Ajjin était revenu il y a quelques jours sur sa terre natale – la moindre des choses c’est qu’on pouvait dire que ça faisait un bien fou de rentrer chez soi. Bien qu’il ne regrettait pas une seule seconde passée sur Prideland, sa famille lui avait terriblement manqué. Mais voilà, il était maintenant partagé dans sa vision des choses : voyager était quelque chose d’extraordinaire mais il savait aussi qu’il ne pourrait jamais se passer de cette proximité avec les siens. Cruel dilemme maintenant.

De plus il avait repris ses petites escapades – jugeant s’être laissé un peu aller, courir à travers la jungle était une nécessité pour retrouver toute les sensations d’avant. Il avait pensé à tort en fait – il croyait avoir perdu tous ses réflexes mais s’étaient conservés, peut-être même accru. Sa musculature encore grandissante devait y être pour quelque chose. Il s’arrêta dans sa course pour reprendre sa respiration bien qu’il ne soit pas particulièrement épuisé.

Quelque chose avait attiré son regard – c’était une petite plante carnivore. Un bébé plante comme il avait continué à l’appeler. Un doux sourire se dessina sur ses babines tandis qu’il se pencha pour l’observer plus attentivement. Mais un craquement de branche le sorti de ses pensées et il se tourna brusquement vers l’intrus, sourcils froncés.

« Salut Ajjin, ça fait un moment que nous nous étions pas vu. »
« Uhta ! »

Plus aucun trace d’hostilité ne peignait le visage d’Ajjin. Faut dire qu’il était devenu méfiant depuis sa dernière véritable escapade dans la jungle. Tout avait changé mais tout était resté pareil en même temps. Il accueillit donc le mâle avec un large sourire bienveillant. Que ça lui faisait plaisir de le revoir.

« Tu as bien grandi depuis la dernière fois. »

Un petit rire secoua Ajjin – il enchaîna rapidement :

« Tu trouves ? Je ne m’en rend jamais compte, en dehors de ma crinière je n’ai pas grand-chose qui me le prouve ! »

Uhta par contre… Il n’avait pas changé d’un poil et c’était bizarre de se dire qu’une partie de sa vie le corps ne faisait que changer et que brusquement il s’arrêtait. Enfin, ce n’était véritablement la réalité – le vieillissement du corps survenait ensuite mais au goût d’Ajjin, cela était moins visible que tout le reste.

« Je suis content de te revoir, comment te portes-tu depuis ? On dit qu’il ne s’est pas passé grand-chose pendant notre absence… Toi qui est au courant de tout, nous n’avons vraiment rien raté ? »

Non pas qu’il en soit réellement déçu mais… La jungle était coupé de tout le reste du monde dans un sens. Ça rendait l’endroit un peu triste si rien ne s’y passait.

« Pourtant, tu serais étonnés du changement opérés durant ton voyage. »

Un petit rire secoua les épaules d’Ajjin. Sa carrure se faisait peut-être plus imposant mais le regard des autres en disaient toujours plus long. Il persistait à croire que les changements n’étaient pas aussi important que ça même si il le souhaitait. Ce voyage et toute ces connaissances qu’il avait fait, ça avait renforcé une certaine envie de devenir quelqu’un de fort. Comme les gardiens de Prideland !

«  Hé bien, il y eut peu de changements chez les Mositus, à l'exception de Siri qui commence à se faire vieux. Sinon, je ne peux réellement te donner d'informations supplémentaires. »

Peu de changements ? Une petite moue boudeuse traversa Ajjin – dans un sens il était déçu. Il aurait espéré pouvoir en entendre autant qu’il en avait à raconter. Mais il tiqua rapidement sur d’autres mots qu’Uhta avait prononcé. Siri commençait à se faire vieux ? Oui… Mais ça ne voulait rien dire !

« Je suis sûr que Monsieur Siri a encore de belles années devant lui ! »

Ajjin avait beau avoir bien grandi et mûri, il y a de choses qu’il ne pouvait pas encore accepter ou du moins auxquelles il refusait de croire pour le moment. La mort en faisant partie. Il ne l’avait encore jamais subi. C’était trop tôt. C’était toujours trop tôt de toute façon.

« Sinon Ajjin, comment s'est passé ton voyage ? Il t'a été bénéfique ? Tu as fait de bonnes rencontres ? »

Si un voile de tristesse s’était abattu sur le jeune Mositu, il pouvait être maintenant certain que ce voile avait entièrement disparu, remplacé par un large sourire, dévoilant ses crocs.

« J’ai fais de très bonnes rencontres Uhta ! C’est tellement grand là bas, tu peux pas imaginer. C’est beau aussi, c’est ouvert et l’herbe y ait jaune. Jaune, tu te rends compte ? Oh et aussi, j’ai revu mon amie d’enfance ! J’en ai appris une belle sur elle – Ajjin ne cessait de rire – elle fait partie de cette grande famille royale de Prideland. J’ai rencontré sa sœur très gentille aussi. Oh et j’ai appris beaucoup de choses sur eux. Ils ont plein de truc que nous on a pas ici. Mais je n’envie pas leur système de royauté... »

Il avait toujours trouvé cette tradition trop… Eh bien… Royaliste ? Non, vraiment c’était beaucoup trop conservateur et ne reflétait pas vraiment les valeurs que de choix que prônaient les Mositus.

« Ils ont des gardiens ! De grands guerriers qui protègent le royaume tout entier et certains viennent d’autres terres. C’est génial ! »

D’ailleurs ! Ca lui faisait penser à quelque chose soudainement et il osa poser la question à Uhta :

« Dis Uhta ? T’as vécu cette période sur la Lande toi… Vous y étiez avec les Pridelanders, non ? Pourquoi on a pas un gardien qui représente les Mositus, nous aussi ? »

«  Hm... Peut-être parce que nous sommes nous-même des gardiens de la jungle ? Nous protégeons et garantissons un équilibre certain au sein de cette forêt. »

Il continua sur sa lancée en expliquant que l’on se devait de protéger les générations à venir. Son explication n’arriva pas à convaincre entièrement le Mositu, parce qu’au fond, le rôle des gardiens au sein de Prideland était le même – issus de différents clan afin de garantir la sécurité de ces derniers. Ils représentaient l’alliance aussi.

«  Je n'en ai pas l'air, mais je défendrai le clan jusqu'à la mort, je vous protégerai, comme j'ai pu le faire par le passé avec toi. »

Un petit rire secoua le mâle et il ne put que reconnaître les paroles d’Uhta à sa juste valeur. Bien évidemment, il se souvenait qu’il devait la vie à Uhta. Cette cicatrice qu’il portait à l’œil était un rappel constant aussi. Culpabilité éternelle, mais symbole d’une reconnaissance sans limite d’Ajjin pour Uhta.

« Je sais que nous avons pour mission de protéger cette jungle et crois moi je la prend très à cœur. C’est juste que... »

Ajjin cherchait ses mots, affichant une mine perplexe, ne sachant pas bien comment formuler ses craintes. Il tenta de s’expliquer du mieux qu’il pût bien que ce fut sans doute assez brouillon :

« Les gardiens, là bas, c’est aussi la cohésion des royaumes. Donc ça veut dire qu’en dehors de cette jungle, nous n’avons aucun alliés. »

Que des ennemis en somme et cette perspective n’était pas pour rassurer l’adolescent. La sécurité avait été un grand souci lors de leur voyage, mais ils avaient eût la chance que les Pridelanders soient assez hospitaliés. Il se souvenait des paroles de Dhalahi lui implorant de ne jamais mettre les pattes sur Outland.

« Tu sais… J’adore cet endroit, vraiment ! C’est chez moi, je m’y sens bien et je ne suis pas près de la quitter de nouveau. »

Il acheva cette phrase dans un rire franc. Oh oui, que la jungle lui avait manqué – elle et tous ses arbres, ses oiseaux, ces chants, ces couleurs. Il afficha cependant une mine un peu déçue avant de demander :

« Mais tu crois que nous sommes condamnés à rester tout seul ? »

C’était peut-être mieux comme ça en fait. Ne pas sortir de la jungle, rester seuls, ne chercher d’ennuis à personne. C’était peut-être le seul moyen de rester en sécurité, de ne pas se précipiter vers une mort prématurée. Il avait entendus tant de belles choses sur les terres voisines à la jungle. Mais aussi de biens sombres. Apprendre tout du monde extérieur c’est apprendre aussi les derniers dangers et Outland… Dhalahi avait raison. Rien n’allait plus là bas.

L’histoire, Ajjin la connaissait. Ses grands parents lui en avait parlé, ses parents eux même l’avait évoquée – pour un Mositus, le conflit avec les Jangowas et ce qui a résulté de la décision de Kwadja n’a jamais été ignoré. C’était leur Histoire, celle qui coulait dans leur veines malgré tout. Mais ça voulait bien dire ce que ça voulait dire. Ils étaient seuls et ça resterait ainsi. Le jeune mâle poussa un soupir, peu enclin à accepter cette réponse pour le moment mais il semblait que c’était pour leur propre survie, alors que pouvait-on ajouter de plus ? Il n’avait pas le luxe de râler à ce propos. Il répondit à contrecœur :

« Je suppose que c’est un mal pour un bien. »

La survie était primordiale pour eux, ils avaient été peu nombreux à suivre Siri et trop à mourir pour récupérer l’Oasis des griffes des Jangowas. Ajjin saurait se faire une raison et comprendre que la Jungle était tout ce qu’ils avaient, peu importe les sacrifices à faire, c’était elle qui les maintenait en vie. C’était on ne peut plus vrai quand on avait connaissance de tous les problèmes qui se passaient à l’extérieur de cet endroit :

« Tu sais ce qu’il y a d’étonnant ? C’est qu’ici, c’est comme si nous étions coupés du reste du monde. Ils ont de beaux paysages, des animaux tous plus curieux les uns que les autres mais ils ont aussi les conflits. »

Le Mositu avait entendu parler par le biais de son amie d’enfance et même des autres lions rencontrés sur place, que rien n’était réellement au beau fixe dans les autres clans. De plus, il se souvenait très bien des mises en gardes de Dhalahi sur le territoire d’Outland. Encore une raison pour lui de se sentir mieux dans la Jungle que n’importe où ailleurs. Enfin presque… Il n’avait pas oublié cet épisode où le léopard lui avait mené la vie dure et puis la cicatrice d’Uhta était toujours là pour le lui rappeler. Soupirant il ajouta :

« Je crois que je n’ai qu’un seul regret… »

Il hésita à le formuler, l’envie de passer pour un idiot n’était pas réellement désirée et puis au final il se dit que devant Uhta il pouvait se le permettre. De plus, il pourrait peut-être le rassurer ou être de bon conseil, c’était un adulte qui avait vécu pas mal de choses.

« C’est de ne pas savoir me battre correctement. »

Voilà. Orgueil de mâle ou fierté personnelle, appelez ça comme vous voulez mais l’idée de ne pas pouvoir se défendre si jamais un pépin venait à arriver était assez flippante et peu rassurante quant à l’avenir. Et ce n’était pas auprès des Mositus que l’art du combat peut s’apprendre. Loin de là.

N’ayant pas vécu tout ce qui était en relation avec le Grand Carnage, Ajjin ne comprenait pas cette réticence que pouvait avoir Uhta pour l’exploration des autres royaumes. Rien ne parlait de partir de manière définitive, juste de voir le reste du monde de ses propres yeux. Cependant, voir Prideland avait probablement suffit à Ajjin pour toute une vie. Enfin c’était exagéré, il retournerait voir Ahva de temps en temps mais pour le moment il se complaisait dans la jungle.

Docilement, Ajjin suivit Utha jusqu’à la clairière, continuant d’écouter attentivement les paroles de son aîné.

« Pour tout te dire, je ne suis pas un grand guerrier non plus. Je n'éprouve pas forcément ce besoin de me munir d'une telle chose pour vivre. Pourtant, j'y ai par-moment réfléchi. Que se passerait-il si nous étions un jour attaqué ? Devrions-nous fuir à nouveau ? Il est difficile de répondre, car nous avons tous peur de combattre. Je ne pense pas être le lion le mieux placé pour pouvoir te guider. Tu devrais sûrement en parler à Vukia qui est bien plus fine que moi sur le sujet. »

Les questions que se posaient Utha étaient légitimes et à vrai dire, les mêmes interrogations ne cessaient de tournoyer dans la tête d’Ajjin. Mais il décida de se concentrer davantage sur les dernières paroles d’Utha qui sonnaient comme un précieux conseil que le jeune Mositu n’était pas prêt de laisser filer.

Mais peu sûr de lui comme ça son habitude, Ajjin se demandait si Vukia accepterait le temps d’une journée d’évaluer ne serait-ce que les capacités du mâle. Vérifier véritablement s’il était bon à rien ou non. Pour ce qui est d’un entraînement régulier, eh bien il aviserait en fonction, s’il s’en trouvait le courage.

Il afficha cependant un sourire franc en inclinant le tête vers Utha pour le remercier d’avoir pris le temps de l’éclairer et de l’aiguiller vers un chemin qui semblait un peu moins sombre pour le moment. Ajjin suivrait les indications de son aîné.

«  Merci Utha. Je vais essayer de voir si Vukia n’est pas trop occupée dans ce cas. »

Il lui adressa un dernier sourire avant de s’en aller en espérant de tout son coeur que la chef des guerriers accepterait de le former.