Le ciel était des plus clément, lumineux et soulagé de quelconques nuages. Encore une belle après-midi en perspective bien que la chaleur de la saison sèche pesait sur beaucoup, notamment les plus jeunes et les plus âgés qui ne s’éloignaient guère des points d’eau. Bien que sujette aux mêmes bouffées d’air étouffantes que ses congénères, Ahva n’en délaissait pas pour autant son entraînement. La rigueur était de mise et c’était bien là ce qu’il lui permettait de progresser. Elle n’en avait jamais assez. Après avoir tenu compagnie à sa mère et sa sœur, la plus jeune du trio royal s’était engouffré dans la savane loin des regards indiscrets.

Seule dans l’immensité de l’herbe dorée, la féline avait posé son dévolu sur un arbre au tronc massif idéal pour s’entraîner. Les sillons creusés dans l’écorce étaient encore frais de quelques jours mais la lionne n’en avait pas fini de le malmener. Son entraînement avec son demi-frère à la force spectaculaire lui avait intimé davantage de rigueur en ce que la princesse cherchait la perfection. Un jour, elle le battra. Ou du moins l’espérait-elle. Se positionnant face au tronc, la féline prit place et se concentra sur sa respiration, fermant délicatement ses paupières. Elle en oubliait ses soucis du quotidien, se détachant de tout et lorsqu’elle se sentit prête, elle rouvrit son regard ambré sur l’écorce et attaqua.

Ses mouvements étaient devenus plus fluide, moins déchiffrable et elle avait gagné en vitesse et en riposte. S’entraîner face à un adversaire immobile était plus aisé mais cela lui permettait de se perfectionner. Alors qu’elle enchaînait diverses attaques, une voix résonna dans son dos et surprise, elle fit volte-face les sens en alerte. Ahva avait tendance à se plonger corps et âme dans ses entrainements et se laissait facilement surprendre. Expirant sa stupeur, elle observa le nouveau venu et reconnu l’un des jeunes mâles du clan qui, la reconnaissant à son tour, exécuta une révérence.

« Il fort et robuste. C’est un excellent partenaire pour m’entraîner. » répondit-elle simplement, un sourire en coin.

Elle attarda quelques instants son regard ambré sur le visage du lion puis, décrispant ses muscles, elle se détendit et fit pleinement face au mâle. Dénuée de son aura guerrière, Ahva retrouvait son sourire naturel et son air enjoué.

« Tu es Tan Diel, c’est bien cela ? Qu’est-ce qui t’amènes au tréfonds de la savane en pareille journée ? »

Curieuse et avenante, la princesse Ahva était toujours disposée à partager de son temps avec celui de ses camarades de clan et resserrer les liens. Il était une grande famille après tout.

La princesse souriait allégrement au jeune lion, écoutant avec attention ses dires. Ah, une ballade pour mieux réfléchir, ce secret était le plus répandu de la terre des lions, il n’y avait rien de mieux pour poser calmement ses idées que de se perdre dans les fins fonds de la savane dorée. Curieuse mais jamais indiscrète, la lionne ne le questionna sur ses présents problèmes. Ahva ne se considérait pas assez proche du lion pour se permettre une telle question.

« J’espère que ça t’a aidé. » répondit-elle simplement dans un sourire.

Tandis qu’elle l’observait du coin de l’œil, lui analysait le tronc d’arbre qu’elle utilisait pour s’entraîner. Alors qu’elle se demandait ce à quoi il pouvait bien penser, le lion lui livra de lui-même ses pensées en lui demandant si elle venait souvent s’entraîner par ici.

« Ça dépend des jours. Quand Dhoruba, ma mentor, est occupée avec ses petits, je me retranche sur ses vieilles techniques d’entraînements solitaires et la savane est peuplée d’outils bien utiles. »

Tout en disant cela, la lionne balançait son regard au travers des herbes dorées. Cette partie de la savane était généralement moins empruntée par la populace ce qui permettait à la princesse de se plonger dans sa pratique sans être dérangé ou importuné d’autres animaux mais la présence de Tan Diel ne la dérangeait en rien. A vrai dire, s’il n’était pas intervenu, la princesse aurait pu continuer jusqu’au bout de la nuit, ce qu’elle avait déjà fait la vieille. Ahva avait la fâcheuse manie de se perdre dans son entrainement jusqu’à perdre la notion du temps et de ses propres limites.

« Tu t’entraînes aussi ou tu es plutôt du genre calme et pacifique ? »

Ses mots n’avaient aucune connotation péjorative, elle s’interrogerait juste. Tous les lions ne s’intéressait pas au combat, son frère par exemple était bien plus porté vers la politique vers Tan Diel, quelle était sa vocation ?

Les dires de Tan Diel lui plurent, il lui paraissait être un lion sage et réfléchi et c’était toujours agréable de converser avec ce genre d’individu. Si Ahva détestait parler politique ou du moins fuyait le sujet le plus possible, cette mise en lumière de l’idéologie Pridelander faisait ressortir en elle son côté patriote et lorsqu’il lui confia les louanges sur son père, la princesse ne put s’empêcher de bomber le torse. Elle était très fière de son père.

Lorsqu’elle l’interrogea sur sa nature, le lion lui confia faire partie de ceux qui prônait la paix et le respect et tout ce qui s’en suivait. Elle sourit à cette réponse.

« Ton père est un lion sage. » commentait-elle simplement avant de reprendre plus en profondeur : « Il t’a inculpé de bonnes valeurs, celles qui sont justes. Trop de lions utilisent leur don à mauvais escient et c’est de ceux-là qu’il faut se protéger. »

Ahva et Tan Diel semblaient avoir en commun une mésaventure passée qui avait explicitement influencé leur comportement ou, du moins, leurs actes. C’était à cette même époque que la princesse avait décidé qu’elle apprendrait l’art du combat, pour ne plus jamais être battue et humiliée.

Une gêne soudaine apparut sur les traits du jeune mâle mais suivant de près et dans un sourire, il lui retourna sa question. Ahva, guerrière ou pacifiste ? La réponse semblait évidente mais quelques nuances se cachaient bel et bien derrière cela.

« Je me pense guerrière mais avec une idéologique pacifiste. Le combat n’est pas un jeu, il m’a déjà effrayé plus d’une fois. Si j’aime m’entraîner, je ne souhaite pas expressément combattre pour confronter les autres à ma force. Ce n’est que pour être apte à me défendre. »

Que ce soit Itan, Dhoruba ou Sadaka, tous ceux qui avaient participé à former la princesse avait toujours pris soin de lui inculper des valeurs justes et rationnelles, autant parce qu’ils se souciaient de la princesse qu’ils étaient tous des lions profondément bons.

« Comme tu l’as dit, nous devons nous adapter. A force de m’aventurer là où ce n’était pas permis, j’ai rencontré des obstacles et ce qui était d’abord une mesure de protection m’est ensuite apparu comme une nécessité. Tous les lions ne prônent pas le respect et la paix. » répondit-elle dans un sourire évasif tandis que ses pensées se tournaient vers Soto, celui qu’elle avait pensé être un ami mais qui l’avait trahi. « Je n’ai encore jamais utilisé mes acquis en conditions réelles mais je sais qu’ils sont présents, qu’ils me protégeront et cela me rassure, ma famille aussi. »

Si la princesse embrasait ses rêves et partait un jour à la rencontre de nouvelles terres et de nouveaux clans, elle se devait d’être prête pour chaque éventualité. Tout n’était pas aussi beau et rose que sur Prideland, elle avait très vite saisi l’idéalisme de ce royaume qui en cela semblait si parfait, si lisse. Si elle aimait ses terres à leurs justes valeurs, elle n’en pensait pas moins que Prideland n’était pas représentatif de l’ensemble de la Terre des Lions. Trop de lions venaient nuancés ce bel ensemble. Lui revint alors en tête sa rencontre avec Vita, ce hors-la-loi qui avait réveillé en elle une curieuse envie de désordre. Face à d’aussi forts esprits, Ahva pouvait vite se retrouver influencé ou peut-être n’était qu’une partie d’elle endormie qui faisait surface. La princesse avait également ses petites parts d’ombre.

Souriant au mâle, elle finit par lui demander :

« Excuse-moi si cette question te paraît indiscrète mais que t’est-il arrivé pour pousser ton père à t’inculper ces bases ? »

Sans démontrer une once de gêne ou encore de retenue, le mâle lui confia son histoire. Attentive à son récit, la princesse prit place face à lui et dressa ses oreilles à son attention tandis que commençait le récit d’un lionceau un peu trop curieux. Malgré les événements relatés, elle ne put s’empêcher de sourire discrètement tant le portait dressé du jeune lion de l’époque lui rappelait le sien au même âge. Tous deux aussi curieux d’aventures et de nouvelles découvertes, ce jusqu’à braver les interdits et se mettre en danger. En revanche, lorsque Tan Diel lui confia que son accident s’était produit près de la frontière d’Outland et par conséquent, ou du moins déduit-il, par un lion de ce même clan, son sourire disparut et ses sourcils se froncèrent. Outland… encore eux. L’image que la princesse avait de ce clan n’avait de cesse de se dégrader, bien que sa marraine en soit la régente. Tahani s’était également attiré les foudres de son père en ne tardant que trop longtemps à fournir un Gardien représentant son clan. Une belle leçon sur l’intérêt que portait les Outlanders au maintien de la paix.

L’histoire de Tan Diel résultait donc d’une curiosité trop grande mais surtout de la malchance. Ce lion aussi belliqueux qu’il le décrivait n’avait même pas été foutu de faire la différence entre un lionceau innocent et son ennemi. Une simple pulsion dévastatrice qui agaçait au plus haut point la princesse. Elle contenait néanmoins son ressenti tandis que Tan Diel lui faisait voir la cicatrice apposée sur son avant patte.

« Je suis désolée de ce qui t’est arrivé, ça n’aurait jamais dû se produire mais tu me confirmes l’idée que ton père est un brave guerrier et surtout un bon père. »

Accompagnant ses dires, la princesse lui sourit chaleureusement. Il ne devait pas avoir honte de cette cicatrice car d’une certaine façon, celle-ci témoignait de la bravoure de son père qui n’avait pas hésité à le sauver. Une étrange façon de voir les choses mais Ahva aimait chercher le bien même dans les sombres recoins.

Démontrant naturellement de la curiosité à son tour, Tan Diel lui demanda ce qui l’avait poussé à devenir guerrière. Ahva eut un petit presque cynique puis le darda de son regard ambré.

« Je n’étais encore qu’un lionceau lorsque j’ai rencontré Soto, un lion venu d’Outland. On a sympathisé, je lui ai fait découvrir le royaume puis l’ai guidé jusqu’à la frontière. Je nous pensais amis. Plus tard, souhaitant ardemment le revoir, je me suis aventurée sur son territoire mais avec le temps les gens changent. Je l’ai bien retrouvé, en compagnie d’un autre mâle, mais il était différent. Après m’avoir ordonné de partir, ce que je n’ai pas fait, lui et son ami m’ont subitement attaqué. J’étais sans défense, incapable de rétorquer et de façon concrète, on peut qualifier ça d’un sale passage à tabac. Ils m’ont déshonorée, chose qu’une lionne du Soleil ne peut tolérer. En rentrant sur Prideland, je me suis jurée que plus jamais une telle chose ne se produirait alors j’ai commencé à m’entraîner. »

Elle glissa son regard vers la savane, se perdant un temps dans ses songes. Soto lui avait fait plus de mal que personne n’en avait jamais fait et son souvenir demeurait douloureux, tant dans son esprit que dans son cœur. Elle était incapable de l’oublier et sa haine à son égard était toujours présente, aussi forte que ce jour où il l’avait trahi. Son regard coula alors vers Tan Diel et elle soupira.

Les Anciens avait toujours appris à la princesse à ne stigmatiser un clan au rapport d’une seule personne mais les témoignages s’accumulaient, Outland n’était pas un territoire sûr et ses habitants encore moins. Un brin songeuse et sur le ton de la confidence, elle lui demanda :

« Tu penses encore à ton agresseur ? Moi oui. Parfois, dans mes rêves, je le retrouve et assouvie ma vengeance, le faisant payer pour ce qu’il m’a fait et je l’entends me supplier de le pardonner. Dans mes cauchemars, c’est l’inverse, tout se répète. J’ai juré de ne jamais combattre dans de mauvaises intentions mais si ma route ma ramène un jour face à lui, je ne peux dire ce qu’il en sera. »

Une confidence étonnamment franche et peut-être déplacée mais de par leur vécu commun, Ahva se sentait libre de parler et d’exprimer ses pensées les plus profondes. Elle avait toujours été d’un naturel très franc et n’allait pas par quatre chemins pour s’exprimer. Son regard glissa alors vers le mâle, se demandant ce qu’il pouvait bien penser de tout cela.

La rancœur se dissimulait dans un tréfonds plus ou moins connu de leurs cœurs et s’ils s’efforçaient de la contenir, elle les rongeait lentement mais sûrement. Ahva n’avait rien oublié de cet incident et incertaine quant à cette flamme brûlante qu’elle entretenait par ses simples rêves, elle fut rassurée lorsque Tan Diel lui confia ses troubles similaires. La vérité engendre la haine. Cette phrase interpella la princesse. Pensait-elle de la sorte ? Oui et non. Certaines vérités étaient bonnes à entendre et permettait à ceux qui l’entendaient d’avancer mais d’autres au contraire les enchaînaient à des souvenirs mensongers. Soto, par exemple. La princesse avait sincèrement cru en leur amitié mais elle n’avait jamais été qu’unilatérale. Une vérité douloureuse. Elle retint un soupir tandis que son corps frémissait sous les confidences du jeune mâle. Cette solitude ingrate qui les laissait impuissant face à leur peur, elle ne la connaissait que trop bien.

« C’est une plaie qui ne nous quittera jamais. » commentait-elle simplement, la voix lasse.

Jamais Ahva n’aurait pu penser se sentir aussi proche de ce lion mais par leurs peurs ancrées, ils se rejoignaient dans cette même solitude incertaine. Elle était presque soulagée de se confier à quelqu’un qui la comprenait si bien. Après un bref silence songeur, Tan Diel reprit et évoqua les jours prochains et d’autres encore plus lointain. Ses mots rassurèrent la jeune princesse qui lui fit grâce d’un sourire chaleureux. Elle n’était pas seule, elle le savait et c’était bien cette conviction qui lui avait permis de se relever.

« C’est ce que j’ai toujours aimé ici. L’amour ne nous est pas seulement offert par notre famille et nos amis mais aussi par l’ensemble du clan. Notre unité est une force certaine et je pense qu’elle est le plus grand atout de Prideland. » répondit-elle d’une voix plus posée, plus certaine avant de reprendre : « Toi non plus tu n’es pas seul. Si ce démon ose un jour s’approcher de notre frontière, préviens les gardes-frontières et je me ferai une joie de lui botter les fesses ! »

Ses dernières paroles étaient ponctuées d’un petit rire plaisantin mais derrière cette forme d’humour, Ahva n’en pensait pas moins. Si Tan Diel faisait appel à elle, elle ne le décevrait pas et l’aiderait autant que possible à chasser ses démons. Pour autant, s’il souhaitait se charger seul de cette affaire, la princesse respecterait son choix. Elle-même ne souhaitait pas d’intervention étrangère dans son histoire avec Soto, il était son problème à elle seule. Le seul soutien qu’elle acceptait était celui de l’amour de ses proches qui lui avait bien été utile le lendemain de son déshonneur.

En parlant sans restriction de ce vieux souvenir, Ahva réalisait combien il le hantait aujourd’hui encore. C’était sa plus profonde blessure. Malgré qu’elle ait toujours pris soin d’expliquer sa colère sans borne par l’humiliation qu’elle avait subi et qu’elle ne pouvait tolérer, son mal était bien plus grand. Il s’agissait avant tout d’un cœur blessé et trahi. Voilà la raison pour laquelle elle ne pourrait jamais pardonner à l’Outlander ni même oublier.

« Je pense que, de cette histoire, j’ai néanmoins trouvé une certaine vocation. Je n’ai jamais été attiré par la politique ou la simple observation des événements. J’ai besoin d’action, d’agir et de m’impliquer personnellement. La voie guerrière m’avait toujours paru des plus nobles et petite, j’observais souvent mon frère aîné durant ses entraînements. Je pense que mon admiration du combat est venue de là. Aujourd’hui, je suis satisfaite par la certitude de mes acquis et je peux avancer sachant que je ne suis plus cette petite lionne faible et sans défense. Mon champ d’action est élargi, je ne dépends de personne et je peux agir à ma guise. Quand je serai prête, je quitterai Prideland pour un petit voyage comme j’en ai toujours rêvé, j’irai explorer ces terres que je ne connais pas encore et je m’épanouirai dans un monde nouveau. » confia-t-elle soudainement un brin rêveuse avant d’interroger le mâle : « Et toi, Tan Diel, tu as des projets ? »

Son doux sourire ne quittait pas son visage ambré tandis qu’elle se préparait à entendre la réponse du mâle. Ahva regrettait de ne pas avoir pris plus tôt le temps d’apprendre à connaître son camarade de clan car bien des similitudes les unissaient et dans cette conversation, la princesse se sentait libre de s’exprimer sans retranchement. Cela lui plaisait.

A sa question, le mâle lui confia également souhaiter prendre le large pour visiter d’autres contrées. Ahva apprit par ailleurs qu’une partie de sa famille vivait sur Freeland, chose dont elle n’avait pas la moindre idée.

« J’ignorais que tu avais de la famille sur Freeland, vous ne devez pas vous voir souvent. » lui dit-elle, le regard soutenu mais sans trop entrer dans les détails histoire de ne pas se montrer indiscrète. Plus légère, elle ajouta : « Ma mère a eu la chance de voir tous ces royaumes : la Jungle, les Montagnes du Nord et même les Terres Libres. Je ne connais pas un endroit où elle ne s’est pas rendu. De tous ses voyages, elle a gardé de magnifiques images en tête et jamais je ne me suis lassée de leurs descriptions. Je suis persuadée que le monde recèle de petites merveilles qu’il nous faut à tout prix voir une fois dans notre vie. »

La princesse se plaisait à partager son amour de l’aventure, une passion qui n’avait jamais succombé à l’âge. C’était le rêve de tous lionceaux que de parcourir le monde et d’être libre, plus libre que le vent lui-même. Si ces songes d’enfants se raisonnaient pour la plupart, Ahva n’avait pas démordu. Bien des aventures avaient commencé guidées par cet instinct.

Après une courte pause, Tan Diel lui confia son rêve le plus cher et celui-ci surprit la princesse. Trouver l’âme sœur et fonder une famille. Quelle drôle d’idée, pensait la lionne ! Ils étaient encore si jeunes, pourquoi délibérément souhaiter basculer dans cet âge ? Ahva n’avait jamais songé à une telle chose et cela l’étonnait qu’un lion à peine adulte souhaite déjà fonder une famille. Après l’étonnement, la princesse rit subitement sans toutefois se moquer de ses rêves. Interpelée, elle répondit dans un sourire :

« Tu penses déjà à ça ? Cela me semble si loin, impensable même ! »

Attendrie plutôt que rieuse, Ahva souriait chaleureusement au lion. Elle le trouvait très fleur bleue et à vrai dire, elle n’aurait jamais parié qu’un lion souhaiterait si ardemment cette chose qu’était la famille pourtant la situation forçait la jeune lionne à s’interroger à ce sujet. Souhaitait-elle également fonder sa propre famille ? Oui, probablement mais à l’heure actuelle, Ahva était à mille lieux de s’imaginer maman. Elle avait encore tant besoin de sa propre mère, c’était une lourde responsabilité que d’être parent mais peut-être que la seule énigme au tableau n’était pas là. Devenir parent, cela impliquait un autre, un deuxième que l’on aurait choisi. Cette simple pense donna des sueurs froides à la princesse. Ahva fricotait bien avec quelques guerriers mais jamais ne s’engageait durablement, préférant fuir mais de quoi, de la compagnie ou de l’amour ? Un cœur brisé prenait du temps à briser la glace.

L’évidence s’en suivit et Tan Diel questionna la princesse. Ses autres objectifs ? Elle eut un nouveau rire, plus gêné cette fois-ci et lui dit :

« Pas de devenir parent en tout cas. Je goûte à peine à la liberté, qu’on ne vienne pas me l’enlever. »

Ce n’était pas tant les lionceaux qui effrayaient la lionne mais plutôt les responsabilités dont il découlait. Trop de responsabilités. Ahva peinait déjà à s’occuper d’elle-même, pas besoin de rendre sa tâche plus difficile. Devenir mère était une idée si lointaine qu’elle ne souhaitait pas même songer plus à ce sujet.

Retrouvant une mine plus malicieuse, elle lui dit

« Visiter d'autres royaume me semble être déjà un bon objectif, non ? » Ses paupières ambrées se plissèrent tandis qu’elle souriait au lion d’un air taquin. S’il souhaitait des détails, elle lui en fournirait. « J’ai longtemps réfléchi et j’en suis venu à la conclusion que voyager seul est risqué alors j’ai réussi à convaincre un voyageur hors-la-loi de m’accompagner dans mes pas. Ce qui est étonnant c’est qu’il fait partie de ma famille éloigné mais je ne l’avais encore jamais rencontré. Il a longtemps voyagé seul et en est sorti plus grand, il aura beaucoup à m’apprendre mais je devrais d'abord le retrouver, qui sait où il a bien pu aller. »

Malheureusement pour Vita, la princesse n’avait rien oublié. Elle s’en souvenait comme si c’était hier. Bien des sages lui diront qu’il était insensé et même dangereux de partir aux côtés du rouge mais Ahva ne les écouterait pas. Il avait réveillé quelque chose en elle, son amour de l’interdit, sa passion et sa fougue. Le jour venu, elle le retrouverait.

Fermant cette parenthèse pour le moment, la lionne ajouta d’autres confidences :

« A côté de ça, j’ai bien des amis étrangers à nos frontières qu’il me tarde de revoir et d’autres à rencontrer. J’aurais aimé partir découvrir ma terre ancestrale, celle où ma mère est née mais c’est bien trop loin et je ne crois pas qu’elle souhaite me savoir là-bas. C’était compliqué avec sa famille et de toute manière, elle seule connait le chemin. » Haussant légèrement des épaules, la lionne soupira brièvement et reprit : « Tu m’as dit plus tôt qu’une partie de ta famille vit sur Freeland, quelle est ton histoire ? »

Après qu’elle lui ait parlé de ses diverses envies concernant l’avenir, Tan Diel revint à des temps anciens en lui contant l’histoire de sa famille. Une mère venue de Freeland puis adoptée par un couple de Prideland rencontre un jeune lion de son clan et de cette union naquit Tan Diel. Plutôt banale. Sans toutefois émettre ses interrogations à voix haute, la princesse se demandait ce qui avait poussé une jeune lionne à se faire adopter par un couple d’étranger plutôt que de rester dans les bons soins de sa famille. Peut-être le fond de cette histoire était plus personnel et Tan Diel semblait lui aussi en ignorer les tréfonds.

« Je trouve ça chouette d’avoir de la famille sur Freeland. » commenta simplement la lionne à la fin de son récit.

C’était excitant et cela ne faisait sûrement qu’alimenter davantage ses envies de famille. Ahva avait toujours été entourée par sa grande famille, ici sur Prideland et elle enviait sa part d’exotisme bien qu’elle n’était pas laissée de côté par ses propres origines seulement, la Terre du Soleil était bien trop éloignée pour qu’elle puisse un jour rencontrer l’un de ses congénères. Ce n’était pas faute d’en avoir mainte fois rêvé.

Basculant le sujet vers les dires précédents de la jeune princesse, Tan Diel lui demanda qui était cet hors-la-loi. Elle répondit d’abord par un sourire, consciente des inquiétudes du lion. Ses frères et sœurs auraient été fou en apprenant ce projet et c’était bien pour cette raison qu’Ahva gardait secrète ses aspirations. Elle ne voulait pas les inquiéter.

« C’est une histoire qui étrangement a commencé bien avant notre rencontre. Avant de devenir reine, ma mère vivait sur la Lande aux côtés de son mentor Samekh. C’est là-bas qu’elle a élevé mon frère aîné. Avec eux vivaient Samba, la sœur de Samekh ainsi que ses deux enfants : Ishana et Vita. Ils formaient une étrange famille mais ils étaient heureux. Après la mort de Samekh et Samba, chacun a fait sa route : Kuzali a rejoint Kumpa sur Prideland, la suite tu la connais, Ishana est parti vers Outland pour aider Tahani, la compagne de son oncle et quant à Vita, celui-ci s’est évaporé dans la nature.

C’est en m’aventurant dans les Gorges que je l’ai rencontré. Vita. Je t’avoue que moi-même je me suis surpris a progressivement éprouvé de la compassion ainsi que de l’admiration pour ce lion. Il a longtemps été seul, trop peut-être mais s’il paraît sournois et égoïste, je sais qu’il demeure bon. Je pense aussi qu’il aura beaucoup à m’apprendre et que d’une certaine façon, j’aurais moi aussi du travail comme l’accommoder à la présence d’un compagnon de route. »

Elle termina ses paroles par un petit sourire qui se voulait rassurant. Il n’était pas commun qu’une princesse s’allie avec un hors-la-loi, cela ressortait même du jamais vu mais Ahva n’avait pas peur, elle ne craignait pas le lion. Peut-être était-ce à tort car son trop grand courage l’incitait souvent à sous-estimer le danger mais elle avait foi en Vita. Tous d’eux étaient plutôt compatibles malgré quelques divergences et sans doute était-ce même cet appel de l’interdit qui poussait la princesse dans ses pattes.

« Je sais que le titre d’hors-la-loi peut en effrayer plus d’un mais Vita n’est pas mauvais. Disons simplement qu’il a ses méthodes. »

Son visage prit une tournure malicieuse tandis que la jeune lionne repensait à leur rencontre. Longtemps après le départ de ses amies qui l’avaient mis en garde contre le lion, la princesse avait continué de marcher à ses côtés jusqu’à ce que leurs différents devoirs les appellent. Si elle craignait l’aversion de sa famille, Ahva pensait néanmoins pouvoir compter sur le soutien de sa mère qui avait connu le vagabond dans son enfance. Elle disait souvent de lui qu’il lui rappelait son oncle, Ahva savait combien la reine avait souffert de la mort de son mentor.

Elle marque une petite pause sans quitter Tan Diel du regard puis lui demanda :

« Tu n’en as jamais rencontré ? Je veux dire, des étrangers ou bien des voyageurs ? »

Certains Pridelanders prenaient soin de ne jamais s’aventurer hors des frontières. Ceux-là aspiraient à mener une petite vie tranquille et sans soucis tandis que d’autres, plus aventuriers et curieux s’en approchait avec hâte pour découvrir un nouveau monde. Ahva se demandait alors en tout état de cause si son interlocuteur avait lui aussi rencontré des lions venus d’ailleurs.

En réponse à la question de la princesse ambrée, il lui apprit avoir un jour rencontré un lion au pelage blanc et immaculé aux abords de l’étang. Ahva dressa un sourcil d’intérêt. Il lui semblait peu probable qu’un nordique – lion au pelage typique de la description faite – ait quitté ses montagnes pour s’aventurer jusqu’au cœur de Prideland. En s’interrogeant, Ahva déduisit finalement qu’il devait s’agir du fils adoptif de Kina mais son nom lui avait échappé.

Plus enthousiaste, il reprit et s’extasia sur les possibles découvertes qu’un voyage lui offrirait. Ahva lui sourit chaleureusement, partageant ses envies et ses rêves.

« On sort toujours grandi d’un voyage, nous aurons beaucoup de chose à apprendre. »

Le monde était si grand et rempli de multiples possibilités que même en voyageant ils ne parviendraient à en saisir tous les mystères mais cela demeurait une belle et grande avancée dans le savoir du monde environnant. Ahva ignorait ce qui l’excitait le plus, découvrir de nouveaux lieux, de nouvelles cultures ou de nouvelles personnes. Il y avait tant à faire.

Après un bref silence, Tan Diel lui demanda si elle avait fréquenté beaucoup de voyageurs. La princesse pointa ses deux oreilles vers lui avant de sourire, nostalgique.

« Mon oncle Rono était un voyageur. Ils n’avaient pas de lien de sang avec nous mais Il a toujours été aux cotés de notre mère et on l’a toujours connu. Il était semi-nordique et avait vécu dans les montagnes blanches dont il nous faisait les plus belles descriptions. »

Hormis sa fratrie, Ahva n’évoquait guère la mort de Rono qui les avait beaucoup touchés. Leur vieil oncle leur manquait beaucoup mais les trois joyaux de Prideland n’étaient plus des enfants et aussi amer que cela l’était, ils avaient appris à faire avec la mort. Plutôt que de s’attarder sur ce sujet qui éveillé néanmoins en elle une grande tristesse, la jeune princesse reprit plus gaiement :

« Mais j’en ai connu d’autres comme Taali, une amie de mon frère aîné. Elle était Mositus avant de choisir cette vie nomade. Il y aussi Kosa, un voyageur venu d’encore plus loin que les frontières de la Terre des Lions. Ce n’est une très grande liste mais je compte bien l’allonger avec le temps. »

Elle le dardait d’un regard fier, presque arrogant. Ahva comptait bien faire entendre à tous qui elle était, qu’on la reconnaisse partout comme une redoutable guerrière et que son nom marque les âges. Une bien grande ambition pour un si petit corps.

Elle s’ébroua d’air détaché puis observa les alentours. Sa culpabilité guerrière l’accablait tandis que la lionne attardait son regard sur l’écorce de l’arbre erraflé. Très tôt, la lionne avait appris la rigueur ainsi que le sérieux. On n’obtenait rien en ne faisant rien et Ahva prenait ce diction très à cœur si bien qu’elle murmura doucement, un peu pensive :

« Je devrais peut-être reprendre mon entraînement, j’ai un planning à tenir. »

L’apprentie guerrière observa son compagnon quelques instants, songeant à leurs discussions précédentes puis lui dit :

« Tu peux te joindre à moi si tu le souhaites. »

Elle l’encouragea d’un petit sourire.

Après une brève hésitation, Tan Diel accepta l’invitation de la princesse qui lui sourit d’un air satisfait. Si elle aimait se perdre dans sa recherche de la perfection, Ahva ne crachait pas sur un peu de compagnie pour tuer sa solitude guerrière. Les entraînements étaient longs et épuisants, ils ne lui laissaient guère le temps de vadrouiller autours du rocher pourtant c’était important pour elle d’entretenir les liens avec son clan. Elle espérait simplement que Tan Diel n’ait pas accepté par pure politesse ou pour ne pas la contrarier. Elle ne voulait pas le forcer à faire quelque chose qui lui déplaisait d’autant plus que le lion lui avait auparavant confié être du genre pacifiste mais s’il souhaitait voyager à son tour, il devait savoir se défendre ou du moins était-ce l’idée de la princesse.

D’un petit rire, il la mit en garde contre son niveau qu’il jugeait plutôt médiocre. Ahva eut un soupir rieur et plissa son regard dans une mine malicieuse.

« Ce n’est pas une compétition, simplement un entraînement amical. L’objectif n’est pas d’être le meilleur alors ne t’en fais, je vais te confier deux trois astuces que j’ai apprises. »

Son sourire s’étendit doucement tandis que la lionne venait faire face à l’écorce abimée. Dirigeant son regard vers un tronc à proximité, elle invita Tan Diel à se présenter devant lui.

« Je m’entraînais à l’endurance, essayant de porter le plus de coup possible sans perdre en puissance. Des attaques en rafale disons et rien de mieux qu’un tronc robuste pour ne pas céder sous les coups. »

En plein projet de perfectionnement de ses techniques, Ahva préférait continuer sur sa lancée plutôt que de se lancer dans un combat contre Tan Diel. Sans doute aussi n’avait-elle pas envie de lui porter des coups, elle commençait à plutôt bien l’apprécier.

« La clé c’est de ne pas perdre ton objectif des yeux. Il faut se mettre en condition aussi, ne pas oublier de se dégager et de rendre ses attaques imprévisibles par un jeu de patte imparable. »

Après un dernier regard adressé au lion brun, la princesse focalisa son attention sur l’écorce et vida instantanément sa tête de toutes pensées distrayantes. Son aura guerrière était de retour. Grondant, Ahva s’élança et balaya le vent d’un coup de patte virulent qui vint s’écraser contre le bois, arrachant des bouts d’écorces malheureux.

HRPG: