La veille, le trio royal avait manqué de perdre la vie. La plus jeune des trois peinait encore à réaliser la fin funeste qu’auraient pu connaître les évènements. Tout ça semblait si irréel… Le feu venu de nulle part et d’une puissance destructrice, leur route sans issue, l’arrivée soudaine d’Ateyo et le retour de son frère. C’était beaucoup à digérer. Ahva semblait étonnamment calme quant à la situation, peut-être dans le déni ou déjà victime d’une innocence brisée. Elle ne s’était pas montrée fort éloquente depuis leur retour au rocher et ses réponses avaient été pointée d’un certain détachement malgré une peur sincère. Jamais elle n’avait vu autant de frayeur et de besoin dans l’étreinte de ses parents qui avaient cru les perdre à jamais. La chaman du clan avait pansé leurs blessures tout en leur prescrivant une substance baveuse pour soulager leurs maux de gorge. Hier, elle avait failli mourir. Quelle étrange pensée.

Alors que les trois frères et sœurs ne s’étaient encore quitté depuis l’incident, Ahva quitta le rocher à l’abri des regards indiscrets et s’éloigna telle une ombre des siens pour se retrouver seule dans l’immensité de la Savane qui était étrangement calme, comme endeuillée de la veille. L’odeur n’était pas la même et l’effluve charbonné de l’air rappelait en elle des souvenirs encore si frais. Au fur et à mesure de ses pas, la princesse remontait vers les lieux de l’incident et bientôt, l’herbe dorée céda aux cendres. Malgré la furie passée, l’endroit semblait si calme et seule les poussières sombres de l’ancienne végétation et l’odeur âcre témoignaient. Prudemment, elle s’avança jusqu’aux premières herbes détruites et caressa doucement une dernière brindille avant que celle-ci ne se brise, calcinée. Elle déglutit. Son regard balayait lentement la prairie tandis qu’elle observait, silencieuse. Pas un bruit, personne. Les animaux semblaient avoir fuir les lieux mais les apparences étaient trompeuses et l’ombre cachait en son sein une deuxième. Il ne fallut pas longtemps à la lionne pour reconnaître cette silhouette. Sadaka.

Observant l’ombre lointaine de son frère aîné, Ahva se rappelait soudainement son retour. Petite, elle aurait déjà accouru contre ses crins pour lui confier combien tout cela mais l’avait terrifié mais aujourd’hui, elle ne voulait plus être cette petite lionne. Elle n’était plus un bébé et voulait être reconnu comme la lionne en devenir qu’elle était : Ahva. La démarche lente, la princesse avança vers le lion de suie qui malgré tout, pressait son cœur de le retrouver.

Sans mot dire, elle se glissa silencieusement à ses côtés, le regard rivé vers les ravages du feu. Elle se souvenait encore de son désarroi le matin où il les avait quittés. L’adolescente avait toujours su que ce jour arriverait mais pas si tôt, pas quand elle avait besoin de lui. Longtemps, elle avait confié ses troubles et inquiétudes à ce frère qu’elle aimait tant mais le savoir parti sans lui dire au revoir avait entaché sa lumière. Son héros l’avait laissé et elle avait dû apprendre à se débrouiller seule. Sans doute son départ avait-il achevé la transformation en elle qu’avait déclenché l’incident d’Outland. Bien que son sourire demeurait, son regard avait changé, il était devenu plus réaliste, plus adulte. Si la présence de ses proches amenait en elle la joie des anciens jours, sa nature joviale rivalisait aujourd’hui avec un désir de puissance. L’idée de devenir forte l’obsédait, son sang l’appelait à embrasser sa nature guerrière et jamais la lionne ne ratait un entraînement avec Dhoruba. Elle était une élève exemplaire, désireuse d’apprendre, riche en progrès et déterminé. De temps à autre, elle partait même demander conseil à Itan, le guerrier qui l’avait initié aux bases du combat. Peut-être était-ce pour elle une forme d’échappatoire, la princesse se perdait chaque fois qu’elle dansait pour vaincre son adversaire. Chacun des enfants de Kumpa et Kuzali semblait tour à tour trouver sa voie, Awena pour la politique, Azaan pour la réflexion et Ahva pour l’action. L’un régnant, l’autre conseillant, le dernier agissant. Ils avaient toujours su se compléter.

Mettant fin à sa réflexion, la jeune lionne coula lentement un regard vers son frère et lui dit doucement :

« Comment était ton voyage ? »

Une façon douce de reprendre le temps égaré, de se retrouver, d’introduire les mots, les joies et les peines. Malgré son départ soudain qui l’avait peiné, il restait son frère, son héros et le retrouver prodiguait en elle une douce sensation, plus apaisante encore que les remèdes de Kuzaida.

Son regard était aussi doux que dans ses souvenirs. L’ombre protectrice de Sadaka n’avait jamais cessé de veiller sur elle et bien qu’elle ait grandit, son voyage semblait également l’avoir rendu plus grand. La colère n’était plus dans ses iris. Soucieux des reproches silencieux de sa petite sœur, le mâle affirma que son départ avait été nécessaire. Elle le savait, elle le comprenait mais cela n’avait pas atténué sa peine. Pourtant, elle ne pouvait qu’accepter. Qui était-elle pour reprocher ses choix à Sadaka ? Il avait toujours été parmi eux sans être des leurs. Aux mots de son frère, la jeune princesse balaya l’horizon du regard. Trouverait-elle la force de partir à son tour ? Ses obligations n’étaient pas les même que sa sœur et pourtant, elle savait que sa fratrie avait besoin d’elle et des rares fois où elle leur avait posé l’hypothèse de son départ, Awena et Azaan n’avait pas caché leur réticence. Mais est-ce qu’une vie sur Prideland serait satisfaisante pour la lionne ? Les récents événements l’accrochaient à l’amour et la protection de sa famille mais enflammaient également en elle un désir plus sauvage.

Les réponses que lui apportaient Sadaka semblait être celle qu’elle cherchait non seulement pour comprendre le départ de son frère mais également pour elle-même. Délaissant l’aurore de la savane, Ahva reporta son attention sur le mâle et lui sourit doucement.

« C’est ce que maman m’a expliqué. Je crois qu’elle était encore plus touchée que moi par ton départ mais autant que son inquiétude, elle était heureuse que tu partes trouver ta voie. C’est ce dont je me suis persuadée à mon tour. »

Si Ahva avait toujours pu admirer la relation fusionnelle qui liait la lionne dorée et son premier fils, jamais encore elle ne s’était rendu compte de la force de ce lien. L’éclat de la reine semblait s’être atténué avec le départ de Sadaka, comme si une partie de ses rayons avaient accompagné son voyage pour le protéger contre tout danger. Chaque soir et chaque matin, la vieille lionne était venue s’asseoir au bout du promontoire du priderock, silencieuse et seule, portant toutes ses pensées et son amour vers ce fils parti. Que ce soit ses enfants ou même son compagnon, d’aucun n’avait pu l’arracher à sa contemplation. Ahva avait soutenu du mieux qu’elle pouvait sa tendre mère mais avec une certaine amertume, elle avait compris que rien ni personne ne pouvait remplacer la présence de Sadaka auprès de la fille du Soleil.

La princesse ne s’était jamais inquiété du sang noir coulant dans ses veines qui ne définissait en rien son frère mais sans doute lui avait-il eu besoin de s’en savoir affranchi. Malgré sa rancœur dû à son jeune âge, elle était sincèrement heureusement de retrouver ce frère parti et s’inquiétait de savoir si ses questions avaient trouvé réponses mais avant qu’elle ne puisse s’en soucier, le lion ébène l’interpella sur la brûlure laissée par le feu qui, avec le temps, se soignait. Petite, elle n’aurait pas compris les mots dissimulés sous cette illustration mais assagie et plus mature, il lui semblait enfin voir ce qui longtemps lui avait échappé. Elle aussi avait cette tâche noire couvrant son cœur, sûrement était-elle moins vorace que celle qui avait meurtri son frère mais elle sentait néanmoins son poids pesant. Si Sadaka semblait avoir vaincu la sienne par un périple solitaire et inquisiteur, Ahva commençait tout juste son combat. Devenir forte, puissante et indépendante pour ne pas laisser cette tâche grandir, voilà son credo.

Elle soupira brièvement. Ces discussions lui avaient manqué, elle était heureuse de le retrouver. Souriant conjointement avec son aîné, elle lui demanda d’un ton doux :

« Te sens-tu aujourd’hui guéri ? »

Le blâme n’était plus présent dans son regard qui avait laissé place à sa chaleur d’antan. Tôt ou tard, l’ombre et la cendre redevenait lumière et vie.

Aux mots du lion, la princesse émit un beau sourire. Son mal avait été si grand qu’il lui faudrait plus qu’un voyage introspectif pour s’en débarrasser mais au moins espérait-elle qu’il avait su chasser ses démons. Toujours observateur, Sadaka ne manqua de lui faire remarquer que lui aussi avait trouvé refuge dans l’art du combat. L’adolescente tiqua des oreilles et dressa vers son aîné un regard inquisiteur. Il avait joué un certain rôle d’inspiration et d’admiration dans ses désirs guerriers. Sans doute cela en étonnerait-il beaucoup qu’une princesse de Prideland porte tant de grandeur à un demi-Nyeusis mais Ahva n’avait jamais porté sur son frère ce regard inquiet. A ses yeux, il n’était pas un fils de l’ombre mais bien du soleil. Jamais un lion n’avait autant irradié son cœur que Sadaka. Comme lui, la lionne voulait être capable de se relever, de ne pas céder sous les coups ou les injures et de se dresser toujours plus forte. Elle voulait riposter, montrer qu’elle n’était plus une enfant et ne plus jamais laissé son honneur être piétiner comme Soto avait pu faire.

Mais alors que la princesse pensait être engagée dans la bonne voie pour soigner ses maux, Sadaka lui confia son expérience passée. Perdue… Ahva l’avait été un temps avant de se réfugier dans l’entraînement, elle pensait avoir trouvé sa voie mais et si elle se trompait ? La princesse avait toujours porté une grande écoute aux paroles de ce frère qui avait toujours su la comprendre et calmer ses craintes. Il avait su voir sa colère derrière son sourire, sa rage dans son regard ambré… Ahva la passait sous silence mais pour ceux et celles qui avaient été sujet aux mêmes vices, il était facile d’en reconnaître les maux.

« Ce serait mentir que de te dire que je n’ai pas été en proie à la colère. Cette humiliation sur Outland… c’était la première fois que je comprenais combien Prideland et le clan nous avait protégé du monde extérieur, que tous n’étaient pas aussi preux et bons. Tu es lion du Soleil également Sadaka, tu comprends ce que c’est de voir son honneur entaché… Je n’ai pas pu le supporter. La colère a effectivement nourri mon désir d’apprendre à me battre mais plus encore, je veux être apte à pouvoir me protéger seule. Je ne serais pas toujours près des miens, ma route ne croisera pas toujours celle de bonnes personnes… Outland m’a en quelque sorte prévenu de la réalité du monde. Quant à l’incident d’hier, je réalise que nous ne sommes en sécurité nul part. »

La petite lionne d’antan avait bien grandi, elle demeurait de son naturel souriant mais sa conscience n’était plus la même. Ahva comprenait enfin pourquoi ses parents lui avaient mainte fois prescrit de ne pas grandir trop vite, le monde adulte était bien moins gai qu’il ne lui avait paru du haut de ses petites pattes.

Le vent chaud de la savane soufflait délicatement contre leur pelage et emportait avec lui les cendres qui s’emmêlaient dans une danse morbide. L’ombre régnant sur la plaine lui rappelait sans cesse le danger, la peur… Son désir d’apprendre n’en était que plus grand mais également ses envies cavalières. Si Prideland n’était plus ce havre de paix, pourquoi demeurer ? Le danger était partout, cette réalité était maintenant assimilée pour la jeune princesse. Brisant le silence qui demeurait, Sadaka lui confia combien l’arrivée des héritiers avait suscité sa jalousie. Bien qu’ayant toujours eu conscience de ce ressenti, Ahva baissa les oreilles d’un air penaud. Elle regrettait presque sa naissance tant blesser son frère la blessait également mais le sens de ses mots n’était pas là, le lion ébène continua de se livrer à elle. Au-delà de sa profonde sincérité qui touchait la lionne, elle savait ses mots annonciateurs d’un changement opérant chez le lion de suie. Doucement, elle lui sourit d’un air tendre.

« Et je sais également qui tu es. Tu es Sadaka, un prince du Soleil, quelqu’un d’aimant et de bon. Tu es mon frère et ça ne changera jamais. »

Se glissant alors aux côtés du grand lion, l’adolescente enfoui sa tête dans sa crinière dense, le tout dans un geste purement fraternel et chaleureux. Elle était heureuse de le retrouver mais aussi de constater qu’il se livrait toujours à elle sans contre-mesure, le tout dans une sincérité aimante et chérie. Leur lien était fort, solide et construit. Se détachant lentement de son étreinte, elle se plongea dans son regard doré si semblable à celui de leur mère et sourit avant de reprendre, confiant à son tour :

« Comme toi, je suis entourée par des gens qui m’aiment, qui se soucient de moi et veillent sur moi. Autant par leur présence que par ma profonde nature, je ne pourrais jamais m’engager dans un chemin de haine. La colère est, je pense, en nous tous, plus ou moins nourrie. C’est ce qu’un ami m’a un jour confié : deux lions cohabitent dans notre cœur ; l’un est ténébreux, incarnant la colère, la rage, la haine, la jalousie, la mauvaise conscience et l’autre est bon, animé par l’amour, la compassion, la paix, l’harmonie, la foi. L’un laisse sa colère le guider car il ne sait plus penser et l’autre ne se bat que lorsqu’il est juste de le faire et le fait de manière juste. Ces deux lions livrent en nous un éternel combat mais celui qui l’emporte est celui qu’on nourrit. Je ne peux pas promettre de ne pas nourrir colère, envie et brasier mais je peux promettre de ne jamais oublier celui qui doit gagner. Comme toi. Nous sommes ce que nous voulons être, jamais nous ne devons laisser quiconque nous définir. »

Autant qu’elle rassurait son frère quant à ses aspirations, elle lui rappelait de ne jamais se cantonner à son sang de Nyeusis. Il leur avait prouver à tous qu’ils avaient eu tort de voir en lui le démon de son père car toujours, la lumière de sa mère l’avait guidé.

Son frère l’observait d’un regard doux, à l’écoute de ses paroles. Il en avait toujours été ainsi. Leur lien et amitié était sincère d’où cette facilité à communiquer. Ils se contemplèrent quelques instants, Ahva terminant sa réflexion et Sadaka songeant à ses dires. Finalement, il s’introduit en confiant combien la princesse était digne fille de sa mère. L’adolescente lui sourit doucement, touchée de ses mots. Kuzali était une icône pour elle et par moment, malgré tout l’amour qu’elle lui portait, elle se sentait intimidée par sa grandeur. Il n’était pas simple d’être fille de rois. La vieille lionne dorée avait toujours pris soin d’être présente pour ses enfants, pour les guider et les aimer, particulièrement avec son aîné aussi savait-elle la véracité de ses mots. Néanmoins, après ce bref interlude, son frère la corrigea avec douceur. Sa vision serait erronée ? Intriguée, la jeune lionne dressa vers lui un regard curieux mais empli de profondeur.

Ses explications commencèrent et dès ses premiers mots, la princesse su qu’il lui livrait une grande analyse de la vie et de la perception de soi. Ce ne serait pas une simple discussion mais une interrogation sur le comment du pourquoi. Ahva se redressa, le dos bien droit, et se plongea corps et âmes dans la pensée de son frère. La colère n’est pas la haine, l’amour n’est pas le pardon. Si ces simples mots auraient pu la perdre, le fait que Sadaka se serve de sa propre personne pour illustrer sa pensée guida la princesse. Elle ne devait pas s’arrêter aux mots mais penser à leur sens, leur raison d’être. La colère pouvait dissimuler l’amour. Ceci interpella particulièrement la princesse qui, inconsciemment, perçu l’image de Soto dans son esprit. Sa gorge se serra. Elle avait toujours refusé de se l’admettre mais l’évidence était maintenant frappante. Petite, il lui était apparu comme un lion illuminé, plein de richesse et de courage, l’archétype même de ce grand aventurier qu’elle rêvait d’être. Il l’avait intriguée et passionnée. Les sentiments d’un enfant étaient souvent confus et difficilement indentifiables à une seule et même émotion mais Ahva réalisait que, peut-être, le lion doré avait été son premier amour. Ainsi, sa métamorphose l’avait non seulement blessé mais également déçue. Son rêve s’était brisé et la rancœur qu’elle ressentait n’en était que plus grande.

Elle soupira avant de couler un regard vers le lion ébène.

« C’est un peu confus mais je pense comprendre. » répondit-elle dans un sourire.

Sans doute inquiet qu’elle ne se perde dans ces extrêmes tant redoutés, Sadaka lui confia que la capacité de pouvoir faire face au danger n’impliquait pas nécessairement le chaos du combat, celui-ci n’étant qu’une option. Devait-elle donc laisser sa chance à l’autre et prendre un risque ? Naturellement, Ahva avait toujours agi de la sorte mais depuis sa mésaventure d’Outlander, la jeune lionne était plus méfiante, moins apte à se laisser berner par les idées simples. Auparavant confiante et avenante, elle était aujourd’hui plus réservée sur les autres. Elle avait vécu l’attaque de Soto comme une trahison et ses sentiments blessés faisait figure de retenue mais pour autant, Sadaka disait juste : tous n’étaient pas gentils ou cruels. Avant de sortir les griffes, elle se devait d’analyser la personne face à elle pour en tirer des conclusions. Son empathie était alors richesse. Venant d’une autre personne, Ahva n’aurait sans doute pas pris ces paroles tant au sérieux mais son interlocuteur n’était pas quelqu’un de banal ; c’était son frère, son héros et celui en qui elle portait une confiance aveugle. Réfléchissant alors à toute cette réflexion qu’il venait de lui livrer, la princesse en conclu que ce qui la retenait était un problème de confiance.

Accompagnant ses idées d’exemple, le grand lion lui confia ne s’être jamais battu depuis son entraînement. Ahva en souleva un sourcil d’étonnement. Bien qu’elle ne l’ait jamais vu en pleine action, la petite lionne qu’elle avait été avait bien souvent suivi son frère à son insu pour longuement l’observer durant ses entraînements. Peut-être ces observations secrètes avaient-elles contribuer à ses aspirations guerrières tant la beauté de cette peinture sombre lui avait plu. Certains voyaient le combat comme un acte barbare, totalement irréfléchi et source de véhémence mais derrière ces durs coups, il y avait également une forme de beauté, une danse endiablée entre deux corps et une puissance flamboyante qui enflammait un regard. Durant ces temps, Sadaka lui avait paru être le plus beau des artistes.

« C’est étonnant mais je comprends. » confia-t-elle enfin, dans un souffle léger mais réfléchi. « Je persiste à vouloir continuer mon entraînement mais à des fins différentes. L’art de se battre peut ne pas être une arme mais simplement une protection à laquelle recourir en cas de danger. Elle peut être défensive plutôt qu’offensive. C’est nos choix qui guident nos actes. »

Presque étonnée que ces mots viennent d’elle, la princesse dressa un regard curieux mais fier vers le lion ébène. Elle se sentait grandi, c’était toujours ainsi après s’être confié à son héros. Sadaka parvenait à tirer d’elle des pensées et des réflexions qu’aucun autre ne saurait amener. Il savait trouver les mots. Le monde était effrayant, c’était un fait que la princesse ne cherchait plus à nier mais conjointement aux paroles de son frère, c’était à elle de choisir de se laisser intimider ou non. La balance pouvait toujours être renversée. Elle avait su pardonné à ses parents ces mensonges dont ils l’avaient bercé dans son enfance ; elle avait su comprendre que le monde était une arène dans laquelle on choisissait ses propres armes ; elle avait su écouter ces lions qui avaient tenté de la guider ; il ne lui restait plus qu’à choisir quelle lionne elle souhaitait être.

« Princesse du soleil », l’appelait-il. Trouvant son regard, la jeune lionne lui offrit un beau sourire. Peu de lions qualifiaient ainsi les héritiers de Prideland mais dans la famille, c’était coutume et puissant. Une qualification qui n’appartenait qu’à eux et qui faisaient leur fierté.

« Que le monde n’est pas simple, je crois que je m’en rends compte jour après jour. » répondit-elle dans un premier temps sur un ton amusé. « Je ne pense pas qu’il n’y ait qu’une seule et unique façon de voir ce monde mais plusieurs, en fonction de nos propres pensées et aspirations. Monsieur Fleck -qui m’a confié cette théorie- a schématisé le monde ainsi car c’est un profond rêveur utopiste qui œuvre pour répandre le bien et toi, tu as cette vision plus nuancé car tu connais les deux faces de la pierre. Moi, je ne sais pas encore quelle vision je donnerais à mes yeux mais je veux qu’elle soit réaliste sans m’ôter de mes émotions. Peut-être que c’est moi qui te perd maintenant… » conclut-elle dans un petit rire léger.

Bien des lions inspiraient la princesse dans ses idées futures mais d’aucun ne représentait à lui seul toutes ses aspirations. Celles-ci étaient un mélange subtil entre toutes ces grandes figures qui avaient bercé sa vie mais le résultat final, c’était à elle de le concevoir pour se trouver une identité et une réflexion propre. Sadaka était sa force, Kuzali sa lumière, Azaan sa raison, Awena sa dévotion et Kumpa sa bravoure… Tous avaient contribués à former son être mais la finalité de cette entité, c’était à elle de la trouver. La jeune lionne avait toutes les cartes en mains, il ne lui restait plus qu’à les déployer. Le monde adulte vers lequel Ahva s’approchait était intimidant et poussait sans cesse en elle de nouvelles réflexions et inquiétudes mais c’était ce que signifiait grandir.

Retrouvant l’étreinte réconfortante de son frère, elle lui dit d’un ton doux et apaisé :

« Je ne suis plus triste mais déterminée à trouver ma voie. Merci d’être là et de me soutenir, je suis vraiment heureuse que tu sois rentré. »

La distance et le temps qui s’en écoule peuvent être douloureux mais les joies des retrouvailles n’en sont toujours que plus savoureuses. Sadaka était rentré apaisé de son voyage et durant ce temps, sa jeune sœur avait mûri. Leur complicité demeurait mais leurs discussions évoluaient, guidant la lionne vers ce monde adulte tant attendu puis finalement redouté. Ils n’étaient plus exactement les même mais leur amour demeurait. Peut-être même était-il plus fort.

Curieux de voir l’évolution de sa jeune sœur, le grand lion ébène la bouscula gentiment avant de l’inciter au combat. Ahva tourna deux fois des oreilles pour être sûre de ce qu’elle avait entendu. S’entraîner avec Sadaka, vraiment ? Son sourire béat mua en une véritable expression de joie. Elle l’avait tant de fois espionnée dans ses entraînements et voilà qu’aujourd’hui il lui proposait d’être sa partenaire. Trop heureuse de l’aubaine, Ahva ne se fit pas prier et bondit à son tour loin de son frère, délicieusement malicieuse. Si l’adulte se positionnait légèrement pour privilégier l’amusement, la jeune lionne, elle, prit cette invitation très au sérieux et appliqua méthodiquement la position de défense que lui enseigné Itan, les pattes solidement ancré au sol.

« Pas de coup bas ! » stipula la lionne dans un petit sourire.

Elle se souvenait encore des chatouilles de son frère qui avait toujours su avoir raison d’elle. Animée par son sang guerrier, l’adolescente commença à rôder autour du lion, préparant visuellement ses attaques et prenant connaissance du corps de son frère sous un autre angle, celui du chasseur. La stature du lion était des plus imposante et comme nul autre, pas même les Gardiens ne stockaient tant de muscle et la haute stature du lion contribuait à son avantage physique. Elle s’était toujours sentie petite aux côtés de son frère mais jamais encore il ne lui avait paru si géant. Réfléchissant avec efficacité, la lionne se décida bien vite à utiliser elle aussi ses avantages physiques dont sa vitesse et son poids plume. Un seul coup de patte du lion pouvait l’envoyer au sol aussi devait-elle privilégier les esquives.

Sûre de son mode opératoire, la lionne fendit subitement vers le flanc du lion, cherchant à lui porter un coup de croc là où sa peau était plus tendre et dénuée de la protection offerte par ses crins abondants. Elle n’avait pas peur d’user de sa force, elle savait son frère résistant et puis, ses cibles étaient nettement réduites. Se dégageant bien vite, Ahva mima un départ sur la gauche avant de bifurquer sur la droite, s’éloignant bien du lion sans savoir si son coup avait porté ses fruits. Le champ d’attaque du lion était si élargi qu’elle craignait de ne pas dégager sa croupe à temps. Quel géant.

Alors qu’elle était sûre de son esquive, un nuage de poussière aveugla soudainement son regard. La jeune lionne feula de mécontentement, subitement déstabilisé par ce champ noir devant ses yeux et recula précipitamment. Maladroite, elle manqua de tomber. Elle détestait ça. Itan l’avait déjà eu avec cette technique et pourtant, la voilà qui était retombée droit dans le piège. Les crocs sortis, la lionne s’éloignait de son frère sans trop savoir où elle se rendait, son seul repère étant le bruit de ses pattes martelant le sol. Elle grondait farouchement, frottant son visage contre ses pattes avant pour tenter de se défaire de la poussière mais sa vision était assurément touchée et seul le temps apaiserait ses maux. Sans même la toucher, le grand lion ébène l’avait mis hors-jeu. C’en était presque humiliant. Si cet entrainement n’était qu’un jeu, Ahva avait tendance à trop s’investir et prenait les événements très à cœur.

La vue partiellement retrouvée mais toujours abimée, la jeune lionne sentit l’ombre de son frère bondir derrière elle, pile dans son angle mort. Se retournant pour faire face au lion, elle grondait férocement. Elle ne laisserait pas vaincre par ce seul coup. La poussière reçue dans ses yeux avait irrité ses iris si bien que ses vaisseaux sanguins avaient éclatés et nappaient son regard ambrés d’une mare rougeâtre. La princesse de Prideland avait assurément perdu de sa superbe mais à défaut, avait gagné en aura guerrière. Son regard porté vers le grand lion, la lionne observait tacitement cette armure imparable qui protégeait son torse. Il était imposant, très, plus que tout autre lion même. Autant qu’elle était intimidée par cette masse musculaire qui lui faisait face et qui semblait invincible, Ahva sentait également cette pointe de fierté s’enflammer. C’était son frère, le lion le plus fort de tout Prideland. Il n’avait jamais failli à exceller ses atteintes et comme toujours, son costume de super-héros lui sied à souhait.

Un inconnu aurait pâli devant cette stature imposante mais Ahva avait eu grâce de pouvoir l’observer toute sa vie durant. Elle avait grandi aux côtés de ce demi-Nyeusis et la grandeur de son frère ne lui avait jamais été inconnue. Trop longtemps, elle l’avait regardé en tendant haut son cou. Cette habitude était restée car autant qu’elle avait grandi, Sadaka s’était élargi de ce qu’on disait, il était même plus imposant que les Nordiques. Subitement requinquée, elle sourit d’un air arrogant. Il l’avait l’avantage, c’était indéniable mais sa haute stature était également un désavantage sur lequel elle pouvait jouer tant la lionne était fine et agile. Contre toute attente, Ahva fendit droit sur le lion. Son élan était puissant et le souffle du vent pénétra son regard, chassant les particules de poussières et lui redonnant la vue. Parfait. Téméraire, la lionne feula et coula vers l’épaule intérieure du mâle. Une attaque peut-être aussi osée que stupide tant ses enseignants lui avaient toujours répétés de ne jamais attaquer de front tel personnage mais autant que Sadaka avait lu ses mouvements la première fois, elle espérait le surprendre.

S’engouffrant dans l’étreinte du lion, Ahva ouvrit grand sa mâchoire pour la refermer sur sa cible, aussi sauvage qu’agile, espérant avoir le temps de se retirer avant que le lion ne l'enferme dans une mort certaine. Heureusement, ceci n'était qu'un entraînement.

Bondissant vers l’arrière pour s’échapper des crocs vengeurs du mâle, la princesse put se réjouir de voir son poids légèrement vaciller sous l’impact de l’attaque. Elle avait réussi. Si cela n’était qu’une bien maigre victoire et n’aurait pas suffi en condition réelle, l’adolescente n’en demeurait pas moins pas peu fière d’avoir pu déstabiliser le plus grand guerrier de Prideland et qui plus son frère aîné. Pour la benjamine d’une grande fratrie, c’était toujours une fierté. Etonnée de l’initiative de sa sœur, Sadaka se mit à soudainement à rire. Elle-même surprise, la jeune lionne perdit toute aura guerrière, trop sensible au rire du lion. Un fin sourire berça ses babines tandis que Sadaka louait son attaque, affirmant d’elle qu’elle surprenait. Son regard ambré s’enflammait de fierté. Plus qu’un simple aval, Sadaka lui affirmait que le narcissisme des mâles était un lourd défaut pour eux et confiait par-là même quelques secrets à sa benjamine.

« Et comment que c’était vicieux, tu m’as aveuglé ! » répondit précipitamment la lionne, faussement indigné.

Derrière sa légèreté, Ahva avait pris soin d’enregistrer chacune des informations données. Par deux fois où la lionne avait été aveuglée, le terrain lui avait été imposé et inconnu. Dès lors, son adversaire lui avait pris l’avantage. Déconcentrée, la lionne en avait perdu de sa rigueur et ne s’était pas méfiée à l’approche de son frère qui, d’un simple coup de patte balayé, fit céder la patte avant droite de la lionne avant d’enfoncer son épaule, la plaquant solidement au sol en un temps record. Stupéfaite, Ahva avait gardé ses deux yeux grands ouverts. Oh. Un léger nuage de poussière s’était élevé autour d’elle et la lionne souffla des naseaux, faisant virevolter sa petite mèche.

Stupéfaite du choc imposant ce retournement de situation, la lionne était restée interdite, ses grands yeux fixant inlassablement son frère qui la maintenait au sol sans grand effort. Finalement, le ton moqueur, Sadaka lui confia de ne jamais se laisser déconcentrer tant que le duel n’était pas terminé. Retrouvant sa vivacité, Ahva se mit à rire franchement, égayée.

« J’ai toujours trop d’oreilles pour tes mots ! » répondit-elle dans un grand sourire malicieux.

Et c’était bien vrai, Ahva n’avait d’yeux que pour ce frère aîné qui l’avait fasciné dès le plus jeune âge et qui s’était imposé comme une figure héroïque dont elle se vantait sans vergogne. En cela, elle n’avait jamais pu comprendre la réticence des Pridelanders à son égard. Mais soudainement, la belle sembla se transformer en bête et le lion noir recula précipitamment, sujet à la panique. Ses oreilles s’étaient couchées contre son crâne et il lui tournait désormais le dos, plongé dans ses peurs. Consciente de cette lueur qu’elle avait perçu dans son regard, Ahva se redressa et s’approcha doucement de son frère, inquiète mais présente.

« Sadaka ? » l’appela la jeune lionne.

Jamais il n’avait montré de telles émotions. Que lui arrivait-il ? Contournant ce grand dos ébène qui lui cachait le visage de son frère, Ahva s’avança toute penaude, la tête basse. Elle guettait son regard mais celui-ci ne semblait pas la voir, en proie à des visions qui lui était invisibles.

« On dirait que tu as vu un fantôme… »

Sa voix trahissait son jeune âge et son inquiétude palpable. Ne sachant trop ce qui tracassait son frère, l’adolescente ignorait quelle attitude adoptée mais à défaut de sa voir, elle s’assit docilement aux côtés du lion, son regard porté vers le sien. Il pouvait tout lui dire, elle serait toujours là pour lui.

Son regard s’agitait follement, se débattant contre des démons qui n’étaient pas là et il semblait apeuré. Les yeux écarquillés mais qui ne semblaient la voir, Sadaka était seul dans ses peurs. Ahva prenait peur, alertée par la détresse de son frère aîné et ne savait quoi faire pour l’aider. Elle se sentait terriblement impuissante. Faute de pouvoir faire mieux, la jeune lionne posa sa patte avec infime douceur sur celle de son frère et pressa sa poigne, demeurant son port si le lion s’égarait trop.

Finalement, le guerrier sembla retrouver la lumière et soupira, s’excusant brièvement mais incapable de tromper sa sœur. Ahva l’observait d’un regard en coin, suspecte bien que toujours inquiète. Fermement, il convia la princesse à faire route vers le priderock enfin, convier n’était pas vraiment le mot puisqu’il semblait davantage lui intimer un ordre. Surprise, l’adolescente haussa un sourcil, n’esquissant aucun mouvement avant de finalement plier, réalisant que ce n’était pas le bon moment pour tenir tête à Sadaka. Il était étrange et étonnamment silencieux. Plutôt que rentrer, il lui semblait davantage qu’il fuyait ses démons. Qu’était la vérité derrière son trouble ? Ahva avait déjà chercher à en savoir plus mais son frère demeurait muet, déviant toujours les sujets qui le gênait. Il cachait quelque chose, c’était certain.

Leur marche se fit dans un silence presque religieux qui cachait en réalité leurs songes. Sadaka affichait un visage de marbre mais sa jeune sœur n’en pensait pas moins. Quelque chose ne tournait pas rond et cela coïncidait étonnement à son retour de voyage. Quelque chose avait dû se produire et Ahva était déterminer à savoir quoi.

HRPG: