Kunga pestait silencieusement, ou du moins le pensait-il, alors que ce dernier se dirigeait vers la clairière en traînant les pattes. Dans sa tête défilait le souvenir de ce lion dont il avait bien sûr déjà oublié le nom, qui lui demandait de filer voir Uhta parce que ce dernier ne semblait pas dans son assiette. Qu’est ce qu’il en avait à faire sérieusement ? De plus, c’est qu’il était terriblement occupé à cet instant, complimentant une charmante demoiselle qui aurait très bien pu atterrir dans ses filets sans cette interruption.

En définitive, le compagnon de sa sœur avait grand intérêt à avoir un très bon prétexte pour s’être montré si maladroit aujourd’hui. Il lui ferait payer sans aucun doute et n’hésiterai pas à se moquer ouvertement de son étourderie. Se prendre un arbre, sérieusement. Levant les yeux au ciel, agacé, le Mositu ne tarda pas à atteindre la clairière. Balayant rapidement l’endroit du regard, il trouva le concerné étendu comme une larve sur un rocher. Pas franchement emballé, il se dirigea quand même vers lui et railla moqueur :

« Bah alors grand-père, paraît que tu deviens aveugle ! Un arbre pourtant, ça devrait pas trop se louper, même pour toi. »

Un sourire mesquin s’était à présent figé sur ses babines. Il le toisa du regard, le jugeant presque. Qu’est ce qu’il avait à rester planter là avec ce sourire de grand benêt ? Légèrement agacé, le lion ne comprendrait définitivement jamais ce qu’Amka pouvait bien lui trouver. Plus méprisant que jamais, Kunga continua :

« J’vois vraiment pas pourquoi les autres s’inquiètent pour toi. Qu’est ce que t’as à sourire comme ça ? C’est que tu deviendrai peut-être véritablement sénile. A ton âge c’est terriblement triste tiens. »

Le jeune lion, qui s’était assis entre temps pour faire face à cette chiffe-molle, se releva bien rapidement, définitivement contrarié. Il recula d’un pas et entama son demi-tour, bien décidé à aller voir si la jungle était plus verte ailleurs :

« Et dire qu’on m’a dérangé pour toi… »

Si Kunga était décidé à retourner vaquer à ses occupations, ce n’était pas le cas d’Uhta. Voilà que maintenant il s’interposait devant lui. Fronçant les sourcils, Kunga s’empressa d’ouvrir la bouche pour lui asséner une dernière réplique cinglante mais il fut rapidement coupé par l’intervention de l’autre mâle :

« Kunga, calmes-toi et écoutes moi. Je dois te parler d'une chose très importante... »

Voilà qu’il recommençait. Kunga poussa un long soupir d’exaspération avant de singer Uhta de manière totalement ridicule, juste pour se moquer de lui et montrer qu’il n’en avait vraiment rien à faire :

« Kunga fais-ci, Kunga fais ça… Kunga, toujours Kunga. Laisse moi tranquille, t’es pas mon père ! »

Grondant, le jeune adulte tenta de contourner Uhta, sans écouter ce qu’il avait à dire. Que ça le concernait, la belle affaire ! Évidemment ça le concernait toujours, il y avait toujours quelque chose à redire sur lui. Apparemment aujourd’hui ne faisait pas exception et alors qu’il continuait à avancer, la suite le frappa :

« Siri ... Siri est ton ... père... »

Le lion brun se figea et se retourna. Bon… Il se faisait vieux c’est vrai, mais Uhta était pas aussi fou que ça pour sortir des idioties pareilles. Aussi Kunga l’observa avant de répondre. C’était qu’il avait l’air sérieux ! Un sourire se dessina sur les babines de Kunga et il éclata de rire.

« Tu perds la tête mon pauvre Uhta. Siri, mon père, c’est la meilleure celle là ! »

En réalité ce n’était pas si drôle que ça mais honnêtement, qui pourrait croire à quelque chose d’aussi stupide et sorti de nul part. Il s’avança un peu plus vers le lion et ajouta :

« Tu sais, je crois sérieusement que tu devrais aller dormir. Prendre de l’âge ça a vraiment pas l’air de trop te réussir. »

Il tourna les talons et s’apprêta à repartir avant de finalement se raviser, se retourner et lancer, d’un air provoquant :

« La prochaine fois, garde tes blagues de mauvais goût pour toi. Est-ce que je dois dire à Siri que tu racontes des bêtises de ce genre ? »

« Kunga... Ne t'es-tu jamais demandé pourquoi Siri nous accordait certain privilège ou une importance plus grande par-rapport aux autres ? Je pense que tu es loin d'être stupide pour ne pas l'avoir remarqué. »

Venait-il d’hausser le ton avec lui comme un paternel le ferait ? Il n’en avait aucun droit et lui avait rappelé il n’y a pas cinq minutes. Fortement agacé, c’est même l’énervement qui gagnait maintenant le Mositu, tandis que sa queue fouettait l’air à toute vitesse, trahissant son mécontentement grandissant.

De plus, il avait tiqué sur plusieurs mots tels que « privilèges » & « stupide ». Privilèges il en avait conscience et jouer de cet avantage ne le mettait pas mal à l’aise, mais il se sentait profondément insulter par l’adjectif qu’avait utilisé Uhta. Maintenant il devait se remettre en question ? Un grondement sourd commençait à monter dans sa gorge et les crocs ne tarderaient pas à sortir si le plus vieux des deux continuait comme ça :

« Est-ce une insulte ? Bénéficier des privilèges de Siri ne prouve rien du tout ! T’es juste jaloux de pas pouvoir avoir les mêmes avantages que moi. Arrête de chercher à me faire avaler tes couleuvres. »

Voilà que Kunga crachait presque ses mots. La patience n’était clairement pas son fort et pourtant il ne comprenait pas pourquoi le compagnon de sa sœur s’acharnait autant à lui faire croire que Siri était son père. Et puis même si c’était la vérité, pourquoi fallait-il que ça sorte de la bouche d’Uhta et non pas de celle du principal concerné ?

« Tu devras obligatoirement me croire, que tu le veuilles ou non. Seule la vérité est compliquée à admettre. Tu n'as plus l'âge de nier certaines faits que l'on t'annonce sur le tas. »

« Tss. »

Haussant un sourcil, le jeune mâle se retenait clairement de lui en mettre une. Voilà qu’il continuait, à se croire plus grand qu’il n’était. Il n’avait aucun ordre à recevoir de lui, jamais. Obligatoirement, sérieusement ? Comme s’il n’avait que ça à faire, lui obéir et croire gentiment à ce qu’il racontait.

« Maintenant tu me traites carrément d’enfant ? Puisque la vérité est si claire pour toi Uhta, pourquoi c’est pas Siri qui vient me dire lui même qui il est ? Pourquoi c’est toi qui vient me convaincre de quelque chose qui semble totalement ridicule ? »

Kunga ne riait plus, il n’en avait plus envie. Il s’approcha de son aîné et bien qu’il soit légèrement plus petit que lui, il n’hésita pas à se mettre à seulement quelques centimètres de son visage, un air mauvais qui déformait le sien :

« T’as aucune preuve de ce que tu avances. Tu entends ? Aucune. Mais puisque tu as l’air d’avoir réponse à tout, je t’en prie ! »

« En effet Kunga, ça peut paraitre bizarre, mais il n'y a aucune blague. T'aurai-je déjà menti sur une quelconque chose ? Ne soit pas bête au point de te fourvoyer parce que tu m'accordes peu de crédit. »

«  Pff, je t’en accorde pas du tout, ne rêve pas. »

Cependant ce que le lion brun se garda bien de dire c’est qu’il l’avait écouté et que dans un sens il lui accordait bien le fait qu’il ne lui ait jamais menti. Mais en quoi cela changeait quoi que ce soit actuellement ? Alors qu’il s’apprêtait à rétorquer, il vit le mâle s’éloigner de lui pour retourner sur son rocher. Non mais il se moquait de lui peut-être ? :

«  Eh papy, j’peux savoir à quoi tu joues ? »

« Que tu le veuilles ou non, tu seras dans l'obligation de me croire, Kunga.. »

Une mine de dégoût traversa son visage – il n’était pas question d’admettre qu’Uhta avait raison mais pour autant, s’il s’obstinait autant c’est que la vérité était finalement ce qu’elle était. Agacé, le jeune mâle soupirant avant de cracher ses mots :

«  D’accord ! Mais ça change rien entre toi et moi. Je ne vais pas te remercier pour avoir joué les pigeons voyageurs. »

Finissant sa phrase en ne manquant de juger Uhta du regard – le lion brun se détourna de celui qui l’agaçait rien qu’à entendre son nom. Siri était son père… Bien. Très bien même. Si c’était de cette façon qu’il fallait jouer les choses, alors Kunga saurait parfaitement revendiquer ce statut de fils devant le chef des Mositus le moment venu – il était hors de question que la vérité n’éclate pas devant lui. Percutant qu’il avait oublié quelque chose de très important, il se retourna vivement et hurla les dernières paroles de cette conversation – beaucoup trop fainéant pour refaire le chemin inverse :

«  Ne t’avises plus jamais de m’insulter Uhta, je saurai m’en souvenir ! »