ne bougea pas tandis que le lion de sable le détaillait. D'après la tête qu'il faisait, le fauve fleuri se disait qu'il ne voulait même pas savoir ce qu'il pensait... Il voyait la soif de sang qu'arborait ce félin.

Un rugissement d'une force surprenante déclencha un sursaut instinctif chez le fauve fleuri qui comprenait qu'un combat pourrait éclater d'un instant à un autre, il devait être prêt...
Le lion eut un rire cruel et glacial, maintenant, c'était sûr, il voulait se battre. Alois comprit qu'il n'aurait pas dû s'incliner, c'était un signe de faiblesse et ce lion se moquait désormais de lui. Il fallait reprendre les rênes en pattes.

«Que fais tu par ici, mon mignon ?»

Pour ponctuer ses paroles, le lion gratta le sol, aiguisant ses griffes... Le fauve fleuri fit de même par réflexe et grogna. Reprenant un calme apparent, il prit une grande inspiration et défia le félin borgne :

"Je cherchais de la compagnie -ou un repas, au choix- bien que je me demande si vous êtes vraiment le genre de compagnie que je cherchais..." Il fit une pause. "Je me suis présenté... Vous pourriez faire de même, et ranger ces griffes qui me font comprendre que vous cherchez de l' 'action'. Je dois vous prévenir que même si je suis assez pacifique, je n'hésiterais pas à défendre ma fourrure qui semble vous intéresser tant."

Les jeux de regard n'étaient inconnus du séducteur à la fleur et il avait vite compris les envies pas forcément recommandables du félin borgne. Il garda ses positions et fit trembler ses griffes, plantées dans le sol. Si l'animal se décidait à attaquer, il serait prêt...

«Bien l'bonjour M'sieur.» Fit le lion des sables en tournant comme un rapace autour d'Alois, un gand sourire malsain aux lèvres... le fauve fleuri resta de marbre, attentif aux moindre son alarmant. Ses yeux commençaient à perdre de leur douceur habituelle, devenant froids et secs. Le lion à la fleur sentait bien remonter ses anciennes pulsions... Un sentiment étrange le parcouru, comme une anticipation, alors que le félin continuait :

«Je m'appelle Uhucha, mon cher petit repas.»

Approchant son museau de son visage, le dénommé Uhucha fit tomber la fleur d'Alois, dévoilant donc ses cicatrices et son oreille manquante. La respiration du félin crème se fit plus forte, comme saccadée, alors qu'il restait immobile, les yeux grand ouverts et la rétine en proie à des sortes de convulsions. Le borgne ne savait pas se qu'il avait déclenché !

«Pas si pacifique que cela a ce que je vois, petit repas.»

Un ton froid, presque accusateur... Alois s'en moquait... Il regardait sa fleur à terre, perdant un peu plus son calme à chaque seconde sans son parfum. Si le lion borgne continuait de tourner lentement et pensait sentir la peur, il n'en était rien. Ou plutôt, si, Alois avait peur, mais seulement parce qu'il ne voulait pas perdre son sang-froid... Ses souvenirs avaient fini par lui révéler certaines parts de son passé ; Il était un lionceau très sanguin, s'emportant facilement et il le voyait bien maintenant. Combien s'était écoulé depuis sa dernière vraie folie furieuse ? Depuis qu'il avait perdu la mémoire, ça ne lui était pas arrivé, il avait toujours réussi à contenir la fureur bouillant au fond de ses veines...

Le lion borgne était en face de lui, à peine plus grand, mais surtout parce que le fauve défleuri ne se dressait pas, fier, comme lui. Qu'importe, il le laisserait penser ce qu'il veut, il n'en avait cure. En ce jour, le sang giclerait... Si les yeux verts auraient pu changer de couleur, le borgne les aurait découvert rouge de haine, une haine inconnue, que même Alois ne pouvait décrire ou expliquer.

Tandis que Uhucha tournait la tête pour arborer fièrement ses cicatrices et effrayer le lion crème de son oeil fou, ce dernier parvient à articuler, entre deux grognements silencieux, une dernière phrase avant de laisser parler sa haine :

"Ce ne sont pas les marques de notre vie qui prouvent ce que nous sommes..."

Le ton qu'il employait donnait l'impression que sa voix avait changé, comme laissant place à une toute autre personnalité, plus violente, plus sauvage... D'aucune des connaissance d'Alois ne l'aurait reconnu en ce jour ! Ses griffes labourant le sol avec férocité, un grondement sourd et menaçant s'élevant de sa gorge, le charmeur n'était plus le même ! Sa fourrure s'hérissa et il se redressa, l'échine droite. Faisant jouer ses épaules en un craquement sourd, le félin bondit toutes griffes dehors sur celui qui avait déclencher sa fureur ! Sa cible était cet oeil fou qu'Uhucha semblait bien aimer utiliser comme arme de peur. Quelle peur ? Le fauve crème n'en ressentait aucune, il ne voyait qu'une silhouette féline qu'il lui fallait déchirer dans un décor de sang !

Si le lion des sables réussit à s'esquiver en sautant sur un arbre, Alois ne le quitta pas des yeux une seconde. Sa vue redevenait potable et il vit Uhucha descendre de nouveau de son arbre, ramasser la fleur et venir la lui remettre dans la crinière avant de reprendre de l'altitude.

Qui avait peur maintenant ? Le lion crème n’émettait pas de jugement mais il n'en pensait pas moins. Il n'avait pas bronché pendant les manigances du lion borgne, le laissant replacer la fleur rose sur son oreille déchirée, émettant un simple grognement lorsque Uhucha fut si près.

«Tout doux... Alois.»

A la mention de son nom, le lion à la fleur tiqua. S'avançant à pas feutrés, mais griffes sorties, pour mieux voir le lion qui l'interpellait, il commença à parler, de cette voix si différente et cynique qu'était devenue la sienne :

"Alors, comme ça, tu te souviens que je t'ai tout de même donné mon nom ? Aurais-tu peur de moi, désormais ?" Il fit une courte pause et reprit, presque en murmurant : "Non, je ne crois pas... Tu crois toujours avoir l'avantage et tu crois jouer avec moi..."

D'un geste, il éjecta la fleur qui n'avait désormais plus aucun effet sur le lion transformé.

"Trop tard... Tellement trop tard... Si cette fleur maintient le 'calme', ce n'est pas son absence qui m'a réveillé, le borgne... Et ce n'est certainement pas son parfum qui m'endormira."

Il sauta lestement sur une branche, se positionna face au lion des sables, et gronda. Il n'était pas vraiment habitué à rugir pour rien et son but n'était plus de tuer le lion borgne. Il voulait le dépecer vivant mais avant...

"Tu voulais jouer, n'est-ce pas ? ... Et bien, jouons !"

Armé d'un rictus mauvais, le lion crème fit jouer ses griffes sur la branche avant de sauter sur un branche plus haute, dépassant Uhucha au passage. La branche sur laquelle il se tenait quelques secondes auparavant se brisa et tomba au sol en un fracas. Les yeux rivés sur le lion borgne, Alois eut un rire cynique et se prépara à sauter à nouveau, jouant des omoplates, sur le lion des sables. Il n'allait pas sauter, mais voulait montrer à son opposant qu'il ne plaisantait pas vraiment.

Lorsqu'Alois vit que son adversaire baillait, il eut un mouvement incontrôlé, comme s'il était vexé. "Je te jure que je vais me le faire!" Se disait-il à lui-même, ou plutôt à la partie de lui qui le retenait encore. Faisant de lui cet animal étrange, agressif mais n'attaquant pas, menaçant mais immobile.

«As tu fini ? ... Tes jacassements sont pénibles.» et le lion des sables bailla à nouveau, parachevant l'humeur déjà bien entamée du lion crème.

Puis il se leva, sauta et brisa la branche ou se trouvait Alois, qui bondit au moment ou la branche chutait. Il reprit ses appuis rapidement sur une branche un peu plus basse, non lion du sol où se trouvait désormais Uhucha qui continua sa tirade :

«Tu m'as l'air d'être un bien méchant lion.. Qui donc t'as arraché cette oreille. Nous avons tous les deux quelque chose en moins. Combattons les rois, renversons le pouvoir et prenons le. Les demi-rois. Toi, moi.»

Il se voulait enjôleur et suave mais le lion crème ne répondit rien, non intéressé par cette proposition qu'il ne considérait même pas. Les mots n'avaient aucune incidence sur l'esprit désormais hermétique du fauve qui grondait, les yeux rivés sur celui de l'autre borgne.

Fouettant l'air de sa queue, il se passa bien quelques minutes où il ne fit rien, grondait simplement et jouant des griffes. Il ne faisait rien car il cherchait comment il allait commencer l'attaque, violent peut-être, mais raffiné, sans aucun doute, enfin selon les points de vue.

Sur l'arbre, des oiseaux curieux recommencèrent à se poser, observant les deux félins, dont deux bernaches -qu'est-ce qu'elles faisaient là, aucune idée- qui regardèrent le prédateur immobile sur sa branche puis se dirent :

"Tabernak ! R'gade moi çui-là ! M'est avis qu'y a b'soin d'une tite chanson ! Crois-tu pas ?"
"Si, si, t'as bin raison, faut y aller, alors !"

Aussitôt dit, aussitôt fait et en l’occurrence, aussitôt chanté :

"Çaaaa n'vauuut paas la peine, de laisser ceux qu'on aiimee, pour aller faire tourner-"

"Vos gueules, les pigeons !"

Rugit le félin au crème pelage, à l'encontre des oies québécoises qui reprirent prestement leur migration en caquetant bruyamment.

En rien perturbé par l'incident, le fauve descendit de sa branche et s'avança vers le félin des sables, y aurait-il affrontement ? Alois aurait bien voulu, aussi pacifiste était-il quelques instant auparavant. Il lança :

"Mes 'jacasseries' t'ennuient ? Tu préférerais un échange simple et muet ? Très bien..."

Pour lui, un échange simple et muet, c'était un combat, ça allait de soi. Il bondit sur son adversaire, après avoir juste terminé sa phrase, visant ses flancs -mais une voix, toute petite, lui disait qu'il ne fallait finir en sang ; ça n'était pas son intention. Le lion des sables, par contre, pouvait bien finir en lambeaux aux yeux du félin crème.

Entaillant le flanc droit du lion des sable, Alois fut transis d'une étrange et malsaine sensation qu'il lui plaisait beaucoup trop. La petite voix qui soufflait au début de sa rage commença à crier. Crier de plus en plus fort. Pourtant le lion crème fit semblant de ne pas l'entendre, proche de sa victime, il la regardait d'un air supérieur qu'il n'avait jamais eu auparavant.

Uhucha était sérieusement touché, mais le combat était loin d'être terminé ; qui ne redoute pas félin blessé ne sait pas quel est le vrai danger. Alois observait les mouvements de son adversaire tout de même, il avait juste repris la place qu'il considérait comme sienne dans cette altercation.

La nuit tombait, il ne la craignait pas, ses yeux luisaient d'une aura aussi malsaine que celle d'Uhucha. Il semblait être dans son élément dans l'obscurité, manque de chance, Alois était tout autant aisée de nuit comme de jour...

Puis le félin blessé passa à l'attaque, sans aucun signe, prenant Alois par surprise de par la cible de cette attaque ! Plantant ses crocs dans la patte gauche du félin crème, il lui arracha un rugissement de douleur tandis qu'il fit un bond en arrière en levant sa patte pour se dégager. Y parvenant, Alois recula en même temps que son adversaire, celui-ci souriait, visiblement satisfait...

Aïe... Il avait posé sa patte blessée et la releva prestement, elle lui était douloureuse... Une belle entaille parcourait son articulation du poignet et il saignait. Était-ce pour cela que ce borgne souriait comme quelqu'un qui avait déjà gagné ?

La patte levée, il inspecta la blessure, elle n'était pas très profonde mais laisserait surement des marques, qu'importe... Il n'en avait cure. Il reporta son attention sur le lion borgne, tout fier qu'il était de son coup.

"C'est tout ? Es-tu content de ça ?" Fit-il, la voix sans émotion, désignant sa patte entaillée. "Tu ne devrais pas t’enorgueillir d'un coup qui n'a pas été mortel..." Continua-t-il en léchant le sang qui commençait déjà à sécher, d'un air presque accusateur.

Reposant la patte à terre, doucement pour ne pas déclencher une douleur aussi futile qu'inutile, il continua de toiser le lion bien plus gravement touché que lui, battant de la queue... Mais, pendant tout ce temps, la voix ne s'était pas tue, bien au contraire. Elle criait, hurlait au plus fort qu'il ne pouvait le supporter, d'arrêter. Il entendait même cette voix, qui, quelque jours avant, lui avait dit de revenir, qui criait maintenant d'arrêter, de cesser cette folie. Quelle folie ? Et arrêter quoi ? Son esprit s'embrouillait et il recula, mal à l'aise... Fermant les yeux un instant pour reprendre le contrôle.

Haletant, il rouvrit les yeux, redécouvrit Uhucha et sa profonde blessure et la jungle autour de lui qu'il avait perdu de vue dans l'adrénaline du combat. Il releva la tête, surpris, c'était lui qui avait blessé à ce point le lion des sables ? Vraiment ? Il regarda sa patte blessée. "Avec cette patte ?" Pensa-t-il, interloqué.

Il ne savait plus trop où il en était, mais comprenait que le combat n'allait pas s'arrêter là, comment le stopper ? Il ne voulait plus se battre, et encore moins subir à nouveau les griffes et les crocs d'Uhucha, dans la mesure où il ne pourrait pas s'esquiver éternellement... Il rentra ses griffes, prit une position plus neutre et observa le lion amoché par ses propres faits -il n'en revenait toujours pas, d'ailleurs.

Alors que Alois était aux proies avec des problèmes simultanés, sa patte blessée le faisait légèrement souffrir et ses sens n'étaient pas encore au meilleur de leur forme, le lion borgne s'approchait discrètement de lui, visiblement avec de mauvaises intentions. Alois ne le calcula pas vraiment et de toute façon, n'en eut pas vraiment le temps. Un tremblement de terre se fit sentir.

Le lion à la crinière bicolore ne fit qu'un pas en arrière avant que les événements ne s’enchaînent ! Un troupeau de trois ou quatre rhinocéros débarqua, passant au ras du félin déstabilisé qui resta immobile, sous le choc. L'autre prédateur, qui était sur la route des gros animaux se volatilisa hors du chemin.

Même si il ne le voyait pas vraiment avec la poussière dégagée par le troupeau, Alois crut percevoir le sourire malsain de son adversaire avant qu'il ne s'évapore en même temps que la poussière ne retomba, le troupeau ayant continuer son chemin vers les plaines verdoyantes des terres plus lointaines.

Se retrouvant seul sur le lieu de leur bref combat, Alois inspecta les lieux, à la recherche d'une trace de ce lion des sables. Il ne trouva qu'une touffe de poils crème qu'il avait lui-même ôté en lui infligeant cette blessure béante. En tout cas, cette blessure ne l'avait pas empêcher de s'envoler... Il jeta un bref coup d’œil au passage des rhinocéros et repéra sa fleur, complètement réduite en poussière rose puis il partit. Quittant la jungle des Gorilles et sa dangereuse rencontre en boitant légèrement, il se dirigea vers la frontière de Pridelands, son excursion avait bien assez durée...

Il songeait à ce Uhucha... Dans l'ensemble, il voulait une chose, le retrouver et reprendre ce qui avait été interrompu... Cependant, il était assez content que la rencontre d'aujourd'hui se soit arrêtée là, pour une première, c'était suffisant et sa patte lui faisait mal... De plus, son adversaire du jour aurait besoin de temps pour récupérer, quelque soit les forces qu'il ait présentées à la fin de leur 'entretien'. Alois n'était pressé à l'idée de le revoir, mais il voulait le revoir... Tôt ou tard... Cela n'allait pas se terminer ainsi...