Sa décision, il l'avait - inconsciemment - prise depuis longtemps, et pourtant comme elle pesait lourd. S'il était certain que c'était le mieux pour Rána, Hatari n'en éprouvait pas moins une douleur immense à l'idée de se séparer de lui. Évidemment, personne ne l'y obligeait, mais quel autre choix avait-il ? Rána méritait mieux qu'un père lassé de la vie ; il méritait une famille aimante qui saurait le faire grandir dans le bonheur. Il était certain que l'exilé aimait son fils plus que tout au monde, et qu'il était la dernière chose qui le retenait sur ces terres, mais la perte de Safi avait fait penché la balance. C'était la fois de trop ; il avait chuté de trop nombreuses fois pour trouver à nouveau le courage de se relever. Non, cette fois-ci, il terminerait à genou. Hatari se faisait vieux, et le temps pesait peu à peu sur ses épaules, il le sentait. Il n'était plus aussi endurant, plus aussi agile qu'il l'avait jadis été. Nul besoin de rester ici pour se voir diminuer ; il préférait partir en laissant ce souvenir à son fils ; celui d'un lion robuste, pas d'un vieillard affaibli.

Cette décision, il l'avait prise sans en parler à Rána. Le petit lionceau commençait à être autonome et partait régulièrement à l'aventure, c'était sans doute le moment le plus propice à une séparation. Il ne fallait plus faire traîner les choses ; autant lui donner une chance d'oublier ce mâle solitaire qui l'aurait élevé pour se construire une vie familiale plus riche et sécurisante. Et pour cela, Hatari avait besoin de trouver une lionne de confiance, qui saurait prendre soin de Rána comme de l'un de ses petits. Malheureusement, son exil avait fait de lui un lion relativement solitaire, et ses relations se faisaient rares. Il n'avait qu'un lion à qui le demander, un lion qui lui avait jadis fait la promesse d'une redevance. Ce lion, c'était Chombo Hiki. Ils ne s'étaient croisés qu'une fois, mais grâce à Valaka, Hatari avait la certitude que le grand mâle blond saurait l'aider. Il était sa dernière chance, sa seule solution.

Alors, tandis que Rána vadrouillait devant en éclaireur, sans se douter que c'était là les dernières heures qu'il passait avec son père, Hatari contemplait cette petite boule de poils avec tout l'amour qu'un père pouvait avoir. A n'en pas douter, c'était là l'une des décisions les plus difficiles qu'il avait eut à prendre, mais son instinct et son coeur éprouvé lui soufflaient que c'était là la meilleure chose qu'il puisse offrir à Rána. Il le laisserait entre les pattes d'une lionne aimante, tandis que lui disparaîtrait pour toujours. Évidemment, en grandissant, il se doutait que son fils lui en voudrait, comme il en avait voulu à ses propres parents. Comment pardonner à l'être que vous aimez le plus de vous abandonner ? C'était là une déchirure que seul le temps saurait, peut-être, guérir. Hatari en avait parfaitement conscience, mais cela ne changeait rien à sa décision. Il ne serait plus là pour voir grandir Rána, il fallait mieux que la séparation se fasse avec le plus de douceur possible. Une fois son fils en sécurité, il pourrait accomplir une dernière tache, un dernier voyage pour assouvir un désir de revanche qui ne s'était jamais tari. Le vieil exilé irait trouver les Jangowas, et il ne s'arrêterait que lorsque son cœur cesserait de battre.

C'était une journée de patrouille. Une patrouille qui s'élargit beaucoup pour moi, car je me retrouvai, perdu dans mes pensées comme je l'étais bien trop souvent, sur la Lande. Je n'étais pas loin de la frontière, mais il fallait admettre que me retrouver si loin de la frontière était une absurdité notable. Mais je décidais de continuer un peu mon périple. Après tout, Outland ne risquait pas d'attaques externes par ce côté, c'était simplement pour la forme que l'on faisait faire des patrouilles sur la frontière nord.

J'en profitai alors pour songer aux nombreux soucis que ma famille rencontrais ces derniers temps. Ca commençait à devenir difficile, avec Fahari qui n'en faisait qu'à sa tête, les tensions ajoutées par le retour de Jango, même s'il faisait tout pour se faire aimer de son jeune frère, Valaka fatiguée de sa tête brûlée de Junior. Et tout ça, dans le contexte actuel de grosses dissensions
sur Outland, avec Soto qui était le seul ami de Fahari et comme par hasard pro-Hourasi...ça ne présageait rien de bon.

Et puis il y avait Rhellaya, restée relativement froide depuis les agressions de nos enfants. Je comprenais qu'elle ait ait été choquée de me voir sans réaction ce jour-là, mais j'étais impuissant à devoir choisir un camp dans ma propre famille, et cette froideur me blessait, malgré sa justification et la compréhension que j'en avais. Pour être simple, je n'osais quasiment plus dormir sous mon toit, car la tension était si palpable que les enfants risquaient de se poser des questions et de mal le vivre. Il valait mieux, en l'attente d'une solution ou d'une résolution miraculeuse, que chacun prenne l'air un peu de son côté. Voilà aussi pourquoi je m'acharnais à davantage de patrouilles nocturnes. Et je n'en voyais presque plus mes enfants...

A un moment, je me senti comme étant suivi. J'humai l'air, à la recherche d'une identité olfactive, et elle vint. Lentement. Il s'agissait d'un vague souvenir, très vague, qui datait de bien longtemps...bien trop longtemps. Je lançai alors dans le vide, sans pour autant me retourner vers mon suiveur :

- Jango disait vrai. Tu es toujours bien vivant, et pourtant, on n'entend jamais parler d'un lion tel que toi, alors que ça se repère pourtant bien. Je suis très curieux de savoir comment tu fais pour ne laisser aucun souvenir et surtout aucune rumeur auprès de personne...

Je me retournai alors vers Hatari, le lion auquel je devais la survie de ma jumelle, et, même si je ne l'appréciais pas vraiment, auquel j'étais redevable d'une grande dette. Et l'honneur, en particulier chez les Jangowas que nous étions, exigeait que j'honore cette dette. Il se tenait debout, grand et fier

- Tu as mine affreuse. Et tu as as maigris. Quelle vie as-tu bien pu mener pour en arriver là ? On dirait l'ombre d'un Jangowa, un vrai mercenaire.

Je le raillais un peu, car effectivement, dans mon souvenir, nous en étions presque venus aux griffes et aux crocs, mais j'avais malgré tout une teinte de respect dans ma voix rocailleuse. Il n'était pas un ennemi, et je lui reconnaissais quelques qualités honorables ; mais il restait un lion que je trouvais détestable envers lequel je ferais néanmoins presque tout, en souvenir de ce que Valaka et moi-même lui devions.

- Que puis-je faire pour toi ?

Et bientôt, sans même qu'il s'en soit aperçu, Hatari se retrouva en présence d'un autre lion. Ce fut l'air frais qu'il huma qui le lui indiqua, tandis que ses yeux cherchaient où se poser. Et lorsqu'ils découvrirent le mâle à la carrure imposante, à quelques mètres de là, Hatari su qu'il avait atteint son but. La crinière ébène et le pelage presque doré ne laissaient aucun doute. Pas plus que les propos du mâle, qui l'avait également repéré :

─ Jango disait vrai. Tu es toujours bien vivant, et pourtant, on n'entend jamais parler d'un lion tel que toi, alors que ça se repère pourtant bien. Je suis très curieux de savoir comment tu fais pour ne laisser aucun souvenir et surtout aucune rumeur auprès de personne.

Il ne s'était même pas retourné, comme s'il ne s'étonnait pas de voir l'exilé sur ses terres. Pourtant, cela faisait des années qu'ils ne s'étaient pas croisés, et quand bien même cette rencontre n'avait pas été vide de sens, elle n'avait durée que quelques minutes tout au plus. Pourtant, Hatari ne regrettait pas d'avoir suivi Valaka. Aujourd'hui, elle lui permettait d'assurer un avenir serein à Rána, chose que lui ne pouvait pas lui donner. Et même si Chombo n'était pas forcé d'assumer cette dette qu'il avait gravé d'une simple parole, il restait un jangowa, comme Hatari, et malgré leur exil, l'honneur restait une valeur immuable. Alors, tandis que le grand mâle dorait se retournait, Hatari pu enfin croiser ce regard qu'il avait rencontré il y a des années de cela.

─ Tu as mine affreuse. Et tu as as maigris. Quelle vie as-tu bien pu mener pour en arriver là ? On dirait l'ombre d'un Jangowa, un vrai mercenaire. Que puis-je faire pour toi ?

Si l'outlander utilisait l'ironie, c'était sans nul doute pour rester poli. A n'en pas douter, il n'était pas ravi de revoir Hatari, et n'était pas désireux non plus de lui rendre service. L'exilé ne pouvait pas lui en tenir rigueur, lui-même ne s'était pas réjoui à l'idée de devoir aller le trouver. Il savait que les histoires de famille n'étaient jamais simples, et que le grand mâle n'avait pas cherché à les éviter. Ils les avait résolu d'une manière plus simple, sans se préoccuper du reste. Le discernement était quelque chose de complexe, et il était parfois plus simple pour beaucoup de lions de passer outre quand cela les arrangeaient. Hatari lui-même en avait parfois fait abstraction, dans le but unique d'assouvir un désir pur et simple. A n'en pas douter, les deux mâles avaient plus d'un point en commun, et pourtant, s'il y avait plus que de simples paroles qui les unissait, ils n'en restaient pas moins un large fossé entre eux.

─ Tu devrais savoir mieux que quiconque que la vie d'un exilé n'est pas aussi plaisante qu'elle peut le sembler.

Et tandis que Chombo Hiki fixait l'exilé la tête haute, il ne semblait pas avoir remarqué la petite boule de poils blottie entre les pattes du mâle couleur sable. Les oreilles plaquées sur le crâne et le corps tapi au sol, il était certain que le lionceau avait ressenti la tension entre les deux mâles. Et tandis qu'Hatari sentait Rána se serrer un peu plus contre lui pour se rassurer, il ne détourna pas le regard, conscient qu'il ne pourrait pas revenir en arrière :

─ Je suis là pour te permettre d'honorer ta dette. J'ai besoin de toi, Chombo. J'ai besoin de quelqu'un pour protéger Rána.

Lorsqu'il entendit son nom, le jeune lion frissonna, et leva son regard azur vers son père. Il ne comprenait pas de quoi il retournait, et Hatari sentait son cœur se serrer à l'idée de faire de la peine à son fils, mais c'était la seule solution. Celle qu'il se forçait à concevoir comme nécessaire. Il savait pertinemment que les jours à venir seraient peut-être les plus difficile que Rána connaitrait, mais une fois son deuil fait, le petit lion pourrait repartir sur une nouvelle voie. L'exil n'était pas adapté à un lionceau, et il méritait une famille qui saurait l'aimer, et un clan où il pourrait s'épanouir. Hatari se savait incapable de lui fournir tout cela, aussi espérait-il que Chombo saurait le trouver pour lui. D'un geste rassurant, l'exilé vînt poser son museau contre le front de son fils pour l'apaiser. Il n'était pas encore temps pour lui de comprendre. Et, par la même occasion, Hatari présentait son fils à Chombi Hiki.

─ Tu devrais savoir mieux que quiconque que la vie d'un exilé n'est pas aussi plaisante qu'elle peut le sembler.

Je fermai les yeux et baissai la tête. Pas par humilité. Pas par respect envers lui. Ni même pour m'incliner devant ce fait sur lequel il avait absolument raison. Non. Rien de tout ça. Je baissais la tête simplement car il avait raison, et qu'il n'y avait rien à discuter. C'était indéniable. Je savais mieux que quiconque les désagréments d'un exil, et qu'il m'en coûtait qu'on me le rappelle. Je m'étais reconstruit, j'avais tout ce qu'un père de famille pouvait espérer, en plus d'être haut placé, mais j'avais toujours cet exil qui me pesait sur les épaules. En particulier avec ce qu'il a pu engendrer dans le présent, comme Fahari...Je relevai la tête et le fixai droit dans les yeux.

- En effet, ce n'est pas du tout une vie de rêve.

Quoi qu'il en soit, cette affirmation de sa part cachait un petit quelque chose, comme une justification d'un acte non encore avoué. Qu'avait-il à me chercher dans son exil pour me parler des déplaisirs de l'état d'exilé ? La réponse eut la bienséance de ne pas se faire attendre cela dit, et tout pris sens.

─ Je suis là pour te permettre d'honorer ta dette. J'ai besoin de toi, Chombo. J'ai besoin de quelqu'un pour protéger Rána.

Il me montra son petit, le fameux Rána. Il était apeuré et semblait ne rien comprendre. En voyant cela, je me mis à bouillonner, mais je fis le nécessaire pour ne pas exploser en présence du petit. Ainsi, il avait eu une liaison, après laquelle la mère semblait avoir disparue, et pour ne pas s'encombrer et mener une vie dangereuse comme celle qu'il avait toujours mené, le père souhaitait abandonner son gamin, pour qu'il ait la belle vie pendant que son père mourrait vraisemblablement des coups d'un lion quelconque qu'Hatari avait pu provoquer dans sa jeunesse.

J'avais tant de choses à dire là-dessus, mais il fallait savoir la boucler. Primo, parce qu'Hatari le savait. Secundo, parce qu'il était évident qu'il savait ce que j'en penserais, et donc ce n'était pas nécessaire d'en ajouter. Tertio, Hatari devait déjà suffisamment culpabiliser ainsi, s'il avait un coeur. Et enfin, le gamin semblait tout ignorer de la manoeuvre. Et s'il ignorait tout, c'était sans doute volontaire de la part du père.

C'est donc en regardant avec compassion le gamin, et en alternant avec un regard plein de haine envers Hatari, que je lui dis :

- Malgré ce que j'en pense, oui. Je pense que je connais quelqu'un qui s'en occupera parfaitement.

J'avais Ishana en tête, la lionne rouge, la nièce de feu Samekh. Elle était très gentille et avait la réputation d'aider quiconque était dans le besoin. Quel meilleur choix s'offrait alors à un petit lionceau "abandonné". Ca me coûtait de rendre service à Hatari de la sorte, de l'aider à abandonner son fils, ça me fendait le coeur pour le gamin...mais la vie d'Hatari n'était pas des plus plaisantes, à l'instar de la vie d'un exilé, et Hatari ne voulait certainement pas risquer la vie de Rána. Pourquoi ne pas s'établir dans un clan pour l'y élever alors ? Hatari ne pouvait vivre en société depuis son exil, et c'était compréhensible. Mais en ce cas, pourquoi avoir fait un enfant ? Et surtout, où était la mère ?

Je lui fis signe de me suivre, et nous partîmes trouver Ishana. Je choisis de ne pas parler pendant le voyage, histoire de ne pas m'énerver, mais une question me brûlait plus que tout, et il fallait que je sache.

- Qui est la mère ? Et où se trouve-t-elle ?

Le fait qu'elle soit déjà morte ne me paraissait pas inenvisageable, mais si elle ne l'était pas, pourquoi ne restait-elle pas avec son enfant ?

Chombo Hiki ferma les yeux un instant, comme pour confirmer les dires de son interlocuteur. Ce n'était ni du respect, ni même de la sympathie. Juste une façon d'approuver personnellement les dire d'Hatari. Quoi qu'il puisse se passer, les deux mâles ne s'entendraient jamais, et il n'y aurait ni sympathie, ni affection envers eux. A peine une once de respect, simplement pour Valaka. Ils ne s'étaient guère affrontés, pourtant, et ils avaient en commun bien des points, mais la distance entre eux était palpable. Pour quelle raison ? L'exilé sable n'aurait su le dire.

─ Malgré ce que j'en pense, oui. Je pense que je connais quelqu'un qui s'en occupera parfaitement.

S'il n'avait rien dit de plus, son sous-entendu était flagrant, et Hatari n'avait pas manqué de croisé son regard chargé de haine. Bien sur qu'il devait s'imaginer des choses, comme lui-même l'aurait fait, mais ce n'était pas à lui de juger. Hatari ne lui permettrait pas. Mais il connaissait quelqu'un, alors l'ancien Jangowa suivi son égal, le coeur serré et le regard dur. Si la vie ne lui avait pas fait de cadeau, ce moment était sans doute l'un des plus difficiles qu'elle lui ait imposé. Ils parcoururent silencieusement le chemin, au début tout du moins. Rána ne quittait pas son père d'une semelle, présentant sans doute quelque chose, sans toutefois en faire part. Il était jeune, mais pas naïf. Le grand mâle ne pouvait pas le lui reprocher, et essayait simplement de ne pas l'inquiéter plus en le laissant se coller presque à lui.

─ Qui est la mère ? Et où se trouve-t-elle ?

Lentement, Hatari tourna la tête vers Chombo Hiki, et posa son regard empli de reproches dans le sien. Il savait pertinemment que l'Outlander ne ménageait pas ses arrières-pensées, pourquoi devrait-il faire de même ? D'une voix lente et grave, il répondit nénamoins, après un certain temps :

─ Safi est morte. Les Jangowas l'ont tuée.

Sa voix laissait transparaître la haine qu'il pouvait ressentir envers son ancien clan, et toute la colère qui se déverserait en lui lorsqu'il les croiserait à nouveau. A l'évocation du nom de sa mère, Rána avait levé un regard plein d'espérance et d'inquiétudes à la fois vers son père, sans que celui-ci soit capable d'y répondre. Il n'était déjà pas capable de lui dire la vérité, comment aurait-il pu l'assumer ? Des choses à dire, il en avait beaucoup, mais elles n'appartenaient pas à celles qu'un lionceau était prêt à entendre. Peut-être que son fils n'entendrait jamais parler de son histoire, peut-être qu'il découvrirait qui était réellement son père. Peut-être qu'il le haïrait. Qu'importe. Il méritait simplement une famille aimante, rien de plus. Il méritait simplement ce que la vie lui avait donné puis repris sans qu'il puisse mesurer sa chance. D'une voix froide, Hatari ajouta :


─ Je n'ai pas besoin de ton jugement, Chombo. Je sais pertinemment ce que tu penses, mais je n'ai pas d'autre solution. Je me fais vieux, et je ne serai pas en mesure de rivaliser contre Kaïad, Mombasa et Skaro. Khassim me traque aussi. Tant que je serai en vie, ils s'en prendront à lui, quoi que je puisse faire.

Son sous-entendu à lui aussi était clair. Vivant, il représentait une menace pour Rána. Les Jangowas n'abandonneraient jamais leur traque, et ils finiraient par les trouver. Leur honneur ne serait sauf que lorsque le traître serait muet à jamais, pas avant. Et pour ce faire, il n'y avait qu'une issue. Alors ils continuèrent leurs marches, silhouettes trapues et pleines de colère, entourant une frêle boule de poils.

Sa révélation sur la mère du petit fut pour moi comme une pierre lancée en pleine figure. Les Jangowas étaient donc arrivés au point des représailles pour le moindre exilé de leur clan ? Ou bien, Hatari avait provoqué ses anciens congénères récemment, au point qu’ils décident de lancer une énorme chasse-au-lion pour le mettre à mort ? Je n’osai cependant pas poser la question, car en soit, rien ne le justifiait. C’était un fait : Ràna allait mourir s’il restait avec son père, soit des pattes de ses traqueurs, soit par solitude et incapacité à se gérer comme un adulte après avoir pu admirer la mise à mort d’un des traîtres les plus dangereux de la couronne impériale du Désert. Tout cela n’avait rien d’engageant pour lui, et je comprenais mieux le choix du lion.

Je continuai donc le chemin en silence. Je saluai brièvement de la tête les quelques gardes que nous croisions sur notre chemin, et en me voyant, aucun ne posa de question concernant mon compagnon de route, ce qui valait mieux. Je n’avais pas envie de mentir en disant qu’un ami m’accompagnait, car c’était peut-être un ami de la famille, il n’en était pas le mien. A ce sujet, une pensée chaleureuse me vint en tête…

- Après avoir fait ce que tu as à faire, tu pourras peut-être saluer rapidement Valaka et ses fils, Jango et Fahari, enfin, si Fahari se laisse approcher. Quoi qu’un aventurier pourrait l’intéresser…En tout cas ça pourrait faire plaisir à Jango et Vala de te savoir vivant. Il faut juste que tu saches une chose : Shaara est mort sur Prideland il y a deux ans. Peut-être que te revoir pourra donner un peu de baume au cœur à la famille. Tu la trouveras non loin d’ici.

Je faisais ce geste pour Valaka, qui, je le savais, aurait aimé revoir Hatari, et peut-être qu’il lui en dirait plus que ce qu’il pourrait me dire au sujet des raisons de la traque dont il était victime. Cependant, nous étions arrivés dans le secteur offert à Ishana, qui semblait occupée à…les Esprits-savaient-quoi. Je fis signe à Hatari de m’attendre là, puis j’allai vers la lionne rouge :

- Bonjour Ishana. Je marquais un petit temps pour la laisser répondre, puis je continuai : Pardonnes-moi de t’interrompre dans tes activités, mais j’ai là un…ami qui a besoin d’aide, et je pense que tu es la personne idéale pour cela.

Je me retournai alors et fis signe à Hatari de me rejoindre et d’expliquer son problème à la chamane. Je me mis ensuite légèrement en retrait car mon rôle était terminé, et une fois Ràna pris en charge par Ishana, je m’éclipserais et rejoindrais ma fille cadette, Dhalahi, à laquelle je demanderais de garder un petit œil sur ce petit. Ràna aurait une mère, mais il allait avoir besoin d’autres personnes, plus proches par leur âge, pour passer du temps avec lui. J’avais aussi peur qu’il considère Ishana comme une voleuse, et aussi que malgré sa motivation, elle n’ait pas le temps nécessaire pour s’en occuper pleinement. Dhalahi, elle, saurait veiller sur ce petit. Et en plus, cela pourrait contourner son sentiment de solitude croissant…

Les autres lions qu'ils croisèrent ne firent aucuns commentaires. Il était un intrus ici, mais Chombo semblait faire taire les interrogations par sa seule présence. Tant mieux, Hatari n'avait pas le cœur à débattre.

─ Après avoir fait ce que tu as à faire, tu pourras peut-être saluer rapidement Valaka et ses fils, Jango et Fahari, enfin, si Fahari se laisse approcher. Quoi qu’un aventurier pourrait l’intéresser…En tout cas ça pourrait faire plaisir à Jango et Vala de te savoir vivant. Il faut juste que tu saches une chose : Shaara est mort sur Prideland il y a deux ans. Peut-être que te revoir pourra donner un peu de baume au cœur à la famille. Tu la trouveras non loin d’ici.

L'exilé au pelage sable acquiesça silencieusement. Il n'était pas certain de vouloir relire cette page de sa vie, néanmoins il pouvait au moins le faire pour eux. Néanmoins, Fahari n'aurait rien à attendre de lui, il avait déjà donné tout ce qu'il avait. Difficile de s'intéresser à un fantôme presque déjà disparu. Oui, peut-être le ferait-il, ou bien peut-être tournerait-il les pattes aussi vite qu'il le pouvait, pour ne pas revenir sur sa décision, et disparaître à jamais. Au fond, il n'avait pas le courage de tout raconter à Valaka. En devenant exilé, elle avait retrouvé sa famille. En le devenant, il l'avait perdu, l'ancienne, comme la nouvelle. Elle y avait tout gagné, il y avait tout perdu. Comment ne pas regretter ? Et pourtant, le grand mâle ne regrettait pas. Il regrettait seulement l'injustice de la vie.

Lorsque Chombo lui en fit le signe, Hatari s'arrêta, Rána dans ses pattes. Il vit son compagnon d'un instant aller à la rencontre d'une lionne au pelage rouge comme la terre. Était-ce elle, la future mère de son fils ? Était-ce elle qui lui rendrait ce service si précieux ? Quelques instants passèrent avant que Chombo fasse à nouveau signe à Hatari, qui s'avança alors d'un pas lent. L'Outlander en retrait, c'était à lui de prendre la parole. A lui d'expliquer la raison de sa venue. Mais que lui avait dit Chombo ? Qu'importe, elle était celle qu'il estimait capable de répondre à sa demande, il ne lui cacherait rien. D'un signe de la tête, il la salua, tâchant de ne pas paraître impoli mais sans toutefois savoir comment introduire sa demande. Rána s'était éloigné de quelques pas, intrigué par un groupe de lionceau jouant non loin de là, et c'était pour le mieux. Il n'avait pas besoin d'entendre.

─ Je cherche quelqu'un qui pourra s'occuper de Rána, mon fils. Sa mère a été tué par les Jangowas, et il en sera de même pour moi. Je veux qu'il grandisse sereinement, mais je ne suis plus en mesure de lui offrir cette chance. Il mérite quelqu'un qui saura prendre soin de lui.

Sa voix était profonde, teinté de douleur. Si Hatari tentait de ne rien laisser paraître de son désarroi, sa peine était flagrante. Il réalisait peu à peu ce qu'il était réellement en train de faire. Depuis qu'il avait pris la décision, il n'avait encore jamais franchi la ligne, ne s'était jamais retrouvé dans l'instant présent. Et maintenant qu'il devait laisser son fils, il avait l'impression d'être brisé encore une fois. Malgré tout, il n'avait pas le choix, c'était la seule solution. Comme il haïssait le destin de lui avoir fait croiser le chemin de Kifua et des autres ! Au fond, ils lui avaient tout pris, sa première famille, ses amis, sa famille à lui, tout. Il n'avait laissé que des fragments, impossible à recoller. Serrant les crocs, il ajouta difficilement :

─ Cette décision me coûte plus que n'importe quoi, mais je n'ai pas le choix. Tant qu'il reste avec moi, Rána est en danger. Les Jangowas ne pardonnent pas.

[Merci Chombi ]

Il fallut quelques instants à la lionne pour sembler prendre conscience de ce qu'il lui demandait. Hatari ne pouvait pas lui en vouloir, comment aurait-elle pu imaginer ce qu'il allait lui demander, alors qu'il ne la connaissait même pas ? Elle avait détourné le regard pour chercher Rána, et découvrir celui dont la vie s'apprêtait à changer, sans même qu'il le sache.

─ Il est si jeune ... N’y-a-t-il vraiment aucun moyen ? Vous … vous ne pouvez pas être condamné. Il doit exister une solution alternative pour lui. Vous perdre sera bien pire pour lui que recommencer une nouvelle vie.

Bien sur que Rána était jeune, et quand bien même il aurait été plus âgé, perdre ses parents n'était jamais quelque chose de facile. L'expérience aidait seulement à relativiser. Rána était encore innocent, et le temps lui manquerait toujours pour appréhender cette perte là, mais il finirait par accepter. Par comprendre. Du moins était-ce ce qu'Hatari espérait. Qu'il le pardonne un jour de l'avoir laissé là, et qu'il comprenne que ce que son père avait fait pour lui avait été la chose la plus douloureuse qu'il ait jamais vécu. L'exilé le faisait pour son fils. Par égoïsme, il aurait pu garder Rána auprès de lui, mais le petit lionceau se serait retrouvé livré à lui-même d'un seul coup, sans être épargné par le travail hypocrite et violent des Jangowas. Lui épargner cela en lui trouvant une famille aimante était la dernière chose que son père pouvait faire pour lui.

─ Il me perdra de toute façon. Lui épargner une violence qu'il n'oubliera jamais est la dernière chose que je peux lui offrir.

Son regard fixé dans celui de la lionne, il espérait qu'elle accepterait. Il lui faisait confiance, même sans rien connaître d'elle. Elle semblait être de ceux que la vie n'a pas épargné, mais qui n'en gardent pas de vive rancœur. Et tandis que ses yeux laissaient transparaître toute la souffrance que ce choix lui coûtait, sa voix tintée de douleur s'était à nouveau élevée :

─ Rána mérite quelqu'un qui saura s'occuper de lui et combler le vide que nous laisserons. Je ne demande pas qu'il soit considéré comme votre propre fils, simplement qu'il soit élevé avec affection. Rien de plus.

Comme il espérait qu'elle accepterait, qu'elle dirait oui, pour pouvoir mettre fin à ce supplice intérieur. Lorsqu'il aurait trouvé la bonne personne, il pourrait partir sereinement - ou tout du moins en ayant conscience qu'il avait fait le maximum pour Rána - et partir apaiser la colère qui lui rongeait l'esprit.

→ Human ♪

En face de lui, la lionne fut secoué d'un sanglot, qu'il eut lui-même bien du mal à contenir. Rána serait choyé, avec elle, il le devinait. Elle était si émue par leur situation qu'elle ne pourrait qu'être une bonne mère pour lui. Il remercia intérieurement Chombo d'avoir pensé à elle. Il ne connaissait même pas son nom, mais à quoi bon ? Il ne reviendrait pas, il le savait. Les chances qu'il puisse ressortir du désert vivant étaient nulles. Ni infimes, ni minces ; simplement inexistantes.

─ Je prendrait soin de lui. Je l'aimerai et le chérirait comme s'il faisait parti de ma famille. Famille, Devoir et Honneur, toujours dans ce sens, jamais dans un autre, telle est la devise des miens. Je ne cesserait de la respecter, je prendrait soin de lui et lui apprendrait ce que je sais. Je vous le promet.


Hatari ne ressenti ni soulagement, ni même réassurance. Rien, cela lui coûtait trop de devoir quitter son fils, même s'il était infiniment reconnaissant envers la lionne. Elle ne lui volait pas son fils, bien loin de là, mais une petite voix ne pouvait l'empêcher de lui souffler cette idée, totalement absurde. Il était le seul responsable de tout cela. Il était celui qui avait ruiné la vie de Safi, et celle de Rána. S'il n'était pas entré dans leurs vies, alors ils ne leur serait jamais arrivé ce qu'ils étaient désormais en train de vivre. Il avait pris la vie de sa douce compagne, et brisé l'enfance de son seul fils. Comme il se haïssait désormais ! Tout autant qu'il haïssait les Jangowas, et chacun de ceux qui avaient piétiné sa vie sans aucuns regrets. « Famille, devoir, honneur ». Tout ce qu'il n'avait jamais connu. Kifua avait déchiré sa famille pour sauver son honneur. Les Jangowas l'avait chassé pour suivre leur devoir. Et lui-même avait perdu son honneur en voulant rester proche de ses valeurs. Triste ironie que celle de la vie. Mais désormais, Rána serait loin de tout ça. Nul ne savait qu'il avait un fils, si ce n'était quelques rares lions sur lesquels il estimait - ou bien espérait simplement - pouvoir compter. Cette lionne, Chombo Hiki, quelques pridelanders peut-être. Mais aucun Jangowa ne le savait, c'était l'espoir secret que l'exilé nourrissait au plus profond de lui. Il savait à quel point les lions du désert tenaient à leur honneur, et il les savait capables de s'en prendre à son fils pour se venger de lui, quand bien même il serait mort. Si tel était le cas, alors il fallait simplement supplier les grands esprits pour que Rána ait le temps de devenir un mâle fort et puissant, soudé à son clan, pour recevoir l'aide dont il aurait besoin lorsque le temps viendrait.

Il était temps, désormais, car plus rien ne le retenait. Il cherchait une raison de rester, au fond de lui, mais il n'en trouvait pas. Il avait trouvé celle qui prendrait soin de Rána, pourquoi faire traîner les choses plus longtemps ? Hatari laissa son regard dériver sur la petite boule de poils claire qui jouait non loin de là avec d'autres lionceaux. Ses futurs camarades de jeu, ses futurs compagnons, ceux dont il aurait besoin pour surmonter l'épreuve que lui-même s'apprêtait à lui imposer. Un profond soupir s'échappa de la gueule de l'exilé, tandis qu'il détournait le regard. Comme il aurait aimé le serrer une dernière fois contre lui, lui dire à quel point il l'aimait, le supplier de le pardonner, mais à quoi bon ? Remuer le la griffe dans la plaie ne servirait à rien d'autre qu'à rendre les choses plus difficiles - si tant est que cela soit possible - qu'elles ne l'étaient déjà. Alors, tandis que la lionne lui soufflait un dernier aurevoir, Hatari posa une dernière fois son regard dans le sien :

─ Dites-lui à quel point je l'aimais.

Et, sans d'autres mots, il tourna le dos. Il eut beau essayer de contenir la vague de chagrin qui l'envahit, il n'y parvînt pas, et une larme roula le long de sa joue avant de s'écraser lourdement sur le sol. Il eut envie de déchirer le sol de ses griffes, et en voulait à la terre entière de lui imposer cette épreuve, mais il fut incapable de faire autre chose que de poser une patte après l'autre vers un funeste destin. Mais qu'importait, désormais, car il venait de perdre la dernière chose à laquelle il tenait. Viendrait un jour où son fils comprendrait à quel point ce choix lui avait coûté, mais que la raison pour laquelle il l'avait fait n'était autre que le souhait de le voir heureux.

Ce jour-là était un jour comme un autre pour Rána, du moins le pensait-il. Une fois encore, ils avaient repris leur marche incessante à travers la terre des lions. Le lionceau ne savait guère où ils allaient, ni ce qu'ils faisaient, mais il suivait son père comme il l'avait toujours fait, et comme il avait toujours suivi sa mère avant lui. Rána n'avait pas besoin de savoir où ils allaient ni ce qu'ils faisaient, c'était l'affaire des adultes. Lui suivait sans rien dire, profitant de chaque opportunité qu'il trouvait pour s'amuser. Bien sur, il n'avait plus le coeur aussi léger qu'avant, et sa mère lui manquait énormément, mais il lui restait Hatari. Ce grand mâle qu'il avait appris à connaître et qui représentait désormais toute sa vie. Les premiers jours avaient été difficile, mais l'innocence et la joie de vivre des lionceaux reprenaient toujours le dessus. Ça avait été le cas pour Rána, même si les choses ne seraient plus jamais pareilles. Le petit lion voyait bien que son père n'était plus comme avant. Il ne disait plus rien, ne voulait plus jouer, et se mettait souvent en colère, même s'il n'avait rien fait de méchant. Mais lui aussi devait être triste, alors le lionceau laissait passer, et se contentait de s'éloigner un peu pour se faire oublier.

Ce jour-là, donc, ils marchaient encore, traversant des paysages que Rána n'avait jamais rencontré. Le sol ocre, les petites montagnes ornées de trous, tout cela était nouveau pour lui, et ses yeux ne cessaient de découvrir de nouvelles choses. Et bientôt, il y eut de nouvelles odeur également. L'odeur d'autres lions. S'ils en avaient peu croisé jusqu'ici, Rána était assez grand pour les détecter, même si cela ne présageait rien de bon. Les seuls lions étrangers qu'il avait jamais vu jusqu'ici avaient tués sa mère. Mais à cet instant, son père était là, avec lui, et assurait sa sécurité. Malgré tout, la petite boule de poils s'empressa de venir s'abriter sous le ventre de son père pour se protéger. Il y avait un grand mâle doré à la crinière noire non loin de là, qui les repéra. Étonnamment, il n'y eut pas de menaces, pas de rugissement face à cette intrusion. Il se contenta de s'adresser à Hatari d'une voix froide, et ce dernier lui répondit à son tour. Rána ne comprenait pas très bien ce que leurs paroles signifiaient, mais il se détendit peu à peu. Il ne fut pas très rassuré lorsque le grand lion étranger posa le regard sur lui, mais comme il avait l'air de connaître son père, Rána s'éloigna à nouveau pour découvrir ce nouvel endroit. Sans trop s'éloigner, le petit lion continua de vadrouiller. Il testait toutes les nouvelles choses qu'il rencontrait, avec ses griffes ou ses crocs, pour en tirer ses propres conclusions.

De temps en temps, il jetait un coup d’œil à son père pour ne pas le perdre de vue. Lorsque les deux grands mâles se déplacèrent, il les suivit de loin, tout en continuant à jouer avec les cailloux qu'il trouvait, où les petites bêtes. Il y avait une autre lionne avec son père désormais, au pelage rouge comme la terre. Rána ne savait pas qui c'était, mais cela importait peu. Le grand mâle à la crinière noire, quant à lui, avait disparut. Il était sans doute parti. Soudain, alors que la petite boule de poils observait la scène, deux autres lionceaux s'approchèrent de lui. D'abord surpris, le petit lion abandonna vite ses craintes pour partir jouer avec eux. Il ne les connaissait pas non plus, mais eux aussi étaient gentils, et ils voulaient bien jouer avec lui. C'était bien mieux que de jouer tout seul ! Alors, pendant de longues minutes, ils jouèrent à s'attraper et à se pourchasser, tant et si bien que Rána finit par en oublier la raison de sa présence.

Quand il se rappela soudain qu'il jouait pour s'occuper en attendant son père, Rána s'arrêta dans son élan, et jeta un coup d'oeil pour s'assurer qu'Hatari était toujours occupé à discuter avec la lionne rouge. Un peu affolé de l'avoir oublié, son petit coeur s'affola quand il se rendit compte que la lionne était assise au même endroit, mais qu'elle était désormais seule. Abandonnant là ses camarades de jeux, Rána se mit à courir dans sa direction, escaladant la butte qui lui cachait la vue sur le reste du territoire. S'arrêtant net une fois en haut, il constata avec effroi que son père était déjà loin, tâche claire au milieu du paysage sombre. Pourquoi s'en allait-il ? Pourquoi ne l'avait-il pas attendu ? Terrifié de se retrouver seul dans un endroit inconnu, Rána dévala la pente pour le rejoindre.

─ Papa ! Papa, attends-moi !

La petite boule de poils criait de toutes ses forces, espérant que son père l'entendrait, mais en vain. Et soudain, alors qu'il continuait sa course effrénée pour rejoindre sa seule famille, une patte l'intercepta dans sa course, le faisant s'arrêter net. C'était la grande lionne rouge. Tant bien que mal, il essaya de se dégager, mais en vain. La patte était douce, mais ferme. Et tandis qu'il était bloqué là, retenue par une étrangère, Rána voyait son père s'éloigner au loin. Terrifié à l'idée de se retrouver seul, il se débattit de plus belle, mordant et griffant la patte qui le retenait.

─ Papa ! Papa, revient !

Et tandis que le lionceau voyait son monde s'écrouler, il entendit vaguement les propos de la lionne, qui parlait d'une voix douce :

─ Il ne reviendra pas, Rána. C'est terminé

Elle mentait ! Son père ne l'aurait jamais abandonné ! Les larmes coulaient le long de ses joues, sans s'arrêter. Il eut beau s'en prendre à la lionne rouge de toutes ses forces, elle ne le laissait pas partir pour autant. Pourquoi n'appelait-elle pas son père si elle ne lui voulait pas de mal ? Pourquoi ne l'aidait-elle pas ? Et peu à peu, tandis que ses forces s'épuisaient à force de se débattre et d'appeler son père, Rána se calme peu à peu, animé seulement pas ses sanglots.

─ Papa ...

Alors, doucement, la lionne l'attira vers elle. Il cessa de se débattre, épuisé et accablé de chagrin, tandis que la chaleur de la lionne réchauffait son petit corps tremblant et vidé de son énergie. Son père ne s'était même pas retourné. Il était parti sans même le prévenir. Où allait-il ? Et pourquoi ne l'avait-il pas emmené avec lui ? Tant de questions se bousculaient dans la tête du lionceau épuisé et hagard. Tout s'était passé tellement vite ! Et tandis que l'obscurité environnante effaçait peu à peu la silhouette couleur sable, une pluie battante se mit à tomber, entraînant avec elle l'ultime souvenir de son père.