- Je n'ai pas sommeil, et toi non plus visiblement...
- T'as trouvé ça toute seule ? ironisa-t-il, déviant son intérêt vers ses propres pattes. La conversation s'annonçait ennuyeuse et Sayed voulait déjà y mettre un terme. S'étalant sur le flanc, il ferma les paupières emporté par la lassitude.

- Excuses-moi de te déranger ainsi mais, tu auras bientôt deux ans, non? Mon frère, lui, a super hâte d'avoir cet âge... Je n'ai pas hâte qu'il parte... Pas que je n'ai pas confiance en lui, mais, il y a déjà eu des jeunes plus musclés et agiles que lui n'étant pas revenus... Jabari n'est pas un faiblard, mais... Le mâle faillit s'étouffer avec sa propre salive. Sa tirade ramena le sourire avant disparut du jangowa et il tourna son regard fauve vers elle. - Toi... Tu comptes faire quoi pendant ton exil?
- Buter des trucs. l'informa le futur exilé. - C'est pour ça que j'suis né. Le Désert lui avait accordé son don pour une chose. Il devait lui rendre hommage, le remercier, user de cette force pour l'honorer et ainsi répandre la bonne parole. Depuis l'enfance, tout chez Sayed rappelait la combativité. Son tempérament invivable et maintenant la corpulence qui allait avec. On ne pouvait imaginer Sayed ailleurs que sur un champ de bataille.

- Ton frère a eu d'la chance de ne pas partir avec moi. Ça lui donne plus de chance de revenir en un seul morceau ! lui avoua-t-il par la suite en éclatant de rire. - Nan mais regarde ces pattes de lézard! Il est maigre, j'crois même que t'es plus baraqué qu'lui, haha!

Le rire de Sayed s'évanouit à la vue du visage contrarié de Nyarai. D'accord, ce n'était pas une marrante. Il n'y avait pas que lui qui aimait faire la gueule toute la journée visiblement. Il réprimanda son élan de familiarité d'une claque mentale puis pinça sa langue entre ses dents. La curiosité de la lionne l'agaçait. C'était quoi cet interrogatoire ? Possédait-t-elle, elle aussi, l'idée de faire l'exil ? Qu'elle idée saugrenue! Non, attends .. Cela devait avoir un rapport avec son frère le maigrichon.
- Comment t'as fais pour devenir si fort? Tu vois, je connais personne qui te chercherais des noises...
Bien que flatté, l’intéressé eut un regard en biais.
- Qu'est-ce que tu piges pas ? J'suis né comme ça. Sayed gonfla la poitrine dans un élan d'arrogance. Un trait de caractère qui se forgeait progressivement avec la venue du grand départ. - .. Y'en a qui naissent maigre comme des serpents et d'autres balèzes comme moi. Il se reprit tout de suite grattant le cou. - En fait non. Il y'a que moi ! En grandissant, le mouton noir passait du statut de " gros lard " à " impressionnant ". Un changement qui l'enchantait au plus haut point, appréciant à petit pas l'idée d'être différent.

- Maintenant cesse de poser des questions inutiles. lui conseilla le guerrier en fronçant les sourcils. - Tout ça commence à me donner faim. En effet, son estomac râle contre le manque de viandes et d'action.

- Pardon, je vais régler ça. Lui qui commençait à somnoler fut complètement réveillé par son incrédulité face à la docilité de la lionne. Enfin! Une femme, en dehors de sa génitrice, qui voulait bien coopérer. Là où Kaya ou une tout autre femme lui aurait envoyé une coup de patte griffue, celle-ci s'était tout simplement exécutée.

En la voyant disparaître, Sayed retint un gloussement. En l'attendant, le mâle prit ses aises et s'apaisa. En puis non, complètement éveillé, il guetta son arrivée. Quand sa silhouette réapparut dans la pénombre, les oreilles du lion se dressèrent. De ses yeux félins, il tenta de distinguer si elle revenait bredouille ou non. La réponse fut jetée quand elle déposa un reptile aux couleurs du sable et couvert de fines épines à ses pattes. L'animal n'avait pas encore atteint sa taille adulte.
- Voilà, je crois bien que c'est la seule chose qui doit traîner dans les parages à cette heure.
Le guerrier en devenir ne fit pas le difficile. Une proie était une proie quelqu’en soit sa taille.
- Cela me va. Le lion à la crinière naissante s'empara de la proie et l'engloutit en deux coups de dents, sans plus de remerciements.
- Tu fais pas chier, toi. Tu feras une bonne épouse. attesta-t-il comme un professeur devant son élève. Sayed la comparait à Kaya, son antipode au niveau caractère. Du peu qu'il en avait vu, la lionne aux yeux vairons lui aboyait dessus alors qu'elle avait bien voulu lui céder un repas. - Pour un type comme moi en tout cas.
Comme tous les jeunes hommes, Sayed affectionnait les femelles qui possédait du caractère. Mais en matière de nourriture, le combat devait toujours être en sa faveur.
- Eurk! J'ai avalé u-..! Il régurgita la queue du lézard, couverte de piquants.

Une impression gênante et détestable envahit son palet et intérieur de sa gorge. En feu, elle était en feu! Qu'est-ce que cette femelle avait donc chassée ?! L'adolescent fut prit d'une toux sèche et sa voix fut hachée, totalement enrouée.
- Iiiiih... Ça a pas du être super ça... T'inquiètes, si je chasse à nouveau pour toi je penserais à les retirer! Et en plus, elle ricanait, vautour qu'elle était! Sayed tenta de se soigner à grand coups de poings dans sa propre poitrine.
- Putain mais ... !
- ... J'espère que les épines ne t'ont pas fait mal...
Comme d'ordinaire dans ce genre de situation, le mâle explosa de rage :
- Espèce de conne, tu crois que je l'ai recraché pour quoi ?! gueula-t-il, stimulé par la colère. - Putain mais dégage avant que j'te tue, sombre idiote !
Le peu de gaieté de Sayed était mort et enterré avec la queue épineuse du lézard. Par pur réflexe, Le jeune guerrier était déjà prêt à lever la main sur la chasseuse. Les griffes dehors, il envoya férocement sa patte vers elle, puis la seconde, le tout en poussant un rugissement belliqueux qui tira les jeunes et adultes près d'eux hors de leur sommeil. Sayed s'engagea dans une courte course-poursuite avec sa bienfaitrice, déterminé à la corriger par le biais de la morsure. Après ses griffes, se furent ses dents qui foncèrent vers l'encolure de la lionne des sables.

La plupart d'entre eux soufflèrent et lèvent les yeux en s'apercevant qu'il s'agissait, une énième fois, de Sayed qui faisait des siennes. A croire que même le soir, ce petit était invivable.

- Arrêtes s'il-te-plait! J'ai peine à respirer et tu me fais mal!
Dans l'amas de grondements et d'écorchures, Sayed s'acharna sur la lionne. La peau du cou la femelle entre ses dents, il l'agita dans tous cotés jusqu'à perdre prise et arracher une tiffe de poils crème de son encolure. Poils en question qu'il cracha insolemment pour mieux les piétiner.

- C'était l'but, idiote.

Un dernier élan de cruauté : le jangowa profita de la faiblesse de Nyarai pour taillader Nyarai une dernière fois. Le lion laboura le crâne de la lionne des griffes avant de se désintéresser d'elle, satisfait de la punition. La colère maintenant évacuée, le barbare agacé décida d'abandonner le corps de sa sœur de clan dans le sable et retourner auprès de ses pairs. Autrement dit Majya et ses rejetons. Sayed lui fit dos, et l'ensabla avec mépris aidé par ses pattes arrières.

Toutes ces gamineries l'avaient sérieusement épuisé. Lui qui pensait passer une bonne soirée en solitaire, tout avait été gâché par cette cruche qui avait voulu l'empoisonner. Le rouquin jura en nettoyant ses babines de sa langue puis se retira entre les corps allongés de ses congénères.