Un tremblement fugace agita, l'espace de quelques secondes seulement, le sol du Territoire des Hyènes et de ceux avoisinants. Une secousse subtile, uniquement perceptible par ceux qui la guettaient. Ceux, ou plutôt celle, car Khajiit était bien l'une des seules ici bas à entendre les murmures silencieux des Montagnes de Feu. Les premiers mots de la Terre l'avaient surprise car, malgré ses années de vie sur la Terre des Lions, jamais encore le Volcan ne s'était fait entendre - mais, récemment, il se manifestait de plus en plus. Bien sûr, c'était si imperceptible que personne ne l'avait remarqué - sauf Khajiit. Mais ces ô combien légères secousses ne l'angoissaient nullement - à vrai dire, elles lui rappelaient son enfance bénie et assuraient de plus en plus son ego et sa confiance en elle-même.

Cependant, les doux chants du Volcan lui semblaient avoir changé ces derniers jours. Les fredonnements restaient aussi subtils, mais Khajiit les entendait d'une oreille différente : ce qui lui semblait hier encore familier et rassurant sonnait à présent comme un avertissement. Alors, elle écoutait avec attention et s'isolait parfois de la meute pour guetter celui dont le Volcan avait anticipé la venue.

Et c'est en ce jour qu'il arriva. Alors que la rieuse errait seule aux abords du prophète s'éveillant, un être de suie émergea d'un sommet de roches pour venir glisser près d'elle. Elle le fixa tout du long, de son air fier de princesse. Un lycaon noir, ça n'existait pas. Pas ici. Alors, devant cette vision d'un passé révolu, elle se mit à sourire - mesquine et insolente, les pupilles de flamme s'embrasant, Khajiit osa défier du regard son compatriote d'autrefois.

— Je ne savais pas ma renommée si importante... Mais, à bien y réfléchir, c'est très pertinent ! fit-elle dans un sourire arrogant. Es-tu donc un de mes fans, pour t'être ainsi éloigné si loin de chez toi dans le but de me retrouver ?

Ces histoires de Père et de disciple ne lui disaient rien qui vaille mais la tachetée les balaya d'un revers de queue, préférant ignorer l'évidence plutôt que d'y faire face. Pour autant, même si elle refusait de se l'avouer, elle savait déjà. Ce que cet étrange lycaon, presque aussi grand qu'elle, faisait ici. Une seule chose aurait pu pousser un Sable-Rougeois à se perdre en Terre des Lions en quête de sa personne. Une chose dont elle s'était forcée depuis si longtemps à enterrer le nom...

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— Khajiit, tu es une vraie star chez nous.

Une star ? Et depuis quand ? Et pour qui ? Était-il sérieux ou bien jouait-il dans son jeu ? N'y comprenant rien, la tachetée préféra rester silencieuse, s'ancrant dans son sourire forcé alors que l'autre ricanait à cœur joie. Ses rires, d'ailleurs, étaient foncièrement dérangeants, car bien trop hyéniques pour un lycaon tel que lui.

— Vos exploits à Isaiah et toi sont connus de tous.

Il n'en fallut pas plus pour faire disparaître son sourire, et Khajiit sentit un grondement sourd naître au fond de sa gorge. Nul n'avait osé prononcer ce nom depuis bien longtemps, et voici que cet inconnu se permettait de le blasphémer de la sorte... Elle lui aurait sauté à la gorge sur-le-champ s'il en savait un peu moins - mais, compte tenu de ses accusations, elle ne pouvait pas le blâmer de la traiter comme une moins-que-rien. Il lui en voulait sûrement, et pour cause ! Quel désastre avait-elle commis, pour lui ? Avait-elle causé la mort de toute sa famille, l'avait-elle rendu orphelin, sans maison ni frères ?

— Dis-moi, c'est le mal du pays qui te fait te balader par ici? L'odeur de la chair brûlée te manquerait-elle? Tu n'es pas l'une d'entre eux Khajiit, tu ne te sens pas à ta place ici, après tout il leur manque ce coté carbonisé que tu chéris tant, hum?

Et alors qu'il riait à gorge déployée, la hyène ne tint plus : cette fois, elle montra franchement les crocs dans un grognement dissuasif. Ce canidé n'était qu'un bébé à côté d'elle ! Un étranger, un véritable inconnu, qui plus est - et il lui manquait de respect comme personne auparavant. Isaiah aurait été là, il lui aurait... Elle remballa ses crocs, résignée. Non, elle ne pouvait pas en vouloir à cet imbécile. Il avait toutes les raisons du monde de vouloir sa mort. Sans doute était-il là pour ça, d'ailleurs : pour réclamer vengeance, et faire rougir le sol volcanique du sang de la Sable-Rougeoise. Soit, elle était prête. Prête à se battre une dernière fois, prête à ce que le Jugement soit enfin rendu.

— Père veut te donner une nouvelle chance. En fait, il pourrait même donner une nouvelle chance à Isaiah, malgré qu'il soit un lion. Elle le fixa, interdite, sans comprendre. Pourquoi ne l'attaquait-il pas ? Et de quoi diable parlait-il ? Suis-moi Khajiit, ces terres puent le lion, ici tu n'es qu'un cafard à l'ombre de leurs crinières, chez nous tu es adulée. Tu es une reine Khajiit pas un médiocre pion dans le grand jeu d'échec de ces hypocrites de lions! termina-t-il en haussant le ton, avec l'éloquence propre aux méchants des grandes histoires.

Adulée ? Une reine ? Non, elle avait causé la perte de leurs terres ! Elle avait été bannie ! Mais le pire dans tout ça, c'était qu'il parlait encore d'Isaiah. Il ne savait pas, bien sûr qu'il ne savait pas.

— De quoi parles-tu ? Ne sais-tu donc pas qui je suis, et ce que j'ai fait ?

Et si le père dont il parlait était bien celui qu'elle soupçonnait, alors c'était encore plus incompréhensible : elle se souvenait sans mal, comme si c'était hier, du mandrill se jetant sur le lion, prêt à le tuer.

— Si je suis un cafard ici, alors je suis une tique à la maison ! s'emporta-t-elle, révélant plus de sentiments qu'elle n'aurait voulu. Si elle se plaisait à jouer les princesses, elle n'ignorait pas l'estime que les lions avaient d'elle : oui, le noiraud avait raison, elle ne valait pas plus qu'un cafard aux yeux des habitants de la Terre des Lions. Mais à Sable-Rouge, c'était sans doute pire encore. Y restait-il seulement une hyène encore en vie... ?

A la maison. Oui, c'était bien ça le pire : malgré tout, le lycaon avait raison. En dépit de la bonté de Kuruka et de ses sous-fifres ainsi que du chaleureux accueil qu'on lui avait réservé au sein de la meute, la rieuse ne s'y sentait toujours pas à sa place. Sa maison n'était pas ici, elle était là-bas, quelque part dans le Lointain...

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— Khajiit, qu'est-ce qu'ils ont à t'offrir ici? Une vie de servitude.

De servitude ? Il y allait un peu fort : nulle hyène ici n'exigeait quoi que ce soit de la rieuse. Elle se sentait libre, libre de suivre ses propres convictions et de faire ses propres choix - bien plus libre, en tout cas, que du temps où elle vivait au Lointain... Mais le lycaon ne tarda pas à s'expliquer, s'emportant tout comme elle dans cette indignation flamboyante digne des Sable-Rougeois.

— Regarde autour de toi, regarde dans quel genre de décharge vivent les hyènes d'ici! Qu'est-ce qu'ils t'apportent de plus ici? Qu'est-ce qu'ils ont de si précieux pour que tu rejettes les terres qui t'ont vue naître?!

Oh, c'était donc ça qu'il reprochait à la meute ? Son territoire ? Elle ne put s'empêcher de suivre ses indications et de porter un regard circulaire sur la plaine : mais Khajiit n'y vit que l'éternelle terre craquelée et recouverte de cendres qu'elle connaissait si bien. C'était... familier. C'était exactement ce qu'elle retrouverait chez elle, loin là-bas au-delà de la Terre des Lions. Parlait-il du cimetière, dans ce cas ? En tant que lycaon, elle pouvait comprendre son désarroi - mais ces ossements étaient autant de nourriture pour les hyènes et, en vérité, une réserve inépuisable de vivres en cas d'extrême nécessité.

De plus, si les lions avaient bel et bien tenté de se défaire de la meute en l'excluant de Prideland contre un territoire de chasse personnel, la tachetée devait bien avouer que le Don était particulièrement accueillant. Non, cet endroit n'était pas pire que Sable Rouge, au contraire !

— Les hyènes ici sont faibles, elles sont lâches et soumises... Tu es loin d'être ça Khajiit. Dis-moi que tu n'es pas là pour finir comme eux Khajiit, dis-moi que tu n'as pas oublié qui tu étais et d'où tu venais!

D'où je viens... ? :

Elle gronda sourdement, un peu calmée par le ton mielleux et apaisant du canidé, mais pas tout à fait soumise pour autant. Il insultait la meute qui l'avait recueillie quand elle était seule, sa nouvelle famille ! Et il clamait qu'elle était différente, qu'elle n'était pas comme eux, qu'elle ne leur appartenait pas. Sur le coup, elle ne sut comment le prendre : compliment ou déshonneur ? Dans la bouche du noiraud, ça sonnait comme un réel compliment, mais elle ne sut comment elle le considérait elle-même. Car, au fond d'elle, une pointe de fierté s'était renforcée : bien sûr qu'elle valait mille fois mieux que ces lâches !

— Tu as l'air très remonté par la situation des hyènes d'ici, et je t'en remercie - c'est si gentil de ta part de t'inquiéter de notre sort...

Sarcasme et ironie : s'il suivait si assidûment son Père, alors sans doute était-il dénué de toute compassion.
Quant à Khajiit, elle s'était exprimée en s'incluant dans la meute, voulant démontrer à son interlocuteur que, malgré ses doutes, elle se considérait comme partie intégrante du groupe de hyènes.

— Mais détrompe-toi : notre sort n'est pas si mauvais que tu sembles le croire. Nous avons des terres où chasser. Nous ne servons personne. Et les lions nous laissent en paix.

Elle avait parlé en pensant à Prideland, mais elle s'en mordit aussitôt les babines. Alors que les mots quittaient sa bouche, elle se rendait compte qu'il ne s'agissait là que d'illusions et de mensonges : l'alliance qui les liait à Kumpa et l'amitié que ressentait Kuruka envers Kuzali était sûre de leur attirer des ennuis si jamais Prideland était de nouveau attaquée. Les hyènes étaient liées, condamnées à aider les lions... ou plutôt, à leur servir de chair à canon, d'avant-garde pour qu'ils puissent sauver leur peau comme les couards qu'ils étaient !
Quant à cette prétendue paix, elle venait tout juste d'être brisée par un groupe venu d'Outland. Non, les hyènes étaient encore bien trop proches des félins pour se croire en sécurité... Et, sous ce point de vue, la tachetée comprenait l'emportement du lycaon. Mais ce nouvel arrivant était-il au courant de ces récents faits ? Elle espéra que non, voulant paraître crédible et réussir son coup de bluff - mais son espoir était mince.

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— Les lions vous laissent en paix... Très bien. Donc tu ne veux pas rentrer à Sable-Rouge où, comme le dit la devise: "Le seul lion qui te laisse en paix est un lion mort".

Il n'avait pas tort, et ça poignardait Khajiit de devoir l'avouer. Les Outlanders venaient à peine de donner raison à cette bonne vieille devise - et dire que les Pridelanders, fidèles alliés de la meute, n'avaient pas levé une patte pour les aider... Pourtant, la nouvelle s'était répandue comme une traînée de poudre et toute la Terre des Lions ou presque était au courant de la trahison de ces nouveaux Exilés. Les relations étaient déjà tendues entre Prideland et Outland - ce coup du sort contre les hyènes aurait dû mettre le feu aux poudres, et déclencher une guerre ! Mais non, Kumpa se foutait autant que les autres du sort de la meute...
Pour autant, entendre ce Sable-Rougeois parler de lion mort n'évoquait à la rieuse que de biens pénibles souvenirs plutôt que le sentiment d'insécurité voulu.

— Tu préfères attendre que les lions d'ici commencent à en demander toujours plus et viennent vous écraser.

Elle serra les dents mais ne trouva rien à répliquer. Encore une fois, elle ne pouvait démentir ses propos : ici comme ailleurs, les lions continuaient encore et toujours à prouver à quel point c'était vrai. Leur cupidité et leur vantardise n'avaient pas de limite : ils croyaient que tout leur était dû et que les autres espèces de la savane ne méritaient qu'à leur servir de sujets. Même Khajiit, qui voulait terriblement croire à l'utopie de Kuruka, ne pouvait pas l'ignorer plus longtemps.

— Ils continuent de croire que vous n'êtes que de petits pantins avec lesquels ils peuvent jouer. Mais, Khajiit... Je suis pressé de voir comment tu vas changer la donne, ici...

Et il en rajoutait une couche à chaque fois... Mais elle, changer la donne ? Et comment ? Et pourquoi ? Elle n'avait pas son mot à dire - Kuruka l'avait gracieusement acceptée au sein de sa meute, elle l'avait accueillie et protégée quand elle n'avait plus personne ! De quel droit se lèverait-elle contre cette dominante à qui elle devait tout ? Et la meute ? La meute ne l'écouterait jamais ! Elle n'était même pas originaire de ces terres...
Et justement. Peut-être était-ce pour ça que le lycaon avait si foi en elle. Parce que lui savait que seule une Chaotique du Lointain saurait quoi faire... Et la pauvre Khajiit eut un frisson de dégoût en se rendant compte que le seul ici à croire en ses capacités, à la pousser dans ses convictions, était cet être du passé revenu la hanter.

— Alors reste là, et vois, fit-elle sombrement.

Elle semblait se résigner, accepter la tâche qui lui incombait. Pourtant, elle n'avait rien décidé - c'était bel et bien sa fierté qui avait parlé. Si le noiraud lui disait qu'elle avait un avenir, qu'elle changerait les choses, alors elle ne le détromperait pas. S'il voulait voir, qu'il voie !
Alors, sans le chasser, en le laissant errer à sa guise en territoire hyénique, elle se détourna et repartit au pas auprès des siens, comptant bien garder secrète cette bien sombre entrevue. Sans lui accorder un regard de plus, ni même un au revoir. Sans même lui demander son nom.

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