Sadaka était arrivé la veille sur les terres mornes de la lande. Il avait été accueilli chaleureusement par Ekua et son cousin Gizani. Tard le soir, son oncle Mopango avait fait son apparition. Sadaka l’avait trouvé si imposant la première fois qu’il avait cru qu’il l’aurait rattrapé aujourd’hui. Mais non, le Nyeusi le dépassait encore facilement et l’avait couvé d’un regard faussement tendre. Il l’avait logé dans la grotte familiale, non loin de lui. Cette faveur lui accordant alors une place aisée et un statut connu de tous : il était de la famille et jouissait à présent des privilèges que Mopango voulait bien lui accorder. Personne ne semblait broncher, mais nul ne semblait montrer beaucoup de sympathie à l’égard du grand lion ébène. Il est vrai que la bête était impressionnante, et ce même aux yeux dorés de Sadaka. Il pensa alors à son père. Sa taille devait être similaire et le félin en retint une certaine fierté.

A l’aube, il se rendit compte qu’il n’était pas le seul à se lever tôt. Autour de lui, tous étaient déjà debout et beaucoup s’activaient. Les félins affichaient toujours cet air dur qui l’avait accueilli la veille, mais tous le saluèrent poliment. Rien de très amical mais Sadaka s’en fichait, il avait sous les yeux un spectacle des plus réjouissant. Il avait face à lui de vrais guerriers, des lions actifs et pragmatique. Il inspira doucement. Les jours ici lui apparaissaient si beaux. Quelques lionceaux se battaient naïvement non loin de là. Gizani était plus âgé qu’eux, et également mieux bâti. Mais ils avaient l’air heureux. C’était étrange ce mélange entre sa vie d’avant et prideland. Un clan plus conséquent mais loin d’être surpeuplé. Une famille à plus grande échelle. Il leva les yeux vers une femelle au pelage couleur de feu*. Ses deux grands yeux dorés l’observaient, muets. Elle affichait un air intrigué mais suffisamment opaque pour qu’il ne sache - sur le moment - si elle le dédaignait ouvertement ou si il l’impressionnait un peu.

Il lui répondit d’un sourire timide mais sincère. La femelle ne tiqua pas et reposa son regard sur les lionceaux, sans lui accorder d’avantage d’attention.

Sadaka se dirigea alors vers les mâles. Un gros lion lui offrit un coup d’oeil féroce. Sa bouche était affublée d’une large cicatrice et sa crinière était parsemée de grandes mèches blanches. Il avait un aura particulier et dégageait une assurance sans limite. Sadaka fut charmé. Lui qui avait toujours beaucoup douté avait aujourd’hui trouvé la seule et unique cause de ses combats : Taali. Il aspirait à insuffler cette sensation de sécurité que dégageait ledit mâle. Curieux, et désireux de se présenter, il s'approcha d’un pas rapide s'essayant convaincant. Mais, arrivé à sa hauteur, l’autre détourna son attention et parti rapidement. Sadaka leva les oreilles, surpris de la réaction, grossière, de l’individu. Il fronça les sourcils, et tourna la tête pour s’adresser directement au félin de suie qui était à côté. Il allait ouvrir la bouche quand il resta sans voix. L’animal en question était un drôle de spécimen. Son pelage était noir comme la nuit - plus encore que celui de Sadaka et Mopango. Ses deux grands yeux étaient d’un rouge sang qu’il n’avait jamais vu ailleurs. Sa crinière était peu épaisse mais il avait l’air d’un adulte plus que d’un jeune adolescent. Son corps était plutôt fin et sur ses épaules des tâches étranges trônaient fièrement, comme une marque de fabrique. Le félin n’ayant jamais vu de panthère n’aurait put faire telle comparaison, il se contenta donc de voir l’animal comme un lion qui aurait mal grandit…

« Il est toujours aussi sympathique ? » Déclara-t-il enfin d’un air tout sauf amusé. Il était très sérieux et le fit bien comprendre. Son regard soutenait son interlocuteur d’un air dur. Ici semblait régner la loi du plus fort, et si telle était la solution, alors il allait leur montrer à tous qu’il avait, comme eux, sa place ici.


(*Sorohis)

L’autre ne l’ignora pas – et Sadaka s’en senti soulagé. Tous n’étaient pas formés sur le même modèle que le fameux Wanji. Son interlocuteur avançait vers lui d’un pas nonchalant. L’égo chez ces lions là étaient particulièrement gonflé mais le mâle de suie ne s’en verbalisa pas, après tout, il était lui aussi un lion fier et trouvait même ça louable de leur part de garder tête haute face à de telles conditions de vie. Après tout, Sadaka n’était pas naïf, ils n’avaient pas choisi d’être ici. Il était assez au courant de l’Histoire de la terre des lions pour le savoir... Il devait bien être le seul à être venu ici par choix. Le félin lui répondit alors d’une voix qui se voulait suave. Mais les ricanements du lion tacheté révélèrent vite le type d’animal qu’il était. S’affichant détendu, il était tout aussi suspicieux que ses congénères à l’égard de Sadaka. Mais le lion ébène ne pouvait que remercier l’échange qu’il débutait alors il ne rentra pas dans son jeu. Il se détendit vite. Après tout, il était loin d’être effrayé par cet animal qu’il regardait facilement de haut.
Sur Prideland, il avait l’habitude qu’on le regarde de travers, mais ces lions là étaient différents. Leur regard était mauvais, comme si ils étaient nés avec. Il se dit alors que, finalement, peut être ne lui voulaient-ils pas de mal, c’était juste... ainsi, et il devrait s’y faire.

Alors comme ça, il n’aimait pas la compagnie d’autrui. Si tel était le cas, il était d’autant plus évident qu’il n’apprécie pas qu’un nouveau venu vienne empiéter sur son territoire. Surtout qu’il avait l’air plutôt reconnu au sein du clan. Peut être voyait-il Sadaka comme une menace ? Tant pis, il aurait l’occasion de lui prouver le contraire si l’autre se laissait approcher un jour. Le dénommé Odon leva le voile sur son identité. Le fils d’un lion et d’une panthère ! C’était donc ça qui le rendait si... spécial. Sadaka sourit face aux dires du félin. Il louait ses parents comme des dieux sur terre et c’était amusant. Loin de lui l’envie de se moquer, Sadaka trouvait tout à fait louable les intentions d’Odon.

De plus, il était curieux de savoir que son père avait combattu pour la garde de Prideland. Peut-être avait-il connu son père ?

« Enchanté Odon, je suis Sadaka, le neveux de Mopango et fils de Mopanga, son défunt frère. »

C’était la première fois qu’il pouvait se présenter ainsi, et surtout à voix haute, laissant de côté ses origines Pridelander. Il ne voulait pas mettre Kuzali sur le tapis, pas ici. Il était arrivé seulement la veille et ignorait tout des desseins du clan. Peut être que leurs intentions n’étaient pas si pures. Et quand bien même elles le seraient, parler de la Reine de Prideland – nouvelle compagne d’un roi qui les avait banni – n’était pas le bienvenu.

« Je n’avais jamais rencontré d’hybride... C’est assez, étonnant. » Déclara-t-il, peut être déjà un peu trop familier. Il se laissait aller sans trop de tact alors qu’il avait bien vu qu’ici, on se montrait facilement susceptible. Il regretta rapidement ses paroles, espérant qu’Odon n’allait pas le provoquer pour ce qu’il venait de dire. Il n’y avait rien de méchant pourtant, mais, sait-on jamais. C’est pourquoi il trouva une technique infaillible, l’embrayage :

« Dis moi Odon, que faite vous ici ? Je suis arrivé hier et mon oncle n’est arrivé qu’à l’heure du couché. Il n’est pas là, j’ai besoin d’un guide peut être un peu plus savant que mon cousin Gizani. » Une fois de plus il ne dénigrait pas son cousin, il avait même appuyé cette phrase d’un petit sourire afin de sous entendre que le petit était encore jeune et qu’Odon serait surement plus renseigné sur la question.

Odon semblait, bien que s’essayant sympathique, toujours aussi méfiant. Comme prévu, à la réplique de Sadaka, il se mit à grogner. Heureusement qu’il ne lui avait pas laissé le temps de s’y pencher. D’ailleurs, ce subtil rebondissement sembla même lui plaire. Il lui conta leur histoire. C’était donc ce qu’il restait des fameux Kulishas. Le mâle ébène ne les connaissait que de réputation. Bien qu’entachée, l’Histoire était ce qu’elle était, et nul ne laissait de côté les vilains. Cependant, Sadaka comprenait mieux de visu. L’ancien tyran s’était fait une armée qui méritait qu’on le félicite : ces lions étaient des masses, des guerriers. Et bien que peu nombreux aujourd’hui, il imaginait facilement l’effet qu’ils faisaient sur un champs de bataille.

Le félin continua, expliquant qu’ils étaient ici de manière temporaire. Sadaka tiqua un peu, où comptaient-ils aller ? Banni de tous les territoires, ils avaient enfin trouvé un lieu qui ne les rejetaient pas, à quoi bon retourner dans la gueule du lion ? Connaissant, bien que de loin, son oncle, Sadaka se mit à penser qu’il devait avoir un plan. Mopango n’était pas un idiot, il n’allait pas envoyer son armée vers un suicide. Mais, que comptait-il en faire ? Lui qui pensait arriver dans un clan aujourd’hui paisible se posait déjà beaucoup trop de question. Quelque chose se passait, il ignorait quoi, et ignorait même si son oncle lui en parlerait un jour. Mais, ça ne sentait pas bon...

Odon semblait tout aussi ignorant que lui – il affichait presque une attitude nonchalante par rapport à tout ça, une sorte d’indifférence. Loin d’être étonnant si, effectivement, ils étaient mis à l’écart par Mopango. Il ne s’arrêta pas là, proposant à Sadaka de lui présenter quelques Kulishas ainsi que les environs. Gizani l’avait emmené crapahuter non loin de là la veille, et il se doutait bien qu’il n’y avait pas beaucoup mieux que ce que son cousin lui avait montré, mais, touché par l’intention, il ne pouvait refuser. Le ton, quasi agressif de la bête ne l’inquiéta en rien. Il s’y était déjà presque fait.

« Avec plaisir ! » Déclara-t-il d’une voix enthousiaste.

Il se mit alors à faire quelques pas, invitant Odon à se joindre a lui. Il avait hâte de rencontrer lesdits soldats de Freeland, surtout qu’avec son nouveau guide, il passerait plus inaperçu. Sadaka avait hâte d’entendre ce qu’avait à lui raconter ce dernier sur tous les lions d’ici. Il se sentait comme un enfant qui avait le monde à redécouvrir.

Bien qu’il ai prit les devants, Odon le dépassa rapidement et lui jeta un regard légèrement cassant. C’était lui le guide, Sadaka allait devoir s’y plier, tout du moins, c’était ce que le mâle ébène avait cru comprendre. Soit, il ne dit rien. Il ne voulait pas courber l’échine, ça n’était pas son truc. Lui aussi savait se mettre en avant, mais, fin stratège malgré tout, il voulait comprendre un peu ces animaux afin de mieux les appréhender. Bien que petit fort arrogant, il s’était un peu calmé, Prideland avait sut avoir raison de son côté rebelle. Cela dit, il n’avait pa peur des regards vils des lions d’ici, si on lui cherchait les poux, il saurait se défendre. C’est aussi pourquoi il semblait si détendu. Autour d’eux, tout était pauvre, presque mort. L’air lui était familier et, loin du groupe, il s’y senti mieux. Plus détendu, plus libres aux souvenirs. Les herbes étaient étrangement hautes par ici, mais abimées.

Les deux animaux arrivèrent à un coin où la vue se dégageait et où la végétation semblait en meilleure forme. Odon lui expliqua qu’ici les proies étaient rares, et ce malgré la saison. En effet, sur Prideland, on ne savait où donner de la tête. La nourriture n’était pas denrée rare. Surtout que les exilés commençaient à rebondir. En effet, Sadaka avait put remarquer des lionceaux. Ils devaient manger si ils voulaient pouvoir rivaliser avec leurs ainés. Un peu perdu dans ses pensées Sadaka fut violemment interrompu par le regard noir du liard. Il n’avait rien dit, pourquoi diable l’autre se sentit d’un coup si menacé ? Si il osait l’attaquer, alors le mâle saurait le recevoir. Lui aussi fronça alors les sourcils, prêt si jamais l’autre tentait quoi que ce soit.

Il se mit à cracher toute la haine qu’il vouait envers Prideland en le traitant de jardin d’Eden où tout n’était que perfection, beauté, abondance. Sadaka n’aurait put le contredire, c’est pourquoi il écouta d’une oreille attentive. Il continuait, plus médisant que jamais. Souillant l’image tant bénite des Pridelander de leur roi. Les Freelander ne furent pas épargné. Odon mettait les pattes dans le plat sans se soucier de l’avis de son interlocuteur. Il parlait de sacrifices, de souffrance. Il n’avait pas tort aux yeux de Sadaka. Il fallait des lion avec la tête sur les épaules, lui avait vu Kumpa, toujours trop idéaliste à son goût. Et bien que sur Prideland on aime à dire qu’il avait sut reconquérir son trône après tant d’années à souffrir et garder la face, le lion ébène n’y croyait pas. La victoire de Kumpa était un mythe qu’on aimait se raconter, lui et son armée n’y avait été pour rien, seuls les Lamasus étaient les vrais héros. Mais ce qui suivit le surprit plus encore. Les Nyeusi, et plus particulièrement son père, auraient été les plus aptes à être sur le trône. Il ne savait qu’en penser.

Il savait qu’il était venu ici afin de découvrir son père à travers les yeux des exilés, mais ce qu’il y trouvait n’était pas des plus rassurants. Un Mopango encore avide de pouvoir, et son fils, bien que touchant aux yeux du mâle ébène, s’embarquait déjà vers le chemin de la haine. Puis, il y avait eux, les exilés. Des masses féroces aux yeux mauvais. Il avait été souvent en colère dans sa vie, mais jamais à ce point - du moins le croyait-il. Peut-être que son père, si il avait put le découvrir, lui aurait plu, et alors il aurait été d’accord avec Odon. Mais ça n’était pas le cas, et si Mopango dirigeait un royaume comme il le faisait avec les exilés, il doutait un peu de la sérénité de ses terres. Il voyait bien que cela ne suffirait pas au Nyeusi. Il avait envie de soupirer mais s’abstint, Odon parlait avec son coeur. Si il voyait un quelconque signe de contradiction du lion noir, il risquait de lui rentrer dedans. Surtout que le liard semblait lui dire tout ça pour le protéger. Eviter de parler de Prideland et Freeland, noté. Le lion noir acquiesça sans rien dire.

« Oui, allons-y » Dit-il.

Il s’essaya même :

« Avant que nous y allions, avais-tu… rencontré mon père ? » Il en doutait un peu, mais à quoi bon taire ses intentions. Puis, si Odon pouvait lui en parler, alors il ne voulait pas passer à côté de l’affaire. Après, ils pourraient y aller, oui, et avec plaisir. Sa curiosité enfantine le titillait, il avait hâte de savoir ce qui se tramait ici et de comprendre qui était ces lions et lionnes au regard noi

Il s’attendait à ce qu’Odon n’ait jamais rencontré son père, ou en tout cas pas plus qu’un simple coup d’oeil, un jour, un instant. Malgré tout, l’idée de savoir qu’il avait vu Mopanga en chair et en os le séduisait. Parler avec un animal qui avait vu son père de son vivant, c’était s’approcher de lui encore un peu plus. Après tout, c’était surtout pour ça qu’il était venu. Découvrir qui était vraiment son père, et chaque avis était bon à prendre, même si il s’agissait juste d’une vision banale. Le liard lui présentait son père comme un simple lion, un lion qui discute, tout simplement. Ce tableau presque tendre lui décrocha un sourire lointain. Après, il parla des légendes qui entouraient son père ainsi que tout les lions de son milieu, ça, il connaissait très bien le genre de discours. Quoi que, les exilés, eux, semblaient avoir des mythes plus élogieux au sujet des lions noirs. Trop habitué au médisances des pridelander, il avait encore du mal à croire qu’ailleurs, on considère son père comme un prince.

S’ensuit une remarque que Sadaka ne soupçonnait pas. Odon aussi était un orphelin, lui non plus n’avait pas connut son père. Fier, il ajouta cependant que son père avait combattu auprès du sien, et même défendu face à l’attaque. Jamais Kuzali n’avait parlé à Sadaka de la mort de son père. Pour lui, il était mort en soldat, avec les autres, dans la boue et le sang. Elle avait parlé de la mort de son mentor et d'un affrontement entre les deux mâles, mais jamais avec ces termes. Son père n’avait pas périt de la sorte. C’était Samekh qui avait sur lui levé les griffes, et celui-ci en avait payé les frais. Loin de la guerre, il en avait fait une affaire personnelle, et c’est, sur les dalles froides de la roche, que son père avait rendu son dernier souffle.

Odon, qui s’était doucement livré à Sadaka, venait de reprendre ses esprits et les grognements reprirent. Comme s’il s’en voulait de s’être laissé aller. Sadaka décida de ne pas rebondir, il comprenait très bien les airs de battants que tous ici voulaient se donner - lui même en avait toujours fait ainsi, et ce même avec ses proches. Rares étaient ceux qui voyaient le lion ébène sans son masque. Cela dit, ils existaient…

Il allait donc lui présenter deux mâles du nom de Lutelo et Alfajiri, soit. Tout deux se remirent à marcher.

« Tu sais, je pense que nos pères auraient été fiers de nous. Il ne faut pas les regretter trop longtemps, sinon, on ne peut avancer. Il faut peut-être juste se laisser porter, tout simplement, et utiliser les souvenirs comme moteur plutôt que de les laisser nous accablé. »

Facile à dire, lui même savait qu’il n’en était pas encore là. Mais le plus gros était fait, et ce séjour serait la continuité de son initiation. Il se sentait déjà mieux que tout à l’heure, et les paroles d’Odon l’avaient amadoué. Tous ici avaient l’air durs, il n’en doutait pas, mais eux aussi avait put avoir la même peine que lui à un moment donné, et ça les rendait de suite plus humains.

Odon se mit à lui parler de sa mère. Sadaka prit soudain peur. Kuzali n’était pas la lionne qu’elle était sur Prideland ici. Nul ne devait la voir comme la sauveuse, la Reine, mais bien comme la prisonnière qui avait permit la chute des Nyeusis. Mais les paroles d’Odon ne faisait pas allusion à ce qu’elle représentait pour eux, ni pour Prideland, mais seulement pour Sadaka. Sa mère. Voilà ce qu’elle était, son roc, celle qui avait toujours été là pour lui – chance que le liard n’avait pas connue. Il lui parlait de la recherche des fantômes. Sadaka déglutit. Voilà que l’animal le remettait face à une réalité qu’il regrettait presque déjà. Bien qu’heureux ici, il avait vu la colère dans le regard de son oncle et avait peur d’être déjà condamné. Son séjour ici ne serait pas aussi long qu’il l’avait imaginé et bien vite il partirait rejoindre Taali, loin de la tempête qui régnait ici.

Aucun des deux ne dit mot. A quoi bon. Le silence dura quelques instants et Odon reprit d’un air plus froid. Tous savaient ce qu’il s’était passé entre ses parents, tous sauf lui en l’occurrence. Cependant, il ne souhaitait pas l’entendre de la bouche du liard. Ils reprirent la route. Devant eux, deux lions discutaient : les fameux Lutelo et Alfajiri sans doute. L’un était plus mince mais son regard plus perçant. Tout deux semblaient en pleine discussion et l’aisance qu’avait Odon face à ce duo étrange le troubla quelque peu. L’autre paraissait ailleurs et pourtant mal à l’aise. Comme si il ne maitrisait pas totalement la situation. Sadaka les salua d’un hochement de tête et ceux-ci firent de même, sans grandes effusions. Comme Wanji il y a peu, ils lui tournèrent le dos pour s’éloigner. Sadaka se mit à penser que nul n’était ravi de la voir arriver – hormis Gizani.

C’était étrange. Cela dit, si tous, comme Ekua, voyait sa venue d’un œil mauvais, c’était peut être aussi par peur de se voir détrôner. Mais à quoi bon, le mâle ébène n’avait pas envie de passer son temps à se justifier. Lui savait ce qu’il avait à faire ici et personne ne pourrait l’en empêcher. C’était presque surréaliste toute cette machinerie du pouvoir. Comme si tout le monde s’entraidait pour mieux se pousser dans la falaise.

Odon proposa de lui présenter sa mère adoptive. Peut-être que les femelles seraient plus clémente – mais là encore, il en doutait. Alors qu’ils se remettaient en route, un nuage de poussière vola dans les yeux de Sadaka qui manqua de s’étouffer. Il secoua la tête énergiquement pour se débarrasser du sable qui lui piquait les yeux. Mais pourquoi diable l’autre s’était-il permit de lui en foutre plein la figure. S’était-il moqué de lui tout ce temps ? N’avait-il pour objectif que de le pourrir à son tour ?

Agacé le mâle, enfin sorti du nuage de poussière, lança un regard noir à son assaillant qui courait déjà loin. Hors de question de se laisser marcher dessus. Sadaka se mit alors à sa poursuite, plus déterminé que jamais à lui remettre les idées en place. Il courait vite mais Sadaka était motivé à lui faire, à son tour, mordre la poussière et asseoir son statut. Un coup d’accélération et voilà qu’il bondissait sur Odon, le plaquant au sol sans grand effort. Il était bien plus imposant que lui et la proie pourrait se débattre autant que nécessaire, la carrure du lion était bien trop écrasante. Il plongea ses grands yeux doré dans les pupilles rieuses du liard puis lui hurla :

« Mais qu’est-ce que vous avez tous à la fin ? C’est ça, tu veux te battre, tu veux jouer au plus fort ? »

Bien sur, il n’avait pas saisi un instant qu’il s’agissait d’un simple jeu. Parler de divertissement lui paraissait si incongru ici qu’il avait réagit au quart de tour, bien prêt à montrer à tous qu’il ne se laissait pas marcher sur les pattes.

Alors que Sadaka était au bord de la rage, Odon se mit à rire soudainement. Ca n’était pas un rire sain. Il semblait plus que satisfait de l’excès de rage de son assaillant et ce rire lui glaça le sang. Il n’avait pas peur, il avait juste l’impression de faire face à un fou espiègle. Que lui voulait-il donc à la fin ? Il se mit alors à parler de masque. Quel masque ? Celui d’un lion raisonnable ? Cherchait-il en lui le monstre ? À priori oui, il parlait de son père : le fameux grand lion aux airs mauvais. Bien que la remarque du liard l’ait agacé, il comprenait mieux son père. Il avait vécu une telle situation : à force que tous vous voit avec des yeux mauvais, il était normal de se forger ainsi.

Soudain, il senti l’animal se débattre. Instantanément, il se dégagea, permettant à Odon de se dégager sans peine. Il continua son discours. Il disait qu’il n’était pas un ennemi, mais un ami. Sadaka tiqua un peu, ça restait à prouver. Il disait aussi que tous étaient heureux de sa venue. Au vue des récentes rencontres qu’il avait faites, il en doutait également. Lesdits Wanji, Alfajiri et compagnie n’avaient pas été des plus accueillants. Cela dit, Ekua et Gizani, eux, l’avaient comblé dès son arrivée. Il n’était pas difficile de deviner qu’il régnait ici un bon nombre de tensions.

Odon se mit à grimacer, sans raison. Sadaka lui offrit un visage surprit. Fallait-il être si méfiant ? Il n’y avait pas l’ombre d’un danger aux environs, et le paysage sans vie leur offrait une bonne visibilités sur un quelconque intrus de mauvais augure. Une lionne s’approchait d’un pas hésitant, la tête courbée et les oreilles plaquées sur son crâne. Elle semblait plus âgée qu’eux et se mit à parler en bégayant. C’était donc la fameuse Nagini, la mère adoptive d’Odon. Sa tenue si gauche était en parfaite opposition avec celle des autres lions et lionnes qu’il avait pu voir ici. Elle avait l’air apeurée – ce qui n’avait pas de sens étant donné que Sadaka n’était accompagné que de son fils. Avait-elle peur de son fils ? Ca ne serait même pas étonnant, cela dit, Odon lui en avait parlé avec un air très doux – étrangement d’ailleurs étant donné le personnage. Ce dernier roulait d’ailleurs des yeux, comme agacé par sa présence. C’était pourtant lui qui avait voulu lui présenter. Ou peut-être était-ce autre chose. Sadaka l’espérait. Même si elle n’avait aucun lien de sang avec le liard, elle l’avait élevé, et un tel acte était très respectueux.

Sadaka inclina la tête en guise de salut. Il tenait à rassurer la seule qui, depuis le début, daignait lui adresser la parole.

« Enchanté madame. Votre fils m’a parlé de vous, je suis ravi de faire votre connaissance. Je suis Sadaka, neveu de Mopango. » Il aurait aimé rajouter qu’elle n’avait pas à s’inquiéter et qu’il ne lui voulait aucun mal, mais ça aurait été déplacé. Surtout face à un fils aux réactions si inattendues.

Comme si jamais personne avant lui n’avait été doux avec elle, la femelle lui coula un regard tendre et empli de gratitude. Presque gêné, il lui rendit son sourire, un peu forcé. Elle se mit à lui parler de Prideland, du changement, des lions d’ici... Une conversation honnête et intéressée, certainement une grande première depuis son arrivée. C’était à se demander ce qu’elle faisait parmi ces félins. Elle parla ensuite d’Odon. Téméraire et farouche, oui, on ne pouvait pas en dire moins. Il sourit, un peu plus détendu, ouvrant la gueule pour appuyer ses dires et la rassurer sur son travail en tant que mère mais Odon parla le premier. Il s’énerva sur la lionne, sans raison valable aux yeux du mâle de suie. Ce lion n’avait vraiment pas les idées claires. Elle avait été douce et l’avait complimenté, pourquoi fallait-il qu’il râle ? La pauvre lionne baissa la tête, une fois de plus, honteuse et pétrifiée. Le liard, le visage noir, proposa à Sadaka de repartir afin d’aller à la rencontre de Mopango. Sadaka acquiesça d’un mouvement de tête mais son regard en disait long. Ses sourcils étaient froncés et son air grave.

Nagini dit au revoir, sans trop savoir où se mettre tandis qu’Odon s’éloignait d’un pas dynamique et agacé.

« Au revoir Madame, je vous remercie de votre accueil chaleureux. Et, ne vous en fait pas, votre fils a été très accueillant avec moi. »

Il exagérait un peu, mais malgré ses sautes d’humeur et ses drôles de manières, Odon avait été un des rares à s’occuper de lui, à lui faire visiter ses terres et à avoir montrer un réel intérêt à Sadaka. Puis, c’était pour rassurer un peu la femelle qu’il se montrait si élogieux. Son lien avec sa mère était si fort qu’il détestait qu’on puisse ainsi se conduire avec celle qui vous a élevé.

Il rattrapa vite Odon qui se mit à s’excuser de tant de chichis. Sadaka leva les yeux au ciel, un peu énervé. A quoi bon demander pardon une fois le mal fait ?

« Ta mère adoptive à l’air gentille, tu ne devrais pas lui parler comme ça. » Dit-il, un peu moralisateur. Cela dit, il n’en rajouta pas.

Odon poursuivit, plus élogieux que jamais. On n’avait jamais parlé à Sadaka avec tant de dévotion. Si, Nedge lui avait juré fidélité, mais loin de là l’idée de l’appeler maitre – et heureusement. Cela dit, son égo en fut flatté quelques instants, et il comprit en quelque sorte le plaisir qu’éprouvait son oncle face à de tels prétendants. Tous ici n’étaient pas fait du même bois qu’Odon – et heureusement – mais si lui était prêt à jurer fidélité à Mopango, Sadaka et Gizani, alors nul doute que d’autres seraient partant à signer ailleurs.

Ils arrivèrent devant la grotte, elle était froide et l’odeur y était rance. Pourtant, elle plu à Sadaka.

« Je te remercie Odon. Pour cette visite, ces rencontres et ce serment. A très bientôt » Déclara-t-il, solennel. Puis, le liard s’éloigna. Une brise soufflait et il ne put s’empêcher de soupirer. Où venait-il de mettre les pattes ?

HRP: