L'heure était enfin venue. Plus tôt dans la nuit, Inuwa avait brusquement réveillé son jeune compagnon avec angoisse, l'entraînant alors hors du nid conjugual. La veille, elle avait repérer un coin en retrait, à l'abri des regards. Evidemment, elle n'avait pas su lui expliquer la raison d'une telle anxiété de sa part, elle qui était d'ordinaire putôt calme, elle l'avait seulement imploré de la suivre et de ne pas la quitter.

Etrangement, la principale concernée elle-même doutait encore de ce qu'allait lui faire subir Mère Nature. Pourtant, ce second nid était déjà prêt à accueillir le beau monde, preuve qu'instinctivement tout se déroulait comme sur des roulettes malgré l'inexpérience. Allongée sur e flanc, elle doutait. Mais elle n'était pas seule dans le même cas, ce même doute se lisait aussi dans le regard de son compagnon, et peut-être était-il encore plus intense. Lui qui, au final, ne pouvait - pour la nature des choses - imaginer toutes les sensations qu'il y avait, ni tout ce que cela comportait.

- Tu vas rester, n'est-ce pas ?

C'était vraisemblablement sa plus grande peur du moment, qu'il s'en aille. Qu'on l'abandonne au dernier moment, qu'on la laisse seule gérer un événement qu'elle ne savait comment anticiper. Pendant un instant, elle eut une pensée pour sa mère : Oh, comment avait-elle fait ? Eh bien, probablement avait-elle fait comme tout le monde : improviser. Et c'était bien cela qui l'inquiétait. C'était tout ce qui l'inquiétait, et ce, bien plus que son âge et le potentiel risque que cela présentait.

- Ca arrive.

Ca. L'indéfini encore indéfinissable. Craignait-elle de les découvrir ? Peut-être. Mais elle n'eut pas le temps d'y penser plus; des gouttelettes firent leur apparition sur son front, et d'intenses douleurs lui tordirent le ventre. Ca était proche. Ca n'en aurait plus pour longtemps.

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Spoiler:

« Ca » avait été une source d’appréhension pour Wimbo. Pas que pour lui, d’ailleurs : c’était elle qui portait « ça ». Mais il n’était pas moins responsable de « ça ». Penser au futur, il en avait eu l’habitude depuis des années. Chef du clan, dans un endroit qui n’appartiendrait qu’à eux… Sierra l’avait préparé, à ça, lui avait appris beaucoup, à ce sujet. Mais depuis qu’Inuwa lui avait annoncé sa gestation, cette relative sérénité s’était fait envahir de brouillard, et plus le jour fatidique semblait approcher, plus ce brouillard se faisait épais.

Et puis. Encore à l’aube d’une nuit où il ne s’était endormi que d’un œil, le petit Mositu senti sa compagne s’agiter. Discrets, ils s’évadèrent ensemble, sans plus de paroles que cela. Le couple n’en avait pas besoin : leur instinct savait ce qui se tramait. Sur le chemin, Wimbo demanda à un des rares camarades encore debout d’appeler un guérisseur. Arrivés dans ce qui serait leur nid douillet pour ces prochaines semaines, Inuwa souffla quelques mots qui suffisaient à traduire toute ses peurs du moment. Est-ce que son jeune compagnon resterait ? La réponse tombait sous le sens.

« Je suis là, tout va bien se passer, murmura-t-il. »

Joignant le geste à la parole, il déposa une lèche affectueuse sur le front de la lionns. Sous aucun prétexte il ne fuirait, ou n’abandonnerait sa belle. Pourtant, un stress intense le secouait intérieurement. S’il ne connaissait pas grand-chose des mises à bas, il savait que ce n’était jamais une partie de plaisir pour la femelle. Pour ne rien gâcher, Inuwa était vieille, et peu importait l’amour : l’âge du corps, lui, ne changeait pas. Le guérisseur du clan les avait tous deux prévenus des risques d’une grossesse si tardive.

« Ça arrive. »

« Ça ». « Lui » ? « Elle » ? « Eux » ? Dans tous les cas, ces deux mots firent frissonner Wimbo, qui lança un œil aux alentours. Toujours pas de signe de Kazi. Que faire sans un guérisseur ? Comment le petit mâle pourrait se rendre utile ? Serrant les dents, il posa une patte, presque tétanisé, sur le flanc de sa compagne… qui commençait à s’agiter.

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- Kazi, tu l'as prévenu ? ...

Comment aurait-il pu ? Inuwa s'était accrochée à lui comme une ventouse depuis la veille. Pourtant, la présence du druide semblait indispensable au vu des risques qu'un tel événement comportait. Après tout, ce n'était pas la jeunesse qui pourrait l'aider en cas de difficultés ...

A nouveau, son visage se crispa, si bien qu'il n'était plus possible de dire quoique ce soit. Le travail s'entamait sérieusement et l'énergie que requérait cette mise au monde devrait être utilisée à bon escient. La douleur, qui survenait de façon de plus en plus régulière, irradiait désormais tout l'abdomen de la vieille lionne et s'intensifiait à mesure que les minutes s'écoulaient.

Les yeux clos, la future mère laissa doucement reposer sa tête sur le sol, à la fois partiellement assommée par ce début d'épreuve et concentrée pour garder le contrôle malgré la grande inquiétude qui l'assaillait. Restait à savoir combien de temps cela mettrait avant qu'ils ne voient le jour.

D'ailleurs, comment seraient-ils ? A quoi cela ressemblait, de tenir entre ses pattes ses propres enfants ? ... Une sensation à laquelle Inuwa n'avait jamais tellement songé. Malgré quelques soucis d'ordre physique, la vieille qu'elle était n'avait psychologiquement pas mal vécu sa grossesse, il lui était même arrivé - par moments - de l'oublier. Comme si finalement cet état lui avait toujours paru comme quelque chose d'éloigné, de difficilement conçevable jusqu'à l'ultime instant.

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Spoiler:

Un rire nerveux secoua Wimbo. S’il avait prévenu le guérisseur ? Pas personnellement, non, ç’aurait été difficile sans lâcher sa belle d’un poil. Pourtant, Nyumba seule savait à quel point il aurait espéré que Kazi puisse se téléporter jusqu’à eux pour superviser la mise bas à venir, et ce, dès le départ ! Les risques que l’évènement se passe mal étaient bel et bien présents ! Lorsque Inuwa s’étala de tout ton long, la tête reposant à même le sol, le cœur de son compagnon rata un battement. Sa gorge se serra. Il déglutit.

« Je … j’ai fait demander Kazi, il arrivera d’un moment à l’autre… Je suis là, ne paniques pas... »

Il parla autant pour lui-même que pour la vieille lionne. Lui non plus, ne devrait surtout pas paniquer ! C’était même à lui de rester serein, pour supporter l’effort. Cela dit, sa nervosité dégoulinait … et toujours aucun signe du guérisseur. Et Inuwa qui s’agitait chaque seconde un peu plus ! Wimbo se mordait les babines pour garder patte. Pfeuh, même pas capable de supporter sa compagne convenablement !

« Il va arriver ! »

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Les minutes qui s'écoulaient paraissaient interminables. Tout comme la douleur qui, en plus de s'amplifier, se localisait davantage vers le bas. Une pression s'exerçait également et sans doute un premier petit s'engageait déjà vers la sortie.

Jetant un bref coup d'oeil à son compagnon, il était aisé de deviner sur son visage qu'il semblait tout aussi inquiet, en réalité. Pire encore, à son regard, il semblait presque lui aussi mettre bas, mais il était là et c'était tout ce qui comptait désormais. Dans un premier effort qui lui semblait surhumain, la vieille lionne laissa échapper un râle de douleur avant d'accueillir le premier né du Kasoto : Pas plus gros qu'une crevette, le nouveau-né arborait un tablier blanc familier. Dans la foulée, et sans restée plus ébahie, Inuwa tira doucement ce dernier contre elle instinctivement pour le réchauffer. Fort heureusement pour les deux parents, il ne tardera pas à couiner face au stimuli de sa mère.

Aussitôt né que le travail reprenait de nouveau. Pas de répit pour la mère aujourd'hui - et elle n'en aura certainement plus avant d'avoir un petit jardin sur le ventre lel - un autre petit se préparait, et de nouvelles contractions l'envoyaient déjà en piste. Plus rapide que le précédent - une fois tracé, il est plus facile de suivre le chemin -, le second qui s'annonçait , non sans douleurs, ne se présenta pas plus gros que son prédécesseur : Une petite boule de poils sombre, aussi foncée que son fier géniteur, mais déjà bien agitée dès la sortie.

Couinant, le rejeton qui s'annoncerait peut-être comme le dernier, fut ramener rejoindre son aîné, bien au chaud contre le ventre maternel, prêt à trouver ses premières forces dans le lait qui n'attendait qu'eux.

- Ils sont là ...

Confia-t-elle, épuisée et les yeux humides d'une joie qui l'envahissait.

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Spoiler:

Le sommeil avait pris Kazi assez rapidement – occupé à vadrouiller dans tous les sens entre les lions les plus âgés, les nouveau-nés et les femelles gestantes, il avait très peu de moment pour lui. De plus, il se devait de faire constamment des stocks de nouvelles plantes – ses réserves s’écoulaient plus vite qu’il ne l’aurait aimé. Alors quand l’occasion de s’étaler de tout son long dans un hamac, dont il avait appris la fabrication avec les Mositus ayant déjà vécu dans la jungle, se présenta enfin à lui, il n’eut pas à hésiter longtemps et le pays des songes ne se priva pas de l’accueillir tout de suite.


Mais voilà seulement qu’une heure ou deux qu’il s’était accordé le repos qu’il fut étrangement secoué par une voix plus ou moins familière. Un lion du clan ne cessait de l’appeler, prononçant son nom toujours plus fort si bien que lorsqu’enfin la voix du dit Mositu parvint enfin à réveiller le guérisseur, un sursaut de panique pris ce dernier qui ne manqua pas de tomber de son lit de fortune. La chute fut rude mais il se reprit bien vite, se pensant plus ou moins assaillit. Quel idiot. Son congénère dû le rassurer avant de lui annoncer la raison de ce réveil si brutal bien qu’involontaire.


Kazi s’était mis en route immédiatement, cherchant plus à l’odeur que par les indications données par le lion de la jungle. Inuwa était partie s’isoler et Wimbo n’avait pas tardé à suivre et cela ne pouvait signifier qu’une seule chose. Kazi avait pris soin de prendre son récipient auquel il avait mélangé quelques feuilles d’orties préalablement écrasées et de l’eau. Il priait pour que sa précipitation ne fasse pas tout capoter et qu’il ne tombe pas. Renverser le breuvage maintenant serait une erreur terrible. L’odeur était forte et piquait légèrement le nez du guérisseur, mais il devait faire vite.

Les trouver ne fut pas une mince affaire mais ce sont de légers couinements suivit d’un énième effort qui attira Kazi dans la bonne direction. La vieille lionne était encore en plein travail et le botaniste se garda bien de s’approcher alors qu’elle accouchait encore. Il tenait un minimum à sa figure. Une fois que tout sembla terminé, il put enfin s’approcher, doucement et demanda la permission pour venir voir l’état de santé des petits et déposer le récipient qu’Inuwa pourrait ingérer quand elle en aurait la force.

Un franc sourire étira les babines du jeune guérisseur tandis qu’il posa le breuvage à côté de la lionne :

« Ils ont l’air en très bonne santé ! »

D’un signe de tête, le lion tacheté désigna le contenant et baissa légèrement la tête, un air semi-coupable sur le visage, tandis qu’il expliqua ce pourquoi il avait apporté ceci :

« Pardonne-moi, ce ne sera probablement pas très bon mais c’est pour te soulager et ça t’aidera pour les nourrir. »

Hecate

Le moment vint. Wimbo n’osait pas détourner les yeux ou les pattes de sa chère. Il se devait d’observer la moindre anomalie, et il failli bien tourner de l’œil. Après un temps interminable à retenir son souffle en grimaçant, à rassurer sa compagne déchirée par la douleur, le jeune père entendit enfin des mots.

« Ils sont là… »

Alors il se rendit compte que des piaillements avaient envahi leur nid. Deux petits lionceaux étaient déjà partis prendre le premier repas de leur vie, et bien que la lumière ne fût pas assez forte pour distinguer clairement les couleurs de la scène, Wimbo pouvait jurer se reconnaître en eux, au moins en partie. Emu par la naissance de ses enfants, il aurait pu en pleurer si la voix de Kazi ne l’avait pas fait sursauter. Lorsque le guérisseur fut autorisé à inspecter les nouveau-nés, ce dernier ne tarda pas à confirmer leur bonne santé, déposant au passage un récipient destiné à Inuwa. Un breuvage d’orties ? Le jeune père n’était plus bien sûr. Et peu importait.

La forme des petits avait été un grand tourment durant la gestation. Cette bonne nouvelle acheva de lui arracher quelques larmes de bonheur qu’il essaya de cacher au soigneur en allant déposer une lèche sur le front de sa douce.

« Nyumba soit louée, ils sont saufs… Tu entends ça, Inuwa ? Ils vont bien… nos enfants ! »

Une fois l’excès d’émotions passé, le nouveau père se tourna vers le guérisseur, un immense sourire lui étirant les babines. Toute la tension des derniers jours avait quitté son corps, ne laissant qu’une sensation de chaleur intense.

« Merci d’être venu, Kazi… merci. »

Il compléta sa gratitude d'une inclination respectueuse.

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La vieille lionne fut soulagée lorsque Kazi arriva enfin. Non pas qu'elle doutait de ses capacités pour mettre au monde, ni même pour être mère, mais la vieillesse physique pouvait parfois dresser des obstacles que ni la bonne volonté, ni le mental pouvaient surmonter. Si bien que la venue du guérisseur la rassurait grandement.

- Oh Kazi.. Comment pourrais-je te remercier ?

Pour le plus grand bonheur de tous, les nouveaux-nés semblaient en parfaite santé malgré les craintes. Bien entouré, Inuwa se sentait prise en charge entre de bonne pattes, et le breuvage apporté par le lion contribuerait à bien démarrer cette nouvelle étape, quoiqu'il ne fut pas très bon.

Bercée par cette ambiance d'amour et de chaleur, la lionne sombre pris soin de toiletter soigneusement ses deux enfants, créant avec eux le premier lien qui les unirait à jamais. Glissés au creux de ses pattes, elle releva la tête pour mieux les présenter à la lueur de la lune et aux deux protecteurs présents.

- Notre fille et notre fils.

Elle rougissait presque en révélant ces mots, une vague d'émotions semblant la submerger malgré la fatigue. Puis, avec un sourire indélébile marqué sur son visage, elle posa ses yeux sur son compagnon :

- Comment aimerais-tu les nommer ?

La joie était telle qu'Inuwa n'aurait su dire si c'était bien réel, tant elle se sentait comme sur un petit nuage. Les deux crevettes lovées au creux de ses pattes étaient ses enfants à présent, et peut-être lui faudra-t-il encore quelques jours pour réaliser l'importance que tout ceci signifiait.

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