— ... Papa ? Tu veux qu'on fasse une pause ?

Ta voix est douce, hésitante. Tu ne veux pas avoir l'air de le prendre en pitié ou de diminuer ses forces, mais c'est plus fort que toi : tu t'inquiètes. Vous aviez bien progressé depuis votre dernier arrêt, et tu voulais que ton père ménage ses ressources - s'il y avait bien une chose que Lava t'avait apprise au sujet de la survie, c'était que la moindre broutille pouvait vite prendre d'inquiétantes proportions. Si, pour l'instant, les blessures de Kigeni restaient superficielles, rien ne disait qu'elles le resteraient et guériraient bien - sans chaman à disposition et sans le luxe d'une convalescence, ces égratignures pouvaient s'infecter et empirer en quelques jours seulement. Peut-être aurais-tu dû essayer d'en apprendre plus sur les plantes médicinales, du temps où tu bénéficiais encore du confort d'un clan... Tu te blâmes déjà, maudissant ta tendance à te morfondre dans ton coin et t'apitoyer sur ton sort alors que tu aurais pu profiter des Pridelanders pour tout apprendre de leurs astuces.

Mais s'il y a bien une deuxième chose que ta tante t'a apprise, c'est qu'il ne faut jamais regretter, ni revenir sur le passé - à plus forte raison quand on est nomade. Ta seule option était d'aller de l'avant, de redresser la tête et de faire attention à ne plus réitérer tes bêtises de jeunesse - tant de conseils que tu t'appliquais à suivre à la lettre. Derrière ses airs bourrus et féroces, Lava était plus sage que bien des lions que tu avais connus, et tu faisais confiance à chacun de ses mots. C'était d'ailleurs elle qui t'avait relevé après l'éboulement pour t'inciter à rester fort et courageux - ou, plus précisément, qui t'avait baffé assez violemment pour te faire taire, trop occupé que tu étais à hurler après une Jioni introuvable. Elle était comme ça, tata Lava : aussi tendre qu'une mère, mais aussi forte que la plus redoutable des guerrières de la Terre des Lions. Elle savait quand faire preuve de douceur et quand tu avais besoin d'une bonne paire de gifles et, même si sa brutalité pouvait parfois te surprendre, tu avais compris avec le temps que chaque chose que Lava faisait, elle le faisait pour ton bien et celui du groupe.

Elle n'avait même pas hésité à voler à la recherche de Jioni, avec qui elle ne partageait pourtant aucun lien de parenté. Rien d'autre que ce lien si fort, en vérité, qui unissait fermement les membres du petit groupe que vous formiez. Un lien plus spécial encore que celui que tu avais connu avec ton ancien clan ou, pire encore, avec ta famille de Prideland. Celui-ci était différent, car éprouvé chaque jour par la difficulté du voyage, renforcé par la camaraderie des survivants et, surtout, des années de vie à rattraper ensemble. Tant d'épreuves passées et à venir qui avaient fait de vous une famille soudée et indestructible. Tellement liée, en fait, que c'était avec un naturel déconcertant que le plan pour retrouver Jioni s'était formé - dans une union et un travail d'équipe étonnants, on avait décidé que, malgré ton zèle évident et ton désespoir concernant le sort de ta bien-aimée, Lava, plus rapide et habituée aux voyages en solitaire, irait la retrouver alors que tu resterais t'occuper de ton père blessé, adoptant ensemble un rythme moins soutenu favorable à sa guérison totale.

Enfin, encore fallait-il qu'il accepte de ralentir le mouvement... Kigeni aussi s'était pris d'affection pour la jeune lionne, et il souhaitait la retrouver au plus vite, avec autant d'ardeur que les autres. Un trait que vous partagiez, visiblement. Pourtant, l'impatience n'avait jamais fait partie de ton caractère - mais quand il s'agissait de Jioni, toutes les exceptions devenaient des règles. De plus, si tu avais passé le stade de la culpabilité maladive (notamment grâce aux baffes de ta chère tante), tu n'oubliais pas que tu lui avais promis de la protéger et de veiller sur elle. Jioni avait toujours détesté la solitude, et maintenant... Tu espérais que Lava l'ait déjà retrouvée. Et si elle était blessée ? Qui prendrait soin d'elle ? Et si, justement, quelqu'un avait bel et bien pris soin d'elle ? Et s'il était mieux que toi ? Et si elle le préférait à toi ? Tu avais raté ta chance de la sauver, de prouver que tu étais un mâle responsable et digne d'elle - cette erreur pouvait coûter cher, très cher... Tu parles d'un super-héros !

— Repose-toi un peu à l'ombre, je vais te trouver quelque chose à te mettre sous la dent... fais-tu en scrutant déjà les alentours.

Qu'il le veuille ou non, il était temps de faire une pause, aussi minime soit-elle. Le sol, rendu aride par la proximité du Grand Désert, n'offrait pas un matelas très confortable - mais Kigeni avait sans doute connu des conditions moins favorables encore. Un renfoncement rocheux dans le relief très inégal, causé sans doute par la présence des Gorges toutes proches, offrait un généreux coin d'ombre invitant à la sieste. Ton père y serait bien, avais-tu jugé. Avec sa robe d'ébène, hors de question de trop s'attarder au soleil - le pauvre devait cuire sous tant de chaleur. Toi-même avais du mal à t'y faire, alors tu n'osais imaginer ce qu'il en était de ton sombre paternel. C'était donc ton devoir de trouver un casse-croûte et le sien de se rafraîchir à l'ombre dans laquelle il se fondrait à la perfection.

Tu serais vite de retour à ses côtés, de toute manière : si tu n'avais aucune chance de trouver quelque juteuse antilope par ici, les lézards pullulaient à foison...

Il calme ton zèle de quelques mots avisés et t'incites plutôt à le rejoindre à l'ombre - fils obéissant, tu t'exécutes et vas t'allonger près du grand lion sombre. Ce n'est que quand tu t'immobilises entièrement que ton corps se rappelle sa fatigue et sa peine et, soudain, l'entièreté de tes muscles ou presque se met à te lancer. La douleur, sourde et persistante, s'accroche à tes articulations comme l'arthrose aux pattes d'un vieux lion. Tu masques une grimace d'inconfort et entrouvres les babines pour laisser échapper de brûlants souffles dans l'espoir de rafraîchir ta langue si sèche qu'elle te paraît de roche. Kigeni évoque une rivière toute proche et tu te sens déglutir d'envie. Las, épuisé et assoiffé, la mauvaise humeur commence à te gagner - en esprit, tu pestes contre le soleil qui semble vouloir vous percer de ses rayons, la pierre qui écorche vos coussinets, l'ombre plus tiède qu'elle n'est fraîche, ce fichu éboulement sans lequel vous seriez encore tous réunis... Et tu maudis aussi ces muscles douloureux, apparemment incapables de subir le moindre effort. Pourtant, tu pensais avoir bien grandi, t'être bien développé grâce à l'aide du clan - mais au final, cette sédentarisation n'aura fait qu'affaiblir tes capacités. Tu te sens mou et faible et, alors qu'il te reste tant à accomplir, cette impuissance t'énerve. Ne t'étais-tu pas musclé durant cette année de voyage ? Ne t'étais-tu pas assez habitué au vagabondage constant ? Non, apparemment pas. Une seule année ne suffit pas à transformer un pacha sédentaire en nomade aguerri...

Semblant lire tes amères pensées, ton père élève à nouveau la voix pour t'adresser des paroles encourageantes. Fiers, dit-il. Lava, et lui-même. Encore une fois, tes émotions prennent le dessus et changent de couleur et de forme aussi aisément qu'un caméléon - rendu bougon par l'épuisement quelques secondes plus tôt, voici que tu t'apaises et oublies la douleur lancinante de tes épaules pour afficher une expression émue. Mon fils, t'a-t-il appelé. C'est idiot, c'est anodin, mais c'est si important pour toi. Les éloges dont il te fait grâce ne sont pas particulièrement brillantes, et pourtant, tu en aurais pleuré de joie quelques mois plus tôt, avant d'être endurci par la marche et la maturité. Aujourd'hui, plus apte à contrôler tes sentiments - bien que restant un lion remarquablement émotif -, tu réussis à ne pas fondre en larmes. Lionceau, tu avais tant rêvé de ces doux encouragements, ceux que personne dans le clan n'avait su t'offrir. Indépendant ? Responsable ? Non, tu n'étais que le faiblard tout juste bon à se cacher derrière ses sœurs. Ta mère avait bien sûr tenté de te valoriser mais, étrangement, ses mots n'avaient jamais vraiment trouvé écho en ton cœur. Une mère complimente toujours ses petits, alors ça ne comptait pas. En ce temps-là, tu rêvais bêtement que ton père se montrerait fier de toi un jour - et même si tous tes espoirs résidaient dans cette désillusion, au fond, tu savais que ça n'arriverait jamais.

Et pourtant, c'était arrivé. C'était arrivé et ça arrivait à nouveau chaque jour. Une vague de gratitude et de reconnaissance te submerge alors et, doucement, tu poses ton menton au sol, entre tes pattes antérieures, dans un signe de soumission inconscient.

— Merci. Pause. Je ferai toujours tout pour te rendre fier.

Sans le vouloir, tu lèves sur lui tes fameux yeux de victime - à cet instant précis, sûrement fais-tu plus jeune que ton âge, bien loin du lion indépendant que ton père vient de décrire. Mais c'est plus fort que toi : comment ne pas te sentir si frêle, si fragile, si petit et insignifiant face à lui ? Et, en même temps, tu te sens toi-même si fier, fier d'être son fils - tu as l'impression d'être fort, invincible, capable de tout - du pire comme du meilleur. Tu te sens à la fois lionceau ridicule et jeune adulte prometteur - tant de contrastes et de contradictions qui ont toujours fait partie de toi.

Et, comme pour appuyer cette dualité, ton pitoyable regard se mue peu à peu en détermination et en confiance en soi. Tu redresses la tête, l'expression presque noble, ton calme retrouvé, tandis que les tumultes émotionnels de tes pensées s'apaisent enfin pour te permettre de réfléchir calmement, posément et, surtout, de manière rationnelle.

Kigeni n'était pas particulièrement bavard. De ton côté, tu n'étais pas spécialement curieux. Ainsi, des dizaines de questions restaient en suspens entre vous deux - jamais tu n'avais cherché à savoir le pourquoi du comment. Peut-être était-ce une erreur, une façon de fuir le passé plutôt que de l'affronter bravement... Toi, tu appelais simplement cela le pardon. La page était décidément tournée et, maintenant que tu avais renoué avec tes racines, ton regard n'était plus tourné que vers l'avenir. Quelle transition incroyable pour un enfant toujours occupé à se morfondre sur les choses anciennes alors que ses frère et sœurs s'occupaient tous de leur beau présent...

Jioni, elle aussi, avait respecté cet accord silencieux de ne pas évoquer le passé plus qu'il ne le fallait - une nouvelle raison de se montrer reconnaissant envers elle. Mais des questions, tu en as des tas, et cet instant de repos semblait inviter à les poser. Alors, timidement, tu te lances :

— Dis, papa... Tu... Tu en penses quoi, de Jioni ?

Tu regrettes instantanément. Ça ne sonnait pas du tout comme ça dans ta tête - c'était sorti bizarrement, non ? Alors, tu t'empresses de te rattraper :

— E-Enfin, je veux dire, elle est gentille, mais... hum... E-Elle est gentille, hein ?

C'est encore pire qu'avant - tu t'enfonces, tu t'enfonces tellement. Tu raplatis la tête au sol, embarrassé et honteux, le regard fixé sur un caillou en face de toi pour ne pas croiser celui de ton père. C'était bizarre, d'essayer d'avoir une discussion normale d'un fils à un père... Très bizarre. Pourtant, tu avais terriblement besoin des conseils d'une figure paternelle - mais tu n'étais pas sûr que Kigeni ait de quoi t'aider. Avait-il jamais connu pareille situation que la tienne ? S'était-il déjà senti si bête, si idiot, si pris au dépourvu face à une lionne ? Savait-il comment remédier à cela, comment faire les choses correctement ? Non, te hurlaient des voix du passé, Kigeni n'a jamais fait les choses correctement ! Il avait pourtant su prouver le contraire à ces mêmes voix - allait-il, à présent, encore te surprendre ?

Ta honte te submerge plus que jamais auparavant - plus encore que le jour où tu avais dû demander au père de Jioni la permission de lui enlever sa fille. Tu n'avais pas fait le fier ce jour-là et, très honnêtement, tu devais ton succès à l'épouse du mâle : étrangement, la mère de Jioni t'avait toujours soutenu et n'avait jamais douté ni de tes motivations ni de tes capacités. Ses sourires en coin et ses regards encourageants laissaient supposer qu'elle en savait toujours plus - et ce n'est que maintenant que tu comprends ce qu'elle avait vu en toi. Pourtant, à ce moment-là, toi-même ne comprenait rien à tes sentiments - mais elle avait déjà tout deviné, depuis très, très longtemps.

— Ce n’est pas en courbant l’échine que tu la séduiras mon garçon.

Tu redresses timidement la tête, à demi convaincu. Bien sûr, ton père a raison : aucune femelle ne voudrait d'un faiblard ! Mais, d'un autre côté, jouer les gros bras n'avait aucune chance de fonctionner sur Jioni : il fallait être à la fois sensible, doux, délicat et fort, dur, responsable... quel casse-tête ! Perdu dans tes tracas, tu ne remarques qu'un peu tard la malice de ton père, et les mots qu'il a employés. La séduire... Instantanément, tu piques un fard.

— Elle... te correspond bien.

Il a repris un peu de sérieux tandis que tu essaies de te calmer. Mais ton cœur bat la chamade et retrouver un peu de tenue n'est pas chose aisée. Cependant, les encouragements de Kigeni te donnent un peu d'espoir : il a l'air d'approuver la jeune lionne, et pas uniquement comme partenaire de voyage.

— Jioni est une lionne qui a un grand cœur. Quand je l’ai vu la première fois, j’ai tout de suite compris pourquoi elle était importante pour toi... Je serais heureux de l’avoir comme belle-fille.
— PAPA !

Tes joues te brûlent et, cette fois, la chaleur du désert tout proche n'y est pour rien. Le pire, c'est que ton père rit, qu'il se moque gentiment de ton désespoir - mais quel mufle ! Pourtant, son rire te réchauffe le cœur, et tu te serais sans doute toi-même surpris à sourire si le sujet n'était pas aussi délicat.

— Et toi ? Qu’est-ce que tu penses de... ta situation actuelle. Ce que tu aimerais faire.

Ce que tu aimerais faire ? Tu n'y avais jamais vraiment pensé... Tu considérais que tu n'avais pas le choix : il fallait suivre ton père et ta tante, et suivre leurs directives. Mais maintenant que tu y réfléchissais... L'éboulement avait certes bousculé votre train de vie, mais, une fois cette épreuve franchie, peut-être serait-il temps de prendre des décisions...

— Je... Je pense que j'aimerais me rapprocher d'elle.

Inutile de prétendre à une quelconque amitié plus longtemps : ton père savait déjà tout, de toute façon. Inutile aussi de te mentir à toi-même. Jioni te manquait terriblement, son absence te faisait souffrir et, la prochaine fois que tu la verrais, que tu la tiendrais entre tes pattes, tu ne la lâcherais jamais plus.

— ... Mais je ne sais pas comment faire. Nous avons toujours été amis et... si je veux être plus qu'un ami... et si elle ne veut pas, ça risque de tout gâcher...

Tu hésites, tu n'es sûr de rien, et tu as peur qu'un pas en avant ne te ramène loin en arrière.

Ton paternel prend le temps de réfléchir, comme s'il soupesait sérieusement le poids de tes incertitudes. Il te prenait au sérieux - ou du moins en avait-il l'air - et cette simple constatation t'inspire à nouveau une bouffée de confiance. De confiance en lui et, d'une certaine manière, de confiance en toi. Autrefois, on s'était gentiment moqué de toi et de tes sentiments - et pouvait-on vraiment blâmer ces lions et lycaons qui s'étaient plu à juger tes émotions d'un œil rieur ? Tu n'étais, à l'époque, qu'un stupide adolescent, et avais été traité comme tel. Et même si tu en étais pleinement conscient, être à présent considéré sérieusement et, surtout, comme un lion responsable et presque adulte, te faisait le plus grand bien.

— Imaginons un instant qu'elle ne le souhaite pas... Je ne pense pas que ce soit son genre de repousser son entourage. Tu ne la perdras pas, quoi qu'il arrive.

Tu hoches doucement la tête, comprenant ce qu'il voulait dire par là. Tu avais beau n'avoir aucune expérience en matière de romance - ta famille étant décidément très mal barrée de ce côté-là -, tu n'ignorais pas que tous les refus n'étaient pas forcément mauvais et destructeurs. Certes, la déception était bien là, mais ça ne voulait pas systématiquement dire que les relations passées allaient être ruinées... Doucement, inconsciemment, tu te prépares à cette éventualité - au fait que même si Jioni refusait tes avances, tu ne devais pas considérer ça comme un drame, ni comme une tragédie, ni comme une insurmontable épreuve; que ce n'était pas la fin du monde, en somme ! Quoique...

— Mais entre nous... Je pense plus que ça soit le contraire. Votre comportement l'un envers l'autre crève les yeux.

Tu lèves timidement les yeux vers lui. Tu essaies de te contenir - et pourtant, ton cœur bondit de joie à ses paroles si pleines d'espoir. Mais, d'un autre côté, tu veux t'empêcher de trop espérer de crainte de tomber de haut et d'être très déçu par la suite... Et pourtant... Avec son étincelle espiègle au fond des yeux, ton père n'avait pas l'air de mentir, au contraire ! Avait-il vu chez Jioni la même chose qu'il voyait chez toi ? Une attitude si flagrante qu'il n'avait même pas eu besoin de tes aveux pour tout deviner ? Y avait-il réellement un espoir pour toi ? Bêtement, tu esquisses un faible sourire.

— Ne laisse pas tes peurs te barrer la route Nedge. Fonce. On sera toujours derrière toi, quoi qu'il arrive.

Encore une fois, les mots paternels suffisent à gonfler ton cœur de confiance et de gratitude. C'était vrai : le ciel pouvait vous tomber sur la tête - et, en vérité, il l'avait déjà fait - que vous seriez toujours aussi unis. Vous quatre : Kigeni, Lava, Jioni et toi-même. Qu'y avait-il de mal à essayer de se souder un peu plus ? Au fond, c'était inévitable : l'attirance que tu éprouvais pour Jioni ne datait pas d'hier et, avec ta présente certitude qu'au moins deux des membres de ta famille (Lava faisant évidemment partie du lot) te soutiendraient au moindre problème, tu commençais à adopter une toute nouvelle résolution.

Ton père s'étant baissé vers toi, tu allonges le cou pour rencontrer son front dans un de ces headbutts que vous partagiez souvent et qui signifiaient tant pour toi.

— Merci papa. Je vais le faire... Il faut que je lui dise.

Quand tu éloignes ton visage du sien, tu sembles changé, illuminé, transfiguré. Un sourire fier et déterminé a pris place sur tes babines et, au fond de ton regard, sommeille paisiblement une flamme d'assurance.

— Il faut absolument qu'on la retrouve, le plus vite possible !

Ça avait toujours été une évidence, mais aujourd'hui plus que jamais. Tu commençais d'ailleurs à avoir de l'espoir : si Lava avait continué sa route aussi sûrement, c'est qu'elle avait trouvé la piste de Jioni, et si elle avait trouvé la piste de Jioni... ça voulait forcément dire qu'elle allait bien ! Vous vous rapprochiez de plus en plus de Freeland - comme ton père l'avait souligné plus tôt, en faisant référence au cours d'eau qui faisait office de frontière naturelle entre les deux contrées. Si la jeune lionne l'avait atteint, nul doute qu'elle y aurait trouvé de l'aide et un refuge...

Plus résolu et impatient que jamais, tu te lèves d'un bond, oubliant la chaleur des Gorges et la pause que vous aviez prise - ainsi que les cicatrices du grand mâle sombre. Fils indigne !

Déterminé et plus assuré que jamais, tu regardes le fond des Gorges d'yeux neufs et revigorés. Ta vision ne s'avance pas loin, les parois rocheuses coupant toute visibilité. Cependant, tu sens une brise nouvelle te caresser la crinière, comme l'appel d'un vent d'espoir. Comme un futur plein de promesses qui te murmure à l'oreille : tout ira bien, Nedge. Elle va bien. Et tu la retrouveras bientôt. Alors, tu souris et avances vers l'objet de ta quête : les Terres Libres et le doux trésor qu'elles renferment.

— Allons-y jeune lion, ton avenir t'attend !

Ton père passe devant en te bousculant gentiment, sa voix grave et rassurante te renforçant dans tes idéaux. Il court droit vers Freeland et, sans attendre ton reste, tu te précipites à sa suite. Ton rire, bien plus léger, fait écho au sien tandis que tu le rattrapes en allongeant tes foulées. Sans vouloir faire souffrir davantage vos corps rompus par la chaleur - et par les cicatrices pour l'aîné -, vous adoptez tout de même une allure rapide mais confortable. Après ces longs mois d'errance, tu avais appris à mieux te connaître toi-même et savais à présent contrôler ton rythme pour parfaire ton endurance. Tout en toi s'était développé : tes muscles, ton souffle, ta tolérance à la douleur et à la fatigue mais, surtout, ton esprit et ta maturité...

Au fond, cette triste séparation aura servi à quelque chose, car tu n'en ressortiras que grandi. Mais l'épreuve arrivait à sa fin et il ne restait plus qu'une chose à faire : retrouver Jioni.