La démarche peu assurée, Ahva s'en retournait au priderocj avec une boule au ventre. Elle se doutait bien que ses parents devaient être morts d'inquiétude mais elle craignait également leur colère et surtout leur déception. Elle n'était pas la fille idéale et cette impression d'être le vilain canard de la fratrie revenait souvent dans son esprit avec une redondance peu agréable. Elle n'était pas aussi sage que son frère ni même aussi mâture que sa sœur, elle était simplement elle et cela ne lui attirait que des ennuis. Loin était temps le temps où Ahva s'enfuyait du rocher pour explorer la savane et ses merveilles, aujourd'hui elle rentrait les yeux rougis par tant de larmes et le corps enduit de sang séché. Sa honte était grande.

Elle avait beau avoir prévenu sa mère avant son départ, elle ne lui avait pas révélé le lieu de sa destination, seulement qu'elle s'en allait voir un vieil ami et quel ami... Ahva sentait encore ses griffes s'abattre sur son corps tandis qu'on l'avait maintenu au sol par la force. C'était une humiliation mais plus que son orgueil, c'était son cœur qui souffrait. Penaude, elle rentrait chez elle les oreilles basses alors qu'elle avait pourtant quitté monsieur Fleck regorgé d'assurance. C'était plus facile à dire qu'à faire et bien qu'elle se réjouissait d'avance de retrouver le confort et l'amour de sa famille, elle les craignait tout à la fois. Etrange ressenti, sûrement l'angoisse.

La nuit dominait la savane si bien que l'obscurité dissimulait son retour peu triomphant. Tant mieux, elle ne souhaitait pas se donner en spectacle. Alors qu'elle atteignait enfin le rocher, Ahva hésita. Devait-elle monter ? Bien sûr que oui mais elle avait peur. Indécise, la jeune princesse s'assit péniblement au pied du rocher et attendit. Elle ne savait pas quoi au juste, peut-être le seul courage de gravir ces marches. C'était tout ce qui la séparait de sa famille, tout ce qui la séparait de la honte et de la sentence aussi terrible soit-elle. Elle renifla bien penaude tandis que son regard coulait en direction promontoire, lieu de prédilection réservé aux membres de la famille royale. De là où elle était, celui-ci semblait se dresser parmi les nuages, comme s'il était tout aussi céleste qu'eux. Elle soupira, sa honte était bien grande en ce jour et elle se sentait indigne d'un tel privilège.

Et voilà que tel un éclair jaillissant du ciel, le roi de Prideland mais avant tout son père surgit face à elle. Il semblait mécontent, évidemment, et la jeune princesse baissa piteusement le regard. Elle détestait quand il la regardait de cette façon, c'était une vraie peine. Bien que gênée de venir se présenter de la sorte, elle laissait son père l'examiner sans broncher. Alors qu'elle hésitait quant à l'attitude à adopter, Kumpa vint déposer une lèche tendre et paternel sur sa joue mais qui trahissait également ses inquiétudes. L'adolescente trouva alors la force d'affronter son regard et malgré elle, ses yeux s’humidifièrent pour laisser couler quelques larmes silencieuses. Elle était enfin rentrée.

Prenant conscience que ce cauchemar était derrière elle, Ahva vint se blottir contre l'épaisse crinière tant aimée de son père et dissimula sa tête sous cet amas de crins flamboyant. Qu'il était bon de sentir son odeur, c'était comme si plus aucun mal ne pourrait plus jamais être fait. Il n'y avait qu'aux côtés de son père que la princesse ressentait cette sorte d'invincibilité.

« Je suis désolée papa, je suis allé sur Outland et... tout ne s'est pas très bien passé. »

Blottie contre son père, la jeune lionne parvenait enfin à contrôler ses tremblements. Elle frotta sa tête contre ses crins pour sécher ses larmes puis s'extirpa doucement de ce contact protecteur pour lui confier sa mésaventure, elle était bien trop fatiguée et abattue pour lui mentir sur quoi que ce soit.

« Je voulais revoir un lionceau que j'avais connu mais c'en est un autre que j'ai croisé. Un lion... mauvais et arrogant. La tension était vraiment électrique puis s'est pointé celui que je cherchais. Il avait beaucoup changé et n'avait plus rien à voir avec celui que j'avais connu. Ils... ils se sont mis à deux pour me maltraiter, l'un me maintenait au sol pendant que l'autre me frappait. Ils ont même voulu couper ma mèche mais n'en ont emporté que quelques poils... »

Incontrôlable, une nouvelle larme coula le long de sa joue alors même que la princesse pensait avoir pleurer toutes les larmes de son corps tandis qu'un frisson la prenait. Revenir sur cet événement avec des mots était douloureux mais ce n'était rien comparé à ces plaies qui la lançaient à chaque souvenir des coups du lion.

« Je.. j'ai retenu la leçon, papa alors ne sois pas fâché s'il te plaît. Je veux juste... je veux juste rentrer. »

Être auprès de sa famille, de ses amis, oublier cette maudite histoire et plus penser à ces deux lions, à cette terre sinistre et oublier la douleur. Elle voulait être à la maison et ressentir la chaleur de sa famille qui doucement la bercerait.

Blottie contre son père, Ahva savourait avidement ce réconfort qu’il lui offrait. Comme une enfant qui s’était disputée avec d’autres, Kumpa lui confia qu’il irait s’occuper de ce problème en personne auprès de la reine d’Outland, marraine de ses enfants mais aussi vieille amie. Ahva frémit légèrement. Elle était un peu honteuse de devoir se cacher derrière son père mais il était hors de question qu’elle remette les pattes sur Outland. Et puis, cela servira de leçons à ces deux belliqueux qui s’étaient pensés au-dessus des lois. S’en prendre à un sang bleu n’était pas sans conséquence et ils allaient l’apprendre.

Redressant doucement son menton lorsque le roi lui demanda de ne pas tenir rigueur à la reine d’Outland, Ahva secoua doucement la tête pour l’assurer que ce n’était pas le cas. Tahani n’avait rien à voir dans cette histoire. Enfin... D’abord hésitante, l’adolescente confia à son père les étranges propos tenus par ses deux agresseurs :

« En parlant de cela, quelque chose m’a surpris… Quand je leur ai dit qui j’étais mais aussi quel était mon lien avec Tahani, leur rage n’en a été que plus grande, comme si ça avait été l’élément déclencheur. Ils ont dit que vous étiez coupables de quelque chose… je crois que ça avait un lien avec la mort de Massempo. »

Indécise, la jeune lionne lançait un regard interrogateur à son père. Qu’en pensait-il ? Elle n’était pas censée connaître la scission au sein d’Outland mais monsieur Fleck avait éclairé sa lanterne quant à ce point. Elle aurait pu l’expliquer à son père qui était sans doute surpris des déductions de sa fille mais elle avait peur de lui causer du chagrin en lui révélant avoir d’abord trouvé refuge auprès du lycaon plutôt que sa famille.

Transmettant son poids d’une patte à l’autre, Ahva se dandinait maladroitement. Pouvait-elle vraiment se réjouir de l’ampleur que prenait l’affaire ? Elle craignait que tout cela ne dégénère tant l’amertume du roi était palpable mais sa souffrance était réelle, Soto et Faha étaient allés trop loin. Réconfortant, son père l’assura qu’ils étaient présents pour elle. Elle ronronna à son câlin protecteur. Kumpa était un vrai papa-poule et bien qu’Ahva faisait mine de s’en morfondre, elle adorait son père et le chérissait tout autant.

« Je suis contente d’être rentrée. » soupira-t-elle contre la crinière de son père

Trop fatiguée pour se rendre auprès de la chaman maintenant, Ahva comptait bien se reposer auprès de sa famille comme lorsqu’elle était encore une enfant, blottie contre ses frères et sœurs et entourée par ses parents. Elle avait beau aimer l’aventure et l’inconnu, la princesse était très famille et ce n’était qu’à leurs côtés qu’elle se sentait si apaisée.

D’abord surpris, le roi finit par partager avec sa fille le drame qui avait divisé Outland. Si cette discussion ne semblait que répéter les dires du lycaon, elle était en réalité plus détaillée tant le lion avait été proche de l’affaire. Ahva écoutait sans mot dire, assimilant le passé des Outlandeurs à leur rancune d’aujourd’hui. La princesse partageait l’avis de son père, Massempo avait choisi sa mort en rejoignant les Nyeusis. Qui sait, si les lions noirs avaient gagné, peut-être serait-ce Tahani qui aujourd’hui serait pleuré. Les oreilles de la jeune lionne tintèrent à l’entente du prénom du demi-frère de la reine : Hourasi. Elle se félicitait que de telle rivalité n’ait jamais eu lieu dans leur fratrie…

« Outland est un royaume bien compliqué… » soupira la jeune lionne.

Elle ne comptait pas remettre les pattes là-bas de sitôt. Doucement, la lionne se laissait bercer contre le poitrail de son père. Si rassurant… Ses paupières se fermèrent délicatement tandis qu’elle respirait le parfum familier du lion. Elle ne voulait plus être ailleurs qu’ici, auprès de sa famille.

Une voix des plus familières l’interpella. Dressant immédiatement le regard, Ahva croisa celui de son frère jumeau Azaan. Elle eut un léger hoquet de stupeur tant sa vue la réconfortait mais également en constatant cette mine d’effroi qui défigurait son joli visage. Un sourire peiné aux babines, l’adolescente s’approcha de son frère et colla vivement sa tête contre la sienne.

« Je vais bien Azaan, je suis parmi vous maintenant alors ça ne peut que aller. C’est juste une escapade qui a mal tourné… »

Son regard trahissait encore son effroi. Alors qu’elle dévisageait avec douceur le visage de son frère tant elle était heureuse de le retrouver, son regard coula lentement vers le sommet du rocher. Sa mère et sa sœur était là elles aussi. Légèrement réticente, la lionne croisa le regard de la reine et ce qu’elle lut dans ses yeux dorés l’interpella. De la colère. Elle percevait bien que celle-ci n’était dirigé contre elle mais contre ceux qui lui avait fait ça.

Pressée d’être entouré des siens, de sa famille et d’oublier ce malheureux événement, la jeune princesse se tourna vers les deux lions de son cœur et leur souffla d’un ton abîmé :

« Rentrons, je suis fatiguée. »

Ses pas encore tremblotants prirent plus d’assurance aux côtés de son frère et, sous le regard protecteur de son père, Ahva escalada les roches qui la séparait du promontoire. Elle était rassurée d’être rentrée mais derrière ses sourires, son esprit était encore tout chamboulé. Pour la première fois de sa vie, la princesse avait pris conscience du danger du monde extérieur. Tout n’était pas aussi rose que sur Prideland. Elle s’avança sous le regard inquiet de son clan et s’engouffra assez rapidement dans la pénombre de la grotte pour rapidement rejoindre le fin fond de l’antre où elle se coucha, très vite entourée par sa mère qui l’enrobait contre son pelage doré, ne posant aucune question mais la couvant d’un regard suffisamment féroce pour que la princesse ferme les yeux en se savant sauve de tout danger.

« Dors ma chérie. »

Lui susurrait la lionne d’un ton doux. Exténuée par cette journée, Ahva s’assoupit dans un dernier souffle, sa famille l’entourant et la protégeant de tout mauvais songes.