Le soleil, caractéristique de la savane, plombait sur le territoire. Cela faisait longtemps que je me trouvais au sommet du Rocher de la Fierté, à observer l'étendue de Prideland d'un air fier. Ce royaume, c'était le mien, c'était le nôtre. Rien n'était plus beau que celui-ci à mes yeux, et voir les premiers rayons du soleil envelopper chaque parcelle de terrain, contempler les ombres qui se forment, d'abord longues et distendues, puis plus fermes, plus courtes et plus nettes... Un spectacle qui me plaisait et m'émerveillait au plus profond de moi.

Je dormais toujours à l'écart des autres dans la Grotte du Rocher. Il y avait les autres lions vers l'entrée, ma famille au fond, avec celle de Kumpa non loin. Moi, je dormais vers ma famille, mais dans une sorte de petit terrier. Je passais sous une grosse pierre en me tortillant un peu, et j'avais mon petit nid, d'où je ne ressortais qu'à l'aube, avant le réveil des autres. Je voulais être, et j'étais toujours le dernier couché et le premier levé. Au moins, je guettais l'arrivée d'éventuels ennemis, j'étais persuadé que ma présence dans le clan était indispensable, et que j'étais un pilier. J'aurais tout donné pour Prideland. Je surveillais attentivement les allées et venues des proies qui gambadaient, des autres prédateurs qui pouvaient rôder dans les parages... Un passe-temps très distrayant, et très plaisant pour moi. Le fait de me lever tôt, pouvait au moins me permettre de ne montrer cette faille à personne.

Je me redressai, quittant la position assise que j'avais adoptée quelques moments auparavant, et m'étirai, assouplissant mon dos autant que possible. Un bâillement à m'en décocher la mâchoire accompagna ce geste, et je m'empressai de redescendre pour rejoindre la savane. Je ne voulais pas que l'on me surprenne là-haut. Personne ne m'y avait jamais vu, et personne ne m'y verrais. C'était l'une des rares choses qui me tenaient à cœur.

Passant devant la grotte, j'eus la surprise de croiser quelques lions qui s'étaient levés. Je les saluai d'un mouvement de tête, tout en réprimant un soupir de soulagement. J'avais eu chaud pour cette fois. Je vis même une jeune lionne d'à peu près mon âge. Je haussai un sourcil en la dévisageant des pattes à la tête à plusieurs reprises. Il ne me semblait pas l'avoir déjà vue avant... Voilà qui était curieux... J’espérais au moins qu'elle était purement Pridelander. Qu'elle ait vu mon regard lourd l'épier minutieusement ou non, peu m'importait. Dans ma tête, il ne subsistait qu'une question...

La jeune lionne pris les devants, et mes yeux roulèrent bien vite dans mes orbites. C'est donc les prunelles au ciel que je l'écoutai me saluer. Je la fixai froidement, grinçant des crocs. Mes yeux lui reprochant son manque de politesse, je tonnai :


- Je peux savoir qui t'as permis de m'adresser la parole ? Sais-tu seulement qui je suis jeune imprudente ?

Elle gambada joyeusement jusqu'à l'extrémité du rocher. Je repris position assise, me tenant bien droit et fier pour honorer mon côté Pridelander. Elle s’exclama qu'elle était une Pridelander pure, alors je ricanai méchamment.


- Je ne crois pas. Tu dois être une « croisée » pour parler ainsi à un individu de mon rang. Et puis, les Pridelanders purs n'ont pas besoin de crier sur tous les Baobabs qu'ils le sont. Cela se voit à l'image qu'ils renvoient.

Je restais toujours très fidèle aux valeurs que je trouvais justes. J'avais du sang royal dans les veines, alors j'imposais qu'on témoigne de respect envers moi. Cette jeune insouciante, en plus de me tourner le dos, n'avait même pas esquissé l'ombre d'une révérence. C'était déshonorer mes ancêtres que d'oser cacher son visage à mes yeux. Je gardai la tête haute, le regard droit, et après un rapide nouveau coup d’œil sur la fourrure de la croisée, je tonnai froidement :


- Ton pelage est trop foncé pour être celui d'un Pridelander.

Sur ces paroles, je me redressai, et m'approchai dangereusement d'elle. Je me tenais haut sur pattes, pour que ma simple présence et l'aisance de mes mouvements la déstabilisent. Je la frôlai presque en portant une attention particulière à ne pas la toucher. Je me tenais très près d'elle, pour entrer dans sa bulle et la mettre mal à l'aise. Mon visage distant d'à peine quelques centimètres du sien, le regard dur, je crachai :


- Aurais-tu osé me mentir ? Parle !

Des lors que j'eus remarqué les larmes sur ses joues, un sourire scinda mon visage en deux parties asymétriques.


- Les Pridelanders ne pleurent pas...

Je regardai à présent la jeune lionne avec un mépris profond. Celle-là n'était pas Pridelander, j'en étais certain. Sa fourrure avait des teintes trop foncées, et pas une belle couleur fauve telle qu'on en trouvait au sein du clan. En plus elle m'avait menti... Et la voilà qui me faisait un mea culpa des plus pitoyables pour m'aider « à devenir bon » ? Je ricanai méchamment :


- Toi ? M'aider ? Ah ah ah... Laisse-moi rire ! Tu sais ce que j'en fais de ton aide ? Je lui crache dessus ! Accepter l'aide d'une menteuse...

Mes yeux la parcouraient une nouvelle fois de haut en bas pour appuyer mes mots lancinants, tandis que j'effectuais un mouvement de dégoût.


- Et d'une croisée en plus de ça.

Je lisais bien dans ses yeux que mes commentaires percutants sur son pelage faisaient échos chez elle et lui faisaient mal. Mais c'était ce que je voulais : lui faire mal. Elle m'avait menti ! Une étincelle de fierté passa dans mes prunelles couleur du ciel. Je vis la jeune lionne lancer un regard sur le côté, et compris qu'elle cherchait du réconfort auprès de son paternel. L'espace d'une seconde, je cru même qu'elle allait aller lui répéter « à quel point j'étais méchant ». Se plaindre, c'est bien tout ce que les lions de son espèce savaient faire. Cependant, elle me surprit en me disant qu'elle pouvait me prouver qu'elle était Pridelander, et que je n'avais qu'à lui dire ce qu'il lui fallait faire pour trouver grâce à mes yeux. Tout d'abord, je pestai :


- On ne peut pas prouver une appartenance. Soit tu as le sang pur Pridelander et tu en es une, soit tu es une croisée et tu n'en es pas. Si c'est le cas, tu n'as pas ta place ici.

Je tournai brusquement la tête d'un air hautain pour appuyer ces mots. Puis, tandis que je regardai le ciel, j'eus une idée... Une idée mesquine et dangereuse, mais qui me plaisait. Alors j'adoptai un sourire, et me radoucit envers elle :


- Tu devrais déjà me donner ton nom. Ensuite, un Pridelander n'a pas besoin de mentir aux autres, et n'a pas besoin non plus du réconfort de sa famille. Il est suffisamment fort pour se suffire à lui-même. Ainsi, si tu veux me prouver que tu es une Pridelander pure, tu devras passer beaucoup de temps sans tes proches. Loin d'eux même, sans les voir, sans leur parler, sans dormir auprès d'eux et, en plus de ça, tu devras ne plus jamais pleurer.

Je savais à la voir que c'était impossible. Et même si elle le faisait, je lui donnerais d'autres étapes de plus en plus dures, afin qu'elle n'y arrive jamais. De toute manière, elle ne serait jamais à mes yeux, qu'une menteuse invétérée...

Je vis la jeune imprudente lancer un coup d’œil en direction de ma sœur. Mon regard se fit plus méprisant encore, tandis que je pestai :


- Tcht ! Vous êtes bien les mêmes, elle et toi. De sombres croisées.

J'eus un sourire malsain. Le genre déstabilisant. Cependant, elle osait garder la tête haute et les oreilles bien droites, même face à moi. Il fallait admettre que c'était soit très courageux, soit très stupide de sa part... Et pas besoin de préciser qu'à mes yeux, elle se rangeait largement dans la deuxième catégorie. Face à son discours « engagé », je ne pus que montrer les crocs et hérisser le pelage. Si cette petite intrigante souhaitait repartir en sang, elle était sur le bon chemin. J'étais peut-être jeune, mais je savais très bien me battre si j'en ressentais le besoin.


- Oy ! Fais gaffe à ce que tu dis étrangère..., grondai-je en m'approchant. Insinuerais-tu que je n'ai pas d'amis ? Oh oh ! Mais tu ne sais même pas ce que sont les amis...

Je claquai mes crocs dans l'air, effleurant quelques poils de son épaule pour l'intimider. Elle poussa un petit rire lorsque je lui demandai son nom, et sous le coup de l'impulsion, je lui infligeai un coup de patte sur l'épaule, sans les griffes certes, mais suffisamment puissant pour qu'elle en ressente une douleur. Elle reprit à nouveau la parole – à nouveau sans y être invitée – pour me dire à quel point madame était indépendante pour son âge. Laissez-moi rire ! L'expression fière, je minaudai sur une voix des plus hautaines :


- Ah ah ! Comment ça « je ne te ferai pas devenir comme moi » ? Mais tu ne peux pas être comme moi ! Tu es une croisée ! Ton sang est impur, c'est tout. Tu devras l'accepter de toute manière et vivre dans la honte car tôt ou tard, je te ferai quitter ces terres.

Après cela, je me dressai devant elle sur mes deux pattes arrières et appuyai mes antérieurs sur ses épaules pour la plaquer au sol. Mon visage à quelques centimètres à peine du sien, les traits tirés et l'air sévère, je crachai furieusement :


- Votre présence ici est indésirable...

La jeune lionne se défendit niaisement en me disant qu'elle pouvait très bien aller se plaindre au roi pour la gifle. Je m'esclaffai :


- Et tu comptes défendre Prideland ? Une petite bousculade et tu vas te plaindre vers Kumpa ? Kumpa est un roi, il a des affaires bien plus importantes à mener qu'une simple « broutille » entre lionceaux. Si tu veux défendre Prideland, il te faut d'abord régler tes problèmes toi-même.

Comme elle frotta sa queue contre mon museau pour m'énerver, je la mordis puis je crachai :


- Fais attention où tu laisses traîner tes poils, croisée.

Je la vis grogner alors que je venais de la plaquer au sol. C'était plus pour la forme, et elle ne m'impressionnait pas. Elle avait beau me pousser de ses pattes, je demeurai au-dessus d'elle, la dominant avec fierté. Je me reculai une fois que je pensais la leçon retenue. Elle soupira et me déclara que puisque sa présence me dérangeait, elle s'en irait.


- Ne fais pas semblant de partir. Toi et ta famille impure devriez quitter ces frontières pendant que vous y êtes ! Prideland n'a pas besoin de vous.

Je la vis s'éloigner indifféremment, et c'est au loin, lorsqu'elle me regarda pour me faire une révérence, que j'inclinai distinctement la tête, approuvant ce geste plus respectueux envers ma personne. J'eus un nouveau sourire satisfait : la journée promettait d'être bonne.