Visiblement libéré de cette prison aux mille séductions et trouvailles toutes aussi surprenantes les unes que les autres – et quand la chose était dite ainsi, ce n'était nullement pour mettre en avant le caractère flamboyant d'Adana mais bien les paysages qui l'avaient forgé ainsi – Vita inhala la brise solitaire, voyageant entre beaux pays et terres désolées, ne calculant nullement la Mositu alors que celle-ci l'observait, comme insaisissable face à tant de nouveautés, attendant sans nul doute le moment où les adieux seraient honorés. Pour le vagabond, probablement cette frontière signifiait-elle la venue d'une échappatoire pour sa journée ; pour elle, pour la prisonnière du labyrinthe, c'était indéniablement celle de sa vie. Mais un jour, et elle ne cesserait de le répéter à quiconque veut l'entendre, elle quitterait la Jungle et briserait les chaînes de son enfance. Le petit oisillon que tant d'adultes avaient tenté de protéger volerait de ses propres ailes et se changerait en un impassible phénix, brûlant physiquement comme nul autre mais dont le cœur serait à jamais fait de pierre et de glace. Quoi qu'il en soit, le vagabond sombre semblait satisfait de la réussite de leur petit voyage en tête-à-tête. Un nouveau sourire s'immisça sur ses babines tandis que son corps s'écartait de celui de l'adolescente éclairée par la chaleur de l'Inconnu, mouvement qu'elle imita en se rapprochant davantage de la frontière tant convoitée. Alors que son action la rapprochait de sa convoitise, son cœur se mit étrangement à battre, comme depuis toujours unit à la ligne défendue par les Doyens Mositus. Rebelle, Adana s'en réjouit au lieu d'en avoir peur. Une douce chaleur, éternellement au rendez-vous, vint la préserver de tous ses maux.

En attendant, son temporaire compagnon la regardait, toujours, arborant ce rictus et ce sourcil sur son visage d'une manière plutôt comique, dût-elle avouer en joignant ses orbes de soleil aux siens de feu. Il pouvait bien attiser sa colère, sa méfiance ou son intérêt, la femelle lui trouvait quelques rares fois des mines plutôt amusantes, bien qu'elle ne souriait ou ne riait pas à gorge déployée pour autant par rapport à cela. La voix de Vita et sa proposition absurde la détachèrent bien vite des détails qu'elle lui trouvait à force de l'observer ainsi, comme un sujet d'expérience.

« Tu n'aimerai pas devenir mon nouveau guide ? La balade m'a été plutôt agréable, charmante demoiselle. » proposa-t-il avec ce ton légèrement teinté de moquerie, où le mot « charmante » sonnait bien plus comme une épine qu'autre chose. L'adolescente leva un sourcil, soufflée par son insolence. Elle, son guide ? Jamais de la vie. Il avait une gigantesque prime à lui offrir pour oser s'aventurer aussi loin, au moins ? « Tu rêves ! » le rabroua-t-elle aussitôt, par instinct.

Malgré tout, Vita parût songeur, la tête comme qui dirait redressée, le menton haut. Face au silence qui se propagea entre leurs deux distances, les pattes de la Mositu finirent par craquer, et lui picoter un peu. C'était un peu gênant, pour elle, de rester là, pattes enfoncées sous terre, à attendre bêtement le moment où le visiteur s'en irait de son palais verdoyant. Qu'attendait-il ? Était-ce les mots qu'elle venait de prononcer qui le faisaient tant réfléchir ? Fort heureusement, cette petite comédie ne dura pas, et la conversation reprit son cours comme si rien ne l'avait jamais arrêtée. Le mâle aux reflets rouges pivota un peu en direction de sa cadette, lui offrant simplement son regard flamboyant et son léger sourire. « Bien. Nos chemins se séparent ici, Adana. Peut-être se recroiseront-ils lorsque tu sortiras de ta jungle protectrice. » Tout en accompagnant ses mots, il eut un léger mouvement d'épaules, assorti avec ce simple regard qui balaya l'étendue de la puissance de la jungle. Elle n'arrivait pas à comprendre pourquoi il adorait considérer cette jungle comme protectrice. Cela se voyait qu'il ne ressentait pas du tout la même chose qu'elle, ce sentiment de frustration, cette impression d'être emprisonnée contre son gré. Lui était un vagabond qui n'avait de lois autres que celles que son cœur lui dictait, rien d'autre. D'ailleurs, l'adolescente se demandait justement si Vita avait toujours des parents. Que deviendraient Athar et Kimiria, une fois qu'elles les auraient quittés ?

« Au revoir, Adana. » finit-il par la saluer. Coupée dans ses réflexions, Adana lui rendit la pareille, avec son p'tit « Au revoir. » maîtrisé, neutre, presque poli malgré elle. Surprise, ses yeux s'arrondirent un peu devant le rire enjoué du lion qui se plût à mimer un noble en pleine révérence, avant de faire volte-face et se diriger vers la frontière. Elle leva les yeux au ciel, se demandant si elle devait se satisfaire de la gaminerie de Vita ou la mépriser. Elle soupira finalement, se tournant dans sa direction, suivant du regard sa silhouette en train de disparaître dans l'horizon, tranquille comme tout. Lorsqu'il disparut, finalement, dans la gueule de l'Inconnu, la femelle sombre se sentit presque envieuse de sa chance mais laissa de côté ses sentiments négatifs ; quand elle partirait, à son tour, elle n'aurait plus rien à lui envier. Elle n'aurait plus rien à envier à personne. Elle serait plus forte que tout.