Allongée contre la roche, Ahva observait silencieusement l'horizon. Cela faisait déjà quelques heures qu'elle guettait inlassablement l'au-delà des frontières. Elle attendait un signe, une silhouette, quoi que ce soit qui puisse lui annoncer le retour de sa mère. Kumpa lui avait assuré que cela ne serait plus long, qu'elle serait bientôt de retour mais l'absence perdurait. Fatiguée d'attendre mais surtout en proie au manque maternelle, la petite lionne laissa tomber lourdement sa tête au sol. Aïe, elle se claqua la mâchoire. Grommelant de sa propre bêtise, elle daigna enfin accorder de l'importance au monde qui l'entourait. C'était l'heure de pointe, beaucoup de lions affluaient à la base du priderock. Un pelage particulièrement chaud attira son attention. Amaya.

Bien dissimulée à l'abri des regards du haut du rocher où seul les membres de la famille royale pouvaient se rendre, la jeune princesse observa attentivement sa cadette. Jamais encore les deux petites ne s'étaient vraiment adressées la parole mais Ahva connaissait bien la rouquine. Awena lui avait déjà parlé d'elle ainsi qu'Azaan. Méfiante et surtout très protectrice quand il était question de sa fratrie, Ahva avait de suite eut des soupçons quant aux véritables attentions de la petite lionne. Oh bien sûr son cousin Hotaru en avait également parlé dans des termes peu élogieux mais la princesse ne prêtait pas attention aux paroles de ce crétin extrémiste. Aujourd'hui, elle voulait se forger son propre avis.

Quittant son poste d'observation, Ahva descendit avec grâce les diverses plate formes rocailleuses qui la hissaient au-dessus du sol. Posant patte à terre, elle salua les quelques lions qui croisaient son chemin puis se rendit directement vers sa cible.

« Salut Amaya ! » introduit-elle d'une voix faussement légère.

Si quelques copains de la princesse essayaient de se joindre à elles, Ahva les chassa rapidement d'un coup d’œil agacé. Ils avaient appris à leur dépends ce que signifiait ce regard aussi n'insistèrent-ils pas. C'était préférable, Ahva avait longtemps attendu cette discussion avec la jeune lionne.

Maintenant qu'elle était proche d'elle pour la première fois, elle attarda quelque peu son regard. Pas de signe particulier, c'était une lionne comme les autres mais bien évidemment, Ahva savait que c'était faux. Méfiante au possible, la chipie était persuadée que sa cadette cachait bien son jeu.

Quelques semaines auparavant, Awena était venue se confier à elle en lui racontant qu'un lionceau du clan avait demandé à être son futur conseiller. La petite dernière avait alors fulminé de colère. Ce n'était pas par jalousie - Ahva n'en avait que faire de ce poste prestigieux -, non ce qui l'avait de suite interpellé était son instinct protecteur. Beaucoup de lions, qu'ils soient lionceaux ou plus, avaient tenté d'approcher l'héritière dans le but de s'accorder ses faveurs. Ahva détestait ces lions, elle les voyait comme des parasites nuisibles et son boulot était justement d'éviter ça. De plus, elle avait plusieurs fois remarqué les petits regards coulant vers son frère jumeau... Et ça, c'était tout bonnement impensable. Azaan n'était qu'à elle, sa jumelle, et à Awena.

« Je vais aller droit au but, j'aimerai savoir ce que tu attends de ma sœur. »

Bien que ferme, sa voix n'était pas accusatrice. Avant de la condamner, il était préférable de se faire un nouvel avis via une discussion à cœur ouvert. Pour sa part c'était fait, Ahva lui ouvrait son cœur de sœur surprotectrice et dévouée. Famille, devoir, honneur. Toujours dans cet ordre et jamais dans un ordre. Si la jeune princesse était réputée pour ses bêtises et son franc parler, ce visage-ci était plus rare et surtout méconnu. Qui sait, peut-être avait-elle fait taire les témoins...

Bouche bée, la princesse s'étonnait de la réaction de sa cadette. Depuis quand Amaya se souciait de son sang croisé ? Et surtout, depuis quand quelqu'un en avait quoi que ce soit à faire ? C'était dérisoire. Haussant un sourcil, la princesse lui répondit :

« Je traîne avec qui je veux, je me fiche du sang et de ce qu'il dit sur nos origines. Quant à mon père, je ne sais pas pour qui tu le prend mais cela n'a jamais été important à ses yeux. »

Kumpa était le roi le plus bon et juste de la terre des lions, comment pourrait-il prêter attention à de tels détails ? La tête haute, Amaya osa s'éloigner d'Ahva sans que celle-ci n'ait mis fin à leur entrevue. Voyant rouge par autant d'audace, la princesse lui emboîta aussitôt le pas, peu désireuse de la laisser partir si vite. Interpellé par son questionnement concernant Awena, la fuyarde s'arrêta et la princesse fit de même.

Et voilà que... oh, elle sanglotait. Paniquée à l'idée d'être vu, Ahva observa les environs et fut rassurée de constater que tous étaient partis. Elle ne voulait surtout pas de rumeur comme quoi elle violentait ses cadets... et puis, ce n'était pas le cas de toute manière alors pour pleurait-elle ?

« Arrête de pleurer, c'est gênant et... »

Ses paroles furent interrompues par le petit corps d'Amaya qui perdait pied. Oh non, voilà qu'elle faisait un malaise. Se précipitant à ses côtés, la princesse ne savait que faire et paniquait. Hein, qu'est-ce qu'elle essayait de lui dire ? Peut-être des aveux ? Ahva abaissa l'une de ses oreilles près des babines de sa comparse. Des excuses, mais pourquoi ? Oh, peut-être était-elle gênée de s'écrouler de la sorte. Ahva se redressa et observa la petite lionne à moitié dans les vappes. Non, non, pas de ça !

« Oy' Amaya ! » l'appelait-elle, secouant doucement la lionne par les épaules. « OY' ! »

Son corps était mou, peut-être allait-elle vraiment perdre conscience. Ahva grommelait et regrettait de ne pas avoir les compétences pour agir aussi continua-t-elle d'harceler la petite jusqu'à ce que celle-ci soit plus réactive.

Si sa première intention en venant ici était de connaître les intentions d'Amaya, ses perspectives prenaient un autre tournant et la curiosité s'en mêlait. Mettant de côté sa précédente colère et son désir ardent de protéger sa fratrie, elle lui demanda d'une voix plus douce :

« Dis, pourquoi tu prêtes autant d'importance à ton sang ? »

Assise près de la petite évanouie, la princesse l'observait drôlement. Elle ne comprenait pas ce mal-être soudain.

Lorsque la jeune rouquine confia à la princesse que ses doutes étaient liés aux paroles de son cousin, Ahva fulmina. De quel droit se permettait-il de tels propos ? Comme si lui même n'était pas un croisé... c'était ridicule.

« Tu ne devrais pas écouter Hotaru, c'est un imbécile. » répondit-elle, le regard dur.

Si les enfants de son oncle étaient d'adorables lionceaux, la princesse peinait à accrocher avec l'aîné. Il se permettait des vagues de jugement sans fondement et était même hostile à l'encontre de Sadaka. Pourtant au regard de la princesse, son demi-frère était tout autant légitime voir plus. Finalement la petite lionne reprit du poil de la bête et se redressa. Ahva lui sourit maigrement, rassurée que son état se soit amélioré. Elle pouvait bien faire des reproches aux autres mais jamais elle ne se réjouissait de leur malheur.

Reprenant de l'assurance, Amaya lui confia finalement son souhait. La princesse haussa un sourcil, un peu surprise.

« Si tu veux protéger Prideland, tu dois t'endurcir et ne pas prêter attention à de telles remarques. Jamais personne ne te jugera pour ton sang, ici seul la bravoure et le cœur importe. »

Après tout, même les enfants du roi n'étaient pas Pridelanders des griffes à la tête, ils avaient aussi hérité du sang de leur mère mais jamais cela ne les avait dérangé bien au contraire, c'était une grande fierté pour eux d'être des Lions du Soleil.

« Donc ce que tu cherches... c'est à protéger ma sœur ? » reprit-elle, un brin méfiante.

Ahva l'observait méticuleusement. Sa carrure était des plus banales et elle ne semblait pas forte en muscle. Oh bien sûr toutes deux n'étaient encre que des enfants mais Ahva se demandait bien comment la jeune lionne comptait protéger l'héritière. Elle se méfiait peut-être trop mais lorsqu'il était question d'Awena ou Azaan, la petite dernière était inarrêtable. Le lien qui l'unissait à ses frères et sœurs étaient les plus précieux à son cœur, il était donc naturel qu'elle se préoccupe d'eux et de leurs entourages.

Protéger tout le monde hein... Malgré son fort caractère, Ahva ne dit rien. Elle comprenait le désir de sa cadette et plus encore, elle le partageait. Devenir fort pour protéger ceux qu'on aimait, c'était le désir le plus noble. C'est alors que les mots d'Amaya l'interpellèrent.

« D'être exilée ? » reprit-elle, surprise.

Mais de quoi parlait-elle ? Ahva n'était pas sûr de comprendre. Soudainement paniquée comme si elle craignait des représailles, la jeune lionne pressa la princesse de ne rien dire de toute cette affaire. Ahva fronça les sourcils, non pas parce qu'Amaya l’agaçait mais parce qu'elle comprenait que son cousin avait passer sous silence bien des détails. Alors comme ça Hotaru menaçait de la faire exiler... Ahva était hilare.

« Alors celle là c'est la meilleure ! » fit-elle remarquer, toujours pliée de rire.

Mais à la mine paniquée que tirait Amaya, elle devinait que cela n'avait rien d'une blague. Elle reprit son sérieux et continua :

« Amaya écoutes moi bien, il n'y a que trois princes sur Prideland : ma sœur, mon frère et moi. Je ne sais pas ce se permet de dire mon cousin mais il n'a aucunement l'autorité requise. Il veut t'exiler ? Il ne le pourra pas. Seuls mon père ou ma mère ont ce pouvoir et je doute qu'ils aient quoi que ce soit à te reprocher alors sois tranquille, il ne t'arrivera rien. »

Sa vie en jeu, tout de même, n'en faisait-elle pas un peu trop ? Ahva soupira. Elle avait jusqu'ici laisser agir son cousin sans impunités mais là, il allait beaucoup trop loin. A la mine inquiète de la rouquine, elle précisa :

« Je ne parlerai pas à Hotaru de cette discussion donc ne t'en fais pas. Par contre, sois sûr qu'il aura le droit à des remontrances. Non mais vraiment, pour qui il se prend celui-là... »

Elle cracha ses derniers mots. Si Ahva était d'un naturel très enjoué, il y avait certaines choses qu'elle tenait en horreur, notamment les lions qui se faisaient passer pour ce qu'ils n'étaient pas.

Toute mielleuse, la petite lionne ronronnait de plaisir et semblait heureuse du soutien d'Ahva. Un peu indécise, cette dernière l'observait. Amaya ne devait pas pour autant imaginer qu'elles étaient amies, la princesse avait simplement pris partie pour elle en raison du traitement injustifié de son cousin et des bêtises qu'il osait déclarer. Et puis de base, Ahva était venue vers elle afin de mieux connaître ses intentions envers sa fratrie, sa méfiance n'avait pas disparu.

C'est alors que sa comparse déclara être fière d'elle et de la lionne sage qu'elle était devenu. A ces mots, Ahva eut un regard étrange. Comment ça elle était fière d'elle ? Par moment, Amaya s'exprimait comme une adulte et cela perturbait beaucoup la princesse qui voyait pourtant en face d'elle une lionne plus jeune qu'elle. Soudainement colérique, la rouquine frappa de mécontentement un malheureux rocher qui avait eu la malchance d'être dans les parages sous prétexte qu'elle craignait un exil si elle se battait avec Hotaru. La chipie roula des yeux et répondit un peu durement :

« Amaya, les rivalités entre jeunes lions sont fréquentes, ce n'est pas parce que tu te bats avec Hotaru que tu sera exilée... Arrêtes avec cette obsession. »

Elle en faisait toute une histoire pour si peu. Certes le neveu du roi l'avait menacé d'une telle sentence mais ce n'était que des paroles en l'air, Ahva ne comprenait pas qu'elle y porte tant d'attention. Oubliant d'elle-même sa colère, Amaya s'approcha de la princesse pour lui porter affectueusement un coup de museau. Ahva se laissa faire, prise de court. Elle n'était pas le genre de lionceau friand de telles marques d'affection, elle ne se permettait d'être câline qu'avec sa famille.

Découvrant une flamme d'inquiétude dans le regard de sa cadette, la princesse suivit son regard et découvrit Hotaru qui les observait plus loin. Très remontée contre lui, Ahva lui desservit un regard noir. Mieux valait-il pour lui de rester loin d'elle ou sa colère risquerait d'éclater au grand jour... Heureusement, le jeune lion sembla prendre conscience du mauvais climat et s'en alla sans demander son reste. Hmm.

Prenant place à ses côtés, Amaya lui proposa un plan bien étrange qui fit écarquillé les yeux de la princesse de stupeur. Son air était malicieux et aucune vicieuse idée ne semblait lui traîner derrière la tête seulement, ces quelques mots rappelèrent à Ahva une autre question dont la réponse lui tenait à cœur.

« Tu voudrais faire tourner la tête des mâles ? Et celle d'Azaan alors ? Tu l'observes souvent... es-tu intéressé par mon frère ? »

Son ton n'était pas accusateur mais on pouvait lire dans son regard tout l'amour qu'elle portait à son jumeau. Azaan était une partie d'elle, son plus fidèle partenaire dans le crime mais aussi son meilleur ami. Leur relation était très fusionnelle et Ahva voyait ça d'un mauvais œil que déjà, les lionnes lui tournent autours.

Très coquette, Amaya alla cueillir deux fleurs qui avait fleuri au pied du rocher et déposa l'une d'elle derrière l'oreille de la princesse tandis que celle restante trouva place sur la sienne. Ahva fut surprise de ce geste et n'osa esquisser le moindre mouvement lorsque la lionne vint la vêtir. Peu féminine et
souvent plus mâle que femelle, Ahva n'avait encore jamais expérimenté ce genre d’accessoire et ne savait dire si cela lui plaisait ou non, c'était tout nouveau. D'abord surprise de sa question certes personnelle, la rouquine répondit négativement à la question de son aînée.

Ahva restait quelque peu suspicieuse mais ne creusa pas plus loin. Encore cette histoire de croisée... Elle se retint de soupirer. Amaya ne semblait décidément pas comprendre que cela importait peu dans leur clan, ce n'était qu'une obsession vaine et futile du fils de Damu.

« Très bien, restez bons amis alors ! »

Un sourire satisfait aux babines, Ahva semblait avoir eu réponse à ses questions. Si sa venue avait été justifiée par un sentiment de méfiance, il lui semblait finalement que la petite lionne n'était en rien un danger pour sa fratrie. Sa façon de pensée était un peu étrange mais il était clair qu'elle ne voulait aucun mal à Awena, cela rassurait la princesse.

Prenant la chipie à son propre jeu, Amaya lui retourna la question. Surprise, celle-ci haussa un sourcil. Tiens c'est vrai qu'elle avait interrogé sa comparse mais elle-même ne s'était jamais questionné sur le sujet. A vrai dire, Ahva pensait peu à ces choses-là, elle ne voyait les jeunes mâles que comme des compagnons de jeu et rien de plus. Sauf peut-être... non, c'était stupide. Elle secoua négativement la tête et entreprit de lui répondre :

« Non, non, je ne m'intéresse pas à ces choses-là. Mon seul amour je le porte à l'aventure, ahah ! »

Elle rit de sa propre réponse, le regard plissé par la malice. Elle ne rêvait pas du grand amour, cela lui importait peu et elle était encore jeune pour y songer. Quand elle voyait toutes les préoccupations des adultes, Ahva n'avait pas hâte de grandir. Elle enviait leur corps musculeux et leur endurance mais en rien leur esprit si ce n'était leur sagesse.

Un rugissement puissant résonna alors jusqu'au pied du rocher. Oups. Ahva sembla se liquéfier tant elle était habituée à ce que cela soit mauvais signe. Dans un rire nerveux, elle reprit :

« Excuse-moi c'est mon père qui m'appelle, il a peut-être des nouvelles de maman, je devrais y aller ! »

Elle salua poliment la jeune lionne et s'éloigna un sourire aux babines. Cette discussion informelle l'avait fortement rassurée et ses intentions se portaient maintenant sur le véritable trouble fait de l'affaire à savoir Hotaru. Peut-être avait-il entrepris de menacer d'autres lionceaux comme il avait pu le faire avec Amaya... si tel était le cas, mieux valait-il s'occuper de son cas. Ahva n'oublierait pas d'en toucher deux mots à son père adoré.