Le vent caressait avec tendresse les brins dorés qui doucement se pliaient sous son passage. La brise était agréable sans être virulente et Ahva profitait de ce moment de répit. Les choses avaient été récemment mouvementée dans sa famille en raison des récentes découvertes mais cela lui donnait aussi le sentiment d'être plus adule, comme si enfin ils l'acceptaient dans leur monde mais quel monde... Avec le recul, la princesse comprenait la décision de ses parents de longtemps les avoir tenu à l'écart. Tout semblait différent désormais et malgré son amertume des premiers temps, la jeune femelle avait fini par comprendre que sa mère n'avait jamais été mauvaise, seulement qu'il lui était arrivé de mauvaises choses au mauvais moment. Dire qu'elle avait douté d'elle, Ahva s'en voulait un peu. Kuzali était sa mère et peu importait son passé, elle l'aimerait toujours.

A la brise du vent se mêla le soupir de la lionne. Il n'était pas seulement question de sa mère mais aussi de son frère aîné dont l'ascendance l'avait surprise plus qu'elle ne le pensait. Longtemps Ahva avait entretenu un doute mais jamais elle n'avait voulu voir l'évidence, elle refusait tout simplement de connecter Sadaka à ces monstres. Pas lui. La princesse dont l'esprit était encore agité par ces récentes révélations s'était éloignée de sa famille ces derniers temps, préférant se perdre dans la savane pour se retrouver seule avec ses pensées. C'était plus calme enfin, en apparence. Elle soupira de nouveau.

Alors qu'elle se roulait dans l'herbe doré, la jeune lionne observa le ciel et les nuages qui défilaient. Ce n'était pas le monde qui l'entourait qui avait changé mais bien elle, ses songes innocents lui semblaient maintenant bien lointains. Une odeur tout aussi lointaine la fit se redresser. Maintenant qu'elle avait grandi, Ahva pouvait enfin voir le monde au-dessus des tiges dorés et c'est ainsi qu'elle aperçu le lion de suie qui approchait. Elle hésita un instant entre la compagnie de Sadaka ou sa solitude apaisante mais son choix fut bien vite fait. Dressée sur son postérieur, la lionne signalait sa position au mâle pour que celui-ci la rejoigne.

Ahva n'était pas la seule à avoir grandi et le fils de Kuzali pouvait aujourd'hui se vanter d'être le mâle le plus imposant de Prideland, son sang Nyeusis y était sûrement pour quelque chose. Si la princesse était encore un peu perdue dans ses pensées, certaines questions n'avaient pas besoin de réponse tant elles étaient évidentes. Sourire aux babines, elle accueillit le lion de suie :

« Bonjour grand-frère. »

Assise noblement comme le voulait la grâce héritée de leur mère, Ahva encourageait le mâle à la rejoindre. Son sourire était sincère mais moins lumineux que d'ordinaire, la fatigue se lisait dans son regard. Elle dormait peu ces derniers temps.

Son frère arriva à sa hauteur et prit place parmi l'herbe dorée non sans noter sa mine fatiguée. Si elle n'était d'humeur à forcer ses sourires, son regard se plissa légèrement. Sadaka avait toujours été un frère soucieux et même adulte, il continuait de s'inquiéter. D'une voix calme, il lui offrit une oreille attentive. La jeune princesse hésita avant de se lancer :

« Oui, je sais. C'est juste que je ne sais pas trop quoi dire... »

Elle haussa des épaules et s'allongea de nouveau dans un soupir. Le comportement des trois enfants royaux avaient changé et peut-être que l'adolescent devenu adulte s'inquiétait également de leurs regards qui évoluaient. Incapable de rester sans rien faire face à cette peur naissante, la jeune lionne lui dit d'un ton doux :

« Je... c'est nouveau et il me faut encore le temps pour assimiler tout ça mais tu es mon frère et tu le sera toujours. »

Nul besoin de feindre ce sourire qui étirait ses babines dans un joli sourire. Ahva n'avait jamais douté de son frère, seulement de ses parents et plus particulièrement de leur mère qu'elle découvrait sous un nouveau jour. Ce n'était jamais simple de voir ses héros sous un jour plus sombre qui venait briser cette si belle image que l'on avait construit d'eux.

Coulant un regard vers son aîné, Ahva l'observa silencieusement. Si longtemps il avait porté un fardeau qu'elle ne comprenait qu'aujourd'hui et en tant que sœur, elle pensait avoir échoué.

« Je suis désolée de ne pas avoir pu t'aider à t'intégrer dans le clan. Je n'ai jamais compris pourquoi les autres te rejetaient mais si j'avais su, j'aurais peut-être pu agir... faire en sorte qu''ils changent leur regard. »

Cela avait du être si dur pour lui d'être constamment rejeté avec pour seul soutien Kuzali et Rono mais elle voulait qu'il sache qu'il pouvait aussi compter sur elle. Ahva n'avait pas grandi comme les autres Pridelanders, elle n'avait jamais connu la peur des Nyeusis et jusqu'à quelques jours, elle ignorait même l'ascendance de son frère. Mais est-ce que cela aurait changé quelque chose, est-ce ça l'aurait empêché de l'aimer ? Bien sûr que non. Son sang ne l'avait jamais baptisé et seul son cœur importait, un cœur plus pur que bien d'autres lions.

« Tu devais nous détester quand on est né. » dit-elle finalement le regard peiné.

Ils étaient ce qu'il n'était pas : des enfants légitimes, aimés et protégés du peuple, vivants entourés de leurs deux parents qui les chérissaient d'un amour sans limite. Pensait-il que les trois lionceaux lui avaient volé sa mère ? Ahva déglutit péniblement. Les révélations avaient été nombreuses mais parmi toutes celles qu'elle avait entendu, la jeune lionne avait senti son cœur se serrer douloureusement en réalisant tout ce qu'avait du endurer son frère et elle s'en voulait de ne pas avoir pu agir. Peut-être n'aurait-elle pu rien changer mais au moins aurait-elle essayé.

Ahva aurait pu avoir peur de bien des choses maintenant mais la seule incertitude qui la terrorisait était de savoir si Sadaka l'avait accepté en tant que sœur car il lui semblait que sa venue au monde avait gâché le sien. La princesse grandissait mais ce n'était encore qu'une enfant qui avait besoin de l'amour de ses proches et de savoir que ceux en qui elle puisait sa force et pour qui elle se battrait contre le monde entier étaient à ses côtés.

Malgré sa peine, la lionne ne pu que rire légèrement à l'annonce du grand mâle. Il n'avait pas tord, si même la reine dorée n'avait pas su les faire changer d'avis, comment le pourrait-elle mais cette impuissance la rendait malade. Son sourire amusé s'évapora bien assez vite et Sadaka lui confia ne plus faire confiance à ce peuple depuis bien longtemps déjà. Ahva ne répondit rien, elle se contentait de penser. Comment blâmer son frère d'une telle position mais pour autant elle ne pouvait le plussoyer, Ahva adorait et aimait le grand lion seulement elle aimait aussi son peuple qui avait toujours été derrière elle. Si elle aussi était née noire, l'auraient-ils tous rejetés ? Cette simple supposition la fit déglutir. Elle en était effrayée mais cela avait pourtant été le quotidien de Sadaka pendant des années. Elle soupira doucement.

Ahva se sentait encore plus petite aux côtés de son frère tant celui-ci avait grandi et se tenait droit comme un prince. Elle n'était plus un lionceau mais peu importe la taille qu'elle ait aujourd'hui ou qu'elle aurait plus tard, elle ne pourrait jamais planter son regard dans le sien. C'était l'impression qu'elle avait, Sadaka lui semblait parfois si loin. Continuant ses dires, il lui avoua en toute honnêteté qu'ils les avaient détester bien avant leur naissance. Ahva était blessée par ses mots mais elle lui avait demander la vérité, décidément celle-ci n'était pas toujours bonne à entendre. Mais loin de laisser ses mots se poser sur son cœur sans les expliquer, Sadaka lui raconta son histoire, une histoire qu'elle avait longtemps attendu.

La petite lionne restait silencieuse, n'osant pas interrompre son frère et portait toute son attention à son récit. Ce n'étaient pas eux les seuls voleurs, c'était aussi leur père. Elle déglutit. Ahva n'était en rien révoltée par les dires du lion bien qu'il lui était difficile de voir le portrait de son père ainsi peint mais elle était surtout alertée par la peine du guerrier. Il lui semblait que leur petite famille avait véritablement gâché la sienne. Comment avait été ce Sadaka de la lande ? Elle aurait aimé le rencontrer.

Finalement, elle lui dit dans un soupir :

« Je ne pense pas que Kumpa ait jamais pensé à te voler quoi que ce soit, il voulait t'intégrer dans sa vie et celle qu'il voulait avec Kuzali mais le mal était déjà fait à tes yeux. Je ne veux pas prendre de parti entre vous car je vous aime tous les deux et même si j'ai longtemps voulu vous réconcilier, je sais aujourd'hui que ce n'est pas faisable. » dit-elle la voix basse avant de reprendre plus légèrement :  « C'est compliqué mais je comprend ton point de vue et le respecte. »

Malgré la difficulté de cette conversation, Ahva était heureuse que son frère se livre ainsi à elle. Il semblait ainsi l'accepter et cela la rendait heureuse. Elle dressa son regard vers le sien et lui sourit doucement. La mésentente entre son père et son frère – oui, elle préférait ce mot à celui de haine- avait toujours été présente mais maintenant que les mots étaient mis dessus ainsi que les sentiments, elle comprenait mieux.

Sa voix suave gronda de nouveau mais ce fut pour déposer un véritable baume au cœur de la princesse. Jamais encore son frère ne lui avait dit de tel chose et pour une lionne comme Ahva qui avait besoin de sentir l'amour des autres c'était une véritable bénédiction, surtout par ces temps de trouble. Oh elle ressentait les premières vagues de haine que Sadaka avait pu déferler sur eux mais à présent, elle ne sentait que sa chaleur et son amour. Ses paroles la réconfortèrent, elle était heureuse d'avoir pu agir même inconsciemment.

Alors que son regard hésitait, Ahva se redressa et fit face au grand lion de suie. Elle s'approcha un peu et lui demanda d'une petite voix :

« Alors, tu veux bien me faire rentrer dans ta famille ? Je n'ai jamais voulu te voler quoi que ce soit mon frère, juste ton cœur. »

Elle sourit doucement. C'était étrange cet exercice de mettre ainsi son cœur à nu mais étrangement, cela faisait aussi du bien. Depuis toute petite, la lionne avait voué une grande admiration à ce frère absent qui la fascinait par son assurance et sa noblesse. Elle avait toujours voulu être proche de lui et maintenant qu'elle sentait ce souhait accompli, Ahva était sereine. Elle observa longuement le grand lion puis décidée, s'avança vers lui et enfouis sa tête dans son épaisse crinière. Elle était toujours aussi douce... La princesse ronronna quelques instants pour se délaissa de son étreinte pour s'asseoir à ses côtés, joignant son regard à sa contemplation de l'horizon.

Aux côtés de son frère aîné, Ahva se sentait toujours plus forte comme s'il lui transmettait un peu de son courage. Celui-ci ne tarda pas à rompre le silence en illustrant de propos comique la situation. Charmée, la jeune lionne esquissa un sourire. Oui la pipelette avait rendu son costume mais ce dernier seyait plutôt bien à son nouveau porteur. Elle posa doucement sa tête contre l'épaule du mâle et perdit son regard dans l'horizon.

« Ton père, il te manque ? » demanda alors la petite lionne, sans penser à mal.

La présence d'une mère était fondamentale pour son enfant mais celle d'un père également. Kuzali avait su élever son premier né seule et en totale indépendance mais jamais elle n'aurait pu combler la présence d'un père. Sans Kumpa... Oh, Ahva était déjà triste à cette idée. Elle savait que Mopanga, le père de Sadaka, avait péri lors de la libération de Prideland en combattant Samekh, le mentor et père spirituel de Kuzali. C'était trop gros pour être évidence et là encore lui revenait la personnalité complexe de ce lion de feu. Lui aussi avait semé le chaos autour de lui mais même après avoir trouvé l'amour auprès de la reine d'Outland d'où était né le fruit de leur union, il avait choisi de mourir pour une autre, pour Kuzali. Alors avait-il vraiment été l'un de ces méchants ? Et Mopanga alors, qui avait-il été ? La reine dorée était restée bien évasive à ce sujet et à aucun moment elle n'avait détaillé sa relation avec le Nyeusis.

Ahva jeta un rapide coup d’œil à son frère pour tenter de voir son visage caché par son épaisse crinière mais elle ne pouvait lire son expression. Le monde des adultes lui était encore bien plus compliqué qu'elle ne le pensait. Mopanga lui avait été décrit comme un terrible Nyeusis mais ces porteurs de paroles étaient ceux qui l'avaient craint et connu. Qu'en était-il pour ce jeune lion devenu adulte qui portait son héritage mais ne l'avait jamais rencontré? Ahva aurait aimé connaître son avis mais elle se rendait également compte de son indélicatesse. C'était une question délicate après tout.

« Désolée, c'était maladroit comme question. Tu n'es pas obligé de répondre. »

Elle se redressa et perdit à nouveau son regard dans l'étendue d'or. Mopanga... c'était là aussi un sujet qui la portait vers de grande réflexion. Si Kuzali avait eu un enfant de lui, pouvait-il vraiment être considéré comme mauvais ? La reine ne se serait jamais enticher d'un démon... mais une fois de plus, il était difficile de supposer quand la principale intéressée n'avait daigné laisser aucun commentaire et sûrement ne le ferait-elle jamais. Ses paroles évasives avaient été laissé à la libre interprétation mais encore trop prude, l'idée d'une union forcée ne venait tout simplement pas à l'esprit de la princesse aussi s'interrogeait-elle.

La rudesse du lion mit à mal sa petite sœur qui baissa honteusement le regard. Malgré la proximité de leur relation, certains sujets resteront toujours tabou et celui-ci en faisait parti. Évitant soigneusement ses prunelles dorées, la princesse détournait le regard vers les herbes toutes aussi ardentes qui ondulaient sous les coups du vent. Sadaka était de toute évidence agacé par cette question indiscrète et sa jeune sœur se maudissait de ne pas savoir tenir sa langue. C'était plus fort qu'elle, Ahva s'interrogeait. Néanmoins elle était bien heureuse d'avoir grandi car quelques mois plus tôt, un couinement désemparé se serait frayé un chemin dans sa gorge enrouée.

Alors qu'elle retenait un soupir, ses deux oreilles frémirent à la voix suave du lion. Réactive à la tentative de réconciliation de son frère, Ahva osa enfin croiser un regard et s'étonna de l'étrange lueur qui y régnait. Toutes sortes de choses semblaient se refléter dans ces iris que ce soit sa prière, son amertume ou même le regret. Incapable de lutter face à ce regard, la princesse capitula.

« Oui, n'en parlons plus. »

Ce serait probablement la seule et unique fois où les deux lions évoqueraient ce nom. Alors qu'elle pensait de fait les sujets sensibles interrompus, son frère l'interrogea sur son ressenti. La princesse dressa vers lui son regard, troublée. De toute évidence, Sadaka savait lire en elle comme dans un livre ouvert et la disparition de son joli sourire devait sûrement y être pour quelque chose. Cette fois-ci, la petite lionne soupira.

« Je ne sais pas... je crois que c'est maman. »

Elle ressassait cette étrange conversation où le voile avait été levé. Trois faits majeurs, trois noms : Samekh, Mopanga, Sadaka. Tous d'une manière ou d'une autre été liés entre eux et avec la reine. Ahva n'était pas ignorante du passé d'exilée de sa mère mais toutes ces choses étaient bien plus sombres, l'assassinat d'un membre de sa famille par exemple en la personne de Farao. Elle déglutit. Les Nyeusis lui avaient toujours été décrit comme les méchants de l'histoire et le tableau que Kumpa avait peint de l'ancien mentor de sa compagne n'était guère reluisant et Kuzali n'abordant jamais ce sujet, il était difficile de nuancer aussi comment réagir en apprenant qu'avant de devenir la reine de Prideland, sa mère avait eu un passé croisé avec eux. Où situer sa mère, parmi les méchants ? Non, c'était stupide. Ses repères se troublaient et Ahva tentait de retrouver ses constructions.

Mais malgré tout, la princesse était une lionne forte et qui savait s'adapter aux situations. Elle était née dans une nouvelle ère, c'était même sa naissance à elle et ses frères et sœurs qui avaient marqué cette nouvelle décennie. Ils étaient d'un autre monde, un monde plus moderne mais aussi plus insouciant où ils n'avaient jamais eu à côtoyer le mal aussi l'idée qu'ils en avaient était-elle un peu terne face à la réalité. Que des lions noirs aient combattu Prideland pour ses terres soit, c'était comme dans toutes les histoires. Qu'un lion meurt pour sauver l'honneur de sa protégée, c'était héroïque. Qu'un lionceau subisse des préjugés alors qu'il est innocent, c'était dramatique mais que celle que l'on pensait être une Lumière aveuglante prêchant un chemin tout aussi lumineux soit en réalité parsemé d'ombre, ce n'était pas un bon scénario du tout.

Ahva n'avait toujours connu que les heures de gloire de sa mère et tous ces histoires révélés la rendaient confuse. Le voile n'avait pas été simplement levé sur un passé et des guerres mais aussi sur la personne de sa mère. Hésitante, elle se confia enfin :

« Je pensais qu'elle était la lionne, la reine et la mère parfaite pourtant elle a marché sur beaucoup de chemins sombres. Je crois... je crois que ce n'est pas à maman que j'en veux précisément mais plutôt au fait de grandir et d'entrer dans le monde des adultes. Tu vois tout n'est plus seulement beau et durable et certaines images s'effritent, maman était pour moi le plus grand des modèles et une source d'inspiration mais je réalise qu'elle n'est pas comme la pierre, elle peut être blessée et elle l'a été plusieurs fois. »

Ses mots accompagnaient chacune de ses pensées jusqu'à ce que la petite lionne s'arrête dans un murmure. Sans le savoir, la princesse avait réalisé un grand travail sur elle-même. Elle s'était trompé sur la source de sa colère. Ahva grandissait et faisait enfin face au monde des adultes, le vrai monde et ce qu'elle trouvait là-bas ne lui plaisait tout simplement pas. C'était trop sombre, trop douloureux. Leur famille semblait heureuse mais combien de sacrifice avait rendu la chose possible ?

Elle soupira puis après avoir longtemps égaré son regard dans la colline d'or, elle observa son frère et lui dit :

« Ce qui m'attriste c'est de comprendre combien les personnes que j'aime ont souffert et affichent pourtant des sourires sur leurs visages chaque fois que je les regarde. »

Les trois héritiers avaient été élevés loin de tout cela, précieusement protéger dans une sphère d'amour et de joie. Ils n'avaient jamais que ri sans jamais connaître la peine, seule la mort de leur grand mère avait assombri leur petit cœur d'or mais l'entrée dans le vrai monde ne leur en était que plus brutal. Devaient-ils pour autant blâmer Kumpa et Kuzali d'avoir souhaité les tenir éloigné de tous ces troubles ? Ils avaient tout fait pour leur offrir une enfance décente, comment les blâmer. Ahva soupira légèrement puis très doucement, elle posa la joue contre l'épaule massive de son frère.

La lumière n'existe pas sans l'ombre. Des paroles que Kuzali avait transmis à son fils avant que lui-même ne les transmette à sa jeune sœur. Ahva plissa légèrement le regard, amère. Pour maintenir l'équilibre, l'ombre devait ainsi toujours être présente ? Mais alors la paix n'était-elle qu'une illusion ? La princesse s'interrogeait mais heureusement avant qu'elle ne parte dans de trop sombres pensées, son frère égaya son esprit en complétant ses dires. Ces quelques mots eurent l'effet d'un choc sur la princesse : devait-elle donc sa venue au monde aux ombres qui avaient façonné la vie de la reine ? C'était difficile à accepter mais les paroles de Sadaka avaient du sens. Cependant, la petite n'en était pas moins triste que celui-ci se désigne comme l'ombre en contradiction de leur mère qui était la lumière.

Où était donc son ombre qui la complétait elle aussi ? Ahva coula un regard vers l'au-delà, prisée par cette interrogation silencieuse. Tout en développant ses dires sur cette complémentarité universelle, le mâle de suie permit également à sa cadette de mieux comprendre le lien qui unissait la lionne dorée au lion de feu. Voir le meilleur chez les autres, oui c'était ce qu'avait toujours fait Kuzali et c'était également ce que s'efforçait de faire sa fille. Sûrement la raison pour laquelle la petite n'avait pas tenu compte des mises en garde d'Ishana quant à l'Outlander qu'elle recherchait et comptait bien retrouver.

Alors en pleine réflexion suite aux propos entendus, Sadaka vint poser sa tête contre la sienne et la princesse sourit doucement. Alors qu'elle était perdue et avait fui sa famille pour mieux réfléchir seule, son frère était venu à elle et l'avait réconforté comme personne, la traitant comme l'adulte qu'elle devenait mais avec le tact qu'on prenait pour les enfants. Il était son héros et même si cette figure apparaissait aujourd'hui comme rangée du côté de l'ombre, Ahva ne voyait en lui que sa digne lumière chaleureuse. Elle comprenait enfin.

« Ce n'est pas maman le problème et ça ne l'a jamais été, c'est la réalité sur ce monde qui me perturbe mais même s'il me paraît plus sombre, je veux en faire partie. Je ne veux plus être cette princesse que l'on a gardé loin de toute menace et souffrance, je veux grandir, je veux comprendre. Ça me fait un peu peur car mes repères changent et le monde aussi mais c'est ça grandir pas vrai ? »

Dit-elle de sa voix encore fluette mais qui prenait en assurance. Ahva n'avait jamais eu peur de l'inconnu, elle accourait même vers celui-ci mais là n'était plus question d'un territoire au-delà des frontières, c'était tout qui changeait, même Prideland. Enfin elle comprenait l'amertume qu'avait pu avoir Soto à leur rencontre et devant sa vie si luxueuse dont la petite n'avait pas estimé la valeur.

« Je suppose qu'on réalise la valeur de certaines choses quand on les perd. »

En ce jour la fille du soleil avait perdu son innocence mais pas sa joie, celle-ci était simplement dissimulée sous le poids des vérités. Ses parents avaient tout fait pour elle et ses frères et sœurs, ils leur avaient donné la plus parfaite des enfances et les dires de son frère aîné ne pouvaient que la conforter dans cette idée. Elle avait été bête de douter d'eux.

« Merci de m'avoir remonté le moral Sadaka, t'es un super grand frère. » dit-elle en pressant davantage sa tête contre la sienne.

Le vent soufflait avec douceur contre leur deux pelages et les crins ambrés comme de suie se mêlaient l'un à l'autre ; une parfaite complémentarité. Bien que chamboulée, Ahva se promettait d'être forte pour sa famille comme eux l'avaient été pour elle : Kumpa, Kuzali, Sadaka... Elle voulait les rendre fier, leur montrer qu'elle aussi serait une grande lionne et qu'elle serait assez forte pour affronter le monde aussi bravement qu'eux. La peur n'était plus et avait laissé place à une détermination bien qu'encore fragile.

Inspirant une grande bouffée d'air, Ahva semblait être calmée et la tristesse avait quitté son regard. Elle songeait combien sa famille était importante pour elle et combien elle avait besoin d'eux pour ne jamais perdre de vue ses valeurs. Levant un regard vers son frère, elle lui demanda :

« Dis Sadaka, tu seras toujours là pour me guider hein ? »

Ses jolies prunelles ambrées brillaient d'admiration mais elles semblaient aussi implorantes. Ahva était très proche du lion de suie, bien plus que le reste de sa fratrie et ce lien était essentiel pour elle ; si elle avait grandi dans l'idée que son frère était un modèle et un héros, elle était toujours au même point et lui vouait une admiration que peu ici pouvaient comprendre ici mais elle s'en fichait. La princesse avait appris à ne pas vivre sous le regard des autres, seule sa famille lui importait véritablement et Sadaka jouait un rôle majeur dans ce cycle. Il était son frère, son héros et la petite ne l'imaginait pas autrement. Autrefois déjà et d'autant plus avec les récentes révélations de ses parents, Ahva craignait qu'il se disparaisse dans l'ombre sans jamais revenir. C'était aussi le caractère secret et imprévisible de son frère, elle n'arrivait jamais à deviner ses prochains mouvements mais si elle était sûre d'une chose, c'était qu'elle avait besoin de lui. Peut-être était-il lui aussi cette ombre qui la complétait.

La brise chaleureuse de la colline soufflait contre leur pelage et emportait avec elle la voix suave du lion. Si Ahva comprenait peu à peu que le monde était une perpétuelle découverte où rien n'était figé dans le temps, l'adolescente peinait encore à trouver sa place. Awena était destinée à la régence du royaume comme leur père avant elle, Azaan lui ferait probablement un parfait conseiller pour leur sœur mais elle, à quoi se destinait-elle ? Les paroles de son frère marquèrent son esprit et nul doute que la lionne s'en souviendrait dans les temps sombres.

Sans trop répondre à sa question, Sadaka lui affirma qu'elle saurait trouver son chemin seule. La chipie lui rendit son sourire et cachait sa déception. Elle aurait aimé qu'il lui réponde franchement, ce silence ne faisant qu'aggraver ses doutes. D'une voix douce, il ajouta qu'il était temps pour eux de rentrer et de se remettre de cette longue journée. La princesse dressa vers lui un regard gracieux, heureuse que le lion ébène consente à rentrer avec elle au rocher. C'était si rare. L'idée de retrouver l'intégralité de sa famille lui était plaisante tant leur présence la réconfortait plus que nulle autre. Se redressant à son tour, la jeune lionne lui dit :

« Oui un peu de repos ne me ferait pas de mal, merci d'avoir été présent. »

Malgré quelques questions restées sans réponses, Ahva se sentait plus légère et elle le devait au lion ébène. Marchant aux côté du guerrier, l'adolescente frotta furtivement sa tête contre son encolure et soupira d'aise.

« Je t'aime, grand-frère. »

Un sourire aux babines et le cœur plus léger, la jeune lionne en devenir s'en retourna au rocher en compagnie du prince maudit. Ce serait mentir que de dire qu'Ahva n'avait pas peur du temps et de ses conséquences mais trop longtemps elle avait ignoré la réalité de la vie, il était temps pour elle d'ouvrir les yeux sur le monde et aux côtés de sa famille, elle se sentait confiante et rassurée. Ils seraient à ses côtés coûte que coûte, elle le savait.