C'est bête, un adolescent.
C'est bête, impulsif, et ça fait des bêtises. Tu es d'ailleurs peut-être en train de prévoir la plus grosse bêtise de ta vie... Sûrement te mènera-t-elle au-devant de bien des dangers, et sans doute ton espérance de vie s'en retrouvera-t-elle écourtée. Et pourtant... Pour la première fois depuis longtemps, tu souris. Tu souris naturellement, bêtement. Et tu es heureux. Tu es soulagé d'avoir enfin pris ta décision, d'avoir changé les choses, d'avoir trouvé ta voie.

Et tant pis si tu meurs jeune et seul. Au moins mourras-tu heureux. Tu es, au final, comme tous les autres adolescents de qui tu te crois si éloigné : tu te dis qu'il vaut mieux vivre sa vie à fond, profiter de chaque jour comme s'il s'agissait du dernier, s'amuser toute la nuit en espérant que jamais le soleil ne se lève, et au diable les conséquences ! Au diable la raison, la logique et le bon sens ! Laisse ça aux adultes. Toi, tu es encore jeune, tu as le droit de faire des erreurs.

Tu ne peux plus revenir en arrière, de toute façon. Voilà trois mois que Sadaka et la reine sont partis pour le Nord. Il t'aura donné bien du courage, ton Prince - car c'est en effet à lui que tu dois ta soudaine détermination. Tu as déjà parlé à Kumpa, les choses se sont déjà mises en place. Le roi, le bon roi de Prideland, n'avait pas été contre ta décision. Il sait respecter les choix et laisser son peuple libre. Enfin... son peuple ? Non, tu n'en fais déjà plus partie. D'ailleurs, pas une seule goutte de sang Pridelander ne coule dans tes veines : ni du côté de ta mère - même si beaucoup l'oublient, de part sa parfaite intégration au sein du clan - et encore moins du côté de ton père.

Ton sourire s'agrandit à cette pensée, ta queue fouette l'air joyeusement. Tu es reconnaissant envers Kumpa, reconnaissant de n'avoir pas essayé de t'empêcher de partir. Sans doute te surveille-t-il depuis longtemps, sans doute a-t-il anticipé ta demande. Jamais un monarque aussi noble n'enchaînerait des lions à lui... Le libre arbitre, hein ? Quelle merveille d'avoir tant de liberté. Oh, bien sûr, tu ne lui as rien dit de tes véritables intentions - tu as fait l'innocent, clamant vouloir juste trouver ta place et découvrir le monde. Ce qui n'est pas totalement faux. Ce qui n'est pas totalement vrai non plus - ta place, tu sais où elle se trouve.

Au fond, seule Tahora sait réellement où tu vas. Les autres ont sûrement des doutes, mais rien ne leur est confirmé. La rumeur de ton départ tout proche - le lendemain à l'aube, en vérité - doit être parvenue aux oreilles des membres du clan. Tu t'inquiètes un peu de la réaction de Sahale... sera-t-elle en colère ? Ou t'a-t-elle, au contraire, déjà renié au point de n'en avoir cure ?
Bah, tant pis. C'est son choix, comme tu as fait le tien. Tu chasses vite ces pensées inquiétantes - ce soir, rien ne peut gâcher ton bonheur.

Oui, tout a été mis en place, tout est fait. Tu partiras demain matin, et ta famille sera là pour te dire au revoir. Mais il y a une autre personne que tu dois voir avant de partir.

C'est pour ça que tu es là. Tout seul, dans la fraîcheur du soir, sur la Colline. Sur votre Colline. Tu lui as donné rendez-vous - et, encore une fois, tu te sens bête. Et nerveux. Très nerveux.
Comme un adolescent.

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— Nedge.

Tu tournes la tête vers elle, un doux sourire toujours plaqué au coin des babines. Elle est ponctuelle. Et pourtant, tu te souviens qu'il n'y a pas si longtemps que ça, les adultes jugeaient souvent Jioni comme trop tête-en-l'air pour se souvenir des choses importantes et des rendez-vous. Tu n'avais jamais vraiment compris d'où venaient ces affirmations - elle ne t'avait jamais oublié, toi... Mais les mots des adultes étaient souvent trompeurs, et tu étais bien placé pour n'y prêter aucune foi.

— Tu as l'air heureux.

S'est-elle assagie avec le temps ? Ou bien a-t-elle juste senti la gravité de la situation, ou entendu les murmures de ceux qui étaient déjà au courant ? En tout cas, elle vient s'asseoir à tes côtés avec un calme rare chez ce petit bout de soleil, et tu l'accueilles avec un sourire plus grand encore, comme pour confirmer ses dires. Oui, tu es heureux. Mais, en même temps, tu es un peu triste aussi. Tout n'est jamais tout blanc ou tout noir - et ton départ ne te causera pas que de la joie. Alors, peu à peu, ton sourire s'efface.

— Alors ? Tu ne peux plus te passer de moi ?

Elle rit doucement et tu l'imites, d'un rire gêné et timide. Elle ne sait pas à quel point elle a raison. Elle ne sait pas à quel point ça fait mal, de la voir sourire aussi innocemment que quand elle était lionceau, et de se dire que ce serait peut-être la dernière fois. C'est bête comme tu avais pensé partir sans aucun regret... Et ce n'est que maintenant que tu te rends compte que sur le coup, tu aurais presque envie de rester.

— Tu tiens vraiment à ce que je réponde à ça ?

La réponse est trop évidente, et tu ne cherches même pas à la cacher. Depuis que vous vous étiez retrouvés - ici même, sur la Colline, et te voici pris de nostalgie en y repensant -, tu avais eu du mal à la laisser seule. Tu avais passé chaque jour, ou presque, à la chercher pour passer du temps avec elle. Quand tu te rendais compte de ta dépendance, et du fait que tu l'étouffais et qu'elle risquait de te détester pour ça, tu tentais bien de prendre de la distance, mais... ça ne durait jamais très longtemps.

Lionceaux, ce comportement était attendrissant, mais vous aviez tous les deux bien grandi. Intérieurement pourtant, tu n'avais pas changé et restais aussi collant qu'auparavant - et tu t'inquiétais chaque jour un peu plus de l'évolution de ton amie. Et si elle souhaitait prendre ses distances mais ne te le disait pas par gentillesse ou par peur de te vexer ? Ce ne serait pas étonnant de sa part... Du coup, tu t'éloignais, mais t'inquiétais encore plus de la voir accompagnée d'autres jeunes du clan. En particulier des jeunes mâles, bien sûr, mais tu pouvais aussi, dans tes pires moments, te montrer jaloux des femelles.

Comment te blâmer ? Qui ne se montrerait pas possessif envers son seul véritable ami ? Ah, mais c'est sûrement mal. Tu t'en veux et, tandis que ces pensées resurgissent en ton esprit, tu esquisses un sourire crispé et détournes nerveusement le regard. De toute façon, tout ça sera bientôt terminé...

Il est d'ailleurs temps d'en venir au fait. Prenant ton courage à quatre pattes, tu inspires profondément et relâches l'air en un soupir presque désespéré. En suite à ta question rhétorique, tu continues :

— C'est d'ailleurs pour ça que ce sera si difficile... Mais j'ai fait mon choix.

Et tu lèves vers elle des yeux tristes, des yeux qui demandent pardon et implorent la pitié. Elle a dû entendre les rumeurs, donc elle sait sûrement à quoi tu fais allusion.

— Pardonne-moi, Jioni... Je m'en vais demain matin.

Honteux, tu baisses à nouveau le regard. Tu as l'impression de la trahir, de l'abandonner. Tu t'en veux terriblement... Oh, ce que tu aimerais l'emmener avec toi ! Mais non, tu sais que sa vie est ici, et qu'elle n'irait jamais vivre avec un vagabond et son paria de père. Elle vaut tellement mieux que ça...

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Fidèle à elle-même, et te surprenant toujours autant, la belle Jioni se met à sourire. Tu as une impression de déjà-vu devant ses sourires inattendus et ton incompréhension : la situation est la même, ou presque, que quand vous vous étiez retrouvés quelques mois plus tôt. Perdu, tu scrutes son visage comme pour y déceler autre chose - la Vérité.

— Pourquoi tu t'excuses, gros bêta ? Tu ne te souviens pas de ce que je t'ai dit ? Je te soutiendrai toujours, je serai toujours là pour toi, même si tu décidais de partir.

C'est vrai, elle l'avait dit... Mais c'était une chose de laisser des mots s'envoler, et une autre d'y faire face une fois l'heure arrivée. Jioni n'était pas menteuse, loin de là, mais sûrement se laissait-elle emporter par la gentillesse trop facilement...
Et pourtant, elle est là, à te soutenir, comme elle te l'avait promis autrefois. Mais ce n'est pas facile, ni pour elle ni pour toi. Tu ressens son émotion, et tes propres yeux commencent à s'humidifier, comme en écho aux siens. C'est un fort lien d'empathie qui vous uni et, d'aussi loin que tu te souviennes, vous aviez toujours ri et pleuré ensemble. Aujourd'hui ne ferait sûrement pas exception à la règle...

— Je n'ai pas changé d'avis tu sais…

Tu les vois, les premières larmes. Et ton coeur se brise, et ta gorge se serre. Tu détestes la voir pleurer - pourtant, elle sourit toujours, en parfait contraste avec elle-même. Elle sourit mais elle pleure en même temps. Elle fait sûrement ça pour toi, par pure considération, pour ne pas te faire te sentir coupable... Quand cessera-t-elle d'être aussi douce et innocente ?

— D'accord d'accord, j'admets être triste à propos de ton départ parce que tu vas terriblement me manquer ! Mais je suis contente, je te jure que je suis contente parce que tu vas enfin pouvoir faire ce que tu veux.

Elle t'aura décidément encouragé jusqu'au bout... Tu ne t'attendais pas à tant de bonté, même de sa part, et ça te touche énormément... Autrefois, tu aurais réagi violemment : tu aurais pleuré, l'aurais prise dans tes pattes, l'aurais serrée à l'en étouffer... exactement comme ce qui s'était produit presque un an plus tôt. Mais tu as grandi, et la tempête d'émotions qui faisait alors rage en toi s'est apaisée avec le temps. Cependant, le temps n'est pas seul responsable de ton changement : la force de Sadaka, l'approbation de Tahora, et surtout, la sollicitude et la chaleur de Jioni t'ont grandement aidé.

Alors, au lieu de la tacler dans une écrasante étreinte, tu approches doucement ton visage du sien pour embrasser ses larmes.
Ah. Comme c'est bête. Un adolescent.
C'est idiot, de s'attacher autant alors qu'on est sur le point de se séparer. Mais c'est comme ça. Tu n'y peux rien et, guidé par l'instinct ou par un égoïsme démesuré, tu fais preuve d'une grande tendresse envers ton petit ange. Une tendresse peut-être un peu trop tendre. Et ton coeur, qui aurait dû battre la chamade, se calme au contact de Jioni.

— Pardonne-moi... répètes-tu finalement en t'éloignant d'elle. Tu es gêné, mais pas assez pour paniquer et faire marche arrière. Je n'ai pas pu m'en empêcher...

Et tu tentes un sourire timide, priant secrètement qu'elle ne te gifle pas (ou que son père ne l'ait pas suivie en secret et sorte des hautes herbes pour t'arracher la tête).

HRP:

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Tu ne restes pas nerveux longtemps car Jioni se met soudain à rire, de son beau rire cristallin. Tu hausses un sourcil, ne voyant pas ce qui l'amuse à ce point - peut-être vient-elle de se souvenir de quelque chose de drôle ? C'est en tout cas l'impression qu'elle donne. Et elle est contagieuse, comme d'habitude. Tu commences à te relaxer, oubliant tout du stress et de la pression des derniers jours et, à nouveau, un sourire vient détendre tes traits faciaux.

— Tu t'excuses encore ! Quand est-ce que tu comprendras que rien venant de toi, ne pourra me déranger ?

... Tu ne la déranges pas ? Ni toi ni tes actions ? Ton audace ne l'a pas offensée ? Presque fier de toi, tu plantes le regard au sol pour t'empêcher d'éclater de rire. Tu te sens si léger, si libre ! C'était comme si... comme si tu t'étais vu pousser des ailes. Les liens du clan t'emprisonnaient réellement et ce n'est qu'alors qu'ils sont rompus que tu te rends compte de la liberté toute nouvelle qui te tend les pattes. Du coup, tu te retrouves à faire, dire et même penser des choses qui ne t'auraient pas effleuré l'esprit quelques jours plus tôt...

— Il a intérêt à prendre bien soin de toi ! Parce que si c'est pas le cas, je te retrouverai et on partira tous les deux à la découverte du monde.

Inutile de poser des questions pour savoir à qui elle fait allusion. Tu lèves le regard vers elle et, apaisé, lui offres un doux sourire. Bien sûr qu'il prendra bien soin de toi. Mais... à l'entente des mots de Jioni, tu aurais presque envie que ce ne soit pas le cas. Tu voudrais presque que Kigeni t'ignore pour qu'elle te rejoigne, loin des contraintes du clan, et que vous vous enfuyiez tous les deux et alliez vivre votre idylle dans votre petit paradis secret...

— Alors viens avec nous...

Ce n'est qu'un murmure. Un souffle, une pensée, un rêve qui n'aurait jamais dû être formulé à haute voix. D'ailleurs, tu mets un temps à comprendre que tu as parlé. Et quand, enfin, tu saisis la situation, tu te redresses en un sursaut nerveux et laisses échapper un rire gêné.

— Oh ! Pardonne-moi, je n'étais pas censé le dire... Aaaah~ mais je n'ai plus le droit de m'excuser, pas vrai ? te rattrapes-tu un peu tard. Ne fais pas attention à ce que j'ai dit.

Tu lèves le regard vers les étoiles, regrettant déjà tes mots stupides. Jioni ? T'accompagner dans ton voyage, rencontrer Kigeni ? Ha ! N'importe quoi... Qui voudrait se mêler à l'entourage d'un exilé de Prideland ?
Ton sourire s'efface peu à peu et tu te sens soudain bien seul.

— Je rêvais juste à voix haute... admets-tu en murmurant.

Choisir entre Nawapa et Kigeni ? Malgré tes doutes, le choix n'avait pas été si ardu, en fin de compte. Comme c'est étrange, d'avoir soudain tant de mal à choisir entre Jioni et Kigeni... Comment ce petit ange peut-il être plus important que la famille qui t'a vu naître et qui t'a élevé ? Oh, mais tu n'es pas un monstre, et quitter ta mère, ton frère et tes sœurs t'attriste beaucoup - mais, d'un autre côté, tu sais qu'ils vivront bien sans toi et que tout irait bien pour eux. Tu les quittes sans crainte, sans remord. Mais Jioni, c'est différent. Tu veux rester à ses côtés, être toujours là pour elle, la protéger envers et contre tout...
Ce soir, et à jamais.

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Un petit silence confortable s'installe. Tu gardes les yeux rivés aux étoiles et, un instant, tu penses aux Grands Esprits et à leur avis sur tout ça. Protègent-ils chaque lion ou ne sont-ils que les serviteurs, imaginaires mais bien pratiques, des Pridelanders ? Veilleront-ils sur ton voyage ? Te feront-ils mourir jeune, à trois pas de ton ex-clan, embroché par le premier buffle venu... ? Ce périple va être dangereux, très dangereux - et tu ne sais même pas chasser correctement. De toute façon, à quoi ça aurait servi ? Seul, même un expert de la chasse n'aurait aucune chance. Il faudra vivre de charognes et de cadavres, et prier trouver un groupe plus accueillant un jour, à moins de devenir un expert de la survie... Parce qu'un jeune lion seul ne fait jamais long feu.

— Vraiment, tu voudrais bien ? Tiré de tes pensées, tu tournes la tête vers Jioni en sursautant légèrement. Que dit-elle... ? … Enfin je veux dire, ça ne gênerait pas ton père si jamais on le croise ? Mais... elle n'a pas entendu, quand tu lui as dit de ne pas faire attention à tes bêtises ? Après tout je ne le connais pas et puis… Ce serait votre moment à tous les deux...

C'est ça qui la tracasse ?! Eberlué, tu ne peux que la fixer sans comprendre, incapable de prononcer une réponse. Est-elle vraiment en train de dire qu'elle t'accompagnerait volontiers si ce n'était pour l'éventuelle présence de ton père ? Elle devrait s'inquiéter d'autre chose - du clan, de ses parents, des dangers du voyage, de la difficulté de la survie... ce genre de choses !

— C'est juste que je ne veux pas être … Un obstacle ou une contrainte dans vos retrouvailles avec ton père. Je tiens vraiment à toi et je te suivrai au bout du monde si tu me le demandais mais je ne veux pas gêner...

Gêner ? Elle, gêner ? Jamais ! Et tu es prêt à le lui rétorquer sur-le-champ - mais tu te stoppes dans ton élan en réalisant qu'elle soulève une véritable question. Honnêtement, tu ne sais pas si tu rencontrerais Kigeni un jour. Et comment pourrais-tu ? Tu ignores où il se cache - dans l'éventualité où il est encore en vie. Mais tu sais aussi que tu n'hésiterais pas à l'accompagner (peut-être pas pour la vie, mais au moins pour apprendre à le connaître) si tu le trouvais et qu'il t'accueillait toujours, comme il l'avait promis plus de deux ans auparavant. Cependant, si Jioni était à prendre en compte dans l'équation... L'accepterait-il, elle aussi ? Tu aimerais clamer que oui mais, moins naïf qu'à tes premiers mois, tu sais ne pas le connaître suffisamment pour te permettre une telle affirmation.

— J'arrive vraiment pas à m'exprimer correctement, je suis désolée.

Son adorable rire te fait fondre. Tu oublies tout de Kigeni et du voyage et, soudain bien timide, es contraint de quitter Jioni des yeux pour les fixer au sol, là où ils ne pourront pas la voir, là où ils ne risqueront pas de te faire craquer.

— Tu... Tu me suivrais jusqu'au bout du monde... ? oses-tu d'une toute petite voix.

Bien sûr, c'est ce qui a le plus retenu ton attention dans ses paroles, bête adolescent que tu es ! Et tu souhaites confirmation, parce que tu ne peux pas croire que c'est vrai. Mais tu es terriblement embarrassé et, en fin de compte, n'es plus si sûr de vouloir une réponse. Alors, tu te précipites pour noyer ta question, changer de sujet, détourner l'attention, et vite !

— Ne t'inquiète pas pour mon père ! Même si j'aimerais le retrouver, ne serait-ce que pour le connaître un peu mieux, je n'ai aucun moyen de savoir où il est ! Je pars surtout parce que je n'ai pas l'impression d'avoir ma place à Prideland... Et si on le croise en chemin et qu'il ne veut pas de toi, alors c'est qu'il n'est pas si bien que ça au final, et on le laissera moisir tout seul !

Tu tentes un trait d'humour pour masquer ton embarras plus qu'évident, en vain. Le pire, c'est que tu parles comme si c'était déjà décidé, comme si elle allait vraiment t'accompagner... Et en t'en rendant compte, tu perds une nouvelle fois ta contenance.

— E-Enfin, je dis "on" mais euh... Enfin... Toi, tu l'as, ta place chez les Pridelanders... Tu ne devrais pas penser à venir avec moi...

Ça fait mal de l'avouer tout haut, mais tu es persuadé que c'est vrai. Jioni est bien intégrée au clan, elle est aimée de tous, et elle fera sans doute une excellente chasseuse en grandissant... là où tu n'as aucun désir de te rendre utile à Prideland, es souvent seul et n'as que trois amis, elle y compris. Comment pourrait-elle vouloir une autre vie ? Une vie avec... quelqu'un comme toi ?

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— Une place ici ou ailleurs, c’est pas important. Ma place est juste avec toi, si tu le veux bien.

Ah, elle va finir par te tuer ! Comment peut-elle être aussi adorable... ? Tu sens ton cœur rater un battement à ces doux mots et, encore plus embarrassé, fixes bêtement le sol comme s'il s'agissait de la chose la plus intéressante au monde. Bien sûr, Jioni parle souvent sans réfléchir - honnête et innocente comme un lionceau... Et tu supposes qu'encore une fois, elle ne signifie rien de particulier derrière ses paroles, et qu'elle ne se rend pas compte de l'impact qu'une telle phrase peut avoir sur un jeune mâle de ton âge. Alors, tu endures du mieux possible la torture que ta vile tortionnaire te fait subir, feignant une innocence d'enfant.

— Tu te souviens quand je t’avais dis que je voulais voir plus de choses ? J’en avais parlé à mes parents. Bon, je te laisse imaginer la tête qu’a tiré papa, c’était très amusant ! Mais ils n’ont jamais refusé que je parte…

Argh ! Ses parents... Si la mère de Jioni te souriait quand tu venais la chercher pour jouer, ce n'était pas toujours le cas de son père, qui semblait te surveiller en continu... A vrai dire, son comportement protecteur ne t'avait jamais dérangé - au contraire ! Tu l'avais toujours admiré, le père de Jioni, et ce depuis ton enfance. Il était, à tes yeux, le parfait papa : il prenait toujours soin de sa famille, était là pour eux, se montrait amoureux avec sa compagne et aimant envers sa fille... Fatalement, ça voulait dire beaucoup pour toi, et il t'était déjà arrivé de l'espionner en cachette, même quand Jioni n'était pas là, en rêvant à ton père imaginaire...

Mais aujourd'hui, tout ça risquait de changer : le papa parfait risquait de ne pas apprécier des masses la décision de sa chérie adorée... Et, tu n'en doutais pas une seconde, ça allait te retomber dessus. La question était : es-tu prêt à prendre le risque ? Es-tu prêt à faire face aux parents de ta belle ? Oui, bien sûr que oui.

Et, en plus de te rappeler l'existence de ses parents, les paroles de Jioni te rappelaient également que ce n'était pas la première fois qu'elle parlait de son envie de partir. Elle avait toujours voulu découvrir le monde - elle t'en avait même parlé plus d'une fois. Et si elle en avait mis ses parents au courant, alors peut-être préféreraient-ils qu'elle ne s'en aille pas seule... ? Ouais, mais son père aurait sans doute préféré qu'elle voyage avec une amie, et pas avec toi.

— Ce que je veux dire c’est que, j’ai peut-être ma place ici parce que c’est chez moi – tout autant que toi d’ailleurs même si tu ne le penses pas – mais il n’y a rien de plus à Prideland que ce que j’ai déjà vu... Alors oui, je te suivrai jusqu’au bout du monde !

Tu oses lever timidement le regard vers elle, un sourire commençant à étirer le coin de tes babines. Tu aimerais le masquer, mais tu n'y arrives pas : tu es trop heureux de constater que le choix de Jioni n'est pas une décision en l'air, une bêtise de jeunesse juste pour te faire plaisir. Elle y a autant réfléchi que toi et sa détermination est remarquable.

— Et puis… Je pense à venir avec toi si j’en ai envie, non mais !

Tu te mets à rire quand elle s'amuse avec ta crinière, comme toujours. Elle est vraiment douée pour détendre l'atmosphère, Jioni, et tu te sens déjà beaucoup plus relaxé. Le stress quitte peu à peu tes épaules quand tu te rends compte, enfin, que ce n'est pas toi qui as corrompu ton amie : sa décision lui appartient autant que la tienne est à toi. Que tu partes ou pas ne change rien - elle-même aurait quitté Prideland un jour ou l'autre. Peut-être accélères-tu un peu les choses mais, en contrepartie, tout ceux qui tiennent à elle peuvent être sûrs qu'il y aura toujours quelqu'un à ses côtés pour veiller sur elle durant son voyage.

— Tout de même... Je compte partir demain, à l'aube. Tu es sûre de ne pas vouloir plus de temps ? Je peux retarder mon départ, si tu veux.

Enfin convaincu par Jioni et acceptant sa décision, tu es soudain bien entreprenant. Il faudrait qu'elle aille annoncer son départ à Kumpa, qu'elle dise au revoir à sa famille, à ses amis, au clan tout entier... et, plus important encore, qu'elle se fasse à l'idée de quitter Prideland aussi vite - tu ne voudrais pas que ça lui fasse un choc en partant. Aurait-elle assez de temps pour se préparer pour demain matin ?

— Tu sais... Je suis très heureux que tu viennes avec moi. Je te protégerai, je te le promets. Tu ne risqueras rien avec moi.

Tu veux qu'elle se sente en sécurité en ta compagnie, qu'elle sache que rien ne pourra jamais l'attaquer - aucun prédateur ne la touchera, toi y compris. Ne restait plus qu'à convaincre son père...

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Tu retiens ton souffle alors que Jioni s'approche, taquine. Ne sachant pas ce qui lui passe par la tête, tu n'oses pas bouger d'un poil, et ton cerveau te donne l'impression de geler sur place - c'est à peine s'il arrive à se demander pourquoi Jioni engendre tant de proximité entre vous deux.

Et puis, son museau vient doucement se frotter à ta joue, et tu manques de t'évanouir sur place. Ton pauvre petit cœur bat la chamade - et, pourtant, tu te sens un peu triste quand Jioni s'éloigne. Tu aurais aimé que ça dure plus longtemps.

— Je sais que je ne risque rien avec toi, je te fais confiance. Comme toujours !

Tu esquisses un faible sourire, te sentant encore un peu étourdi. Un petit silence s'installe alors qu'elle regarde les étoiles, donnant ainsi l'opportunité à ton cœur de se calmer, de reprendre un rythme nettement plus lent. Ton sang ralentit dans tes veines, et la bouffée de chaleur qui t'était montée à la tête redescend peu à peu.

— Je vais quand même aller retrouver mes parents, histoire de leur parler de tout ça sans leur laisser le choix !

Il faudrait aussi que tu ailles leur parler, histoire de faire les choses bien. Mais il était sûrement nettement plus sage de laisser Jioni aller leur annoncer la nouvelle seule (histoire que son père ne te saute pas directement dessus pour t'étriper), et d'aller les voir toi-même plus tard dans la soirée. Enfin... dans la nuit, car l'heure se faisait de plus en plus tardive.

— J'irai aussi les voir, assures-tu d'un ton déterminé, comme pour montrer à Jioni qu'elle pouvait compter sur toi et que tu étais responsable. Et puis, d'une voix nettement plus douce : Je te raccompagne au Rocher, ou ça ira ?

Bien sûr que ça ira, elle n'a plus six mois ! Mais, protecteur comme toujours, tu ne peux t'empêcher de montrer ton inquiétude. C'est à se demander qui, de son père ou de toi, est le pire à ce niveau-là ! La discussion que tu allais bientôt avoir avec lui risquait d'être mouvementée... Mais tu lui fais confiance, sachant très bien qu'il ne désire que le meilleur pour sa fille chérie. Le problème, c'est que tu ne penses pas être le meilleur pour elle - mais Jioni a fait son choix, et c'est ça qui importe. Tu penses d'ailleurs déjà aux détails pratiques du départ - tu avais déjà prévu de dire au revoir à ta famille en privé, et tu supposais qu'elle souhaiterait faire la même chose de son côté. Ne suffirait plus qu'à se donner un point de rendez-vous pour se retrouver après ces adieux - mais ça, tu lui en parlerais après avoir vu ses parents...

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