Enfin. Enfin, il les avaient trouvé. Les Kulishas. Ces lions asservis, qui n'avaient d'autre but que de servir un tyran qu'il prenait pour un protecteur, presque un père. Les pauvres fous. Manipulés dès leur plus jeune âge. Si Jeuri ne voyait pas là la parfaite troupe de petits soldats qui lui permettrait de retrouver la peu de gloire qu'il avait eu au côté des Nyeusis, il les auraient presque plaint. D'un autre côté, peut être ces lions allaient-ils lui permettre d'atteindre finalement son objectif, de se trouver un héritier. Tous avait été habitué à suivre les ordres du Tyran de Freeland mais maintenant qu'il n'était plus, ses suivant n'étaient que des pantins dont personne ne tirait les ficelles. Parfaitement modelable. Pardon ? Ekua ? Tss. Cette vieille carne n'était rien. Les Kulishas ne la suivaient que parce qu'elle avait porté l'enfant de Sharkan mais aussitôt était-il mort qu'elle s'était jeté dans les pattes de Mopango. Ce dernier devait être tombé bien bas pour avoir laissé faire une telle chose. Mais soit ! Elle avait agit comme n'importe quelle femelle, comme un sangsue et à cause de cela, la loyauté de ses sujet s'en retrouvait ébranlée. Quant à Sumu, cette gamine n'était qu'une pleurnicharde et si Jeuri accordait à Ekua qu'elle savait au moins comment acquérir du pouvoir et le garder un temps, il n'en était rien pour sa fille. Il ne restait que Mopango et Gizani. Mais aucun des deux n'avait la loyauté des Kulishas. Cependant, ils étaient crains, peut être était-ce encore mieux.

Par ailleurs, le mépris qu'Ekua et Jeuri éprouvait l'un pour l'autre était palpable. Le vieux lions ne devait son acceptation qu'à Mopango alors que cette vieille Reine l'aurait renvoyé. Quel dommage qu'elle soit incapable de tenir tête au lion noir, n'est-ce pas ? Non, en réalité, la frustration de cette carcasse chancelante faisait jubiler le lions au pelage sombre. Ceci dit, il était tout aussi frustré qu'elle de ne pas pouvoir lui enfoncer ses griffes dans le visage lorsqu'elle lui sifflait dessus tel un serpent. D'ailleurs, puisqu'on parlait de ça...

- Tu n’as pas quelques chose à faire ?

Dos à la Reine, le félin gris leva les yeux au ciel. Par les esprits qu'avaient-ils fait pour que cette peste l'accoste ainsi ? Néanmoins, cela lui donnait l'occasion d'exploiter leur mésentente cordiale et de titiller la carne sur le peu d'impact qu'elle avait eu pour empêcher son intégration. Ce n'était pas très mature, certes, mais cela lui calmerait au moins les nerfs.

Se retournant d'un pas nonchalant, le vieux lion afficha un sourire sournois sur ses babines avant de courbé légèrement la tête. Jeuri n'aimait pas courber l'échine, encore moins devant une femelle mais il ne fallait pas longtemps pour comprendre toute l'ironie de son geste. Il ne la saluait que par fausse politesse, se moquant d'elle plus qu'autre chose.

- Et bien. Votre Altesse s'est-elle levé de la mauvaise patte ce matin ?

Demanda-t-il d'un ton mielleux tandis que ça queue battait l'air de droite à gauche. Toujours avec une voix des plus poli et compatissante il continua en jetant un rapide coup d’œil aux roches alentours :

- Ou bien peut être êtes vous simplement fatiguer ? Élever le jeune Prince des Ombres doit être difficile à votre âge.

Il est vrai qu'il n'était pas le mieux placer pour parler. Lui même se sentait vieillir au fur et à mesure, néanmoins, il n'était pas une faible femelle et était plus que certain de pouvoir surmonter ce détail. Cependant, Jeuri pensait réellement ses mots lorsqu'il décrivait les enfants comme épuisant, il n'en avait jamais eu, le ciel l'en garde, mais le peu qu'il avait croisé était d'un agacement... Et la plupart avait finit en pâture pour vautours.

Jeuri n'appréciait pas Ekua. Voir plus, il la méprisait, que ce soit parce que ce n'était qu'une lionne ou juste à cause de son caractère de pimbêche. Il n'avait aucun respect pour elle et pourtant, il ne pouvait s'empêcher de trouver les joutes verbales déclarée par la vieille carcasse intéressantes. Même si pour le coup... Elle le déçu. Vraiment ? C'était tout ce qu'elle avait trouvé à dire ? Le vieux lion s'était attendu à mieux. Mais soit ! Peut être lui fallait-il le temps de s'échauffer. Jeuri était patient et pour le coup, il n'avait rien de mieux à faire que de chercher des puces à la Reine. Enfin si... Il aurait pu essayer de se rapprocher du jeune Prince des Ombres mais sa mère ne semblait pas le lâcher d'une griffes. Le félin sombre se doutait bien qu'elle avait dû lui glisser quelques mots à son égard. Des mots qui devait être aussi doux qu'un cactus. Néanmoins, Gizani était le nouveau pilier du pouvoir, ceux qui en étaient proches n'en deviendraient que plus puissants... Et les esprit savent à quel point cette puissance pouvait intéresser Jeuri. Il trouverait un moyen de se tenir auprès du jeune lion, peu importe qu'une vieille carne se tienne sur sa route.

- Ce serait quand même dommage que tu déçoives Mopango. Surtout qu’il a fait preuve d’une « incommensurable bonté » à ton égard.

Redressant d'abord ses oreilles, comme surpris, Jeuri fini par dévoiler ses crocs dans un sourire macabre. Ne pas le décevoir après son "incommensurable acte de bonté" disait-elle ? Non, ce n'était pas ça. Mopango faisait simplement ce qu'il avait à faire pour obtenir ce qu'il voulait. Il voulait un fils ? Il avait utilisé Ekua. Il voulait un allié ? Il avait accepté Jeuri. Ses moindres actes étaient calculés pour parvenir à un seul but et le vieux lion ne pensait pas Ekua stupide au point de l'ignorer. Un léger rire caverneux s'échappa de sa gorge.

- Voilà qui nous fait un point commun, Dame Ekua.

Il avait eu le temps de se renseigner depuis son arrivé. Mopango avait aidé les Kulishas. Nul doute qu'il souhaitait quelque chose de leur part et qu'ils n'avaient pas intérêt à le décevoir. Le vieux lion ferma les yeux pendant quelques seconde.

- Néanmoins, je ne peux que vous accorder ce point. Seul un fou prendrait le risque de décevoir Mopango.

Il souleva alors brusquement ses paupière pour poser un regard mi-amusé mi-méprisant à Ekua.

- Ce qui fait de vous une lionne extrêmement chanceuse. Le Prince des Ombres fut votre salut.

Car c'était bien ça que Jeuri trouvait insupportable avec cette lionne : elle se prenait pour une grande Souveraine mais toute sa vie, elle la devait aux petits qu'elle avait porté. D'abord Sumu qui lui avait fait atteindre le titre de Reine Mère puis Gizani. Le seul atout de cette lionne était de pouvoir manipuler des lions suffisamment désespérés pour se laisser berner. C'était tout. Cette vieille carne n'était ni puissante, ni intimidante. C'était juste un parasite.

Et la joute verbale continua, pour le plus grand plaisir de Jeuri. Peut être que grâce à Ekua ses journées passeraient plus vite après tout. Comme quoi... elle servait à quelque chose finalement. Cependant, ces enfantillages aurait tôt fait de l'agacer. Il n'était pas ici pour jouer à qui à la plus grande gueule, il était là pour accomplir un objectif. Et si la vieille Reine était divertissante, elle ne le serait qu'un temps avant que le mâle s'en lasse. Elle n'avait plus qu'à espérer être toujours sous la protection de Mopango ou de son fils lorsque ce jour arriverait.

- Oh, certes, car les lionnes, de nos jours ne peuvent plus vivre que de chance.

Les lionnes ont toujours vécu de chance très chère... Vous n'êtes que des parasites, incapable de survivre seules. Votre seul but, si vous en avez un, n'est que de porter des lionceaux, perpétuer l'espèce. Vous avez toujours été des parasites et vous le serez toujours. Ekua en était juste un plus gros que les autres, plus coriace, mais tout autant haïssable.

Le rire de la vieille carne sonna contre un crissement de griffe sur un rocher aux oreilles de Jeuri. Si méprisant, si hautain... Il lui en fallait de la maitrise pour se retenir de lui mettre un coup de griffe dans le visage et ainsi la privé de son second œil.

– Ma chance fut d’avoir un second enfant. Ma relation avec Mopango, quant à elle, est en tout point différent de ce que ton esprit naïf pense. Il l’aurait voulu qu’une dizaine d’autre lionnes étaient à sa portée, mais le Nyeusis eut une raison de jeter son dévolu sur ma noble personne. Et cette raison, ce ne fut pas les Kulishas qui on jadis jurée fidélité à Sharkan et à sa famille, mais bien ce tempérament qui fait de moi la Reine Vipère.

Jeuri se retint de lever les yeux au ciel. Il se contentait de fixé la Reine avec dégout tandis que sa queue battait furieusement l'air. Agaçante, hautaine, méprisable... Mopango était tombé bien bas. Autant le félin gris pouvait comprendre que le Nyeusis s'intéresse à une lionne avec du caractère, histoire de pimenté les chose autant qu'il s'intéresse à Ekua... Mais il était vrai que cette lionne avait le don d'agiter sa croupe sous le bon mâle et de la bonne manière.

Cependant, Jeuri ne croyait pas Mopango stupide au point de tomber pour une lionne à cause de si futile raison. Que la vieille carne y croit était une chose mais pour lui, la vérité était tout autre. Qu'elle le veuille ou non, les Kulishas avait fait penché la balance en sa faveur. Se bercer d'illusion ne changerait pas cette réalité.

- Par le Grand Esprit, me damnerez-vous de ma vantardise ? Mais très cher, je ne dis là que la vérité. Je ne suis pas celle que je suis aujourd’hui pour un lionceau auquel j’aurais donné la vie, bien au contraire, car n’importe qui aurait pu le faire. C’est par ma force de caractère, mon ambition et mon audace que je suis reine et que je le resterais.

Ekua afficha alors un sourire hautain que Jeuri toisa avec mépris. Était-ce tout ? Avait-elle enfin fini son discours au combien remplit d’orgueil mais vide de bon sens ? Il fallait le croire. A voir son air satisfait on aurait dit un lionceau qui essayait d'impressionner un adulte grâce à son monologue. Pathétique.

- Je me demandais quand j'aurais la chance de revoir votre modestie si reconnue ! Amusant de vous entendre parler de votre rang. Il a pourtant été bien mis à mal. Reine, vous l'êtes toujours, je ne l'ai jamais nié. Quel dommage... Il ne vous reste que de la poussière à gouverner. De la poussière et des sujets dont la loyauté ne fait que s'ébranler, jour après jour.

La seule chose qui les retenait vraiment été la peur. La peur de se retrouver seul, la peur d'être perdu. Mais même avec cette peur, ils suivraient plus aisément la fille de leur Roi et Maitre déchu plutôt que la lionne qui avait prétendu lui être fidèle et qui l'avait trahit devant le premier mâle ténébreux venu.

- Vous savez comment obtenir ce que vous voulez, vous savez comment le garder. Mais perdez donc celui qui vous offre cette vie et votre pouvoir s'effritera aussi vite que les étoiles disparaissent au levé du soleil.

La voix du lion gris était calme, froide, dénué d'émotion. Rappelant encore et toujours le fameux message qu'il souhaitait faire passer à la Reine. Seule, sans Mopango, sans Gizani, elle n'était rien. Une futur dépouille. Un banquet pour les vautours. Mais pas une Reine. Même pas une lionne.

- Voyez mon esprit comme celui d'un être naïf si cela vous chante votre Altesse... Mais, en ce qui me concerne, je reste parfaitement conscient de ma position et des limites qu'elle m'impose.

Car là, était le point faible de cette lionne si vantarde. Se croire tout permis... Elle se croyait tout permis. Pensant que rien ne viendrait jamais s'opposer à elle, que tous plieraient l'échine devant son "illustre personne". Tsss... Était-ce vraiment Jeuri le plus naïf des deux après cela ? Non, lui il savait jusqu'où aller. Il savait aussi où s'arrêter. Sans quoi la Reine n'aurait déjà plus sa tête.

- Jouer au bord d'un ravin est excitant... Mais il faut prendre garde à ne pas y tomber.

La queue du lion gris ne cessait de s'agiter dans le vide, balayant l'air au rythme de son battement de cœur. Ekua, cette discussion, tout cela l'agaçait au plus haut point. Cette misérable femelle... Imbue de sa personne, elle ne voyait même pas dans quel bourbier elle mettait les pattes. Mais soit ! Qu'elle s'y enfonce... Ce serait tellement gratifiant de la voir se débattre pour en sortir. De la voir se noyer et disparaitre, ne laissant rien derrière elle. Patience. Ce jour arriverait. Mais pour l'heure, le vieux lion devait encore supporter cette carcasse.

- Certes, c’est un fait tout établi, mais il n’y a rien de plus excitant que de plonger ses pattes dans le vide pour frôler les ronciers qui gisent en contre-bas. A force de prudence, on se retrouve immobile et indécis, la connaissance des limites est essentiel pour permettre à l’ambition de faire son bout de chemin.

Mais à force de prudence, on survit. Ça, elle semblait l'oublier. Le gout du risque était une chose, mais se mettre en danger inconsidérément en était une autre. Il y avait une limite entre ces deux faits et aux yeux de Jeuri, Ekua l'avait oublié.

- Les limites, je les connais bien plus que toi, car je les ai contemplés de bien plus prêt et j’ai joué des coups bien plus importants que tout ce que tu pourrais faire de ta petite place.

Les muscles du visages de Jeuri se contractèrent, presque imperceptible. Sa petite place ? Sa place au moins, il l'avait gagner autrement qu'en dandinant sa croupe sous le nez des puissants. Il s'était battu pour l'avoir. Ne comptant que sur sa force à lui, sa puissance et celle de personne d'autre. Il n'avait pas à craindre de perdre tout ce qu'il avait pour peu qu'un simple lion meurt, lui. Qui était cette vieille carne pour le juger ainsi de son regard hautain ? Elle qui n'avait aucun mérite !

– Alors, mon cher Jeuri, si tu connais les limites… Reste à ta place ?

Méprisant, Jeuri n'évita en aucun cas le regard perçant du serpent, bien au contraire. Il maintint son regard et le maintiendrait aussi longtemps qu'il le faudrait. Une vieille sotte de femelle ne lui ferait pas baisser les yeux, jamais ! Eut-elle était Impératrice du monde, il ne se laisserait pas dominer et encore moins par Ekua ! Les yeux du vieux lion n'affichaient pas du mépris, pas que ça du moins : on pouvait y lire toute sa fierté. Par ce simple regard, il défiait la Reine. Même plus, il lui faisait même une promesse : il ne plierait pas devant elle.

- Ma place, je ne l'ai jamais quitté, votre Altesse.

Bien que toujours poli, sa voix était glaciale. Peut être même plus que le vent du Nord lui même.

- Méfiez vous des petites places dame Ekua. Aussi vrai qu'un scorpion peut achever un lion, il suffit d'un pion pour faire tomber le Roi... ou la Reine.

Une menace à peine déguisée. Mais Jeuri ne toucherai pas à la Reine, malheureusement pour lui. Il ne se permettrait pas une aussi grossière erreur : blesser la vipère c'était risquer de s'attirer les foudres de Mopango et briser toutes ses chances de se rapprocher du Prince Gizani. Il ne prendrait pas ce risque. Mais quelqu'un finirait par le faire... Quelqu'un finirait par se débarrasser d'elle. Qu'il s'agisse d'un lion ou du temps lui même.

La discussion entre les deux lions s'enchaina sans que l'un écoute vraiment l'autre. Ils étaient tout les deux trop campé sur le position, trop têtu et sur d'eux ne serait-ce que pour laisser un léger avantage à l'autre. Et cela leur convenait parfaitement. En tout cas, cela convenait à Jeuri. Même si la discussion avec la vieille reine l'agaçait, il s'ennuierait sans elle. Même s'il s'arracherait la langue plutôt que de le reconnaitre.

- Merci de tes conseils, mais je n’en ait pas besoin. Je suis une joueuse invétérer de ce petit jeu et j’ai assez confiance en mes cavaliers, mes défenseurs insaisissable. Alors craindre un pion comme toi, ce serait s’affoler pour rien surtout que tu es censé être dans notre camp… n’est-ce pas ?

Au moins Ekua avait-elle cesser de sourire. Nul doute que le petit sous-entendu de Jeuri avait fait son effet. Mais elle marquait un point. Du moins le croyait-elle. Le seul camp que défendait Jeuri c'était le sien. Aujourd'hui, son avantage se trouvait au côté de Mopango et de son fils. Voilà pourquoi il était là. Mais dire qu'il était dans le camp de la Reine ? Non. Ce serait faux. Ils étaient dans le même camp mais ce n'était pas celui de vielle carne, c'était celui de Mopango. Ceci dit, il ne voyait pas l'intérêt de le lui dire. Qu'elle continue de croire à sa supériorité inexistante. Sa confiance finira par la perdre. Et ce jour là, le vieux mâle se délectera de la scène.

Mais pour l'heure, il était simplement lassé. Il s'apprêtait à prendre congé de la vieille peau quand un bruit attira son attention. Des cailloux venaient de dégringolé. Étonné, le vieux mâle se redressa pour apercevoir une silhouette foncé faire son apparition. Le jeune prince s'approchait en trottinant du duo de vieux lions. Tiens donc.... Finalement, Jeuri allait peut être resté un peu plus longtemps que prévu.

- Jeuri ! Comment ça va ? ça fait longtemps que je t’ai pas vu.

Jeuri ne put s'empêcher de remarquer le roulement d'yeux d'Ekua. Sans doute la lionne n'aimait-elle pas voir son fils discuter avec lui. Pour sa part, le vieux lion s'en amusait.

- Mon Prince.

Le vieux lion s'inclina humblement. Si baisser la tête devant cette vieille carne d'Ekua lui arrachait les moustaches, ce n'était pas le cas devant le jeune lion. Sans doute était-ce le gonfler d'orgueil et de fierté, mais qu'importe ! Il était le futur des Kulishas. Le futur de la Terre des Lions et de ceux qui y vivaient. Le Prince des Ombres et de la Nuit. Et puis, si un trop plein d'orgeuil pouvait le rendre plus influençable au parole de Jeuri, il ne s'en priverait pas. Le mâle avait apprit depuis longtemps qu'il valait mieux être bien vu des puissants, surtout ceux en devenir.

- Je suis moi même ravi de vous revoir. Cela faisait trop longtemps, en effet.

Il se redressa. Un sourire, presque paternel, se dessina sur ses babines. Oh bien sur, jamais Jeuri ne pourrait remplacer la place de Mopango dans le cœur du jeune félin et il le savait, mais cela n'était pas son objectif. L'enfant était encore jeune. Il fallait qu'il sache sur qui compter. Et si le jeune prince pouvait voir en lui un épaule sur laquelle s'appuyer, un fidèle allié, alors le destin de l'imposant félin gris était assuré.

- Je vais bien, je vous remercie de votre considération. En est-il de même pour vous, Votre Altesse ?

Le petit devait trouver le temps long parmi les Kulishas. Si le jeune Prince le désirait passer le temps lors des absences répétés de son père, Jeuri aurait été plus que ravi de l'aider dans cette tâche. Après tout, il était toujours à la recherche d'un "héritier". Certes, Gizani voyait son père, et lui seul, en tant que modèle. Il était l'héritier de Mopango et de personnes d'autres, le vieux mâle ne se faisait pas d'illusion à ce sujet. Mais cela ne l'empêcherai guère de tenter un "rapprochement".

Jeuri écoutait avec une grande attention les paroles du jeune Prince des Ombres. Ainsi, celui-ci s'ennuyait ? Le vieux mâle retint un sourire sinistre. Voilà qui était une aubaine. Peut être avait-il là une occasion de se rapprocher du futur Maitre de la Terre des Lions et d'une place majeure au sein de ce ramassis d'incapables Kulishas. Une place bien plus importante que simple punching-ball pour cette vieille carcasse d'Ekua. Certes, il n'était pas à plaindre ici : le vieux mâle était mieux gradé que la plupart des Kulishas de par son ancienne alliance avec Mopango, ou du moins, c'est ainsi qu'il voyait les choses. Mais ce n'était pas assez à son gout. Non, il méritait plus que ça.

L'enfant semblait attiré par la Cascade aux Esprit ce qui ne réjouissait guère la Reine. Pour tout ce que Jeuri haïssait la vieille peau, il ne pouvait qu'être d'accord avec elle concernant les danger de ce lieu. Les Lamasus étaient des lions redoutables, ils l'avaient montré lors de leur dernière bataille. Et nul doute qu'il n'aurait aucun remord à se débarrasser du fils d'un Nyeusis. Gizani avait beau être le descendant d'un puissant lion noir il était encore trop jeune, trop inexpérimenté pour ne serait-ce qu'espérer battre un Lamasus. Mais un jour il en serait capable, Jeuri n'en doutait pas une seule seconde : les légendes finissent toujours par s'effacer, les lion beiges ne feraient pas exception.

Soudainement, l'attention du vieux mâle fut attirer par la Reine vipère, le sortant de ses pensées de manière bien désagréable. Il se disait bien que l'endroit était trop agréable depuis quelques minutes. Quel dommage qu'elle n'ai pas gardé sa gueule fermée plus longtemps.

- Comptes-tu rester encore ici longtemps ?

Jeuri fixa silencieusement la Reine pendant quelques secondes puis son regard dériva lentement sur le jeune Gizani. Il savait que cela ferait bien trop plaisir à Ekua s'il parait ainsi. Mais en même temps, elle gagnerait leur petit jeu trop facilement. Il se contenta donc de répondre :

- Aussi longtemps que ma présence est tolérée, Dame Ekua.

Puis, un sourire apparut sur les babines du lion sombre. Peut être était-il un brun narquois mais qu'importe ! Jeuri se hâta d'ajouter à l'attention de la vieille lionne :

- Mais cela ne me semble plus vraiment le cas, n'est-ce pas ?

Sur ces mots, l'imposant félin se redressa fièrement de toute sa hauteur. Oui, il allait partir. Mais il avait une dernière chose à faire avant. Alors qu'il faisait mine de s'éloigner, Jeuri se retourna rapidement vers Gizani, ignorant encore davantage Ekua. Il baissa humblement la tête en signe de salut et ajouta :

- Cependant, avant que je m'en aille, sachez mon Prince que si votre ennuis est trop grand, je suis à votre entière disposition.

Jeuri ignorait ce que recherchait exactement un enfant de son âge. Il n'avait jamais réellement fréquenté de lionceaux. L'idée d'être père ne lui aurait pourtant pas déplut... Laisser la marque de son passage dans ce monde, non pas seulement grâce à la transmission son savoir mais aussi grâce à son sang le gonflait d'orgueil, mais, avec l'âge, cette idée lui semblait bien improbable. Il avait attendu trop longtemps pour ça. Néanmoins, connaissant l'admiration du jeune félin pour son père, celui-ci lui demanderait sans doute des récits sur ses exploits ou alors un entrainement au combat. Cette dernière option ne déplairait guère à lion sombre : le petit était jeune et encore maladroit, mais il était des bases qu'il pouvait déjà apprendre. La stratégie, par exemple, n'était pas affaire de physique mais de mental, il n'était jamais trop tôt pour la développer.

Jeuri resta ainsi un instant immobile. Il devait l'avouer, il était assez curieux de la réaction de l'enfant. Elle serait sans doute positive si le petit s'ennuyait vraiment mais cette proposition ne devait pas enchanter sa mère, surtout vu ses... différents avec le lion gris.

La vieille carne appuya les propos du vieux lion concernant la tolérance de la vieille Reine à sa présence. Mieux valait ne pas abuser de sa patience. Pas en présence du jeune prince en tout cas. Cependant, Jeuri ne doutait pas ses échanges avec le jeune lion faisait enragé la vipère. Il se retint de sourire. Savoir qu'une partie de la mauvaise humeur d'Ekua était de son fait le faisait jubiler sans qu'il sache réellement pourquoi. Mais à quoi bon chercher une raison ? Parfois, il faut juste se dire qu'agacer les gens est particulièrement amusant. Et la réponse du petit Gizani ne fit qu'ensoleiller sa journée davantage.

- Promis, Jeuri ! Je viendrais te voir.

Pour toute réponse, le concerné hocha doucement la tête avec un léger sourire sur les babines avant de s'éloigner.

- Ce sera un plaisir.

Répondit-il simplement. Apparemment, il semblait apprécié du petit lion noir. En soit, ça n'avait rien d'étonnant : en bien des points, il se rapprochait de Mopango. Et l'admiration que Gizani portait à son père n'était pas inconnu au lion gris. Elle pourrait lui être utile.

Petit à petit, il finirait par se rapprocher du jeune Prince. Il affirmerait sa place au sein des exilés. Il ne serait ni un Roi, ni un dirigeant. Il en était conscient. Et il ne voulait pas de ses titres : être à la tête d'un groupe nous mettait bien trop en vue. Cela pouvait être enivrant un temps mais on finissait vite par se rendre compte que vivre dans l'ombre était bien plus simple. Et c'est ce qu'il serait, une ombre. Cachée, mais toujours bien présente derrière chacun des pas de Gizani. Pour le surveiller et l'épauler... Mais aussi, et surtout, pour améliorer sa propre situation : il n'était pas l'un de ses idiot de Kulishas. Jeuri méritait mieux... et il ferait ce qu'il avait à faire pour l'obtenir.