Longeant l’herbe dorée de la savane, Ahva errait sans véritable but si ce n’était celui de se promener de profiter du Royaume de Prideland, fierté ancestrale de son clan. Tandis que les brins caressaient familièrement ses flancs, la lionne songeait aux temps à venir. Sa liberté s’était accrue avec l’âge et maintenant adulte, Ahva pouvait vivre sa vie comme elle l’entendait mais quelque chose continuait de retenir ses ardeurs : sa famille. Bien que la période semblait idéale, la féline n’était pas aveugle aux marques de vieillesse garnissant le pelage doré de sa mère et c’était sans parler de l’oncle Rono. Son impatience et son feu ardent lui criait de partir mais sa conscience l’implorait de rester. Ahva le savait, si elle partait et qu’en son absence, ses proches succombaient, elle ne saurait se pardonner son éclipse hors du temps ni même de n’avoir pu porter secours à sa famille dans pareille détresse. Elle soupira, tiraillée entre ses sentiments opposés.

Gravissant une petite colline où l’herbe était plus aride, Ahva s’assit noblement, le regard porté sur son vaste royaume. Si ses souvenirs marquaient chaque petit détail de la savane, son avenir n’était pas ici. La princesse en avait acquis l’intime conviction.

Alors qu’elle occupait son esprit à mille et une hypothèse d’avenir, une pression agrippa soudainement le toupet de sa queue et la lionne sursauta, surprise, émettant même un petit couinement de frémissement. Le cœur battant par l’inattendue de la situation, elle pivota précipitamment pour faire face à Liam, le Liard du clan. Oh, Liam. La princesse soupira de soulagement. Ses pensées l’avaient tant accaparé qu’elle ne l’avait entendu arrivé… la lionne aurait pu se laisser surprendre par n’importe qui et malgré sa surprise, elle était rassurée de savoir qu’il s’agissait de lui et non d’un ennemi potentiel.

Tout aussi surpris que la princesse mais d’autant plus gêné, l’embarras se lisait sur le visage balafré du mâle. Elle rit nerveusement, encore sujette au tambourinement de son cœur qui lui avait manqué une frayeur puis se ravisa, soupira doucement entre deux hoquets. Pfiou, calme. Elle secoua doucement la tête de gauche à droite pour reprendre ses idées pour, maître d’elle-même, reporta son attention sur le laird et lui offrit un beau sourire.

« Ce n’est rien, Liam, reste, je t’en prie. »

Elle l’encourageait d’un signe de tête à demeurer. Si certains vieux conservateurs se méfiaient des hybrides, la princesse n’en avait que faire, les considérant comme des lions à part entière. S’il n’y avait rien d’étonnant à ce que la princesse connaisse le prénom de l’unique Liard du clan, elle n’avait pour autant jamais pris le temps de faire sa connaissance. Il était peut-être un peu tard maintenant mais c’était mieux que jamais.

« Comment te portes-tu ? » demanda-t-elle avec un intérêt sincère.

Son regard était doux et chaleureux. Longtemps, une rumeur avait couru comme quoi ses cicatrices provenaient d’un lion doré qu’il avait provoqué en duel pour protéger l’honneur de la princesse., était-ce vrai ? Ahva ne l’avait jamais su.

Le liard semblait gêné aussi la princesse tentait-elle de le mettre à l’aise mais elle avait déjà fait face à ce genre de comportement et savait combien certaines personnes pouvaient se sentir intimidé en présence d’un membre de la famille royale. Ahva avait toujours veillé à se montrer disponible et abordable aux membres de son clan mais, cela n’empêchait pas la timidité des autres.

« Le calme de la Savane me revigore. » répondit-elle dans un demi sourire.

Fort mal à l’aise, Liam semblait cacher quelque chose, un secret qui lui pesait. Ahva le regardait d’un œil léger, de peur de lui mettre une pression supplémentaire sur les épaules mais elle s’inquiétait. Finalement, le mâle céda et se confia à elle. Etonnée mais heureuse de sa sincérité, elle lui offrit un sourire fort chaleureux.

« Tu sais, je vais te confier un secret, j’y songe beaucoup également. »

Il n’y avait rien de plus vrai. Ahva comprenait tous ces désirs dont le liard parlait puisqu’elle les ressentait également.

« Un lion m’a dit un jour qu’il fallait être courageux pour quitter son chez-soi et partir vers l’inconnu. C’est une décision importante qui peut changer nos vies. Si tu as envie de partir, tout ce que je te souhaite c’est d’en trouver la force. N’ai pas le regret de ne pas avoir suivi ton cœur. »

Sa voix était étonnamment sage, preuve de la maturité qu’avait pris la princesse avec l’âge mais demeurait légère, sensible aux mouvements du vent. Ahva trouvait le liard courageux de dévoiler ainsi son désir et ses craintes tandis qu’elle ne trouvait pas les mots pour avertir sa famille de ses ambitions.

Quand ils trouvaient résonance, les mots étaient communicatifs. D’un sourire, le liard observa la princesse avec une certaine tendresse et lui confia être touché par ses mots. Heureuse de pouvoir venir en aide à un membre de son clan, elle lui sourit à son tour. Les Pridelanders étaient une grande famille, il était normal pour eux de s’entraider. Cette grande unité faisait la force du clan.

Dévoilant sa surprise quant à la confession de la lionne, Liam lui demande les raisons de son choix ce à quoi la princesse rit doucement, comprenant l’étonnement du lion, avant d’évoquer le lion d’or Outland. A cette demande, le rire de la princesse s’évanouit doucement dans le souffle du vent.

« Soto n’a rien à voir avec cela, je ne l’ai pas revu depuis notre altercation. » précisait-elle dans un premier temps, murmurant ces mots d’un air lointain.

Non, ils ne s’étaient pas revus et pourtant, la princesse savait que ce ne serait pas là leur dernière rencontre. Elle ne pouvait se satisfaire de cela. Malgré ce monstre qu’il était devenu, Soto demeurait son premier amour et une part enfouie dans le cœur de la princesse désirait le revoir, ne serait-ce que pour comprendre sa mutation. Il l’avait tant déçue. Ce n’était pas seulement son corps qu’il avait meurtri mais également son cœur. Il lui avait fait connaître son premier chagrin.

Balayant ces pensées d’un revers de la patte, Ahva répondit enfin aux interrogations du liard :

« Je pense qu’il y a tellement plus à voir que ces terres. Je veux étendre ma vision du monde, comprendre ce que je ne saurais voir ici et découvrir d’autres royaumes comme d’autres cultures. Je n’ai jamais su me contenter de cette vie, il m’en a toujours fallu plus quitte à m’attirer des ennuis. Une vie passée sur Prideland ne me satisferait pas, je veux me construire par moi-même. »

Sur ces dernières paroles, elle délaissa l’horizon du regard pour plonger ses orbes ambrés dans l’œil valide de Liam. Comprenait-il ? Elle sourit doucement. L’idée qu’une princesse choyée et chérit par son clan souhaite partir seule, démunie et sans soutien pouvait sembler étonnante, c’était vrai mais tout le long de son enfance, la lionne avait été bercée par les récits de voyage de sa mère. Sûrement cette envie d’évasion provenait-elle de là.

Attardant son regard sur les cicatrices du sang-mêlé, une question venait tourmenter la lionne. Gênée de demander mais trop intriguée, elle finit par céder à la tentation ;

« J’ai entendu des rumeurs mais je n’ai jamais eu l’occasion d’en vérifier la teneur. Pardonne-moi mon indiscrétion mais ces cicatrices, d’où viennent-elles ? »

Son air était plus sérieux, presque inquiet. Passée sa mésaventure sur Outland, la princesse avait vite fait d’éviter l’agitation du clan et s’était enfermée dans sa bulle avant d’en sortir pleinement guérie, tournant la page sans plus jamais évoquer le sujet pourtant, des discussions traînantes lui étaient parvenues dont celles concernant un liard partit se battre pour l’honneur de leur princesse. Était-ce vrai ?

Réjouissant d’abord la princesse, le liard lui confia qu’il avait retrouvé goût à ses envies grâces aux confidences de la lionne. Celle-ci lui sourit, ravie de voir sa braise scintiller de nouveau. Puis la surprenant sans précédent, il lui proposa de partir en compagnie de lui-même et de sa sœur. Ahva battit des cils, très étonnée. Partir, maintenant ? Était-elle seulement prête ?

La surprise laissa place à la gêne lorsqu’elle lui parla de ses cicatrices. Gêné, le liard fixait ses pattes et Ahva se mordait les lèvres, regrettant ses mots et son indiscrétion. Elle n’avait pas souhaité le mettre mal à l’aise et pourtant, son franc parler dénué de mauvaises intentions pouvait s’avérer embarrassant quand elle tapait dans un sujet sensible. Honteuse, Ahva ne savait trop où se mettre lorsque la voix rauque du liard s’éleva. Soto. C’était donc vrai. Une première vague de colère embrassa la lionne. Le lion doré n’avait donc aucun scrupule et ce qui aurait pu passer pour une erreur témoignait bel et bien de son nouveau tempérament et du mal qui l’habitait. Sa queue fouetta l’air lorsque le liard rappela les méfaits que lui avait causé le lion. Il était humiliant pour une princesse avec autant de fierté qu’Ahva de savoir que tout le clan était au courant de cette histoire et pour ne pas déroger à la règle, la féline était toujours réticente à ce qu’on lui rappelle ce souvenir encore ancré mais Liam n’était pas à porter coupable puisque lui aussi en avait pâli. La colère fut alors remplacée par la peine et la compassion.

« C’est à toi de me pardonner, Liam. C’est à cause de moi que c’est arrivé. »

Sa voix était douce, rassurante mais également coupable. Elle soupira et s’approcha du liard.

« Tu n’avais pas à endosser ce rôle de chevalier mais je t’en remercie. Ta loyauté est admirable. »

Elle lui sourit, à la fois apaisée d’enfin connaître la vérité mais également touchée de la dévotion du liard qui s’était impliqué dans un conflit étranger pour sauver son honneur. Un temps, Ahva en avait voulu à sa famille de n’avoir rien fait. Bien sûr ils avaient été présent pour elle mais une partie d’elle, celle revancharde de la lionne blessée, aurait souhaité voir son père et ses frères partir rendre justice. Plus tard, elle avait réalisé l’égoïsme de ce souhait et s’était accommodée de l’issue de cette histoire mais apprendre aujourd’hui que quelqu’un avait porté les armes pour elle soulageait ce souvenir d’enfant blessé et qui s’était alors senti délaissé.

Son sourire chaleureux se mua doucement en une mine de résiliation et elle secoua la tête de gauche à droite dans un léger sourire, confiant ces quelques mots au liard :

« Quand à ta demande, j’ai peur de devoir décliner. Je n’ai pas encore le courage suffisant pour partir mais toi oui, alors embrasse ce désir et pars conquérir ce monde. Il y aura toujours une place pour toi sur Prideland. »

C’était une sorte de promesse, un devoir dont se chargeait la princesse mais qui n’avait pas tant besoin de son expertise. Prideland était une grande famille et les membres éloignés n’étaient jamais oubliés. S’ils le souhaitaient, le berceau du Glorieux Royaume serait toujours prêt à les accueillir. C’était ça la force et l’unité des leurs.