Évidemment, la lionne dorée ne fut nullement impressionnée. Elle avait même l'air hautement agacée, comme si lui, Khassim, était en tort et non elle. Évidemment.
Cela devenait franchement épuisant, se disait Khassim. De quel droit des lions étrangers ou des Jangowas plus jeunes que lui le prenaient-ils de haut de cette manière? La femelle se redressa quelque peu et le fixa, l'air arrogant.

- Est-ce une façon d'aborder une dame? Je ne suis qu'une voyageuse de passage, apaise donc ta colère. De ce que je sais, les frontières appartiennent à tous.

Elle eut même l'audace d'esquisser un sourire après cette réplique, comme fière d'elle. Cette attitude faisait enrager Khassim – il avait faim, il était levé presque depuis l'aube, et maintenant une étrangère lui riait ouvertement au nez!
Grondant, le Jangowa avança d'un pas, marchant pratiquement sur la frontière même. Il brûlait d'envie de franchir la marque invisible et d'apprendre à l'étrangère ce qui se passait lorsqu'on se moquait de lui, mais il se retint. Il se força à se calmer. Cette lionne n'en valait pas la peine, se dit-il, et si jamais il franchissait la frontière, il aurait lui aussi tort.
Finalement, il redressa la tête, regagnant un minimum de sang-froid – assez pour éviter de bondir de l'autre côté, mais pas suffisamment pour masquer totalement la rage qui brûlait en lui, trahie par son dos hérissé et ses crocs découverts.
Khassim commença à faire les cents pas. Cela lui permettrait de se décharger d'un peu de son énergie nerveuse, celle qui lui donnait tant envie de chasser l'intruse dorée à coups de griffes.

- Ne nie pas, étrangère! Je sais que tu vagabondais sur notre territoire... Tu n'as rien à y faire, et quoi que tu aies voulu y faire, sache-le: je défendrai mon clan contre n'importe quoi, contre toi aussi s'il le faut.

Le Jangowa ponctua sa tirade d'un regard noir et d'un coup de menton, levé haut – ce n'était pas aujourd'hui qu'il se laisserait faire par une lionne qui n'était pas à sa place dans le Désert, ni qu'il laisserait ladite femelle se promener sur ses terres en toute impunité.

- Oui, je vagabondais mais je n'y suis plus, pas vrai ? Navré de décevoir ton instinct guerrier mais je n'ai causé aucun tort à ton précieux désert si ce n'est l'honorer de ma présence. On m'a un jour dit que tes semblables avaient une manière particulière de traiter les inconnus, je vois que l'on ne m'avait pas menti...

L'expression de la lionne n'était pas pour plaire à Khassim, loin de là. Cela le mettait en rage de voir à quel point celle-ci semblait à la fois s'amuser prodigieusement et le mépriser grandement, et l'effort à fournir pour se retenir de lui sauter dessus était de plus en plus important. Il mourait d'envie d'effacer d'un coup de patte le sourire arrogant qu'elle arborait en lui adressant la parole...
Calme-toi, Khassim, calme-toi. Le lion se détourna un instant de la femelle dorée avec dédain, faisant son demi-tour pour repartir. Il se força à se concentrer mentalement sur le bout de ses pattes, sur les sensations dues au vent et au soleil qu'il ressentait, sur n'importe quoi. Cela l'apaisait, lui permettait de regagner un peu de self-control.
Enfin, il cessa de marcher, faisant de nouveau face à l'étrangère. Une poignée de secondes s'était écoulée depuis la dernière réplique de la lionne lorsqu'il ouvrit la gueule pour riposter.

- Oh, c'était donc un honneur que tu nous faisais? Quelle générosité! railla le Jangowa. Pardonne-moi ma grossièreté. Et que dirais-tu d'aller honorer d'autres territoires de ta présence?

Pour Khassim, il était clair que cette femelle était une intruse: elle n'avait rien à faire là. D'abord elle pénétrait dans le Désert pour une petite promenade, comme si elle en avait le droit, puis elle jouait les innocentes lorsqu'il la confrontait à ce sujet.
Quand il voyait des étrangers de l'autre côté de la frontière, du côté de l'extérieur, il n'allait généralement pas les voir, bien qu'il conservât sa méfiance et les surveillât du coin de l’œil. Mais dans ce cas-ci, il savait que la lionne était venue sur leur territoire. Était-ce l'instinct, ou simplement ses sens échauffés et brouillés par la fatigue et la colère?

- Quant à ce que l'on pense de nous en-dehors du Désert, reprit finalement le mâle gris-brun avec hauteur, je m'en fiche bien. Tout comme tu n'as pas ta place ici – Khassim ponctua sa remarque d'un regard noir condescendant –, nous, Jangowas, sommes faits pour régner sur le Désert. Nous ne nous occupons pas de ce qui se passe en-dehors de chez nous: que nous importent vos petites histoires?

- Tu n'es pas du genre à rire, pas vrai? lança la lionne en riant.

Khassim baissa le cou, partagé entre la confusion et le désespoir. Pourquoi riait-elle? Pourquoi n'était-elle pas ne serait-ce qu'un peu intimidée? Pourquoi ne ressentait-elle aucune gêne à l'idée d'avoir pénétré le territoire Jangowa, si sacré aux yeux de ses membres? Et pourquoi tombait-il toujours sur des félins irrespectueux, qu'ils viennent de son clan ou non?
Décidément, il avait une de ces chances...
La femelle sembla cependant reprendre un peu de sérieux. D'une voix claire, regardant le Jangowa en contrebas droit dans les yeux, elle reprit ses paroles, expliquant sa présence dans le Désert.

Khassim manqua s'étrangler en entendant lesdites explications. Profiter du climat?! Khassim était estomaqué. Elle venait ici, pénétrait le territoire des Jangowas – ce qu'elle n'avait bien sûr pas le droit de faire –, tout ça pour se réchauffer la fourrure?! Ne savait-elle donc pas qu'aucun étranger ne devait jamais fouler le sol du territoire Jangowa?
C'étaient les lois du Grand Désert. Évidemment, pour tout animal vivant en dehors de celui-ci, ces règles n'avaient aucun sens et n'étaient que des croyances ridicules et cruelles, des inventions des Lions des Sables pour conserver la pattemise oui j'invente des mots sur leur territoire. Si les étrangers restaient hors du Désert, c'était uniquement parce que ce territoire était hostile à tout autre que les Jangowas, et surtout parce que les lions du Désert chassaient à coups de griffes et de crocs toute personne s'aventurant chez eux, sans état d'âme.
Khassim savait cela, il n'ignorait pas ce que les lions d'en-dehors pensaient de son clan, les rumeurs qui couraient sur eux, surtout depuis l'exil définitif des Mositus. Il le savait, mais il savait également qu'ils avaient tort. Le lion gris-brun croyait profondément en ce que les étrangers appelleraient un ramassis de folles coutumes.
Il était par conséquent terriblement furieux à chaque fois que ces règles ancestrales étaient transgressées, et c'était également pour cette raison qu'il ne concevait même pas qu'on puisse avoir le désir de venir sur leur territoire uniquement pour jouir du soleil.

Aussi Khassim, à la fin de la tirade de la femelle, ne sut guère que répondre. Elle prétendait ne pas être une ennemie, mais comment en être sûr? Évidemment elle disait n'avoir aucune mauvaise intention, mais après tout n'importe quel animal hostile aux Jangowas en aurait dit autant. Elle était mince et ne semblait pas être une menace, mais Khassim avait appris à ne pas sous-estimer ses adversaires. Il ne pensait pas qu'elle faisait le poids face à lui, mais qui savait si elle n'avait pas une "arme secrète"? D'autre part, elle aurait pu être une espionne – en ce cas, une apparence inoffensive est toujours un avantage afin de faire croire à sa bonne foi.
Cependant, il avait l'impression que cette intruse ne mentait pas.
Mais au fond, comment en être certain? Et il se sentait las. Il était fatigué suite à son lever matinal ce jour-ci, fatigué à cause de sa traque dans le Désert, de sa course pour aller à la rencontre de la lionne, fatigué par l'intense chaleur qui ne faisait que s'accentuer au fur et à mesure que le temps passait.
Il avait beau vivre dans le Désert quotidiennement et être usé à ses hautes températures, la saison sèche était dure à supporter pour tout le monde. Durant ces longs mois, les Jangowas ne se déplaçaient guère que le matin, pendant qu'il faisait encore frais, laissant la chaleur de l'après-midi les faire somnoler.

Au final, Khassim se contenta de s'assoir sur son séant, fourbu mais gardant toujours l'étrangère dans son champ de vision.
Qui qu'elle fut, simple voyageuse de passage ou fureteuse hostile, le mâle voulait s'assurer qu'elle s'éloignait bel et bien du territoire.

- Je ne vais pas t'attaquer, pas tant que tu restes en-dehors du Désert, finit par lâcher Khassim après un silence. Il était toujours furieux qu'elle soit entrée sur leur territoire, mais la chaleur assommante l'aidait, en un sens, à se contenir. Non, se disait-il, mieux valait n'avoir à recourir à la violence que si elle persistait dans ses railleries ou si elle posait la patte sur leur sol. Alors il serait prêt à intervenir. En attendant... Mais je te surveille. Je ne te fais pas confiance et je veux m'assurer que tu partes. Je vais attendre ici jusqu'à ton départ, conclut-il avec un nouveau regard noir à l'intention de la lionne d'or.

Les yeux fixés sur la femelle dorée, Khassim crut voir, pendant un instant, l'expression de son adversaire oral passer brièvement de l'amusement à l'ombrage, avant de revenir à son arrogance première. Cela n'avait guère duré, et le Jangowa se demanda s'il avait rêvé. La fatigue lui jouerait-elle des tours?
En tout cas, la femelle ne laissa plus rien paraître d'un possible trouble. Elle enchaîna aussitôt une réplique, répondant aux dernières paroles du lion aux yeux d'ambre.

- J'espère que tu es bien installé dans ce cas, jeta-t-elle, railleuse. Elle énonçait ainsi clairement son intention de "profiter du soleil" encore un peu, mais Khassim se contint. Il se contenta de lever les yeux au ciel avec un rictus dédaigneux. Une chose était certaine, si cette lionne espérait qu'il se lasserait et partirait avant elle, elle se fourrait la griffe dans l’œil!

- Ne t'en fais donc pas pour moi, persifla le lion, nous autres Jangowas avons l'habitude d'aller jusqu'à nos limites – qui, je te rassure, sont situées autrement plus loin que ce que tes railleries peuvent dépasser.

Khassim ponctua sa réplique d'un nouveau regard empli de hauteur en direction de la lionne.
Au fond, il devait l'avouer – ou plutôt il devait se l'avouer, car jamais cette étrangère ne pourrait lui arracher ces mots de la gueule, se jura-t-il –, il prenait goût à cette joute verbale. Il s'était pris au jeu sans vraiment s'en rendre compte, et ça lui faisait du bien. Ça le défoulait, même si ce n'était qu'un tout petit peu. Après une journée comme la sienne, c'était presque reposant de rester assis à échanger des piques avec quelqu'un. Khassim avait, il était vrai, peu d'expérience en la matière, mais il y prenait un certain plaisir. Après tout, il aimait tout type de compétition...
Et c'était meilleur encore lorsqu'il gagnait.

Ce petit jeu devait manifestement durer encore un peu, car comme l'annonça la lionne du soleil, elle n'avait pas l'intention de se presser pour partir. Eh bien, soit, pensa le Jangowa, j'attendrai le temps qu'il faudra.
La phrase qui suivit mit toutefois les nerfs de Khassim à rude épreuve. Ce dernier sentit ses membres se raidir tandis que la colère se dressait sans prévenir en lui. Il parvint à ne pas bouger, mais son agitation pouvait se voir dans son regard. La lionne avait sans le vouloir touché un point sensible.
Te surnomme-t-on le garde fou?
Cela paraissait n'être guère qu'une vague moquerie absolument pas blessante, mais étrangement Khassim se découvrait y être plus sensible qu'il ne l'aurait cru. En effet, il aurait aimé pouvoir répliquer avec fierté qu'au contraire, il était hautement respecté parmi son clan, voire même admiré, mais il sentait que c'était faux. Il n'avait guère eu l'occasion de prouver sa valeur ces derniers mois, depuis son dernier retour d'exil. Il avait chassé quelques intrus, participé à autant de patrouilles que possible, c'était vrai, mais il n'avait pas pu s'acquitter de sa mission d'entraîner deux lionceaux: ces derniers ne lui montraient aucun respect, ce qui le mettait en rage et, même, l'inquiétait plus qu'il n'aurait pu le dire. Et si personne ne venait à le respecter ou à le considérer parmi son clan? Comment pourrait-il jamais monter en grade et atteindre le tant désiré rôle de Général, malgré tout son talent au combat de l'appui de son père?

- Je ne suis pas fou, étrangère, je suis Khassim, fils de Chenko, le Général des Jangowas! gronda le lion. Il aurait voulu ne pas montrer à quel point il avait été piqué au vif par les mots de la lionne, mais il s'en révélait incapable. Ce n'était sans doute pas aujourd'hui qu'il gagnerait une bataille de paroles, pas tant qu'il se montrerait incapable de cacher ses émotions.

C'était bien là Khassim: animal au sang bouillant, il avait le plus grand mal à rester impassible lorsqu'il était furieux.
Avec de grands efforts, il respira profondément, regarda ailleurs et rejeta doucement l'air inspiré par la gueule.

- Et toi, qui es-tu donc pour avoir tant de temps à perdre avec un "fou"? demanda-t-il d'un ton rogue. Il semblait exiger plus que demander une réponse.

- Un fou fort colérique, ajouta l'étrangère.

Cette fois-ci, Khassim sut se contenir. Il se contenta de montrer les crocs à la femelle, sans bouger de son poste. Le choc du premier "fou" était passé, et si ce mot se répercutait toujours douloureusement à l'intérieur du Jangowa, la douleur était devenue sourde, la surprise avait disparu.
La lionne finit par répondre à son exigence. Elle se présenta avec une fierté non dissimulée comme étant Kuzali, provenant des Terres du Soleil. Ce nom ne disait évidemment rien à Khassim, mais cela l'éclairait sur l'origine du pelage doré de son interlocutrice. Au vu du nom de ce territoire, sans doute tous les félins y vivaient étaient-ils parés d'une fourrure d'or.
Pendant une brève seconde, le mâle se demanda pourquoi cette Kuzali n'était plus sur les fameuses Terres du Soleil si lointaines. Que fabriquait-elle aussi loin de chez elle?

Ces vagues interrogations furent toutefois balayées par la suite de la tirade de la lionne. Comme si simplement parce qu'elle aimait le climat du Désert, elle avait le droit d'y séjourner, ne serait-ce que pour quelques heures!
Il n'y avait pas à dire, elle ne manquait pas de culot, celle-là...

- Oh oui, ironisa Khassim, bien sûr, puisque tu aimes les lieux tu as tout à fait le droit d'y rester. Voudrais-tu que je te fasse une petite visite du territoire, tant qu'on y est?

Quittant le sourire amusé qu'il avait revêtu quelques instants auparavant, le lion aux yeux orangés reprit toute sa morgue et son sérieux.

- Comme je te l'ai déjà dit, Kuzali – cela était étrange de désigner cette orgueilleuse étrangère par son nom, comme s'ils se connaissaient bien voire même étaient amis –, les Jangowas ne s'encombrent pas de savoir si les lions en-dehors du Désert aiment leur territoire ou même leur clan, asséna-t-il avec arrogance. Puisque vous n'avez pas le droit d'y entrer, quel est l'intérêt, de toute manière, de l'apprécier?

Cette dernière phrase fut lancée avec un haussement de sourcils à l'intention de Kuzali. Le message était clair, Khassim la narguait, lui rappelant qu'elle était proscrite de ces terres sablonneuses et que le moindre pas de sa part de son côté de la frontière se solderait par quelques bons coups de pattes.
Enfin, comme pour montrer une grande décontraction de sa part, il étira tous ses membres de la tête aux pattes avant de se coucher au sol. Il finit en offrant un petit sourire – évidemment teinté de malice – à la lionne. Si l'on occultait les paroles de Kuzali qui l'avaient blessé plus qu'il ne voulait bien le laisser paraître, il s'amusait pas mal.
Malgré tout, il s'enjoignit mentalement à ne pas baisser sa garde. La lionne d'or ne semblait pas être une menace sérieuse, mais il fallait toujours se tenir prêt à toutes les éventualités, aussi tâchait-il de quitter Kuzali des yeux aussi peu qu'il ne pouvait.

Kuzali lança une nouvelle pique au jeune mâle. Malgré ses paroles qui ne se distinguaient guère de celles prononcées précédemment, Khassim perçut un changement d'atmosphère. Le visage de la lionne semblait s'être figé et durci un peu plus, toute malice semblait l'avoir quittée.
Au fond, le Jangowa en aurait été presque déçu – lui qui était en passe de s'amuser! Mais finalement cela ne le dérangeait pas tant que cela. Quoi qu'on en dise, les joutes verbales et les masques d'hypocrisie n'étaient pas son fort, lui qui comptait parmi les lions les plus impulsifs du clan Jangowa – un atout en même temps qu'un énorme désavantage...
Finalement, l'étrangère à la fourrure dorée, ses babines découvrant ses crocs, répliqua d'une voix dure à Khassim, insistant sur son indépendance et la liberté d'aller où elle voulait. A cela, le lion répondit d'un grognement furieux et s'apprêta à clamer qu'elle pouvait errer où elle le voulait tant qu'elle ne pénétrait pas dans le Désert, mais il n'en n'eut pas le temps.

Kuzali sauta lestement de son perchoir et s'avança vers lui à pas rapides, au point que Khassim crut qu'elle allait finalement rentrer en territoire Jangowa.
Elle n'en fit rien. Elle s'arrêta juste à la frontière, à quelques pas de lui à peine. Sans perdre un instant, le mâle se leva en grondant et en une seconde, fut solidement planté sur ses pattes en face de l'étrangère.
Peu importait son sourire qui désormais ressemblait plus à un rictus furieux, peu importaient son maintien orgueilleux et son expression méprisante, Khassim ne se laisserait pas intimider ainsi: il ne se démontait pas si facilement!

- Les Jangowas par-ci, les Jangowas par-là, n'as-tu donc aucun autre nom à la bouche? Tu définis beaucoup les Jangowas mais toi, qui es-tu Khassim? Un banal Jangowa parmi tant d'autres, un simple «fils de» qui ne sera jamais l'égal de son père? Tu ne m'effrayes pas, tu n'es qu'un jeune lion ignorant qui à défaut d'avoir mieux à faire, patrouille les frontières dans l'espoir d'égayer son quotidien si sombre et ennuyant.

Khassim ne se démontait pas facilement, mais restait simple à énerver en général. Comme un minuscule taon sait torturer une énorme masse de chair et de muscles, il suffisait de toucher le bon endroit, l'endroit sensible du Jangowa pour le rendre fou de rage.
Et cela ne manqua pas d'arriver: les mots de Kuzali heurtèrent avec fracas ledit point sensible, causé par des mois passés à tenter de prouver sa force et son utilité au clan, sans qu'il ait noté une quelconque amélioration. Oh, c'était certain, Chenko aidait son fils autant qu'il le pouvait! Il lui déléguait quelques tâches de temps en temps, l'exhortait à travailler toujours plus dur, à contrôler son sale caractère et à poursuivre ses efforts.
Mais cela ne changeait rien au fait que de l'extérieur, rien n'avait changé depuis son retour d'exil; il ne se sentait pas mieux considéré maintenant qu'auparavant. Et de là surgissait sa crainte la plus insidieuse et de fait la plus terrible: celle de ne pas parvenir à prendre la suite de son père, de se faire voler sa place sous le nez par un proche de Vako, de ne jamais parvenir à se faire respecter.
Ce fut pour ces raisons que son échine se raidit d'un coup, ses poils se hérissant et sa crinière se gonflant sous l'effet de la fureur, tandis que ses yeux luisait sous le choc et la rage.

- Qui es-tu, étrangère, pour parler de moi comme ça? Tu ne sais rien de moi, tu ne me connais pas, tu n'as aucune idée de qui je suis! Tu n'es pas en droit de parler de mon potentiel ni de mon avenir, et encore moins de prétendre connaître ce que je vis et ressens! cracha Khassim, ses yeux brûlants semblables à de l'or en fusion, plantés telles des griffes dans une proie dans ceux tout aussi dorés de Kuzali. Sa colère était chargée telle une arme prête à partir.

Soudain, sans prévenir, sa colère sembla retomber. L'oppression qu'il ressentait auparavant vaguement, d'un coin de son être, avait disparu. Il ne s'en était pas rendu compte, mais cette sourde angoisse de l'échec lui avait pesé. Maintenant qu'il en avait pris connaissance et l'avait crachée en même temps que ses paroles, il se sentait mieux, comme si un abcès avait été crevé.
Oh, il n'était pas subitement envahi de bienveillance pour Kuzali, loin de là. Il sentait toujours la colère gronder au fond de lui en réponse à son insolence.
Mais son envie de sauter à la gorge de la lionne lui était passée, ses poils reprenaient leur place habituelle sur son dos. Khassim fut capable de faire repasser le poids de son corps sur ses pattes avants – poids qui, grâce à ses réflexes de combat, se trouvait quelques instants auparavant sur l'arrière de son corps en prévision d'un saut – et même de reculer d'un pas.

- Quant à l'importance que j'accorde aux Jangowas et qui t'exaspère tant, reprit Khassim, les mâchoires serrées et le regard farouche et hostile mais la voix presque calme bien qu'empreinte de tension et d'ironie, elle signifie ce qu'ils représentent pour moi. Devenir le meilleur Jangowa possible est mon ambition.

Dans cette dernière affirmation, pas d'ironie. La voix du lion gris-brun était ferme et même teintée de cette fierté justement si propre aux lions du Désert.
Car c'était la vérité. Sa part Jangowa était intimement liée à lui, et même représentait une grande partie de son identité. Khassim était presque la représentation parfaite du Jangowa, et pour lui, ses efforts pour devenir "le meilleur Jangowa possible" ne seraient couronnés que par son accession au rang de Général. Ce serait la véritable apothéose.
Aussi le lion déclarait-il sans aucune gêne, sans aucun complexe, mais au contraire avec fierté et détermination cette part intrinsèque de son identité à cette étrangère.

Étrangement, la lionne ne répliqua pas avec colère ni même vraiment par d'autres répliques piquantes à l'intention de Khassim. Malgré ses sourcils quelque peu froncés, elle ne lança aucune parole destinée à faire enrager plus le Jangowa. Sans doute en avait-elle eu assez du caractère orageux du mâle...
Khassim ne savait guère interpréter les expressions et actions de Kuzali, il se sentait un peu perdu. Et il fut d'autant plus décontenancé lorsque la lionne d'or se retourna et rejoignit le perchoir quitté un peu plus tôt, sur lequel elle se posta avec élégance et majesté – il fallait l'avouer, elle savait créer son petit effet –, tout en répondant enfin aux dernières paroles du mâle.
Le lion aux yeux ambrés grinça des dents en l'entendant dire que malgré son dévouement à son clan qui était une bonne chose, il fallait qu'il apprenne à maîtriser son caractère explosif. Il grinça des dents car, au fond de lui, même s'il détestait devoir se le dire, il savait qu'elle n'avait pas tort. Chenko lui avait constamment et régulièrement répété qu'il était important, et même essentiel, qu'il se départisse de son impulsivité et sache contrôler ses nerfs. C'était un terrible handicap pour sa quête de reconnaissance et de respect – comment éprouver du respect envers quelqu'un qui ne savait pas contrôler ses sautes d'humeur ? –, et donc pour son ambition de devenir un jour Général.

Aussi se contenta-t-il d'arborer une expression sombre, boudeuse, presque enfantine en un sens, sans répondre au conseil de la lionne, même lorsqu'elle mit l'accent sur son statut d'étrangère. Khassim eut un léger soupir: peut-être savait-elle elle-même qu'il s'était rendu compte de la véracité de ses propos.
En tout cas ne savait-il pas comment réfuter ces paroles... Mais Kuzali n'en avait pas tout à fait terminé:

- Je sais simplement ce que c'est de vouloir combler les attentes de son paternel et vouloir le rendre fier, acheva-t-elle, sans malice dans la voix ni le regard cette fois.

- Je ne... protesta Khassim avant de s'arrêter, sourcils froncés, perplexe. Il ne faisait pas tout ce qu'il faisait – ses efforts pour devenir aussi fort et résistant que possible, sa volonté de prouver au clan et surtout à Vako qu'il était digne d'être Général... – pour rendre son père fier de lui! Enfin... Évidemment que le Jangowa voulait que son père puisse le regarder avec joie et fierté. Bien sûr. Mais ce n'était pas la seule raison, n'est-ce pas?
Après tout, devenir Général était son rêve depuis tout petit. Mais comment lui était-il venu? Parce que son ambition, profondément ancrée en lui, faisait partie de son être dès la naissance? Parce que Chenko avait commencé à l'entraîner pour qu'il le remplace un jour?

Le mâle était confus maintenant, il ne savait plus très bien où il en était. Il y avait sûrement une part de lui qui travaillait avec acharnement pour "combler les attentes", comme l'avait dit la femelle, de Chenko, mais cela n'était qu'une infime partie de lui, il cherchait après tout en majorité à devenir quelqu'un pour lui-même. Du moins en était-il presque sûr...
De toute manière cela n'avait pas vraiment d'importance, pas vrai? Ce n'était pas un problème de vouloir faire la fierté de son géniteur, songeait Khassim.

Secouant légèrement la tête pour se remettre les idées en place, il se rendit compte de ce que l'affirmation de Kuzali – celle selon laquelle elle comprenait – impliquait. Khassim ressentit une légère curiosité: que voulait-elle dire par là, qu'elle avait tenté, et échoué, de rendre son père fier d'elle?
A peine cette pensée intriguée se fut-elle formée dans l'esprit du lion du désert qu'il se maudit intérieurement. Qu'avait-il donc, à s'interroger sur des étrangers? Cela ne l'intéressait pas. Il était Jangowa, il devait rester concentré sur son clan, non sur les histoires de lions d'en-dehors du Désert...

Comme il ne savait pas trop quoi répondre après que ses pensées se soient toutes agitées aussi violemment et confusément dans son esprit, se sentant un peu bête en disant cela, il se contenta d'une phrase banale, sans doute un peu automatique et peu convaincante:

- Je... Ne t'en fais pas, je n'agis pas dans le seul espoir de faire la fierté de mon père, assura-t-il avec force, comme s'il pouvait se convaincre totalement lui-même. Allons, il n'avait aucune raison d'en douter. Réveille-toi, Khassim! Tu ne vas pas te laisser déstabiliser par si peu, quand même?

- Dis-moi Khassim, pourquoi souhaites-tu devenir général ? Parce que ton père t'a élevé dans ce but ou parce que c'est ton souhait?

La voix de Kuzali résonna dans le silence ménagé par la confusion de Khassim. En entendant ces mots, Khassim eut un léger mouvement de raideur et de recul à cause de la surprise. Sa première réaction fut de hausser un sourcil. Quelle idée! pensa-t-il.
Il ouvrit la gueule pour répliquer, indigné qu'une telle pensée ait pu traverser l'esprit de la lionne, avant de la refermer. Il était à court de mots: une telle remarque lui paraissait si déplacée, si absurde qu'il ne savait pas très bien comment y répondre.

Pendant un instant – oh, si bref ! –, le Jangowa se posa la question. Pouvait-il véritablement désirer le rang de Général uniquement car son père avait voulu le voir le devenir?
Puis, presque aussitôt, il chassa cette folle pensée de sa tête. Ça n'avait pas de sens. Oui, c'était vrai, il voulait rendre son père fier de lui, et donc il désirait devenir Général. Mais Chenko voulait ce qui était bien pour son fils, il souhaitait le meilleur pour lui. Et puis ce n'était même pas la seule raison de l'ambition du jeune mâle, Khassim en était certain.
De toute manière, même s'il avait été influencé par son père, ce n'était pas un problème, n'est-ce pas? Devenir Général était déjà se tailler une bonne place, une place de choix, dans le clan.
De plus, Khassim ne savait plus très bien comment il en était venu à vouloir atteindre ce rang, mais il se souvenait avoir toujours admiré Chenko. Cette autorité, cette assurance qu'il dégageait, ce respect – certes parfois mêlé de crainte – qu'on lui témoignait... Et il était son père, il était naturel qu'il l'admire!

Khassim se secoua intérieurement, se forçant à remettre de l'ordre dans ses pensées. Non, finalement, malgré sa confusion première, il était sûr de lui. Quelle que soit la réponse à l'interrogation de l'étrangère dorée, il n'avait pas à se sentir mal à l'aise.
Il se redressa et tenta de prendre une expression imperturbable et assurée. Il commençait à désespérer. Kuzali l'avait secoué bien plus qu'il ne voulait bien l'avouer, à plusieurs reprises, et ne semblait pas pressée de partir.

- Je suis fier d'être le fils de Chenko, et devenir un Général à sa hauteur est mon rêve le plus cher, clama le Jangowa en éludant la question – qu'elle pense ce qu'elle souhaitait.

Il était un Jangowa, un des rares félins à savoir survivre dans le Désert, et mieux que cela, il était le fils du Général du Grand Désert. Il avait de nombreux atouts de son côté et se savait d'une loyauté de fer à son clan. Avec cela, rien ne l'arrêterait: comment ne pourrait-il pas parvenir à son objectif?

- Et toi, Kuzali, as-tu une ambition autre que de taper la discute avec des... quelle était l'expression? Avec de "jeunes lions ignorants"?

Khassim avait tenté de prendre un ton railleur et confiant, mais il avait encore un peu de mal. D'une part, l'insulte proférée quelques temps auparavant l'avait effectivement blessé dans son orgueil, en plus de le rendre enragé. D'autre part, il ne s'était pas totalement remis des dérangeantes questions de la femelle; rapidement il aurait chassé de son esprit toutes ces bêtises, préférant oublier les possibles vérités gênantes au lieu de les affronter, mais pour le moment il était encore perturbé.

Kuzali ne se démonta pas – mais cela n'était pas une surprise pour Khassim, qui s'était presque résigné à voir cette étrangère le surpasser en maîtrise de soi –, le taquinant en retour, disant qu'il l'amusait. A ces paroles, le Jangowa arbora une grimace exaspérée, presque boudeuse, tel un enfant à qui l'on dirait ses quatre vérités.
Cependant elle n'en avait pas fini. Sa déclaration fut quelque peu brumeuse aux yeux de Khassim: c'était une lionne bien mystérieuse et qui semblait aimer jouer de cela... Elle souhaitait se reposer de son "quotidien bien rempli" en rencontrant des personnes qu'elle ne connaissait pas et qui ne la connaissaient pas? Étrange, se dit Khassim. Qu'est-ce qui pouvait bien pousser quelqu'un à vouloir se détacher ne serait-ce que quelques heures de ce qu'ils étaient?

Le mâle gris-brun pencha légèrement la tête sur le côté, les yeux plissés. La lionne avait un regard vif et amusé, mais si ce qu'elle affirmait sur sa vie quotidienne était vrai, elle devait avoir une vie plus compliquée qu'il n'y paraissait.
Une fois de plus, le lion dut se rappeler mentalement à l'ordre. Cette Kuzali savait certes manier les mots et embrouiller son esprit, mais il devait résister. Il n'avait pas à s'intéresser aux étrangers aux Grand Désert!
Malheureusement, Kuzali ne comptait pas s'arrêter là...

-…et je te rappelle que c'est toi qui est venu me tenir compagnie, nota-t-elle en le fixant de ses yeux dorés.

A ses mots, Khassim se sentit gêné. Elle n'avait pas entièrement tort... Il avait, bien qu'à son corps défendant, engagé la conversation. Même, il l'avait poursuivie, répondant à ce jeu de paroles se déroulant entre eux!
Il espérait qu'aucun des autres Jangowas n'aurait vent de cette histoire. S'il n'avait jamais cherché à sympathiser avec des étrangers, cela pourrait être compris ainsi par ses camarades de clan, et il aurait bien du mal à se défaire de telles accusations.

- Je n'avais pas l'intention d'entamer la conversation avec toi, jeta-t-il tout à trac, sans guère songer à lancer de nouvelles railleries. Je voulais m'assurer que tu ne comptait pas revenir sur notre territoire. C'est normal! Ça ne veut pas dire que j'avais voulu discuter, répéta Khassim.

A peine ces mots sortis de sa gueule, il se maudit intérieurement. Comme si un assortiment de mots sans suite, formant des arguments bancals, allait convaincre qui que ce soit! Il fallait vraiment qu'il se reprenne. Il était un adulte, que diable, non un adolescent nerveux et inexpérimenté!

- Enfin, il fallait que je m'assure que tu ne représentais pas une menace pour les Jangowas. Et pour ça, autant venir frontalement! clama le mâle avec plus d'assurance que précédemment. C'est déjà un peu mieux... pensa-t-il à part lui, malgré une pointe d'agacement envers lui-même comme envers cette lionne dorée.
Décidément, elle savait sur quelle corde tirer pour faire réagir le jeune mâle, ce qui n'était pas pour plaire à ce dernier...

Kuzali rappela une fois de plus ses intentions neutres quant aux Jangowas.

- Je t'ai affirmé ne pas représenter de menace pour ton clan, as-tu lu un quelconque mensonge dans mon regard? Je n'ai aucun intérêt envers les Jangowas si ce n'est peut-être, et je l'avoue, apprécier la chaleur de vos terres. Cela ne veux pas pour autant dire que je souhaite m'y établir, ma présence n'est que passagère.

Khassim se sentait un peu mal à l'aise, en cet instant. En vérité, après cette discussion avec la lionne dorée, il ne doutait pas vraiment de sa parole. Elle n'avait pas le profil d'une espionne, ni même d'une personne dotée de mauvaises intentions envers eux... plutôt d'une femelle qui aimait avoir son indépendance et faire tourner en bourrique la moitié des personnes qu'elle rencontrait.
Malgré tout, se dit-il, cet avis qu'il s'était fait, il ne l'avait eu que parce qu'il était, hum, venu lui tenir compagnie en engageant la discussion. En un sens, il n'avait donc pas eu si tort que cela! Quelque peu rassuré, le Jangowa reprit:

- Bien sûr, mais cela, je n'aurais pas pu le savoir rien qu'en te regardant. Tu aurais tout aussi bien pu être n'importe quoi, préparer une ruse ou un piège!

Secouant légèrement la tête comme pour appuyer ses propos, il fit quelques pas le long de la frontière avant de se rasseoir.
Il aurait apprécié que Kuzali s'arrête là, mais il semblait que toutes les prières qu'il pourrait adresser au Grand Désert n'auraient servi à rien: manifestement rien ne pouvait stopper sa parole agile... Pour le plus grand désespoir de Khassim, bien évidemment.
Elle le taquina encore, lui faisant remarquer que maintenant que les Mositus avaient été forcés de quitter le Désert, eux n'avaient plus de raison de s'emporter contre des étrangers – et que cela indiquait un désir belliqueux omniprésent des Jangowas. Khassim émit un léger grognement, plus agacé que véritablement furieux. Les choses étaient loin d'être aussi faciles!

- Certes, les Mositus sont partis, mais rien n'est aussi simple. N'importe quel étranger peut être un ennemi, Kuzali, renchérit-il, ses yeux d'ambre dans ceux de la lionne d'or. Cette fois-ci, son ton était mortellement sérieux: il croyait véritablement à ce qu'il disait. N'importe qui peut venir ici en ayant de mauvaises intentions. Car quoi qu'il arrive, le mal revient: peu importe combien de fois ou comment on l'éradique, peu importe le temps qu'il lui faut pour revenir, il resurgit à chaque fois. Et comment savoir sous quelle forme il se présentera?

Et Khassim se sentait investi d'une véritable mission: celle de protéger les Jangowas. Car s'il désirait ardemment le pouvoir, en le rang de Général, plus que tout il voulait que son clan soit prospère et en sécurité.
C'était ainsi: si le mâle gris-brun n'était guère apprécié de certains félins son clan par son caractère ombrageux, et que lui-même n'en aimait pas certains, il restait profondément loyal aux Jangowas. Étrange paradoxe quand on y réfléchissait... Mais Khassim ne s'y attardait guère. Pour lui, cette loyauté était normale, elle était inhérente à son statut de guerrier Jangowa, elle lui venait comme il respirait.

Kuzali ne semblait guère convaincue par l'élocution du Jangowa sur les ennemis guettant son clan... Elle rétorqua en effet que personne – à part les Jangowas eux-mêmes, évidemment – ne s'intéressait au Désert.

- Mais il y a l'Oasis dans le Désert, argua Khassim en agitant la tête. Elle est isolée, c'est vrai, mais elle est sûrement pleine de ressources. Puisque les Mositus ont pu y survivre longtemps comme des parasites, termina silencieusement le lion en son for intérieur. Et puis on peut en vouloir à notre clan lui-même, pas seulement à notre territoire! renchérit-il avec force.

Mais la lionne dorée semblait convaincue qu'il était dans l'erreur et que sa méfiance était inutile. Elle exprima son incompréhension face à cette attitude, disant qu'ils "gaspillaient leur colère"! Khassim secoua la tête avec irritation. Elle ne comprenait pas... C'était plus compliqué que cela! Il ouvrait la gueule pour tenter d'expliquer à Kuzali ce qu'il disait, mais de nouveau l'étrangère reprenait la parole.

- Tu n'es pas un habitué de la paix, pas vrai? Continuellement sur tes gardes à voir le mal partout... Cela pourrait te jouer des tours, Khassim. La paix est quelque chose de précieux aussi devrais-tu profiter de ces temps calmes pour passer du temps avec ceux qui te sont chers plutôt que de chercher un nouvel ennemi vers qui diriger ta haine.

Indigné de ce que ces paroles insinuaient, Khassim se redressa, piqué au vif. Comme s'il cherchait des lions à provoquer et à attaquer! De nouveau dressé sur ses pattes, il répliqua avec verve à ces mots:

- Je n'essaie pas à tout prix de trouver de nouveaux ennemis, je m'assure d'appréhender les dangers qui se présentent!

Cherchant ses mots pour expliquer ce qu'il voulait dire, pour faire voir à la femelle d'or son point de vue, un déclic se fit dans son esprit.
Khassim réalisa que c'était pour cela que les Jangowas ne devaient jamais se mêler aux étrangers. Les lions du désert étaient fiers et pétris de tradition, ils croyaient dur comme le roc en leur force, en leurs devoirs, en tout ce qu'ils pensaient. Ce n'étaient pas seulement des opinions qu'ils avaient sur leurs devoirs, les lions étrangers et autres, mais bien de profondes convictions, qui constituaient leur être et étaient le point central, le cœur, même, de leur vie. Un Jangowa se devait de respecter les traditions, de suivre les règles à la lettre, et toujours avec fierté. C'était cela qui constituait l'honneur des Jangowas, qui leur était si essentiel.
Et c'était également la raison pour laquelle les Jangowas restaient tant à l'écart des autres clans et détestaient les étrangers. Ils avaient un mode de vie si particulier, si différent de celui des autres, et ils étaient si sûrs de leurs croyances qu'il était tout bonnement impossible d'éviter un conflit, ne serait-ce que verbal, entre Jangowa et étranger. Les lions du Grand Désert ne pouvaient pas concevoir que des félins puissent avoir un avis différent du leur, et ils le réfutaient de toute manière. Ils étaient si ancrés dans leurs convictions qu'ils ne pouvaient imaginer autre chose.

C'était donc pour cette raison que chercher à faire comprendre à Kuzali ses actes et ses paroles, au final, était vain. Il avait un avis tranché sur la question, et têtu comme il était, personne ne pourrait le faire changer d'avis. Or la lionne avait également sa propre opinion, radicalement différente de celle de Khassim, et elle n'avait pas non plus l'intention d'y renoncer.
Soupirant, le Jangowa se rassit, envahi par une lassitude qu'il avait rarement ressentie auparavant. Au fond, à quoi bon? Chacun d'eux parlait, mais sans rencontrer aucune compréhension de la part de l'autre. Sans doute étaient-ils trop différents pour aboutir à un accord de leurs opinions...