Être mère signifiait également de nouvelles responsabilité et Sadaka étant fraîchement sevré, il était de mon devoir de le nourrir autrement que par mon lait. Qui plus est, je ne pouvais pas éternellement me reposer sur notre famille. Samba m'avait suffisamment fait partager son savoir de mère et bien que chef de famille, ce n'était pas à Samekh de chasser pour nourrir mon petit. C'était le rôle des lionnes et désormais remise de mes séquelles, j'étais apte à chasser du gibier. Bien que leur aide n'était pas de refus, c'était à moi de m'occuper de mon lionceau et gare aux préjugés, c'était loin de me déplaire. Mon bonheur à ses côtés était si grand que lui faire plaisir était aussi me faire plaisir. J'ignorais encore quel type de proie croiser sur ma route mais j'espérais remplir le ventre de mon lionceau mais également offrir de quoi manger au reste du groupe. L'entraide et la solidarité était mot d'or.

La saison sèche et ses herbes dorées était un environnement idéal pour me mouvoir parmi les fourrées. Le museau aux aguets, j'aspirais goulûment chaque bouffée d'air afin de détecter la présence de gibier susceptible de ravir mon estomac et celui de mon fils. Sadaka n'affichait pas encore de préférence pour une viande particulière aussi étais-je encore assez libre dans mes choix de menus. Le pas pressé mais silencieux, je me pressais jusqu'à l'odeur d'un troupeau de zèbre qui venait de me parvenir. La chasse serait donc concluante par cette belle journée...

Dissimulée dans les fourrées, j'analysais les différents membres du troupeau pour trouver la proie idéale. Les jeunes poulains étaient nombreux mais si autrefois je n'aurais pas hésité à les attaquer, ma nouvelle condition de mère me rendait moins avenante à porter attaques à ces jeunes. J'étais désormais apte à comprendre la douleur que pouvais ressentir ces mères en assistant, impuissante, à la mort de leur enfants si cher à leur cœur aussi mon choix se pencha-t-il plutôt sur un vieux zèbre en fin de vie. Sa chair serait moins tendre mais mieux valait-il prendre une vie qui tirait sur sa vie qu'une flambant neuve. Tapis au sol, je guettais ma proie en attendant le moment idéal pour attaquer.

Il était âgé, croulant sous le poids de la vieillesse et en arrière du troupeau. Il suffisait simplement d'attendre encore un peu qu'il s'en éloigne davantage... Maintenant ! Dans un grognement féroce, je bondis sur mes pattes arrières pour me propulser à grande vitesse sur le zèbre. L'effet de surprise était parfait, la proie était d'ores et déjà condamné. Mais alors que je n'étais plus qu'à quelques foulées de planter mes crocs dans la veine principale du zèbre, il pivota brusquement comme pour fuir un danger soudain. Emportée par mes puissantes foulées, je n'eus pas assez de temps pour réagir et alors que l'animal s'était déjà éclipsé de ma future emprise, je percuta de plein fouet une ombre brune.

Mordant la poussière, j'encaissais non sans douleur la violence du choc. Qu'est-ce que ?! Retrouvant bien que maladroitement l'équilibre, je fis rapidement face au fauteur de trouble qui s'avérait être une jeune lionne. Quelle idiote, elle avait fait fuir mon repas ! Tout était à refaire maintenant et le troupeau était en alerte... mais à en juger par sa trajectoire, nous pistions sans doute la même proie sans s'en rendre compte.

« J'espère que tu es fière de toi ! » grognais-je, les pupilles rétractées sous le coup de colère.

Bien entendue l'étrangère n'était pas la seule fautive mais mon orgueil était plus obstiné que ma raison. Ce n'était qu'un regrettable accident mais l'idée d'avoir laissé filer le repas de Sadaka me mettait hors de moi. Elle semblait jeune bien que plus vieille qu'une adolescente et son corps était plutôt svelte, signe de sous nutrition. Pour ma part j'avais repris quelques formes mais mes courbes semblaient moins élégantes qu'avants, trop maigres encore. Je détectais chez la lionne l'odeur typique des Mositus, sans doute faisait-elle partie des rescapés réfugiés au baobab. Pourtant, réfugiée ou non, cela n'excuser pas le fait de m'avoir fait perdre ma proie et mon regard témoignait de ma frustration.

Sous le coup de la colère, j'avais oublié ce qui définissait les Mositus et une pointe de culpabilité me serra la poitrine en voyant la mine décomposée de la pauvre lionne qui ne savait plus où se mettre. Il fallait avouer que j'y étais aller un peu fort... mais tout de même, elle devait bien savoir que j'étais aussi en faute, elle aurait pu pousser de la voix. Soufflant de mécontentement, je rodais nerveusement autours de la jeune lionne. Elle était maigre et devait aussi ressentir la faim et tout comme j'avais vu mon repas s'enfuir, elle avait vu fuir le sien.

Colère se mêlait à culpabilité et je ne savais que faire : continuer d'extraire ma frustration à la gueule de la lionne ou calmer mes ardeurs et raisonner intelligemment ? Mon choix se porta finalement sur la deuxième option.

« Si on ne peut chasser en se faisant front, autant travailler ensemble. Suis-moi si tu veux calmer ma colère. » grommelais-je en passant devant la lionne.

Orgueil quand tu nous tiens... La tête haute, je marchais d'un pas calme à la suite du troupeau de zèbre qui avait prit le large. Nul doute qu'ils s'étaient établis non loin de là et les retrouver n'était qu'une question de minutes néanmoins, chasser dans un climat d'alerte serait bien moins aisé. Balançant un regard derrière mon épaule, j'attendais une réaction quelconque de la lionne. Qu'elle fasse rapidement son choix car je ne l'attendrais pas.

Mes pas furent bientôt précédés par ceux de la lionne qui avait décidé de me suivre, au moins une décision sage. D'un ton doux, elle se présenta sous le nom de Asahi. Malgré sa bêtise, elle ne semblait pas bien méchante et sans doute l'avais-je effrayé par mon vent de colère. Cette lionne correspondait davantage à la définition faite des Mositus que la personne d'Haramu. Je me souvenais encore de ma rencontre avec le Chef de clan qui avait plutôt mal tourné. Était-il toujours en responsabilité du clan ? Apprendre sa chute ne me déplairait pas, je n'avais aucune affection pour ce lion si ce n'était le contraire.

« Kuzali. » me contentais-je de répondre d'un ton effacé sans pour autant montrer une quelconque agressivité.

Si elle était responsable de la fuite du zèbre, je l'étais tout autant. Plongées dans notre chasse respective, nous n'avions pas pris le soin d'observer les environs et voir si d'autres chasseurs étaient dans les parages. La culpabilité continuait de me causer ce nœud à l'estomac aussi laissais-je ma fierté de côté pour discuter avec la lionne. En attendant de rejoindre le troupeau, autant échanger quelques mots plutôt que de rester dans le silence. Faire de nouvelle rencontre devait être source de plaisir et non de colère.

« Tu vis au baobab avec les Pridelanders ? »

En soit je connaissais déjà la réponse qui était évidente, les Mositus avaient été chassés de leur terre par les lions du désert mais cela me permettrait d'en apprendre peut-être plus sur la lionne mais également de lui montrer que je n'étais pas si mauvaise... Seulement une mère qui devait nourrir son petit.

Cette lionne respirait la bienveillance, peut-être trop même. Un trait typique des Mositus me diriez-vous. Je remarquais ses quelques difficultés à suivre la cadence mais ne ralentissais pas pour autant, ne souhaitant pas perdre la trace du troupeau.

Mon aigreur s'envola en écoutant les paroles de la lionne. Trop focalisée sur ma propre frustration, j'en avais délaissée le propre ressenti de la lionne. Elle aussi avait des bouches à nourrir et sans l'avoir mérité, elle se retrouvait mise à la porte de son chez soi. Elle semblait portée beaucoup d'amour à ses proches, chose que je concevais et partageais.

« Ce décor doit vous changer de l'Oasis mais tu t'y feras. » répondis-je sans trop m'avancer sur le domaine, je ne pouvais la réconforter de paroles illusoires ignorant tout de la situation des Mositus. Qui sait quand ses derniers retrouveraient leur foyer miraculé. « Les Pridelanders ne sont pas des lions méchants, je connais très bien leur futur roi et c'est quelqu'un de bien. Tu sais, eux aussi sont dans la même situation que vous alors sans doute avez-vous des choses à partager. »

Coulant un regard sur ma gauche, j'observais la lionne au pelage taupe. Elle était encore jeune, elle n'aurait aucun mal à s'adapter à ce nouveau climat. A sa question, j'émis un raclement de gorge. Ce n'était pas la première fois que l'on me confondait avec les Pridelanders et l'on m'avait même déjà prise pour une Jangowas... C'était frustrant à force, ce pelage était l'héritage de mes terres natales et je le voyais sans cesse bafouer par des hypothèses fausses.

« Non, je suis une exilée mais tu n'es pas la première à me prendre pour une lionne de ce clan. »

Faute de m'être contrôlée, mon ton avait été un peu sec. Sans doute tiendrait-elle mon statut d'exilé comme responsable de mon mauvais caractère, beaucoup le faisait après tout. Cette pauvre lionne m'avait décidément tiré dessus dans un mauvais jour. Secouant vivement ma tête de droite à gauche, je poussais un long soupir. Elle n'avait pas à subir ma colère et bien qu'elle m'est fait perdre ma proie, je lui avais également fait perdre la sienne.

« Tu chasses pour tes parents, n'est-ce pas ? J'ai moi aussi quelqu'un à nourrir. » finis-je par dire, le ton adoucit. « A nous deux nous pourrons peut-être attrapé ce zèbre et nourrir nos proches. »

Enfin, l'ombre d'un sourire vint dégeler mon visage. S'affronter n'était pas la solution mais s'allier en était une. En unissant nos forces, nous pourrions jetés notre dévolu sur une proie plus jeune à la chaire abondante et pleine de nutriment qu'un vieux zèbre en fin de vie ne pouvait pas offrir.

Si cette personne était importante à mes yeux ? C'était même plus que cela, Sadaka était ma rédemption, mon précieux fils que je protégerai contre vent et marée et cette lionne n'avait pas tort, ces personnes précieuses à nos cœurs méritaient plus qu'une viande issue d'un animal mourant. Chassant seule je n'avais guère de multiples choix quant à mon gibier mais je possédais désormais une partenaire qui semblait tout aussi déterminée que moi à nourrir les siens. L'ombre d'un sourire se dessinait sur mes babines tandis que je répondais à la lionne d'un ton sûr :

« Je crois que nous avons un terrain d'entente, chassons une proie plus jeune qui nous offrira plus de ressources. Oh et ce n'est pas la peine de me vouvoyer. » concluais-je avec un clin d’œil.

La colère s'était définitivement envolé et sur cette nouvelle entente, nous traquèrent le troupeau jusqu'à retrouver leur trace. Tapis parmi la brousse en compagnie de la brune, j'étudiais avec soin les différentes individus zébrés pour trouver la proie idéale. Si nous nous attaquions à un ondulé plus jeune, il nous fallait choisir avec prudence. Mon regard se posa bien vite sur un jeune mâle visiblement blessé à la jambe arrière. Sans doute s'était-il blessé dans sa précipitation à fuir notre première attaque.

« Asahi... tu vois ce jeune zèbre là-bas ? Sa patte est blessé, je pense que nous avons des chances de l'attraper. »

Tournant brièvement la tête vers la jeune lionne, j'attendais qu'elle approuve mon choix avant d'attaquer. Mes muscles étaient tendus à souhait, prêt à porter l'assaut. Humidifiant mes babines d'un coup de langue, je me languissais d'avance de pouvoir planter mes crocs dans sa chair.

Hochant de la tête en faveur de la proposition de la lionne, je lui adressais un sourire conquérant à sa petite boutade avant de ramper précieusement parmi la brousse. Tout d'abord, il fallait éloigner le zèbre du troupeau... cela ne serait pas difficile, il était boiteux. Quand bien même les liens qui unissaient la troupe d'ongulés, il n'avait d'autres choix que d'abandonner les blessés et malade à leur sort pour privilégier la survie des autres. C'était la doctrine du cycle de la vie.

« Je vais le prendre par l'Ouest, le vent dissimulera mon odeur... Attends près de cet arbre où je vais attirer le zèbre, tu lui portera ainsi le coup de grâce. » murmurais-je à la lionne, soucieuse de ne pas nous faire repérer.

Faire équipe pour chasser était tout de même bien plus simple, je n'aurais pu espérer un tel plan d'attaque en opérant seule. Asahi m'était d'une précieuse aide et je regrettais ma première agitation, la pauvre n'avait pas mérité ça. Le ventre survolant la terre sèche, j'approchais en toute discrétion de ma proie. Je n'étais plus qu'à quelques mètres... Me révélant à la vue de tous, je bondis furieusement des broussailles pour m'élancer en direction de notre proie. La panique s'emparait du troupeau et dans cette tumulte, je parvins aisément à éclipser le jeune zèbre des siens. Le pourchassant sur une trentaine de mètre, je ne lâchais pas d'une semelle quitte à lui assener divers coup de morsure à la croupe pour éviter qu'il ne dérivé de ma trajectoire imposée. Évitant de justesse un coup de sabot, je repris ma place de berger guidant le mouton jusqu'au loup.

Si tout s'était bien déroulée de son côté, Asahi devait nous attendre au prochain tournant... Me plaçant davantage sur le côté pour empêcher l'animal de fuir, je le forçais à se rapatrier vers l'arbre où se tenait l’embuscade. D'un feulement puissant, j'avertis la jeune Mositus de notre arrivée et sonnais ainsi son entrée en jeu. Ce n'était plus qu'une question de temps avant que l'animal ne soit à terre attendant sagement que l'on lui porte le coup de grâce.

Le plan se déroulait à la perfection et au moment même où la bête passait le point de repère, une ombre déferla sur ce dernier, emprisonnant sa jugulaire sous des crocs aiguisés. Afin d'aider Asahi dans sa mise à mort de l'animal, je bondissais sur la croupe de ce dernier, plantant rigoureusement mes griffes dans sa chair et l'animal tomba sous le poids de nos deux corps. Tandis que je m'efforçais de maintenir la bête au sol, la Mositus renforçait son étreinte jusqu'à ce qu'un craquement sonore retentisse. La bête était morte.

J'esquissais un sourire face à l'innocence de la lionne, toute fière de notre prise. Voilà qui aiderait à nourrir nos proches et cela ne pouvait que nous ravir. Plus que ce vieux zèbre que nous avions pris comme première cible, celui-ci de par sa jeunesse offrait une viande plus tendre et plus nutritive. Travailler en équipe apportait toujours des résultats plus convaincants.

« C'était un beau travail d'équipe Asahi, ta famille sera fière en te voyant revenir avec du gibier. Assouvissons notre faim puis partageons la proie veux-tu ? »

Vivant toutes les deux dans des endroits différents, nous ne pouvions traîner la proie jusqu'à notre foyer bien que cela aurait été plus simple aussi la solution était-elle de manger à notre faim puis de ramener de bons morceaux à nos proches. Cela me paraissait équitable. Préférant laisser le jarret à mon ménage, je plongeais mon museau dans le ventre de l'animal pour déchiqueter sa peau avant d'entamer mon repas amplement mériter. Soucieuse de laisser de la place à ma compère pour qu'elle aussi puisse goûter à l'animal, je m'étais recroquevillée sur le côté pour lui laisser la place de venir se loger à mes côtés.

Une fois mon ventre remplie, je me redressais fièrement, m'éloignant alors de quelques pas pour m'étirer noblement, l'arrière-train redressé et mes pattes avant s'allongeant avec excès. Que c'était bon de se nourrir ! Après avoir baillée jusqu'à m'en décrocher la mâchoire, je léchais goulûment mes babines encore tachée de sang puis m'approchait du cadavre pour arracher cette cuisse à l'animal que je comptais bien faire partager à mes proches. Ils seraient ravis, je n'en doutais pas. Déposant la pièce de viande à mes pattes, je tournais enfin le repère vers ma partenaire de chasse, un sourire aux babines.

« Bien, je pense qu'il est temps pour nous de retrouver nos foyers respectifs. Ce fut un plaisir de faire ta rencontre Asahi et je suis ravie de voir que notre partenariat a donné ses fruits. »

Bien que froide aux premiers abords, je m'étais adoucie en réalisant que toutes les deux cherchions la même chose : ravir notre famille. Je n'avais pas toujours bon caractère et cela était regrettable mais je savais néanmoins reconnaître mes torts, Asahi était une bonne lionne, douce et attentionnée. Son dévouement à sa famille était louable et je ne pouvais que la respecter pour cela. Adressant un dernier sourire à la lionne ainsi que de bonnes continuations, j'attrapais le jarret de mes crocs pour retourner vers les miens et leur offrir avec joie ce morceau de viande qui ravirait leurs estomacs.