Les couleurs Outlanders ne tardèrent à se présenter, comme convenu, aux yeux émerveillés du Freelander voyageur qui n'était autre que Masika. Le paysage changeait de constitution au fur et à mesure de sa marche, tandis que les rayons du soleil, tantôt timides, tantôt audacieux, éclairaient voire brûlaient le pelage chocolat du mâle qui ne désirait qu'une seule chose : retrouver Ishana, comme de nombreuses fois il l'avait voulu et rêvé, dans un endroit tel que le Lac-au-Roi. Il imaginait déjà son visage angélique, et ses paroles pleines de savoir et d'innocence à chaque visite qu'il engageait au nom de l'affection qu'il lui portait. « Où vas-tu ? » se questionnaient souvent certains membres des Terres Libres qui, s'ils ne connaissaient son identité, accusaient d'ors et déjà une potentielle traîtrise du brun à l'égard de sa patrie. Peu de monde comprenait sa motivation lorsqu'il quittait, pour des longues heures de marche, son royaume chéri pour un autre bien moins « séduisant ». Pouvaient-ils seulement le comprendre ? Éprouver un sentiment positif pour un lion ne portant le nom de Freelander ? Masika n'en savait rien, mais il doutait secrètement de la générosité de certains de ses camarades. Était-ce la présence de Sumu à leurs côtés qui les rendait ainsi ? Peu importe, c'était leur problème, pas le sien. Il faisait confiance à son roi et si celui-ci avait permis à la princesse exilée de revenir, tant qu'elle ne commettait pas de faux pas, il voulait bien lui permettre de se racheter une fois au moins.

Toujours était-il que, de toute façon, il arrivait bientôt au terme de son voyage. Ses prunelles vertes constataient avec délice la rive de ce lac, que l'on disait royal, grâce à qui il avait passé beaucoup de temps avec la douce Ishana. Parfois, il regrettait l'absence d'Ishana dans les troupes de son monarque – elles étaient tant précieuses, comme amies – et se hâtait de retrouver celle qu'il connaît déjà, qui le comprenait bien mieux que certaines de ses vieilles connaissances actuelles. C'était un fait soulageant, d'avoir enfin un ami sur qui compter, qui ne s'en allait pas au bout du compte. Un ami, ne possédant ni besoin de prouver sa force, ni l'excitation de nuire à autrui, voire d'imposer ses idées en tuant tout ce qui bougeait sur son passage. Soulageant, rassurant, étaient les mots face à cette constatation pansant les vieilles blessures et taisant les peines passées du fils de Kamba. Enfin, quand il aperçut un pelage rouge dans son champ de vision, une voix éclaira son esprit :

« Masika ! Dépêche-toi, tu es en retard »

Ses mirettes brillèrent de satisfaction en reconnaissant la silhouette d'Ishana non loin du Lac-au-Roi. Elle était venue ! Un sourire se peignit sur les babines du Freelander, qui se hâta d'approcher la fille de Samba. En la regardant, il reconnut un sourire sur les siennes. Il ne fut que fortement surpris, intérieurement, de voir à quel point il était beau et éclatant. Radieux. Comme toujours. Une douce chaleur se propagea dans son corps, alors que son cœur, lui, tambourinait vivement contre sa poitrine.

« Je suis désolé, j'allais partir mais on m'a retenu à la dernière minute ... » s'excusa-t-il pitoyablement, avant de lâcher un petit rire amusé. Il frotta doucement son museau contre celui de la guérisseuse, avant de lui souffler, ses yeux plantés dans les siens, d'une voix calme et légère : « Comment vas-tu ? Aujourd'hui, aucun lionceau n'est allé s'amuser avec les crocodiles au point de se blesser inutilement ? » son sourire fut accentué par son amusement, sa taquinerie naturelle.

« Oh, mieux que cela ! Tinka a attrapé un rhume suite à son petit bain indésiré. » corrigea Ishana sur la même lancée. Le sourire du Freelander n'en fût que renforcé, amusé à l'idée de voir la guérisseuse se démener pour soigner petits et grands, et ce même si la raison de leur « maladie » était dû à quelque chose d'affreusement bête. A Freeland, les lionceaux en arrivaient parfois à se déchaîner dans les eaux limpides de leur propre cité – après tout, quel enfant n'aurait-il pas eu l'idée un jour de se baigner ? - au prix d'un pelage sale et froid, que Dieu Soleil s'empressait aussitôt de guérir avec ses chauds rayons solaires. Finalement, il faillit railler gentiment le petit aux côtés de son amie, mais celle-ci continua sans tarder :

« Enfin, ce n'est pas grand-chose. Il sera vite guéri et ne repassera pas embêter les crocodiles une fois de plus. Comment va ta mère depuis le temps ? »

Cette fois-ci, un renversement de situation se produisit. Le sourire du guerrier perdit en éclat, mais il tacha de ne pas le perdre totalement pour éviter de surprendre la demoiselle rouge. Ishana n'avait rien fait de mal en parlant de sa mère mais, comme toujours, il ne passait pas un jour sans qu'il ne s'inquiète de l'état de sa génitrice. Elle était forte, belle, intelligente et encore avec la tête sur les épaules malgré son vieil âge. D'ailleurs, il remarquait même qu'elle avait plus vécu que la plupart des anciens de Freeland. Était-ce une bonne chose ? Bien évidemment. Cependant, Masika ne tolérerait pas des Grands Esprits qu'un jour, Kamba se mette à se plaindre de problèmes d'articulations ou respiratoires. Sa mère ne devait en aucun cas souffrir, même pas de ses cadeaux divins !
Il prit quelques secondes à se reprendre, le temps de penser à sa mère adorée, alors qu'Ishana dévoilait d'ors et déjà ses craintes quant à cette même personne :

« C'est plutôt pour elle que je m'inquiète. » avoua-t-elle dans un petit clin d’œil. « Après tout, rares sont les postes plus épuisants que celui de cheffe des nourrices. Tu l'aides j'espère. »

Le Freelander prit un air faussement indigné, tandis que la guérisseuse éclatait dans un rire presque enfantin. Il lui donna un petit coup d'épaule amical, avant de prendre un ton accusateur :

« Tu oses me poser la question ? De tous les fils de la Terre des Lions, je serais bien le dernier à laisser ma mère travailler seule malgré son âge ! » Son ton s'adoucit, prenant une teinte plus sérieuse, moins excessive à l'ouvrage. « Enfin, je dois t'avouer que Kamba est incroyable, comme toujours. J'essaie de l'aider en m'occupant des enfants mais elle est tant déterminée, tant fusionnelle avec son métier que je me demande parfois ce que je fais à côté d'elle avec mon expérience qui ne vaut assurément pas le sien. Elle est comme qui dirait la Mère de Freeland … Elle connaît très bien tout le monde, les protège, les charrie gentiment, les instruit et j'en passe. Elle est  ... » il eut un petit rictus gêné. « Ah, non, je ne devrais pas. Si je continue, je risque de faire de longues tirades et je ne souhaite à personne de devoir me supporter dans une telle situation. »

Il continua de regarder son interlocutrice, jugeant sa réaction, avant de l'interroger par la même occasion :

« Inutile de m'étaler davantage, n'est-ce pas ? Je t'ai parlé d'elle des millions de fois et de tous les membres d'Outland, je pense que tu es la plus à même de comprendre ce que ça fait d'élever des enfants et de veiller sur eux comme si tu étais leur mère.  » Il rit un peu, de nouveau, pour enfin se reprendre et achever. « As-tu déjà désiré des enfants malgré ton rôle, Ishana ? » demanda-t-il naïvement, malgré les picotements se propageant dans ses pattes et son cœur accélérant légèrement mais sûrement sa cadence contre sa poitrine devenue fragile. Il ne la quittait pas des yeux, curieux de connaître la réponse et, par ailleurs, si le rôle de guérisseur ne l'entravait pas à ce point, si elle ne prévoyait pas d'en avoir avec quelqu'un. Cette pensée lui donna une légère nausée, que Masika dissimula dans sa posture stoïque. Assurément, il serait très content pour elle, mais il ne pourrait imaginer un jour que des enfants les empêchent de se voir autour d'un lac. Et si le compagnon se doutait de quelque chose et ne voulait pas qu'ils se revoient, de peur qu'il se passe quelque chose ?

Le lion préféra s'en arrêter là avec ses questions, car de façon inexplicable, il voulait directement passer à autre chose.

Le gloussement d'Ishana ensorcela les oreilles du gros matou, se plaisant des gestuelles enchanteresses de la guérisseuse pure à ses côtés, tandis qu'il se remémorait de nombreux souvenirs avec sa mère, délicieux, qui pour lui valaient tous les trésors de ce monde. L'idée d'avoir des enfants brisa néanmoins cette trêve un temps soit peu féerique et révéla une nouvelle expression à la Rouge, qui penchait la tête sur le côté. Masika la regarda tranquillement, se demandant intérieurement si cette question en valait réellement la peine. Après tout … Chacun faisait ce qu'il voulait, n'est-ce pas ? Poser une telle question à une guérisseuse n'était peut-être pas une bonne chose … bien qu'il pensât intéressant de connaître l'avis de son amie là-dessus.
Il parût lui falloir un petit peu de temps avant de fournir une réponse convenable. Cela ne dérangeait pas le Freelander, bien au contraire. Il s'imaginait d'avance les possibles commentaires d'Ishana à ce sujet, tout en égarant ses orbes émeraude sur le Lac qui les avait amené à se retrouver. S'ils ne s'étaient pas retrouvés à l'époque, qu'est-ce qui se serait passé ? Aurait-il toujours été aussi morose, aussi plongé dans son passé que jadis ? Il retint un petit soupir contrarié. Heureusement qu'Ishana était là pour le soutenir … Tout comme Luja ou le Roi Haki, bien que ces deux personnes paraissaient, malgré la promesse et les devoirs de Masika envers la patrie Freelander, bien moins importantes que la femelle au pelage flamboyant. D'ailleurs, en s'en rendant compte, le mâle chocolat ne sût s'il fallait en rire ou s'en sentir gêné ; après tout, pourquoi une lionne d'un autre Clan serait plus importante que son entourage réuni ? (Luja et Haki ne sont pas les seules personnes constituant son entourage, néanmoins) Ses pensées s'en allèrent de nouveau vers Ishana, qui répondit, sincèrement :

« A vrai dire, non. Avoir mes propres enfants n'est pas ma préoccupation première. J'ai toujours grandi entourée des plus petits, Sadaka … Tadji … Waasi … dont je m'occupais quand leurs mères étaient absentes et maintenant j'ai les enfants d'Outland. Je n'ai pas cette envie de beaucoup de femelles ont, maintenant que j'y pense, de devenir mère. Je suis bien ainsi. »

Ce genre de discours était plutôt récurrent, trouvait-il, chez les personnes préférant leurs causes altruistes à leur propre vie privée. Néanmoins, l'étonnement tordit le cœur du grand félin, qui se surprit à se désoler du « sacrifice » de son amie. En était-ce réellement un ? Peut-être pas, mais il ne pouvait s'empêcher de ressentir une certaine déception, quoique étouffée par ses hochements de tête qu'il offrit à sa partenaire en tant que réponse. Il n'eut le temps de renchérir que son amie lui renvoya la balle :

« Et toi, Masika ? Voir tous ses enfants gambader doit drôlement te tenter. »

Si seulement tu savais ce que j'en pense … pensa-t-il alors qu'il réfléchissait rapidement à la réponse qu'il lui fournirait. De toute façon … vouloir des enfants, c'était une bonne chose (pour la plupart), mais … à quoi pouvait bien servir un désir s'il était inaccessible en soi  ? Il n'apportait alors que frustration.
Il trouvait que Luja était proche de lui, malgré son comportement spécial, et pouvait, logiquement et aisément, lui servir de compagne si jamais ses sentiments faisaient écho aux siens. Problème : il l'aimait énormément en tant qu'amie, mais n'éprouvait pas l'envie irrésistible de la câliner, de lui souffler des mots doux à chaque fois qu'ils se voyaient. Tout ce temps qu'il passait à ne pas la voir, il la passait en compagnie d'Ishana, ce qui voulait dire qu'ils n'avaient pas tout le temps le temps de se voir, si ce n'est certains jours et certaines nuits particulièrement banales ou orageuses. En effet … L'envie d'avoir des enfants lui effleurait l'esprit, pour lui, pour sa mère, pour leur lignée. Mais l'épouse idéale sur Freeland ne s'était pas encore déclarée, ou alors n'avait pas suffisamment de points d'amour avec lui pour s'officialiser.
Voilà voilà … Tout ça pour dire que chez lui, c'était plutôt compliqué.

« Ce n'est pas faux, je l'admets. Il y a quelques années encore, je ne songeais pas vraiment à la possibilité que je fonde une famille, préférant alors mes services envers mon Roi et ses enfants tout juste nés qui avaient besoin de soutien et d'éducation pour s'en sortir. Exception faite pour Luja, je t'avoue que je me sens guère proche des femelles Freelanders et encore moins désireux de les connaître un peu plus. Luja … Je l'aime beaucoup, néanmoins j'ai l'impression, que … Enfin … Que mes sentiments pour elle ne sont pas suffisamment développés, la preuve, je me sens mieux avec toi qu'avec elle. Et pourtant, c'est de l'amitié qui nous lie. »

Peut-être plus ?
Impossible. Pourquoi … Pourquoi vouerais-je de l'amour à une amie aussi précieuse qu'Ishana ?
Peut-être parce que tu l'aimes, sinon tu ne passerais pas tout ton temps à vouloir de ses nouvelles ou à la rejoindre.

« En tout cas, j'espère que la vie que tu mènes te plaît et que tu ne regretteras pas de ne pas avoir voulu d'enfants à l'époque. Je trouve que tu es une guérisseuse plus que formidable, et que Tahani a de la chance de t'avoir. » affirma-t-il avec sincérité, la contemplant désormais avec tendresse.

Pourtant, la soudaine révélation d'Ishana eut le don de surprendre plutôt agréablement Masi – attendez ... quoi ?! - qui l'entendit protester, à la limite de carillonner, face à ses vœux sincères :

« Oh tu sais, je peux toujours changer d'avis. Ce n'est pas parce que je ne désire pas d'enfant aujourd'hui que ce choix est irrévocable. J'ai encore toute ma vie pour revenir sur mes paroles et fonder une famille si l'envie me prend. »

La joie se disputait avec la peine, qui prit petit à petit possession du cœur du Freelander. «  Fonder une famille si l'envie me prend  », étaient les mots les plus doux aux yeux de Masika qui, pourtant, sentait certains de ces poils se hérisser devant un tel projet d'avenir. En fait, il ne remarquait que maintenant à quel point il ne savait ce qu'il voulait, et si le bonheur de son amie comptait pour lui, ou s'il la voulait vraiment avec des enfants, au côté d'un autre mâle, qui ne le laisserait peut-être pas approcher si facilement. Il voulait la voir sourire, comme à chaque fois qu'ils se voyaient, et la désirait épanouie, heureuse de ce qu'elle était devenue et de ce qui l'animait dès à présent depuis leur toute première rencontre. Le fils de Kamba se contenta d'ouvrir légèrement la bouche, étonné par le renversement de situation, avant d'afficher un sourire faussement amusé. La situation ne l'amusait plus, maintenant qu'il était en proie à des doutes. Pourtant, son regard se fit de nouveau doux, par mécanisme, à la vue du visage innocent de la féline au pelage rouge.

« En tout cas, je suis heureuse de savoir que tu apprécies davantage ma compagnie à celle de Luja. Après tout, tu fais toujours autant de chemin pour venir me voir chaque semaine. Ça me touche beaucoup Masika. »

Il ne pouvait que se sentir fier et un peu ému d'entendre Ishana dire de telles choses agréables et grandement significatives pour leur amitié à eux deux. Certains de ses camarades lui reprochaient souvent ses disparitions à répétition et son manque de concentration à son travail, chose que le mâle chocolat expliquait par la vision d'Ishana qui berçait, chaque jour un peu plus, ses plus belles pensées et ses plus doux rêves. Il trouvait cela drôlement marrant vu que, contrairement à ses autres amis et amies qu'il chérissait sur Freeland, aucun ne parvenait à contenir autant de place dans l'esprit du fils de Kamba, alors qu'une étrangère, une Outlander qui plus est, n'avait aucun mal à en rester le maître des lieux.
Il sourit, et ne put s'empêcher de frotter doucement sa tête contre celle d'Ishana, à condition que celle-ci soit consentante face à une telle marque d'affection. Après quoi, il souffla avec de petits yeux brillants, à son oreille :

« Et moi, ce qui me touche c'est que tu sacrifies autant de temps libres pour profiter de ma compagnie alors que bien des Outlanders pourraient avoir besoin de tes services à tout moment, chez toi. Je ne suis qu'un Freelander, souviens-toi … Je suis en parfaite santé, et je ne sers nullement de guerrier à ta tante. » lui rappela-t-il sans une once de reproche. En fait, il ne faisait que relever les sacrifices qu'elle faisait pour lui, tout comme elle avait précédemment relevé les sacrifices qu'il faisait continuellement pour elle dans le mois, voire dans l'année pour ses beaux yeux. Il ne sut quoi faire pour accentuer ce besoin de montrer son affection et sa reconnaissance alors, tandis que les traits de son visage se faisaient de plus en plus maladroits et moins crédibles comparés à ceux de la guérisseuse, il ajouta dans un rire, espérant ne pas faire passer celui-ci pour un rire nerveux, angoissé : « Tu n'imagines pas à quel point j'apprécie ce geste et à quel point celui-ci me donne envie de continuer à te voir. De toute manière, vois le bon côté des choses ; je garde la forme avec mes longues balades, je découvre de nouvelles choses sur le trajet, je fais des rencontres, et une fois arrivé à destination, je parle avec toi. Je ne sais pas pour toi mais, pour moi, je trouve tout cela très avantageux. » sans flatterie aucune, cela s'entend.

Quels avantages la Rouge pouvait-elle en tirer, sinon ? Si ce n'est pour la culture, le bavardage et la cueillette des plantes dont il aimait tant profiter du parfum enivrant ?

« D'ailleurs, si un jour tu fondes une famille, tu ne m'oublieras pas, n'est-ce pas ? Je n'aimerais pas voir cette famille profiter toute seule de ta bonne compagnie et de ta gentillesse. » ne put-il se retenir de dire, d'un ton taquin. Pour apaiser son angoisse, et les palpitations de son cœur.

Freeland ? Outland ? La Terre des Lions ? Le Monde ? Rien. Plus rien n'avait d'importance pour lui. Plus rien n'avait et n'aurait plus jamais d'importance pour lui tant qu'Ishana serait là, à ses côtés. Les palpitations de son cœur s'accentuèrent. Le regard de feu de son amie qui, pour d'autres, aurait consumé l'esprit, rassura instantanément le fier mâle brun et ses angoisses. Comment pourrait-elle songer un jour à l'abandonner ? Si Masika ne lisait pas dans les pensées des gens, il savait néanmoins que sa camarade ne lui ferait pas une telle chose. Il n'arrivait pas à croire qu'une telle chose puisse arriver. Il avait confiance en elle. Confiance en leur amitié, si spéciale, qui en aurait fait douter plus d'un. Les deux lions n'avaient pas directement le besoin insatiable de se prouver avec des mots qu'ils s'aimaient. Leurs gestuelles tendres, leurs œillades complices, leurs cœurs battants au même rythme, cette connexion ne cessant jamais de les surprendre … tout cela signifiait beaucoup et avait le mérite d'apaiser le fils de Kamba. Sa naïveté l'empêchait de le reconnaître, mais au fond, peut-être bien qu'il portait Ishana bien plus dans son cœur qu'il ne le pensait. Peu importent les frontières, peu importent les guerres, peu importent les Clans, les rivalités, les règlements de comptes. Il la retrouverait toujours.

« Oh, tu sais … Si cela te gêne tant je suis certaine que ma tante t'accueillera à patte ouverte si tu le veux. » insinua la femelle rouge.

Elle devait cependant se douter qu'il n'accepterait jamais, quand bien même en sachant que son affection pour elle dépassait les limites de l'entendement. Il ne pourrait jamais abandonner sa mère, son Roi à qui il avait juré fidélité, ce peuple qui l'avait vu naître, ses héritiers avec qui de profonds liens s'étaient tissés. Il ne pourrait jamais les abandonner, mais se doutait que quoiqu'il arrive, la distance ne serait pas un problème pour lui. Il pourrait parcourir des centaines et des centaines de kilomètres pour la retrouver … oh, Masika pouvait se montrer « impressionnant » avec un peu de détermination.

La guérisseuse colla, après tant de frottements affectueux, son front contre le sien. Masika ne s'était jamais senti aussi proche d'elle avant ce geste-là. L'émeraude se mêlait presque au rubis, la lueur d'été accompagné de son soleil rouge s'affrontant avec la lueur d'hiver et son sapin vert, beau mélange ne pouvant que prouver l'opposition et la ressemblance qui reliaient le félin de Freeland à la féline d'Outland alors que, d'une voix aussi légère que la brise, Ishana lui demandait :

« Comment pourrais-je t'oublier ? »

Il sourit davantage. Bercé par les yeux si captivants de la fille de Samba, il eut un élan de motivation pour lui dire ce qu'il ressentait, avant de se demander, sérieusement, si une telle déclaration en valait la peine. Seulement, un simple « je t'aime » pouvait signifier bien des choses … et quitte à ce qu'Ishana brise en mille morceaux ce rêve qu'ils avaient créé ensemble, elle ne pourrait le contredire ; il l'aimait aussi en tant qu'amie, et non en tant qu'élue de son cœur. Quelques instants passèrent alors, dans un simple silence paradisiaque aux yeux de Masika, alors que le mâle la regardait avec toujours autant de sentiments luisant dans son regard semblable à un livre ouvert, il sut que c'était le moment. Il lui souffla enfin, tout aussi sincèrement et légèrement que le ton précédent de la lionne sombre :

« Ishana … Je n'en doute pas. Je t'aime. Sache-le. »

Il ne l'entendait pas, son cœur. Il contemplait simplement celle qui le faisait battre avec tant d'ardeur, de détermination. Un sourire éclaira les traits de la belle demoiselle Rouge – ou plutôt, la future Dame Rouge ? - à l'annonce de l’aveu tant attendu par les deux amants. Masika n'aurait pas pensé qu'elle réagirait ainsi, avec tant de tendresse, d'amour, de passion. Ses sentiments les plus profonds se mélangeaient pour n'en former qu'un : le soulagement. Il était soulagé. Soulagé de sentir le Bonheur si proche de lui … alors que, étrangement, son pressentiment le plus désagréable lui soufflait que l'ange qui le câlinait présentement ne serait pas toujours là pour lui et que, bien malgré leurs esprits révoltés, la Terre des Lions était ainsi faite, et ainsi plein d'obstacles se dresseraient sur leur chemin. Il les affronterait, volontiers, et ce pour leur bien à eux deux. Seulement … c'était plus fort que lui, il avait besoin de protéger Ishana. Il avait besoin de se sentir soucieux pour se rassurer.
…
Non.
Ce Masika était révolu. Il ne voulait pas avoir peur de quelque chose de si beau alors que, précédemment, il s'était senti aussi fort que la Terre des Lions entière. Son sourire tendre s'élargit sur ses babines tandis que sa bien-aimée déposait sa délicate truffe trempée contre la sienne. Ce contact, il en était habitué. Pourtant, cette fois-ci, quelque chose d'assez doucereux se propageait dans son corps, ses veines, ses membres, ses os. Une douceur chaleur, ni trop agressive, ni trop effacée à ses yeux. Elle s'accompagnait de plusieurs frissons qui déstabilisèrent, légèrement et en l'espace d'un instant, le mâle qui savourait le geste de la femelle avec tant de douceur. C'était si beau, si délicieux, qu'il en aurait même redemandé continuellement pour se sentir mieux. L'amour ? Il aimait ses bienfaits.

« Moi aussi, je t'aime. » lui confia Ishana.

Elle sembla rechercher un nouveau contact avec lui que le fils de Kamba lui donna avec plaisir. Leurs fourrures entremêlées, leurs yeux se considérant avec un amour débordant, Masika avait totalement oublié sa patrie et celle d'Ishana. Il avait oublié les hyènes, tout ça.
Son cœur n'avait jamais frappé aussi fort sa poitrine. La dernière fois où il avait ressenti cela … remontait sûrement au moment où il avait reconnu la petite voyageuse rouge sous les traits adorables de la guérisseuse d'Outland. Il bénissait les Grands Esprits pour cette rencontre qui lui apporta bien plus qu'il ne le pensait … et espérait que cette flamme, si fragile, si tendre, si véritable et si brûlante dans leurs cœurs ne mourrait pas rapidement.

Je t'aime tellement, Mademoiselle.