Ses pas étaient légers, fluides et silencieux. Dans un grand moment de sérénité, la plus jeune princesse du royaume parcourait les herbes jaunes de la savane. Elle était seule, sans sa fratrie, sans amis, sans protecteurs. Elle grandissait et même si son père rechignait à le voir, elle serait bientôt adolescente. L'attente était difficile et troublante. Elle sentait les changements dans son corps, ses muscles qui s’endurcissaient, ses pas qui ne cessaient de la porter plus loin... Ahva, une belle lionne en devenir.

Bientôt, la saison humide ne tarda pas à honorer sa réputation et de fines gouttelettes s'échappèrent des voûtes célestes. Contrairement à sa mère qui avait été élevé dans les purs traditions de ses terres natales, Ahva n'avait pas développé la même aversion de la pluie et de ses nuages gris. A vrai dire, elle en était venu à penser que c'était une façon comme une autre pour le Cycle de la vie de faire son « nettoyage ». En d'autre terme, un événement naturel comme un autre. Elle soupira et continua son parcours quoi que d'un pas plus pressé. Guidant ses pas jusqu'à l'étang, la jeune lionne savait où trouver des abris convenables.

S'approchant du dit lieu, elle flaira une odeur exotique. Tiens, un voyageur était-il de passage ? Intriguée, elle suivit la piste qu'avait laissé l'effluve et découvrit un jeune lion somnolant au pied d'un arbre. Les yeux écarquillés, elle observait son pelage semblable à nul autre. La petite était littéralement fascinée. S'approchant de plus près, elle détailla ses crins roux ainsi que ses marques venues d'ailleurs avant de s'annoncer :

« C'est un drôle de temps pas vrai ? Heureusement que les arbres pullulent dans la savane. Ça te dérange si je me joins à toi ? »

Elle lui sourit chaleureusement mais n'oublia pas pour autant ses petites manières et s'installa à ses côtés sans même attendre son autorisation après avoir pris soin de s'ébrouer. Levant son regard vers le mâle en raison de sa petite taille, elle le détailla d'un regard malicieux accompagné d'un sourire en coin.

« Je m'appelle Ahva, et toi ? Tu viens d'où ? »

Curieuse comme à son habitude, elle ne comptait pas laisser s'échapper un porteur d'informations si précieuses. Il était bien trop exotique pour venir de ces contrées.

Sortant de sa torpeur, le mâle se réveillait peu à peu sous le regard curieux de la princesse. Il était très exotique et cela l'intriguait beaucoup, elle aimait voir et apprendre des nouvelles choses. Lui aussi semblait l'observer et Ahva n'était pas intimidé par son regard, elle n'y voyait aucune menace. Et puis, la petite avait tendance à bien vite accorder sa confiance, elle était encore très naïve.

Doucement, il répondait à ses questions d'une voix chaleureuse tout en lui confiant que sa compagnie n'était pas une gêne. Ahva ouvrait grand ses oreilles, attentive à ses mots. Mademoiselle, disait-il. Cela flattait la princesse qui se sentait pour la première fois comme une jeune dame. C'était étrange et nouveau pour elle si bien qu'elle failli en rougir. D'ordinaire ceux avec qui elle conversait était des personnes qu'elle connaissait depuis la naissance mais peut-être le fait que ce lion soit un étranger jouait en faveur de son trouble. Voilà qu'il la complimentait, oh Ahva se sentait étrange... Très vite, elle dissipa sa gêne passagère. Quelles drôles d'idées la traversaient.

Souriante et très vite ressaisie, elle fut ravie d'apprendre le nom de son interlocuteur : Kosa. Elle hocha brièvement de la tête, sourire aux babines. Il lui disait venir de terres très lointaines... Saisie par cette révélation, la chipie le regarda plein d'étoiles dans les yeux. C'était vraiment un voyageur, venu de loin en plus ! Quelle chance d'être tombée sur lui. Très agitée, elle reprit :

« Comment c'est d'où tu viens ? Racontes moi ! »

Sa soif d'aventure n'était jamais très loin et même lorsqu'elle n'était pas en expédition, Ahva ne perdait jamais une occasion d'en apprendre plus sur l'inconnu. C'était une vraie passion. Renversant la situation, ce fut Kosa qui bombarda la princesse de question. Celle-ci amusée rit de bon cœur et répondit au lion qui s'était abaissé près de sa petite tête :

« Oui, je vis ici depuis que je suis toute petite. Mon papa vient aussi de ces terres mais ma maman vient d'ailleurs, de la Terre du Soleil. Je suppose que ça fait de moi une sang-mêlé, ahah ! »

Elle rit bien qu'une pointe de fierté dans la voix. Ahva était très fière de ses origines et ne s'en cachait pas, c'était pour elle un honneur de descendre de ces deux lignées.

« T'es ici de passage ou tu t'es installé dans le coin ? » demanda-t-elle curieuse.

Accroupie sur ses pattes avants, la petite s'était recroquevillée jusqu'à formé une petite boule de poils dorés qui scrutait avec insistance le lion roux et son doux parfum exotique.

La princesse pouvait sentir son pelage frémir d'excitation. La Terre Verdoyante... quel joli nom. Comme l'appellation laissait l'entendre, Kosa affirma qu'il s'agissait d'un royaume riche d'une faune immense et luxuriante. Il lui confia également ces nombreuses fois où la végétation l'avait sauvé des horribles griffes nourricières. Amusée, la princesse rigola, elle ne connaissait que trop bien ce jeu du chat et de la souris ! Mais lorsque son rire s'éteignit, l'adolescent lui confia qu'il ne retournerait plus jamais sur ses terres natales. Ahva cessa toute euphorie, saisit par la puissance de son regard mais aussi cette peine qu'elle semblait voir. Sûrement un sujet épineux... elle aurait aimé le questionner davantage mais son bon sens lui évita toute maladresse. Mieux valait-il laisser ce sujet de côté.

« T'en fais pas, ici aussi on a beaucoup de cachette ! »

Très fière de connaître tous ces lieux tenus secrets des adultes, le regard de la princesse se plissa de malice. Elle pensait que Kosa serait heureux d'apprendre qu'ici aussi il pouvait se cacher, vu qu'il ne retournerait jamais se cacher là-bas... Elle retint un soupir, préférant mettre de côté la Terre Verdoyante aussi bien dans son esprit que dans ses mots.

Suite à son arrivée sur la Terre des Lions, Kosa lui révéla être installé sur Prideland depuis un bon moment en compagnie de sa mère. Aussi vite que l'idée lui traversa l'esprit, Ahva lui dit :

« Tu sais, si ça fait déjà un moment que vous êtes ici avec ta mère, vous pourriez envisager de rejoindre notre clan ? Enfin, j'me dis que ça serait plus simple pour vous deux mais peut-être que irez voir un autre royaume bientôt. »

Elle lui sourit, chaleureuse. Elle pensait sincèrement sa proposition mais bien-sûr ce n'était pas une décision à prendre à la légère. Cependant au cas où ils n'y avaient pas songé, Ahva prenait soin de planter sa graine. Elle était toujours partante pour de nouvelles aventures et Prideland était une grande famille, beaucoup de voyageurs avaient fait le choix de les rejoindre. Sûrement parce qu'ils étaient le meilleur clan à la ronde, ahah !

Se baissant alors à la hauteur de la petite lionne, Kosa semblait l'observer d'un drôle œil. Encore ce regard insistant ? Ahva allait finir par être mal à l'aise... Mais contre toute attente, il l'interrogea sur son identité et ses liens avec la famille royale de ces lieux. Stupéfaite, ses oreilles frémirent. Il est vrai qu'elle avait oublié de confier ce détail mais comment l'avait-il su ? Peut-être que Kosa était un super lion. Oubliant sa stupeur pour retrouver son sourire malicieux, elle lui dit :

« Ah ah tu m'as démasqué, c'est bien moi ! Mais tu as raté le gros lot, ce n'est pas moi l'héritière du trône mais ma sœur aînée : Awena. Et après, c'est Azaan. Moi je suis la petite dernière ! »

Enjouée, elle rejoignit Kosa en posant à son tour sa tête contre la terre humide et lui sourit. Il était vraiment très fort pour avoir deviné une chose pareille ! Ou peut-être leur popularité faisait-elle défaut aux enfants de Kumpa... Allez savoir mais la princesse préférait croire que son ami était tout simplement très dégourdi et intelligent.

Confortablement installé sous l'abri de fortune que leur offrait l'arbre, Kosa interrogea curieusement la princesse quant à ses origines tout en soulignant qu'il était ravie d'être en la compagnie d'une charmante et gentille princesse. Elle gazouilla malicieusement, c'était la première fois qu'elle se plaisant autant à entendre de telles éloges. Le sourire de Kosa était si chaleureux qu'il lui semblait faire oublier la tempête qui faisait rage.

« Ce serait avec plaisir ! » répondit la princesse, visiblement très heureuse de lui faire partager ses connaissances.

Par quoi pouvait-elle bien commencer ? Enroulant sa queue caramel autours de son petit corps, elle étendit l'une de ses pattes avant et le buste droit, elle entama son récit :

« La mieux placée pour t'en parler serait maman mais comme elle n'est pas là je vais m'en charger, je connais toutes ses histoires par cœur ! » s'enthousiasmait-elle avant de reprendre la mine plus sérieuse : « La Terre du Soleil est une contrée très lointaine où tout n'est que brillance et d'or. La légende dit que c'est la première terre à être touchée par les rayons du soleil, c'est pour ça que tous les lions vivants là-bas sont appelés les Lions du Soleil, parce que ce sont ses enfants. C'est un territoire immense, où les lions vivent au pied d'une grande cascade et cohabitent paisiblement avec les léopards de la jungle. Si la cascade est réputée pour sa grandeur, seul le Qwatsu domine l'intégralité des terres et son feu est si ardent qu'il en brûlerait même le ciel ! »

L'exaltation de la petite était palpable tant son regard brillait de mille et une merveille. Ahva était fascinée par ces terres dont elle était fière de porter l'héritage aussi avait-elle longtemps regretté de ne pas avoir hérité du pelage doré de ses ancêtres comme sa sœur mais sa mère, très sage, lui avait répondu que seul un pelage ne faisait pas un lion du soleil, le cœur était tout aussi important. Sourire aux babines, elle lui confia un peu tristement :

« Ma famille maternelle vit là-bas mais je ne les rencontrerai sûrement jamais tout comme je ne verrais jamais ces plaines de brins dorés, cette cascade éternelle et le volcan. Tout ce que j'ai, ce sont les souvenirs de ma mère si précis qu'ils alimentent sans fin mon imagination. »

Elle qui aspirait à devenir la plus grande exploratrice se demandait si elle pourrait un jour poser son regard sur ce royaume mais bien des doutes étaient présents. Son regard ambré se déposa alors sur son nouvel ami et bien qu'hésitante, elle osa lui poser la question :

« Pourquoi tu ne peux pas retourner d'où tu viens ? »

Généralement, les réponses à ce genre de question n'avaient guère un ton joyeux et révélaient souvent des choses bien sombres mais Ahva voulait savoir, elle voulait comprendre. Mêlant curiosité et gêne dans son regard, elle se demandait si Kosa lui répondrai.

Les deux jeunes lions semblaient très vite avoir trouvé un terrain d'entente : l'inconnu et l'aventure. Ahva se réjouissait d'être en présence d'un lion si ouvert d'esprit et aussi curieux qu'elle. Alors qu'elle lui contait l'histoire de ses terres maternelles, elle pouvait à son regard que le jeune lion s'était imaginé là-bas pendant quelques instants. Ahva était satisfaite, elle aimait que ses interlocuteurs vivent ses histoires.

Compatissant à ses regrets, Kosa lui confia que lui non plus ne verrait jamais la Plaine Rouge, royaume où avait grandi sa mère. Quel joli nom, pensait la princesse.

« Oui, l'avenir peut toujours nous réserver des surprises ! » enchérit-elle d'un commun accord en riant.

Ahva souriait mais tous deux avaient conscience de la faible probabilité de cette hypothèse. Leurs terres respectives étaient si éloignées qu'un tel voyage ne pourrait se faire insouciamment. Certains rêves étaient faits pour ne pas être réalisés on dirait. Elle soupira avant de hausser des épaules.

Mais alors que la petite lionne était suspendu aux babines de l'adolescent après sa question délicate, elle ne fut pas aveugle à son regard fuyant et son beau sourire qui s'était évanoui. Oui pensait-elle, elle aurait mieux fait de s'abstenir et Kosa ne manqua pas de lui rappeler. Gênée par son indiscrétion, Ahva baissa timidement la tête tandis que ses oreilles s'aplatissaient contre son crâne. Elle n'avait pas voulu rappeler de mauvais souvenir au lion, seulement comprendre mais la curiosité était aussi un vilain défaut.

Lorsqu'il daigna enfin lui donner une réponse, la petite remonta lentementson regard vers le sien sans pour autant redresser ses oreilles. Dans quel cas avait été Kosa, celui du lion qui part de son plein gré ou qui est exilé ? Cette fois-ci, elle ne lui demanda pas et préféra se taire.

« Désolée de t'avoir posé cette question Kosa... mais merci de m'avoir répondu. » dit-elle en posant délicatement sa patte sur la sienne, dans un geste de compassion. « Tu sais, ma maman a été dans le même cas que toi. Elle aussi a du partir de son clan, elle s'est fait exilée par son père parce qu'elle n'avait pas respecté les lois ancestrales du royaume alors si un jour ton passé te pèse sur le cœur, tu pourras te tourner vers elle. Je suis sûr qu'elle te comprendra. »

La petite lionne eut un sourire timide, ignorant si cette proposition serait la bienvenue ou non. Elle ne voulait qu'aider son nouvel ami sans pour autant lui en demander plus sur son passé qu'elle comprenait douloureux.

Dans l'espoir de lui faire oublier ses douloureux souvenir et de pouvoir contempler une fois de plus son beau sourire, la petite lionne lui demanda dans un miaulement :

« Dis Kosa, tu vas rester longtemps sur Prideland ? Si oui, je pourrais revenir te voir ? »

Elle sourit, s'approchant un peu plus du lion et s'allongea à ses côtés, pressée contre l'une de ses pattes avants.