La journée n'avait pas vraiment bien commencé pour le petit Jalan. Le lionceau avait tenté d'attirer l'attention d'une bande d'adolescentes qu'il trouvait plutôt jolies, en vain. Les lionnes ne lui avaient pas accordé un regard, il était donc parti bouder dans le désert. Tout ça parce qu'il n'avait pas encore de crinière ! Mais elles feraient moins les malignes lorsqu'il ferait son exil, et qu'il rentrerait comme un héros, des muscles bien dessinés sous ses poils. Il pourrait fièrement rouler des mécaniques, ce qui n'était pas encore possible. Il était effectivement plutôt petit et maigrichon, pas vraiment effrayant. Mais avec son visage d'ange, il lui arrivait d'amadouer certaines adultes. Peut-être visait-il tout simplement trop haut pour commencer ? Il n'avait pas encore la carrure pour impressionner les adolescentes, il devait plutôt s'attaquer à des lionnes de son âge. Jalan arrêta aussitôt de broyer du noir et retrouva son habituelle confiance en lui. Il n'était pas du genre à se laisser décourager bien longtemps ! Il en fallait plus pour l'abattre, cette petite teigne.

Sautillant à travers les dunes, le jeune mâle esquiva habilement sa mère, qui était visiblement en train de le chercher. Izat n'aimait guère que son fils traîne tout seul, il risquait de déranger les guerriers ou les lionnes qui chassaient. Elle peinait à faire comprendre au petit qu'il devait rester à sa place, Jalan aimait bien trop se faire remarquer pour être obéissant. La seule chose qui pouvait le calmer était l'idée que l'Empereur en personne vienne lui faire des remontrances. Il ne voulait pas être mal vu par le leader du clan, ou par le Général. Son père avait également plus d'autorité sur lui, mais il n'était pas souvent là. Il patrouillait beaucoup, avec les autres mâles. Jalan n'avait donc pas à s'inquiéter, il allait pouvoir faire ses bêtises tranquille, sans être dérangé par ses parents. Il n'y avait en effet rien de pire que se faire gronder par sa mère alors qu'il était en train de faire le malin devant ses camarades. Cela le faisait passer pour un gamin, et le rendait honteux au possible.

Une fois sûr qu'Izat n'était plus dans les parages, le jeune lion s'éloigna un peu du groupe, et aperçu bien vite une petite silhouette qui se tenait un peu à l'écart. En plissant les yeux, il reconnu Kaya, une lionne à peine plus jeune que lui. Il n'avait encore guère eu l'occasion de lui parler, mais il voyait là une parfaite occasion de se faire remarquer. Kaya était plutôt solitaire, elle ne devrait pas être bien difficile à impressionner ! Gonflé d'assurance, Jalan s'approcha d'elle, un petit air suffisant sur le museau, et la salua :

- Tiens, bonjour Kaya ! Belle journée pas vrai ? Tu as drôlement de la chance, dis moi, que je vienne te sortir de ta solitude !

Il lui offrit un beau sourire, de toutes ses dents, et s'assit à côté d'elle, sa queue s'enroulant autour de son petit corps, d'un air digne. Il lui demanda ensuite, essayant de prendre le même air que les adultes lorsqu'ils parlaient entre eux :

- Comment vas-tu aujourd'hui ?

Evidemment, cela ne l'intéressait pas plus que ça, c'était juste un moyen d'engager la conversation. Une fois qu'elle aurait répondu, il pourrait rebondir sur une des formidables histoires qu'il aimait raconter, ses fabulations qui donnaient à sa vie un côté épique et incroyable. Généralement, personne ne le croyait bien longtemps, il en rajoutait toujours trop au dernier moment, mais cela valait la peine d'essayer sur Kaya !

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Jalan, toujours gonflé de confiance, ne remarqua pas l'expression de surprise sur le visage de son interlocutrice. Ou plutôt, il l’interpréta comme une marque de joie sincère de le voir. Après tout, comment pourrait-il en être autrement ? Il venait lui parler alors qu'elle était toute seule, elle devait forcément être contente ! Peut-être la petite Kaya était-elle martyrisée par les autres et mise de côté ? Ainsi, le brave Jalan défierait ceux qui l'ennuyaient, et deviendrait un véritable héros ! Voilà une histoire qui lui plaisait... Il faudrait qu'il la raconte rapidement, à qui voudrait l'entendre. Il y aurait bien quelqu'un pour l'écouter, même si c'était juste pour lui faire plaisir. Les adultes faisaient toujours un petit effort, jusqu'à ce qu'ils en aient assez d'entendre la voix, encore fluette, du lionceau. Quant aux autres enfants, parfois ils l'écoutaient avec intérêt, et parfois ils le fuyaient, cela dépendait des jours.

Mettant de côté ces considérations, pourtant fort importante, le petit mâle se concentra sur Kaya, qui faisait la tête. Jalan fit mine de ne pas remarquer son expression et de ne pas s'en offusquer. Elle le salua en grognant, mais cela ne déstabilisa pas le jeune Jangowas. Il garda son air satisfait et fier en s'installa aux côtés de la féline, essayant de carrer les épaules pour se donner une plus large carrure. Ce n'était pas gagné, il était tout fin. Lorsque Jalan lança qu'elle avait de la chance, la concernée soupira et ne donna pas une réponse très convaincante. Une fois encore, cela ne découragea pas le lionceau, qui avait bien plus de répondant. Il n'allait tout de même pas tourner les talons juste à cause de quelques phrases peu agréables ! Un Jangowas était tenace, il n'abandonnait jamais. Et Jalan était un Jangowas.

- Je vais très bien! Enfin, j'allais très bien.. Tu sais, avant que la chance ne fasse son entrée!

Le jeune mâle écarta cette remarque d'un mouvement de queue, comme si cela n'avait aucune importance, et ne perdit pas son sourire, qui pouvait paraître arrogant. Il était persuadé que grâce à ses formidables histoires, Kaya retrouverait bien vite le sourire. Elle le regarderait d'une toute autre manière, lorsqu'il aurait pu lui conter les récits de ses glorieuses victoires. Quelle histoire lui raconterait-il en premier ? Sans doute celle où il était monté sur le dos d'un busard et qu'il avait survolé l'entièreté du désert perché entre ses plumes. C'était une sacrée histoire ! Totalement invraisemblable, comme toutes les aventures que Jalan prétendait avoir vécu, mais Kaya était sans doute assez naïve pour y croire. Le lionceau nota que sa moue boudeuse la rendait, en tous cas, très mignonne. Il avait bien choisis, il avait l’œil !

- Je m'entraînais, si tu veux tout savoir, tu m'as déconcentrée.

Le Jangowas la regarda avec perplexité. Elle s'entraînait ? Mais à quoi donc ? Lorsqu'il l'avait vu, elle se tenait juste toute droite sans bouger. S'entraînait-elle à devenir un caillou ? Ce n'était pas très utile, un caillou. Enfin, Jalan ne voulait pas avoir l'air méprisant, mais tout de même, il ne pouvait pas laisser sa nouvelle grande amie faire n'importe quoi. Il devait lui apprendre les bonnes choses, c'était son devoir, en tant que mâle et aîné. Prenant un ait vaguement condescendant, Jalan secoua la tête et déclara :

- Mais enfin Kaya, ce n'est pas comme ça qu'on s'entraîne ! Tu vas juste t'enfoncer dans le sable, à rester immobile comme ça ! Heureusement que je suis arrivé à temps, tu n'imagine pas la catastrophe si je t'avais laissé là... Tu aurais fini six pieds sous terre !

Décidément, la petite femelle avait bien de la chance d'être tombé sur le brave Jalan. Comment aurait-elle fait sans lui ? Voilà qui était une bonne question. Toujours persuadé d'être dans son bon droit, le lionceau se redressa et lança :

- Je vais t'aider, ne t'en fais pas. Tu sais, une fois j'ai combattu trois énormes fennecs qui voulaient me dévorer, alors l'entraînement, ça me connait !

Sans doute Kaya serait-elle ravie d'entendre cette superbe histoire, mais à présent, le lionceau était concentré sur un nouvel objectif : entraîner sa nouvelle amie. Enfin, amie... Peut-être ne voyait-elle pas les choses ainsi, mais c'était trop tard ! Une fois que l'on était collé par Jalan, il était difficile de se débarrasser de lui.

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Une fois de plus, Kaya ne sembla pas apprécier le ton et les paroles du lionceau beige. Ce dernier essayait seulement de l'aider, il ne voulait pas être méchant ! Ce n'était pas de sa faute si elle faisait n'importe quoi, après tout. Elle leva les yeux au ciel et lança quelques remarques, que Jalan n'écouta pas. Les protestations seraient bien inutile, il savait très bien de quoi il parlait. Enfin, il en donnait au moins l'impression. Car évidemment, le petit mâle n'avait pas du tout commencé un véritable entraînement, il se contentait de se bagarrer avec ses camarades et d'inventer des histoires pour donner l'impression qu'il était super fort. Et cela demandait beaucoup plus de travail que ce qu'on pensait ! Il devait réfléchir aux histoires, les inventer de bout en bout, veiller à ce qu'elles ne comportent aucune faille, puis les raconter, avec le bon ton et les bonnes mimiques. Tout un travail d'acteur ! Mais personne ne comprenait ses efforts.

- Toi, m'aider? Et qu'y connais-tu en entraînement, d'abord? Je sais parfaitement me débrouiller toute seule! Grogna la jeune féline en tournant la tête.

Elle semblait sur le point de sortir de ses gongs, mais cette fois encore, Jalan n'y fit pas attention. Il venait de déclarer qu'il avait combattu trois fennecs, et il savait que cette information intéresserait Kaya. Il ne se trompa pas, car dès lors qu'il eu prononcé sa phrase, la petite lionne se tourna vers lui, une lueur intriguée dans ses jolies prunelles vairons. Jalan ne cacha pas sa satisfaction, bombant fièrement le poitrail, ses petites oreilles toutes droites. Il allait bien finir par la dérider, finalement ! Et une fois qu'elle aurait mordu à l'hameçon, il pourrait lui raconter sa formidable histoire, en rajoutant moult détails pour la rendre plus réaliste, et plus impressionnante. Il pourrait évoquer un quatrième fennec, deux fois plus gros que les précédents, et enragé ?

- Trois énormes fennecs, c'est ça..?

Tout content de son petit effet, le jeune mâle hocha la tête, d'un air faussement modeste. Il voulait se concentrer sur l'entraînement, mais si elle insistait, il pourrait bien lui offrir ce récit fantastique, après tout, elle le méritait bien. Il chercha ses mots, essayant de trouver la meilleure formulation pour que l'histoire soit la plus impressionnante possible, sans remarquer que Kaya le dévisager à présent avec suspicion.

- Je suis sure que tu mens..!

Le visage de Jalan se décomposa en une seconde. Ses oreilles se rabattirent violemment sur son crâne, ses yeux se mirent à luire d'inquiétude et son échine se hérissa. Elle venait de remettre en doute sa parole. Personne n'avait jamais osé lui balancer la cruelle vérité d'une façon aussi abrupte. Les adultes faisaient toujours semblant de le croire, et les autres enfants étaient souvent crédules, ou bien ils se contentaient de l'ignorer, voir même de renchérir, inventant leur propres histoires. Furieux, peiné et mal à l'aise, Jalan ouvrit la bouche pour répliquer, mais ne trouva rien à dire pour sa défense. Il se contenta donc de crier, d'une voix geignarde :

- C'est pas vrai ! C'est la vérité !

C'était officiel : il n'était plus du tout ami avec Kaya. Bon, leur amitié n'avait que deux minutes d'existence, et elle venait déjà de se briser, tout comme le cœur du lionceau, ainsi que sa fierté. Il n'avait plus qu'à ramasser les morceaux, et s'en aller dignement. Voilà qui n'était pas facile, et il était déjà au bord des larmes. Jalan renifla bruyamment pour chasser cet élan de faiblesse ridicule, espérant que la féline n'avait rien remarqué et tourna la tête. La voix un peu tremblante, boudeur, il lâcha :

- Moi je voulais juste être sympa. Bah t'as qu'à rester toute seule à t'entraîner pour devenir un caillou, moi j'en ai rien à faire !

Il lui tourna le dos et s'assit, à trois mètres d'elle, afin de bien signifier qu'il y avait un faussé entre eux. Au fond, Jalan savait qu'il était stupide de faire la tête pour si peu, surtout que Kaya avait raison, son histoire n'était qu'un mensonge. Mais tout de même, elle aurait pu faire semblant d'y croire, pour être gentille ! Lui, il était gentil, après tout... Un peu. Et puis bon, il fallait le reconnaître, il faisait un caprice dans l'espoir qu'elle fasse un pas vers lui. Jouer sur la culpabilité, ce n'était pas très juste, mais bon, il n'avait pas d'autres armes à disposition !

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La peine était grande dans le cœur du petit lionceau. Il ne pouvait même pas se défendre, à moins de vouloir s'enfoncer dans un sale mensonge. Et si Jalan aimait se vanter, il n'aimait pas que l'on découvre ses supercheries. Il était à présent blessé dans son petit cœur, et espérait que Kaya viendrait s'excuser. Il était bien loin du compte. En effet, la jeune féline ne semblait pas du tout s'en vouloir d'avoir brisé le cœur du petit mâle, et elle s'écria, si tôt qu'il eu tourné le dos :

- Tu es un menteur! Je me débrouillais parfaitement bien toute seule! C'est toi qui es venu m'embêter! Et quand le caillou deviendra la plus grande guerrière du Désert tu verras!!

Offusqué et doublement chagriné, le Jangowas ne répliqua que d'un mouvement de queue, qui balaya le sable autour de lui. Sable qui alla lui picoter les yeux, menaçant de le faire pleurer. C'était du moins ce qu'il supposa, lorsque les larmes menacèrent. Il n'était pas question qu'il les laisse s'échapper ! Il était un lion du désert, il était fort et fier. Pas question qu'il se mette à pleurer comme un gros bébé. Kaya se moquerait de lui si elle voyait qu'il était si nul, et la peine serait double. Non seulement il venait de se faire méchamment rejeté, mais en plus il était pathétique. Non décidément, ce n'était pas sa journée... Il serra donc les crocs pour retenir le petit sanglot qui cherchait à sortir de sa gorge, et renifla bruyamment en essayant de retenir les larmes.

Il y arriva plutôt bien, malgré une grimace horrible sur son visage. Heureusement qu'il tournait le dos à son amie. Enfin, son ennemie ! Car oui, en une demi seconde, Kaya était passée de "nouvelle grande amie" à "ennemie jurée" dans l'esprit du lionceau. En même temps, elle était passée de "simple connaissance" à "nouvelle grande amie" en moins de deux minutes, il n'était pas étonnant qu'il change d'avis aussi vite. Néanmoins, Jalan se sentait trahi, il en voulait cruellement à Kaya d'avoir été aussi méchante. Bon, certes il avait voulu mentir juste pour faire son intéressant mais dans le fond, il n'était pas mauvais ! Il voulait simplement se faire des amis, et ça, ce n'était pas toujours facile chez les Jangowas. Il vivait dans un monde où il fallait constamment prouver sa force, il ne fallait pas lui en vouloir d'essayer d'enjoliver la vérité.

D'un autre côté, il avait peut-être été un peu pénible. Un tout petit peu. Mais pas suffisamment pour mériter d'être traité comme ça tout de même ! Perdu dans ses pensées, essayant de se rassurer comme il le pouvait, Jalan ne remarqua pas que Kaya s'était rapprochée de lui, après un long moment de silence.

- Jalan..? lança-t-elle, le tirant hors de ses réflexions.

Il se retint de sursauter, mais ne pu empêcher ses oreilles de pivoter dans la direction de la femelle. Avait-il bien entendu ? Avait-elle bien prononcer son nom ? Et sans agressivité ? Après quelques secondes, elle ajouta :

- Je suis désolée, je voulais pas.. Enfin, tu sais, j'étais énervée.

Très surpris par ce virement, le lionceau ouvrit de grands yeux, mais resta immobile. Un instant, il douta. Et si c'était un piège ? Pour l'amadouer avant de se moquer à nouveau de lui. Non, cela ne ressemblait pas à Kaya. Elle avait l'air un peu impulsive, mais pas mauvaise. Peut-être était-elle juste sincère ? Cette idée ramena un peu de chaleur dans le ventre de Jalan. Cette chaleur fut cependant de courte durée, car venait à présent la grande question : comment devait-il réagir ? Il n'allait tout de même pas lui sauter dessus en la remerciant, ce n'était pas digne d'un Jangowas ! Non, il devait rester fier, en toute circonstance. Enfin, pas trop, sinon il allait tout gâcher.

- Ton histoire m'intéresse tu sais..! Tu me la racontes...?

Bon, elle faisait vraiment un effort pour apaiser le conflit, il pouvait bien mettre de l'eau dans son vin à son tour. Le petit mâle se tourna, lentement, encore un peu hésitant, l'air penaud. Il évita le regard de la jeune féline, se sentant tout de même un peu honteux. Elle s'était excusée, alors que c'était lui qui avait menti, elle était plutôt gentille, en fin de compte. Il répondit donc en marmonnant et en grattant le sable de ses petites griffes :

- Non, c'était un mensonge de toute façon. C'est juste qu'il ne se passe jamais rien d'exceptionnel pour moi. Désolé de t'avoir embêté.

Il n'était pas facile d'avouer une telle chose, et bien plus aisé de jouer le jeu du lionceau sûr de lui. Enfin, il ne servait à rien de bouder de toute manière, l'histoire était réglée, non ? Jalan essaya de trouver quelque chose d'intéressant à dire, mais il ne parvenait pas à retrouver son aplomb. Kaya lui avait bien cloué le bec, c'était peu de le dire. Enfin, il ne faudrait pas attendre trop longtemps avant qu'il regagne sa formidable énergie, à ne point douter. Toujours quelque peu gêné, il lança :

- Mais je pourrais peut-être vraiment t'aider à t'entraîner, si tu veux. J'aime bien me bagarrer. Mais je sais pas faire que ça hein !

Peut-être voulait-elle simplement qu'il lui fiche la paix. C'était possible, mais Jalan espérait de tout coeur que Kaya accepterait encore un peu sa compagnie. Il n'avait pas envie de passer la journée tout seul, ce n'était pas amusant.

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Kaya sembla réfléchir quelques instants devant la proposition du lionceau. Ce dernier sentit son estomac se contracter, la peur du refus planant au dessus de lui comme une nuée de vautours autour d'un macchabée. L'image qui naissait dans son esprit pour accompagner la métaphore était finalement bien plus inquiétante que la peur elle-même, il préféra l'écarter. Néanmoins, cela aurait fait une bonne histoire... C'est pas le moment de penser à ça, cervelle de lézard ! Il fronça les sourcils, chassant ses pensées et s'obligeant à rester concentré. Ce n'était pas toujours facile, les pensées fusaient dans sa tête et les idées étaient nombreuses. Il y avait tant d'histoire à imaginer ! Mais il avait bien compris qu'avec Kaya, il ne pourrait pas jouer le baratineur, elle ne se laissait pas berner. Elle était plus intelligente que la plupart des filles de son âge, et c'était sans doute pour cela que Jalan avait envie d'être ami avec elle. Ce n'était pas seulement parce qu'il était une tête de mule refusant d'être rejeté, ah ça non ! Bon, un peu, mais ce n'était pas le seul paramètre.

La petite féline arrêta soudainement de cogiter, sa décision visiblement arrêtée, et forma une expression très sérieuse sur son petit minois. Elle hocha la tête avec vigueur, et, d'un bond, alla se percher sur une dune, surplombant ainsi le jeune mâle, et arborant un air digne. Puis, une fois fierement posté, elle lança, avec un enthousiasme déconcertant :

- Tu sais Jalan, tu es un Jangowa, et tout comme moi ça suffit à faire de toi un être d'exception! Le Grand Désert est notre terrain de jeu, et un jour, nos noms seront gravés dans la légende des Jangowas, tu verras!

D'abord surpris par la fougue de Kaya, le lionceau se sentit galvanisé par ses propos. Ses prunelles s'agrandirent d’émerveillement, il se sentit pousser des ailes. Pendant un instant, il se vit, adulte, fier et fort, musculeux, puissant, invincible, illustre guerrier du désert. Il voyait Kaya à ses côtés, tout aussi fière qu'à présent, le couvant d'un regard de défi. Bon, son fantasme allait peut-être un peu loin, il rougit allègrement sous sa fourrure et tâcha de se concentrer sur la situation actuelle. Jalan trépignait à présente d'une patte sur l'autre, sa queue fouettant l'air avec énergie, ses yeux brillant de l'enthousiasme de Kaya. En quelques mots, elle était redevenue son amie. Sa crise de colère et de tristesse était complètement oubliée, comme si elle n'avait jamais existé. La jeune féline enchaîna alors, tandis que Jalan la rejoignait sur sa dune, refusant de rester en arrière.

- On peut s'entraîner ensemble, si tu veux! Ce sont quoi tes points forts? Moi j'en ai pleins! Comme les guerriers! Mais tu en as aussi surement tu sais, tu es un lion du désert, c'est dans notre sang, d'être des guerriers! Les meilleurs de tous les royaumes!

Flatté par le compliment, même s'il ne lui était pas directement adressé, le mâle bomba le torse. Kaya avait parfaitement raison, les Jangowas étaient les meilleurs, les plus puissants, les plus braves... C'était ce que tous les adultes disaient, alors c'était forcément vrai. Et puis, personne n'avait jamais réussi à vaincre le clan du désert, c'était bien la preuve qu'ils étaient invincible ! Une fois à la hauteur de sa comparse, Jalan balaya le sable d'un mouvement de queue, essayant de ne pas s'en mettre dans les yeux, et déclara, d'une voix feutrée :

- Mes atouts ? Le camouflage ! Je me fonds dans le désert, comme ça ! Il se tapit, ventre à terre, pour illustrer ses propos. Mais je sais aussi me battre, je suis super fort ! Regarde !

Sans attendre, le lionceau bondit sur son interlocutrice et s'agrippa à elle. Les deux enfants dégringolèrent de la dune, chacun essayant de prendre le dessus. Cela ressemblait plus à un jeu qu'à un véritable entraînement, mais pour des jeunes lions comme eux, c'était du pareil au même. Certains adultes avaient stoppés leurs activités quelques secondes pour leur lancer un regard amusé, se souvenant sans doute leur propres querelles et amitiés d'antan. Jalan ne remarqua absolument pas ces regards, bien trop occupé à essayer de prendre le dessus. Il attrapa l'oreille de son adversaire entre ses petits crocs, et tira dessus avec entrain.

- Toi t'es Akili, et moi je suis Vako ! Aha, je vais te tuer, je suis le plus fort !

Le lionceau n'avait bien sûr pas assisté à ce combat, il n'était pas né lorsqu'il avait eu lieu, mais ses parents lui en avaient fait le récit des dizaines de fois si bien qu'il le connaissait par cœur. Comment le vieil et illustre Empereur s'était fait abattre par un jeunot tout droit revenu de l'exil, rêve de tous les lionceaux.

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Emballé par son jeu, Jalan se sentait galvanisé, détenteur d'une force nouvelle, dévastatrice. Kaya sembla accepter l'idée plutôt rapidement, le lionceau vit une étincelle de défi dans les yeux vairons de sa camarade. Elle se débattit courageusement, s'agitant avec énergie pour se débarrasser de son assaillant. Le jeune mâle était à peine plus âgé que sa comparse, et guère plus gros. Il était plutôt petit, mais n'en avait pas réellement conscience. La plupart des Jangowas étaient fluets mais ils ne manquaient pas de force. Leurs muscles étaient secs et nerveux, et s'ils n'était pas des montagnes effrayantes, leur entraînement et leur férocité faisaient d'eux les meilleurs guerriers de la Terre des Lions.

- Tu ne prendras jamais ma place, ce désert restera mien! J'en fais le serment! s'écria la petite féline.

Elle parvint, après un ultime effort, à se dégager de l'emprise de son adversaire et lui fit face. Elle poussa un rugissement, peu impressionnant il fallait le reconnaître mais Jalan se retint de le lui faire remarquer. Les siens n'étaient pas mieux. Il répondit par un grognement qu'il espérait menaçant, et se mit en garde. Kaya - enfin, Akili - pouvait bondir à n'importe quel instant, il fallait se tenir prêt. Jalan n'était pas un très bon perdant, mais il n'était pas non plus une foudre de guerre. Il aimait se vanter, et c'était sans doute cela son plus grand talent, mais il avait encore besoin de beaucoup d'entraînement avant d'égaler les guerriers du clan. Il lui tardait de partir en exil, et de prouver sa valeur. Durant cette année de solitude, il apprendrait à se battre comme un vrai Jangowas, et en revenant, il pourrait impressionner Kaya. Cette dernière, qui ne l'avait pas encore attaqué, lança :

- Haha! Tu es un adversaire de taille, Vako.. Mais je suis le seul empereur ici!

Souriant de toutes ses dents à la provocation, Jalan était prêt à recevoir son adversaire. La petite lionne se jeta sur lui, après avoir esquissé un petit gloussement qui trahissait son amusement. Le jeune mâle accusa le coup, mais fut surpris par la force de Kaya. Elle n'y était pas aller de patte morte ! Il se retrouva plaquer au sol, dos contre le sable, sa camarade le dominant. Cette dernière ne dissimula pas sa satisfaction et baissa sa garde, laissant son orgueil prendre le dessus. Jalan profita de cet instant de faiblesse pour reprendre le dessus, en glissant ses pattes arrière contre le ventre de son adversaire. Il donna ensuite un violent coup, propulsant la petite femelle plus loin. Sans attendre, il se remis sur ses pattes, et toisa Kaya d'un air fier. Il ouvrit la bouche, et clama la phrase que Vako avait prononcé avant de tuer Akili, le jour où il l'avait défié.

- C'est un bien bel empire que tu avais là... Mais regarde, ses pattes en sont toutes usées. Serment, j'en serais un bien plus fort pilier !

Ses parents lui avaient répété cette réplique bien des fois, si bien que Jalan avait fini par l'apprendre par cœur. Il ne comprenait pas tout, mais il fallait reconnaître que c'était plutôt impressionnant. La queue battante, Jalan se plaqua au sol et regarda son amie avec défi. Comment Vako avait-il tué Akili déjà ? Ah oui, un ultime coup de croc dans la gorge ! Bon, il n'allait pas faire subir le même sort à Kaya, il ne voulait pas lui faire mal, mais un petit coup de dent dans l'oreille devrait faire l'affaire. Il s'élança donc et l'enferma entre ses pattes pour l'immobiliser. Il ouvrit la bouche et tenta d'atteindre l'oreille, mais Kaya ne cessait de s'agiter. Lorsqu'il referma la gueule, il fut surpris de constater que c'était le museau de sa camarade qu'il avait mordu. Il lâcha aussitôt prise, un peu honteux sans trop savoir pourquoi.

- Euh, pardon, pas fais exprès. Bredouilla-t-il maladroitement.

Il se redressa, le poil plein de sable, et s'ébroua pour chasser sa gêne. Il détourna les yeux, puis se rappela qu'il avait tout de même gagné le combat. Il se tourna donc vers sa camarade, et lui offrit un grand sourire un peu mesquin.

- J'ai gagné ! C'est moi le plus fort !

Il bomba fièrement le torse, pas peu fier de sa victoire. Il n'allait pas non plus s'empêcher de le lui rappeler régulièrement et de le dire à tous les lionceaux du clan. Enfin, peut-être éviterait-il de trop se vanter, Kaya risquerait de ne pas apprécier, et il n'avait pas envie de perdre sa nouvelle amie aussi vite.

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Bien trop satisfait par sa victoire, Jalan ne remarqua pas la moue mécontente de la petite femelle. Peut-être n'aurait-il pas du trop insister sur son triomphe, mais il ne pouvait pas s'en empêcher, il était plutôt fier de nature. Qui plus est, il l'avait battu à la loyale, alors il avait bien le droit de s'en vanter un peu. Kaya semblait se prendre drôlement au sérieux, ce qui était souvent le cas chez les lionceaux Jangowas. La difficulté de leur vie quotidienne donnait aux simples bagarres un enjeu bien différent qu'ailleurs dans la Terre des Lions. Jalan n'avait jamais vu autre chose que le Désert, et sans doute en serait-il ainsi jusqu'à la fin de ses jours, mais il savait que leur mode de vie était bien plus complexe que celui des Pridelander, par exemple. Les seuls qui étaient digne d'un minimum de respect étaient sans doute les Nordiques. Vivre dans les Montagnes devait sans doute être aussi difficile qu'affronter la chaleur du Désert. Interrompant le fil de ses pensées, Kaya répondit, après un court instant de réflexion :

- C'est vrai que tu es plutôt fort ! Mais tu as eu de la chance que ma longue séance d'entraînement m'aie fatiguée! La prochaine fois, ne t'attends pas à gagner aussi facilement...

Le compliment, certes un peu atténué par la fin de la tirade, empli le cœur du lionceau de fierté. Il ne pu s'empêcher de bomber encore davantage le torse, agitant sa queue de gauche à droite sans parvenir à masquer sa joie. Il était finalement très content d'avoir dérangé la petite femelle et de s'en être fait une amie. Les choses n'avaient pas très bien commencé, mais leur petit querelle était désormais oublié, et Kaya avait l'immense privilège d'avoir l'affection de Jalan. Ce dernier considérait même que sa nouvelle amie ferait une très bonne compagne, lorsqu'il rentrerait de l'exil. Enfin, cette idée était un peu gênante, et il ne se risquerait pas de la prononcer à voix haute, surtout pas devant Kaya ! Enfin, dans tous les cas, le jeune félin avait encore bien du temps devant lui avant de se poser ce genre de question, mais l'idée de demander la patte de la femelle, lorsqu'il rentrerait glorieux de son exil, lui plaisait bien.

- Tu vois Jalan, je te l'avais dit ! Tu es un Jangowa, et pour les Jangowas rien n'est impossible! Aujourd'hui tu as détrôné Akili.. Je t'ai un peu facilité la tâche mais bon... Avoue que ce n'est pas rien!

"Pour les Jangowas rien n'est impossible", voilà un dicton qu'il ne risquait pas d'oublier ! Comme son père le lui répétait sans cesse, s'il donnait le meilleur de lui-même et qu'il faisait tout pour devenir un bon guerrier, il marquerait l'histoire du Désert de sa patte et deviendrait à son tour un héros. Il en avait le pouvoir, tout ce qu'il avait à faire, c'était s'entraîner, avec ardeur et courage, et ne jamais baisser les bras. Gorgé d'énergie et de fierté, Jalan s'écria :

- Tu as raison ! Nous autres les Jangowas, on est vraiment les meilleurs ! Mais moi... Ajouta-t-il malicieusement, je serai le meilleur de tous !

Il fit un clin d’œil à son amie, espérant qu'elle ne prendrait pas la mouche de cette dernière petite provocation. Entre futurs grands guerriers, il fallait bien se charrier un peu ! En son fort intérieur, Jalan reconnaissait que Kaya s'en tirait très bien, surtout pour une fille ! Après tout, les femelles étaient plus faibles, alors elles devaient faire encore plus d'effort pour rester au niveau. Cependant, Kaya ne partirait pas en exil, elle n'affronterait pas cette épreuve et ne pourrait donc jamais pleinement le comprendre. Enfin, elle restait malgré tout assez cool, il fallait le reconnaître !

Une voix appela alors la jeune lionne, interrompant leur conversation. Jalan leva les yeux, et constata que la femelle qui avait appelé Kaya lui ressemblait un peu, mais ce n'était pas sa mère, il était sûr. Sa tante peut-être ? En tous cas, le père de sa nouvelle amie n'allait visiblement pas tarder à rentrer. Il était donc temps pour chacun de retourner auprès de sa petite famille, ce qui déçu légèrement le lionceau, qui avait espéré pouvoir jouer encore un peu.

- Le devoir m'appelle... A un de ces quatre, et merci pour cet entraînement... Vako!

Un immense sourire se dessina sur les babines de Jalan, tandis que Kaya s'éloignait. Cette journée n'avait donc pas été vaine ! Il s'était fait une nouvelle amie et une partenaire d'entraînement et de jeu, voilà qui avait de quoi le ravir. Il agita la queue pour lui dire au revoir, et lança :

- A plus tard Kaya - euh enfin Akili ! Et merci... C'était chouette !

Bon, c'était un peu gênant à dire, mais il était content de l'avoir fait. Dire merci, c'était important parfois. C'était en tous cas la sensation que le petit lion avait en cet instant. Il se dépêcha de chasser cette drôle de sensation qui lui chatouillait les moustaches, et retourna auprès de ses parents, impatient de leur raconter son combat contre Kaya, et sa spectaculaire victoire.


[Merci à toi pour ce super RP et vivement le prochain ! o/]

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