RED DAWN





| ACTE II |

« BLOODLINE »

Guidée par son instinct maternel, la reine dorée suivait la trace de son fils aîné pour tenter de le retrouver et de comprendre ce qu’il lui cachait. Kuzali était rarement inquiète de la sorte et aussi pressée mais une crainte demeurait toujours dans un coin de sa tête, assombrie par l’ombre des Nyeusis. Bientôt essoufflée, elle s’arrêta à contre cœur pour marquer un temps d’arrêt et en profita pour rassembler ses idées. Toutes ces questions portaient vers le récent voyage de son fils. Où était-il aller, qu’avait-il fait ? Il ne lui en avait jamais soufflé mot. Acceptant un rythme moins poussé, la lionne reprit sa route et se résolut à ne pas porter de conclusion hâtive. Sadaka lui expliquerait tout à l’instant où elle le retrouverait, elle en était persuadée. Ils n’avaient aucun secret.

Apercevant finalement l’ombre du Grand Baobab se dresser, la reine quitta les frontières de son royaume et s’engagea dans la Lande des Sans-Terre. Le chemin lui était connu, elle l’avait mainte fois emprunté en compagnie des rouges du temps où ils vivaient ici en famille. Voilà longtemps qu’elle n’était pas revenue … Bien que pressée de retrouver son fils, la lionne ne put résister à l’appel des souvenirs et s’engouffra vers le nord, là où ses mémoires résonnaient encore. Après une marche qui lui avait semblé hors du temps, Kuzali trouva refuge dans une petite colline. Dans un soupir douloureux, elle se laissa tomber en son cœur et huma l’odeur des lieux. Son cœur se serrait dans un pincement atroce. Avec peine, elle ouvrit délicatement ses paupières et observa la place vide à ses côtés. Cet absence faisait écho à la plaie béante qui n’avait jamais quitté le cœur de la lionne. C’était ici qu’elle avait vu Samekh pour la dernière fois, leur dernière discussion, leur dernier instant. Depuis, le lion n’était plus et ce vide n’avait jamais cessé. Elle soupira longuement, peinée de retrouver cet endroit après tant d’années. Kuzali demeura ainsi quelques instants, savourant la mémoire de son mentor quand une brise légère souleva les feuilles tombées et emporta avec elle la morosité de la lionne qui redressa alors l’encolure pour humer cette fraîcheur. Elle lui semblait si vivante. Un frémissent la surprit quand un vent chaud caressa ses flancs. Elle aurait juré qu’un souffle s'était mêlé au sien. Samekh. Subitement, la fille du Soleil ouvrit grand ses paupières et regarda à ses côtés. Vide. Il n’était pas là. Elle déglutit. Il n’était plus là mais son souvenir l’accompagnait partout où elle allait, en particulier dans cette colline où elle ressentait le bonheur d’être aux côtés du rouge.

Famille. Devoir. Honneur. Les mots demeuraient ainsi que les promesses. Fidèle à sa nature, Kuzali se redressa d’un air décidé et fit ses adieux à son mentor avant de continuer la recherche de son fils. Elle ignorait pourquoi cette soudaine sensation de sentir le rouge plus près d’elle que jamais mais elle était reconnaissante aux Grands Esprits pour ce cadeau. Eux seuls savaient combien il lui manquait. L’odeur du demi-Nyeusis s’était peu à peu estompé et faute d’attardement dans la colline égarée, Kuzali avait perdu sa trace. Elle pesta silencieusement mais loin de se laisser abattre, elle laissa son instinct de mère la guider parmi la Lande.

Ses pas étaient hasardeux et l’enfonçaient toujours plus loin dans la Lande, allant même jusqu’à déstabiliser la lionne dans ses repères mais par chance, elle retrouva enfin des paysages familiers. Elle n’était guère loin de l’ancien campement de la famille des Landes. Un sourire nostalgique étira doucement ses babines. Voilà donc où son instinct avait voulu la guider. Ce n’était pas ce qu’elle avait souhaité mais ces lieux étaient ceux où Sadaka avait grandi, ce temps où il n’y avait eu qu’eux deux. Elle soupira et s’avança parmi les broussailles, se rappelant de chaque détail.

Une odeur étrangère au décor mais présentant des notes connues l’interpella. Qu’était-ce ou plutôt qui ? Certainement pas Sadaka mais la lionne doutait, percevant ses effluves mélangés. Suivant cette piste, la lionne traça cette nouvelle odeur, accélérant le pas au fur et à mesure qu’elle s’approchait, allant même jusqu’à trottiner avec hâte. Elle sauta habilement des roches avant de poser patte à terre, sentant l’odeur plus proche que jamais puis soudainement, elle se retrouva nez à nez avec Taali au détour d’une caverne où l’odeur était enivrante, mêlant celle de la jeune Mositus, de Sadaka et de lionceaux.

« Taali ?! » parvint à articuler la vieille lionne, surprise et perdue à la fois.

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La situation était démesurée, inattendue même tant elle s’opposait aux attentes de la lionne dorée. Les pièces manquantes du puzzle s’annonçaient plus complexes encore qu’elle ne l’eût cru et chaque nouvelle découverte semblait apporter son lot d’interrogation. Les deux lionnes se faisaient face, aussi surprise l’une que l’autre quand un miaulement retentit. L’odorat de la vieille lionne ne l’avait donc pas trompée. Un temps silencieuse, la brunette finit par saluer la reine de Prideland avec une sérénité bien différente que lors de leur première rencontre. Quelque chose avait changé chez Taali et sans doute était-ce en rapport avec ce qu’il se cachait dans la grotte.

Lentement, la surprise de la lionne dorée s’évapora et elle s’assit à son tour, relâchant cette pression ardente qui contractait ses muscles. Taali lui apporterait des réponses, elle en était certaine. Observant silencieusement la féline ombragée, Kuzali repéra les quelques signes d’une portée récente. La Lande avait toujours portée mille et un secret.

« Je suis inquiète, Taali. » répondit finalement la reine, un sourire tari de fatigue étirant ses traits blanchissant tandis qu'elle se livrer aux confidences.

Si son fils n’avait été que bavard à l’égard de son amie, Kuzali avait immédiatement vu cette étrange lueur animant son regard ambré en présence de la lionne. Elle irait vite en besogne d’en conclure que cette idylle naissante qu’elle avait soupçonnée ait aujourd’hui porté ses fruits mais elle souhaitait y croire, voyant par cela une chance d’enfin comprendre l’étrange comportement de son fils aîné.

« Je cherche des réponses à des questions qui ne m’ont que trop pesé. » souffla-t-elle doucement avant de reprendre, coulant vers la lionne son regard ambré : « Une mère n’a de cesse de s’inquiéter pour ses enfants, qu’ils soient petits ou grands. »

Kuzali ne semblait pas seulement fatiguée, elle était éreintée. Le temps l’avait ôté de sa force physique non sans lui laisser grâce de celle de son esprit mais les angoisses à répétition avaient fragilisé la lionne qui n’avait pu empêcher l’ombre de vieux souvenirs parsemée son présent. Pourtant, son regard s’adoucit face à la lionne. Elle était heureuse d’avoir croisé le chemin de Taali qui, enivrée de cette aura de mystère l’environnant, ne serait pas sans l’aider dans sa pénombre et la guiderait.

Plus qu’une reine, elle était avant tout une mère et son aura maternelle luisait inconditionnellement. Sadaka et elle avaient toujours entretenu ce lien si solide et fort qui le rendait si spécial à ses yeux. Il n’était pas seulement son fils mais également le roi de son cœur, celui qui l’avait sorti de mille chagrin un temps où la lionne n’était plus que l’ombre passé d’une figure rayonnante. Voir aujourd’hui une barrière s’étendre entre eux lui était difficilement supportable et malgré son silence et son amour toujours aussi débordant, Kuzali n’était pas aveugle aux secrets de son fils. Elle ne lui en avait jamais touché mot, respectant les frontières de son jardin secret mais aujourd’hui, celui s’était trop étendu pour que la lionne l’ignore.

« On ne trompe pas une vieille lionne, comment vont tes petits ? »

La voix de la reine était douce et accueillante, sensible à ce si beau cadeau de la vie. Taali semblait bien se porter et c’était là une bonne chose, une mère devait être forte pour ses petits. Pourtant, une énième question s’éveillait dans son esprit. Qui était le père ?

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A la question de la reine, la jeune lionne se mit à rire doucement, son regard bleuté pétillant de cette lueur que Kuzali avait autrefois connu. Ses louanges amusèrent l’aînée qui plissait son regard ambré avec malice, sensible aux élocutions solaires. Le Soleil n’avait jamais de cesse de briller… Oui, Taali disait vrai et pourtant, l’ombre des inquiétudes pouvaient pâlir ces preux rayons. Semblant entendre ce sourd appel, de légers miaulements s’annoncèrent en cadence. Prise de son instinct maternel, la reine dorée ne put que sourire tendrement à l’écoute de ces chants n’aspirant qu’à la vie. Le regard des deux lionnes se croisa et elles se contemplèrent, se rejoignant dans l’amour qu’était celui d’une mère.

Un à un, sous le regard bienveillant de la lionne brune, les lionceaux s’éclipsèrent de leur grotte et rejoignirent le Soleil bénin. Deux petits, au pelage en tout point identique à celui de leur mère, se révélèrent les premiers tandis qu’ils titubaient péniblement vers les mamelles de la lionne. Kuzali assistait à cette douce scène, un sourire tendre au coin des babines quand s’annonça le reste de la portée, mua alors le visage de la reine en une véritable mine de surprise. La petite lionne qui s’avançait été parée d’un pelage de suie semblable à la nuit, ses faibles battements de cils dévoilant un regard plus doux que la nuit. Une étrange vague de chaleur gonfla la poitrine de la lionne. Sadaka était leur père, cela ne faisait plus aucun doute. Le sourire de la lionne n’en fut que plus élargi, se déposant sur les lionceaux avec une grâce et une tendresse infime mais une dernière surprise l’attendait, celle de la découverte du dernier lionceau, une femelle également qui portait l’héritage du Soleil. Soulagée de tous ses maux et terriblement émue, la lionne dorée se mit à rire comme longtemps on ne l’avait entendu. Son éclat était frais, revigorant, presque euphorique mais terriblement réjoui. Elle était grand-mère.

Sujette à l’émotion, Kuzali se plaisait à contempler silencieusement ce beau tableau peint. Ils étaient quatre, quatre merveilleux lionceaux qui ne demandaient qu’à grandir, à s’épanouir et à plonger goulûment dans le Cycle de la vie. Il n’y avait pour une mère plus grande fierté que celle de voir ses enfants grandir à leur tour et devenir parents. C’était son legs.

« Ils sont merveilleux. Je me réjouis tant de leur venue… Toutes mes félicitations, Taali. »

Quittant à regret les petites boules de poils qu’elle aimait déjà tendrement et si fort, la reine dorée congratulait la jeune mère sous l’égayement d’un regard ô combien ravi et porteur de mille grâces. Eclairée des rayons dorés de l’astre sacré, la lionne brûlait d’une splendeur ardente tant se sentait apaisée et comblée. Pourtant, par-delà la joie de cette nouvelle surprenante et délicieuse, des questions demeuraient. Son puzzle peinait à se clore et des pièces demeuraient secrètes. Ces quatre lionceaux, pourquoi ne les découvrait-elle que maintenant ? La peine l’infligea alors lourdement et l’on pouvait lire son regret. Haïssait-il Prideland au point de ne vouloir y porter ses enfants où ils profiteraient de toute l’allégresse d’un clan si riche et d’une grande famille ? Que retenait Sadaka ? Elle ne voulait croire que son fils refuse délibérément de la priver de cette joie. Finalement, Kuzali soupira et balayement lentement son cou.

« Je craignais qu’il ne soit mêlé à de mauvais chemins, il partait si souvent pour ne revenir que quelques jours plus tard, quand bien même son si long périple vient-il de se clore… Les idées ont dû me monter à la tête, je me faisais un sang d’encre. »

Son regard endurci s’affaissa lentement à la vue des petits et elle sourit d’une vague tendresse avant que sa peine ne fasse de nouveau surface.

« Pourquoi ne m’a-t-il rien dit ? »

Eux qui n’avaient aucun secret l’un pour l’autre, quel était ce mur qui sûrement s’était hissé entre eux ? Elle peinant à en voir le bout autant qu’elle en ignorait ses bases. Nostalgique d’un temps passé, Kuzali portait son regard ambré vers la plus forte de la portée, cette petite lionne au pelage de suie qui ressemblait tant à son père à ce même âge. Voilà longtemps que Sadaka n’était plus son petit bébé et qu’il n’avait plus besoin de sa protection, c’était lui aujourd’hui qui enveloppait sa mère de son ombre protectrice et qui la préservait de ses vieux démons, du moins le pensait-il. Kuzali ne cesserait jamais de voir son fils comme son précieux joyau, celui qu’elle devait protéger contre vents et marées et hisser en dépit l’avis de tous. Elle ne cesserait jamais de l’aimer et le protéger contre chaque menace qu’elle envisageait et aujourd’hui, son silence la glaçait. Pourquoi n’avoir rien dit… elle n’en saisissait pas la portée et espérait de tout cœur que Taali apaise ses doutes. Elle était la seule à pouvoir lui apporter des réponses.

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Avec une tendresse enivrante, la jeune mère saisit un premier lionceau, celle au pelage rayonnant, pour la déposer entre les pattes de la reine. Elle la présenta comme la première née, celle réunissant avec brio l’héritage de ses deux grand-mères mais également la plus téméraire de la portée. Kuzali sourit fièrement à cette annonce. Elle était belle, si belle… La lionne dorée sourit tendrement, avançant son museau jusqu’à la petite lionne qu’elle couvrit d’un baiser porteur de grandes promesses et d’un amour déjà si fort. Si elle ne s’y méprenait pas, son nom signifiait héritage. Quelle belle signification.

Alors qu’elle se réjouissait de cette rencontre, Taali lui fit grâce du second né, le seul mâle de la fratrie. Son pelage était en tout point similaire à celui de sa mère mais déjà, la reine pouvait reconnaître l’édifice de son propre fils. Un petit Sadaka… Elle rit chaleureusement, accueillant le lionceau en son sein et lui offrant à son tour une lèche de bienvenue. Raskà, le protecteur. Sa mère disait vrai, le petit lion était bien remuant malgré son âge mais cela ne faisait qu’accentuer son charme. Pourtant, y avait-il seulement besoin pour eux de parader tant la reine semblait prompt à leur offrir un amour débordant et inconditionnel ? Kuzali se réjouissait de sentir contre elle les fruits de l’amour de son fils. Ses petits-enfants… Oh, elle les aimait déjà tant. Quittant avec regret les merveilles de leur visage, la reine adressa un sourire bienheureux à la jeune lionne. Si elle pouvait lire la joie dans le regard doré de la fille du Soleil, Taali ignorait pourtant combien cette nouvelle réjouissait la vieille lionne et lui apportait du baume au cœur. Kuzali se sentait comme sur un petit nuage, coupée du temps et de sa réalité.

La portée était nombreuse et très vite, une troisième tête arriva entre les pattes de la lionne. La deuxième fille. La poitrine de la lionne se bomba sous les coups de son cœur vivifié. Cette petite merveille ressemblait tant à son père… Le temps d’un instant, Kuzali en oublia même Taali et ses autres enfants, son regard ne semblant voir que cette petite lionne du nom de Chayà qui la fixait également de son regard bleuté. De vieux souvenirs remontaient en elle et le décor changeant, elle se retrouvait sur la Lande avec son petit Sadaka entre ses pattes. Les miaulements enjoués des petits êtres la rappelèrent et la reine pressa tendrement sa tempe contre celle de cette ombre bienfaitrice.

Finalement, Taali lui présenta la dernière-née répondant au nom de Sahàsi et dont le pelage se mêlé parfaitement à celui de son frère. La petite courageuse était bénie du regard de son père. Kuzali soupira d’allégresse et déposa une lèche sur son front. Ils étaient tous là, entre ses pattes et l’attitude décontractée de leur mère les laissait en confiance si bien qu’ils ne montraient aucune crainte à être en présence de cette inconnue qui déjà les couvait d’un amour sans pareil. Sensible à ce charme, Kuzali ramena doucement ses pattes contre sa poitrine et pressa les petits lions contre elle, les câlinant avec tendresse. Être grand-mère était pour elle le plus beau des cadeaux.

« Aithya, Raskà, Chayà et Sahàsi… Mes petits trésors. » souffla-t-elle manifestement émue mais terriblement heureuse.

Déposant son regard doré sur la jeune mère, Kuzali lui sourit comme elle souriait à ses filles. La voix douce, elle lui dit :

« J’aimerais te confier quelque chose. Les noms ont toujours une signification et pour beaucoup, ils décrivent l’âme d’un lion. Si sur cette terre Sadaka signifie sacrifice, dans mon royaume natal il signifie le don, le cadeau. » Elle marqua une légère pause, répondant à l’appel d’un lionceau par une tendre lèche suivit d’un doux sourire. Eux aussi l’entendaient. « Sadaka a tendance à s’empourprer de son double sang et pour cela, il a besoin de personnes aimantes qui l’entourent et le rassurent. Longtemps, j’ai été la seule à lui porter cette allégresse mais aujourd’hui, grâce à vous cinq, j’ai la conviction qu’il ne sera jamais seul car là où je ne pourrais le suivre, vous serez à ses côtés. Merci de l’aimer. »

Plus qu’une bénédiction, Kuzali déléguait son éternelle mission de protection à Taali et ses enfants. Cette tâche pouvait être lourde comme périlleuse mais avant de s’engager dans son dernier chemin, la reine dorée devait avoir la certitude que son fils ne pâlirait pas de son absence et que quelqu’un d’autre lui ferait voir la lumière. Elle en avait aujourd’hui la certitude, le regard de Taali ne mentait pas. Elle l’aimait d’un amour pur et sincère et c’était là une véritable récompense pour la lionne dorée.

« Penses-tu que je pourrais revenir vous rendre visite ? J’aimerai passer du temps avec mes petits-enfants mais également avec toi Taali, tu fais partie de la famille maintenant et la famille, c’est la clef de tous les bonheurs. Je ne saurais me passer de ces quatre merveilles. »

Se mêlant à l’une de ses sœurs, le plus dynamique des lionceaux se tortillait entre ses pattes, arrachant un léger rire à la lionne dorée. Oh oui, ils étaient magnifiques. Amusée, elle pressa son museau contre celui de Raskà avant de lécher la joue de Sahàsi. Si tout lionceau trouvait sa place dans le cœur de la fille du Soleil, ces quatre-là battaient inévitablement tous les records. Mais alors qu’elle se réjouissait d’être en leur présence, un énième doute asservi la lionne. Ateyo. C’était lui qui l’avait mis sur la voie. Pourtant, ce secret n’était-il pas le mieux garder de toute la Terre des Lions ? Tentant au mieux de dissimuler son trouble, elle interrogea la jeune mère :

« Sadaka a t’il déjà parlé d’un lion du nom d’Ateyo ? »

Passant sous silence les raisons de cette question, Kuzali n’en pensait pas moins. Il lui semblait bien étrange qu’un lion bien que gardien mais totalement étranger à cette famille soit au courant de ce secret. Si une grande partie du puzzle s’était complétée, il n’en demeurait pas moins incomplet. Quelle était cette dernière pièce manquante ?

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L’aval de la jeune mère fut des plus précieux. Des petits-enfants, une belle-fille… la famille s’était si soudainement agrandie et c’en était délicieux. La reine couvée la lionne d’un regard doux et chaleureux. Elle était comblée que son fils ait pu s’entourer d’une telle lionne, une qui l’aimerait et lui apporterait un soutien inconditionnel. Elle le savait entre de bonnes pattes. Mais derrière ce tableau peint de beaux sentiments, demeurait l’ombre du silence.

Taali semblait quelque peu surprise de la question de la lionne dorée. On ne pouvait pas la blâmer. Optant d’abord pour une réponse banale, la brune laissa flotter un temps de réflexion avant de reprendre, délivrant alors les réelles informations dont se souciait la reine et ce qu’elle apprit l’horrifia. Soucieuse de ne pas montrer son alerte, elle ne put néanmoins voiler cette lueur d’inquiétude dans son regard. Ateyo n’était pas un lion de confiance de son fils alors comment avait-il su pour la Lande ? Kuzali ignorait qu’il s’agissait en vérité d’un malentendu dissimulant un mal encore plus grand mais quand bien même, supposition et réalité se rejoignaient en ce que la reine comprenait que quelque chose ne tournait pas rond. Quoi qu’Ateyo ait pu savoir, cela n’avait rien de bon. Kuzali ne s’était jamais interrogé sur les motivations du Gardien, celui même qui lui avait ramené ses trois enfants sains et saufs mais son instinct maternel lui criait aux gardes. Elle n’oubliait pas ce rictus sournois qui avait marqué les paroles du lion.

« Je vois. » répondit-elle, masquant ses réflexions en basculant son regard vers les quatre boules de poils.

Toutes ses inquiétudes étaient revenues et plus grandes encore. Maintenant qu’elle avait percé le secret de la Lande, ou plutôt l’un d’eux, Kuzali ne songeait plus seulement aux dangers qui pouvaient menacer son fils mais aussi à ceux qui planaient au-dessus de ces cinq-là. La menace était toujours présente, elle devait agir.

Couvant une dernière fois ses petits-enfants d’un regard aimant et plus déterminé que jamais à les protéger, Kuzali déposa une lèche sur le front de chacun, s’attardant quelques instants dans le regard bleuté de la petite Chayà. La fille du Soleil n’avait qu’une parole, elle voulait voir ces petits lions grandir, s’épanouir, les aimer chaque jour et chaque instant et découvrir également cette lionne qui avait su capturer le cœur de Sadaka. Elle le voulait foncièrement mais pour soulager son cœur en proie à toutes ces peurs, elle devait faire une dernière chose. Ateyo cachait assurément quelque chose et la reine en venait à douter de lui. Et si toute cette histoire était encore plus grande, pourquoi Ateyo en aurait-il après Sadaka ? C’était ce lion qui l’avait guidé sur la Lande et il lui apparaissait désormais dangereux.

La lionne dorée déposa contre front contre celui de la petite noiraude et pressa doucement, l’étreignant une dernière fois. Ramenant ses pattes derrière elle, la féline se redressa avec une attention toute particulière pour ne brusquer les petits. Elle leur sourit puis soupira, époussetant vivement son pelage.

« Je pense savoir où trouver cette dernière réponse qui taira définitivement mes inquiétudes. »

Son regard coula des petits à leur mère puis elle observa Taali quelques instants, gravant son image dans sa mémoire. Elle se souviendrait assurément de ce jour où elle avait rencontré ses petits-enfants et retrouvé Taali. Cette naissance appelait à une nouvelle ère et les grands de demain s’élevaient aujourd’hui. Une de ses grandes inquiétudes de mère était aujourd’hui comblée, son fils avait fondé sa propre famille mais l’instinct maternelle ne mourait jamais. Peu importe l’âge, une mère ne cesserait jamais de s’inquiéter pour son enfant et tous ces doutes amenaient la lionne à se dresser une dernière fois, déterminée à éradiquer ce mal.

« Je m’excuse de voir partir si vite, sincèrement, mais il y a quelque chose que je dois faire. »

C’était Ateyo qui l’avait guidé dans la Lande. Il savait. Quoi au juste, la lionne l’ignorait mais ce dont elle avait la conviction, c’était qu’elle devait le retrouver. Tout n’avait pas été dit.

Kuzali s’avança vers la jeune mère et glissa son encolure contre la sienne, l’enlaçant comme l’une de ses filles. L’effluve de Sadaka se mêlait à celle de la lionne et Kuzali en ronronnait presque. Elle n’avait réussi à trouver son fils aujourd’hui mais elle avait trouvé quelque chose de bien plus précieux : son cœur et son sang.

« Prenez soin de vous. » murmura-t-elle doucement avant d’ajouter : « Et de lui. »

Elle pressa sa tempe une dernière fois et se tourna vers Aithya, Raskà, Chayà et Sahàsi. Le temps viendrait où elle pourrait leur conter les légendes de sa terre natale, ses propres aventures et celle de ceux qu’elle a connu dont la jeunesse de leur père, simplement se délecter de découvrir cette nouvelle famille, les voir grandir, apporter son aide à Taali qu’il lui tardait de connaître, franchir un dernier cap sonnant l’aboutissement de son ère. Elle souffla un baiser aux petits, leur murmurant :

« Je reviendrai. »

Mais il n’y aurait pas de lendemain. Elle ignorait que c’était la première et dernière fois qu’elle les voyait.

Adressant un dernier et éblouissant sourire à la brune, la lionne dorée s’en alla, repartant par ce chemin dont elle était venue. Ces derniers instants auprès de sa famille, Kuzali les avait innondé de bonheur et avait ancré chaque détail de leur visage dans sa mémoire. Elle était prête à se battre une dernière fois pour eux.

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