Dévalant les petites collines à grande vitesse, le pelage ambré de la princesse sillonnait les grandes herbes à la recherche de sa proie fuyarde. Soudainement, le sol se mit à trembler. Agitée, la petite lionne grimpa très vite sur une roche aux alentours et aperçu alors le nouveau-né Impala qui avait rejoint sa tribu et s’en allait déjà au loin. Elle soupira. Ahva avait conscience qu’à son âge elle n’aurait jamais pu abattre une telle proie mais le défi de tenter de la pourchasser l’avait séduit. Elle ne s’en était plutôt pas trop mal sorti au début mais l’animal avait fini par la semer dans les hautes herbes. Déçue de son échec, la petite lionne se laisse tomber sur la roche et observa silencieusement le départ du troupeau.

L’adrénaline tombait peu à peu et la féline détourna son regard du troupeau pour observer les montages nordiques qui se dessinaient à l’horizon. Elle songeait à sa mère mais aussi à son oncle et son frère. Etaient-ils bien arrivés au royaume blanc ? Jamais encore la fratrie n’avait été aussi éloignée de leur mère et son absence n’était pas sans se faire remarquer. A nouveau elle soupira. Elle aurait aimé partir avec eux mais sa mère le lui avait refusé, considérant qu’elle était encore trop jeune mais Ahva soupçonnait une autre raison à cela ; bien que sa mère ne lui ait explicitement dit, elle savait ce voyage important pour son aîné et les accompagnateurs avaient été soigneusement choisis. Qu’à cela n’en tienne, elle irait d’elle-même dans le Nord.

Le Soleil semblait avoir terminé sa ronde quotidienne et progressivement, les couleurs du ciel s’obscurcissait. La nuit allait bientôt tombée. Plongée dans ses occupations, la petite n’avait pas vu le temps passé. Elle regarda alors dans la direction opposée, celle du rocher. Son père devait sûrement l’attendre. Kuzali partie, Kumpa s’efforçait d’être plus présent pour ses enfants afin de combler le vide laissé par leur mère mais la princesse n’était pas sotte, son père ressentait également cette absence. Poussée par l’envie d’être présente pour lui autant qu’il l’était pour eux, Ahva se résigna à rentrer et abandonna la savane et ses mille secrets.

Alors qu’elle s’approchait du priderock, la princesse ne fut pas surprise de voir l’ombre de son père qui l’attendait au pied du rocher. Elle sourit, amusée. Même si bientôt elle deviendrait une adolescente, son père gardait cette vieille habitude. Elle n’en était pas offusquée pour autant, après tout ses parents avaient consenti à lui offrir plus de liberté. Arrivant à hauteur du roi, la petite lionne s’approcha de lui gaiement et lui lança non sans un regard malicieux :

« Je suis rentrée, papa ! »

Accompagnant ses mots mielleux, la princesse se frotta affectueusement aux pattes de son père. Peu importait leurs quelques disputes quant au tempérant aventurier de la lionne, celle-ci chérissait son père comme nul autre. Il était son éternel héros.

Son père l’accueillit tendrement et la petite princesse ronronna. Suite à son interrogation, elle émit un rire léger et frais. Kumpa connaissait bien sa fille, même l'intéressée se devait de l'admettre. Un sourire amusée mais le regard sincère, elle lui répondit :

« J'ai été sage comme une image ! » promit-elle avant de donner plus d'indication : « J'ai traîné dans la savane toute la journée, je me suis entraînée à la chasse. »

Un sourire cette fois-ci satisfait s'affichait sur ses babines. Ahva était certes une enfant turbulente mais elle savait également se perdre dans ses activités et se faire oublier de tous. Les jeux n'étaient pas les seuls loisirs qui l'intéressaient ; l'aventure lui était reconnu mais peu savait sa passion de la chasse et de l'art défensif ; des aspirations lui promettant de devenir une lionne indépendante et forte.

Son regard se dirigea lentement vers le promontoire lorsque furent évoqués ses frères et sœurs. Oui évidemment, ils étaient déjà rentré... Ahva cacha sa frustration, c'était toujours elle qu'on attendait. Un peu embarrassée, elle aplatit légèrement ses oreilles sur son crâne.

« Désolée, je ne savais pas que tu m'attendais. Je me suis laissée emportée par ce que je faisais et je n'ai pas vu le temps passé. »

Un mince sourire étira ses babines, demandant pardon à l'adulte. Ahva n'aimait pas savoir son père inquiet, encore moins par sa faute. Serpentant entre ses pattes, elle se fraya un chemin jusque derrière Kumpa et entama ainsi leur ascension vers le priderock, signe qu'elle rentrait sagement et sans faire d'histoire. C'était important quand on se rappelait des crises qu'elle faisait plus jeune lorsqu'elle refusait de rentrer à la grotte. Petite princesse capricieuse. La démarche élégante, elle coula un regard vers son père et demanda :

« Tu penses que maman est bien arrivée au Nord ? »

Cela inquiétait la fratrie, la séparation n'était pas simple mais ils s'adaptaient avec plus ou moins de mal. Heureusement, Kumpa était là et savait comment rassurer ses enfants. Lui seul trouvait toujours les mots. Auparavant, Malkia aurait été à la hauteur de la tâche mais le Cycle de la vie l'avait emporté dans son siphon. C'était la première fois que les petits avaient connu le chagrin que causait la mort. Ils peinaient encore à s'en remettre, sa mort avait laissé un grand vide.

Derrière les souvenirs partagés par son père, Ahva percevait bien la mise en garde. Une fois de plus, il était inquiet. Elle sourit, amusée d'apprendre que la cause de cela était sa piètre aptitude à la chasse. Alors comme ça, même le plus grand roi des rois avait ses faiblesses... Bien qu'amusée, elle en était également surprise. Parfois, elle oubliait que ses parents avaient eux aussi été de jeunes lions découvrant le monde. Elle aurait aimé rencontrer son père à cet âge... m'enfin, quelle drôle de pensée.

« Je suis presque rassurée d'apprendre que tu n'excelles pas dans tous les domaines ! » répondit-elle dans un rire malicieux.

Échappant alors à ses souvenirs d'enfant, le monarque interrogea sa fille cadette sur la Grande Chasse. Ahva battit des cils, interloquée. Il lui semblait avoir déjà entendu ses termes auparavant dans la gueule de sa grand-mère mais... son regard s'abaissa soudainement. Grand-mère Malkia. Son absence se faisait cruellement ressentir au rocher et avait autant provoqué le chagrin que l'indignation des trois jeunes princes et princesses qui pour la première fois dans leur vie idyllique avaient été confronté à la mort. C'était injuste.

Pile au bon moment, Kumpa vint rassurer sa fille quant à ses inquiétudes. Redressant son regard vers le roi, Ahva s'efforça de lui rendre son sourire.

« Tu as sûrement raison, c'est juste qu'elle me manque. »

Kuzali était la plus forte des lionnes et elle ne doutait pas de la sûreté de chacun de ses pas mais c'était la première fois que la princesse vivait un tel éloignement avec sa mère, c'était un peu dur pour elle. Secouant vivement son pelage ambré, elle redressa une fois de plus son regard vers Kumpa et lui répondit enfin :

« Dis, c'est quoi exactement la Grande Chasse ? »

Son naturel curieux avait repris le dessus et sa tristesse n'était plus, Ahva était simplement heureuse d'avoir un moment privilégié avec son père adoré.

Tandis qu'ils regagnaient pas à pas le priderock où les attendaient le reste de la famille, Kumpa entama l'histoire de la Grande Chasse. Toujours aussi attentive aux récits de son paternel, la princesse en manquait presque de s'emmêler les pattes tant son regard était rivé sur son père, buvant avidement ses paroles pleines de savoir. Si elle connaissait l'histoire de Kundi l'unificateur depuis bien longtemps, elle n'en restait pas moins toujours aussi admirative. Quel grand lion il avait du être ! Peut-être presque aussi grand que son papa.

Cependant, elle apprit en ce jour l'autre partie de l'histoire, celle qu'on ne lui avait pas conté étant enfant par peur de l'effrayer. Les oreilles aplaties contre son crâne, Ahva quitta enfin son père du regard pour piteusement observer ses pattes. Comment un événement annuel synonyme de prospérité et d'union avait bien pu se clore de la sorte ?

« Je ne savais pas, c'est plutôt triste pour la famille d'Haki... mais papa, les rhinocéros n'agissent pas comme ça normalement, pas vrai ? Tu penses que c'était un rhino rendu fou par cette grande alliance de fauves ? »

Cela lui semblait bien étrange car si elle avait un jour provoquer la colère d'une même bête, Ahva savait pertinemment que celle-ci ne l'aurait jamais blessé. Après tout, elles mêmes sont sous l'autorité du monarque alors pourquoi se rebeller soudainement, surtout pour faire un tel carnage. Pensive, la princesse tentait de trouver réponse à ses questions.

« Et tu dis que depuis ils n'ont jamais rouvert la Grande Chasse ? Peut-être qu'ils devraient justement. S'ils laissent les choses telles quelles, on se souviendra toujours de cet événement comme d'une chose tragique mais si on fait avancer les choses et qu'on lui donne un autre souffle, ce serait mieux non ? La Grande Chasse redeviendrait ce qu'elle était censée être : un moment de partage et d'union ! »

Le regard brillant d'idéalisme, la petite lionne émit spontanément un sourire éclatant, donnant force et vigueur à ses idées. Approchant des pattes de son père, elle lui souffla sa nouvelle idée :

« Et si nous aussi on organisait un événement annuel à la gloire de Prideland, ce serait amusant, non ? Et puis, ça pousserait peut-être les Freelanders à faire de même ! »

Son rire si doux et innocent n'en fut que plus grand.

Toujours aussi pragmatique et sage, son père ne tarda pas à lui faire partager son avis sur la question. Ahva l'écoutait très attentivement. Elle aimait ces moments de tels discussion avec Kumpa, elle se sentait presque comme sa sœur aînée et cela lui plaisait, non pas par intérêt pour la couronne mais bien par la proximité avec son père que ces discussions engageaient.

« Alors il aurait simplement agi par pure folie ? » reprit-elle en écho aux paroles de l'adulte.

C'était tout de même bien étrange et derrière son silence, Kumpa semblait avoir quelques avis réservés sur la question mais sûrement Ahva n'était-elle pas en âge de les entendre. Si elle connaissait les grosses lignes de l'histoire des royaumes voisins, certains détails lui échappaient encore.

Concernant son idée de fête, Kumpa lui confia être de son avis. Très sensible aux compliments de son père adoré, Ahva bomba fièrement le torse tandis qu'un grand sourire illuminait son visage. Seulement, il y avait un « mais ». Ce n'était aux Pridelanders d'aller se mêler des affaires du roi Haki mais bien à lui-même d'agir dans l'intérêt de son royaume. Les paroles de son père étaient emplies de sagesse et la princesse se demandait si elle serait un jour d'aussi bon raisonnement.

« Je comprend, un royaume c'est déjà beaucoup à gérer alors si on part s'occuper des autres... »

Sa remarque se conclut dans un petit rire malicieux. Ahva n'avait pu observer les terres libres que du haut du promontoire et jamais encore elle n'avait mis les pattes dans ce royaume délicieux pourtant, ce n'était pas l'envie qui lui manquait. Les monarques avaient mis au monde des jumeaux un peu plus jeune qu'elle, peut-être pourraient-ils devenir amis et qu'ils lui montreraient leur terre ? Ce serait une chouette idée.

Sensible à l'idée proposer par sa fille, l'engouement du roi la comblait de plaisir. Elle était très fière que son père soutienne son idée et lorsqu'il lui proposa de l'inaugurer, Ahva miaula joyeusement.

« Oh oui, ce serait vraiment chouette, j'ai plein d'idées différentes ! » s'enthousiasma la petite avant de livrer plus en détail ses pensées : « Alors hmm... on pourrait organiser un rite de passage à l'âge adulte ? Ou même de passage à l'adolescence en expérimentant les premières chasses pour les femelles dans une grande cérémonie et les premiers duels pour les mâles ! Et les mâles qui voudraient se spécialisés dans la chasse rejoindraient la cérémonie initialement destinée aux femelles et vice versa, celles voulant devenir des guerrières pourraient se joindre aux mâles ! »

Une grande chasse en compagnie des lionnes expérimentées pour que les bases de l'art soient inculpées et quelle ne serait pas la fierté de ces lionnes en ayant participé à leur premier butin ! Quant aux mâles, la princesse n'imaginait pas un combat à mort ou croulant sous le sang, non juste un moyen pour ces jeunes lions de montrer leur capacité et pour le vainqueur, la seule mais grande fierté d'avoir été le champion. Ahva savait leur royaume en paix mais avoir de bons guerriers était toujours une bonne chose pas vrai ? Des chasseurs talentueux, des guerriers accomplis... Prideland n'en serait encore que plus grand et plus fort !

« T'en penses quoi papa, tu as des idées toi ? »

Assagie, la petite dévorait son père du regard, attendant son avis comme ses propositions. Tant qu'il ne s'agissait pas d'une grande leçon à l'ampleur de toute la population... Elle rit de cette pensée et contempla son père, une lueur malicieuse dans le regard.

Hmm, l’éternel combat entre le bien et le mal où le premier finissait toujours par triompher sur le deuxième. Ahva observaient silencieusement son père, préférant alors se muter dans un silence songeur. Ce n’était pas juste des paroles en l’air, une leçon charitable se dessinait dessous et la princesse n’était pas aveugle aux attentions de son père. C’était aussi ce qu’elle croyait, après tout le prince en exil armé de son seul courage et de son cœur avait réussi à terrasser les ennemis pour rétablir l’ordre et de ce fait, la paix avait été ramenée. Elle connaissait bien cette histoire et cela n’avait qu’accentué l’admiration qui brillait dans son regard lorsqu’elle le portait vers son père. Ces sages paroles ne lui semblaient alors n’être qu’un rappel de toutes ces valeurs qu’on lui avait enseigné dès son plus jeune âge mais peut-être qu’à l’avenir, si les balances faisaient leurs jeux et que le doute emplissait son cœur doré, elle aurait besoin de ces maximes.

Le sujet ne fut rapidement plus d’actualité, remplacé par cette idée pour rapprocher la communauté et ancrer toujours plus les traditions d’un peuple. L’enthousiasme de son père quant à son génie plut énormément à la petite lionne. C’est alors qu’il lui délivra une réflexion primordiale à laquelle la petite lionne n’avait même pas songé : tous les lionceaux ne naissaient pas le même jour et de fait, tous grandissaient à intervalle irrégulier. Embarrassée d’avoir oublié un tel détail, elle sourit maladroitement à Kumpa. Oups.

« Arf oui, tu as raison papa. Je n’avais pas vraiment vu les choses sous cet angle… »

Les oreilles abaissées contre son petit crâne doré, elle rit doucement. Heureusement, son sage père était toujours là pour lui rappeler les choses importantes. Bien que fière et indépendante, Ahva devait reconnaître qu’elle serait perdue sans son père. C’était lui sa Lumière.

Assise aux portes de la grotte aux côté du roi, la princesse était ravie qu’il lui accorde un moment en tête à tête. Elle aimait beaucoup passer du temps en sa compagnie et enviait parfois sa sœur aînée qui passait des journées entières à accompagner leur père. Bien sûr le programme était moins amusant mais elle bénéficiait de toute l’attention de l’adulte… Et ça, c’était vraiment quelque chose pour la chipie. Elle pressa sa tête contre le flanc du guerrier et ronronna.

Partageant alors ses idées, il lui en livra une pétilla aux oreilles de la princesse. Une grande activité multiraciale ? Oh comme ça semblait chouette ! Très enthousiaste, elle lui répondit :

« Oh oui c’est vraiment une super idée, papa ! Décidément, tu trouveras toujours solution à tout, t’es trop fort ! »

Elle rit, le regard malicieux. Kumpa était un monarque bon et juste qui pensait à l’ensemble de ses sujets sans en privilégier un groupe. Ahva l’admirait beaucoup pour cela et aimait s’inspirer de son cher père.

« Alors euh… pour plaire à tout le monde, il faut quelque chose de populaire. Mais je ne sais pas comment lier les adultes et les enfants, ça ferait une sacrée ménagerie. Concernant les jeunes, on pourrait organiser un grand jeu où tous pourraient jouer ? Comme un cache-cache ! Bon les singes seraient plus avantagés que les girafons pour se cacher mais ces derniers sont plus grands et voient mieux… Au final, ça se balance ! »

Elle lui sourit, très fière de son raisonnement. Faire communiquer des enfants était simple mais les lier à toute une troupe d’adulte, ce n’était pas une mince affaire, les intérêts n’étaient pas les mêmes… Ou alors il faudrait des enfants-adultes, comme monsieur Fleck ! Oh, la princesse n’avait pas toujours pas partagé cette formidable rencontre avec son père. L’excitation palpable dans son regard, elle se lança dans une grande tirade emplie de joie et de malice :

« J’ai rencontré un nouvel ami il y a peu et ce qui est amusant, c’est que c’est aussi un ami à toi et à maman. C’est un lycaon du nom de Fleck mais pour moi, c’est monsieur Fleck. Tu sais je l’aime beaucoup, il m’explique plein de choses sur la vie et partage avec moi ses expériences passés. C’est comme… un monsieur que j’écoute et dont j’apprends. Comme un mentor ! Tu te rends compte papa, moi aussi j’ai un mentor maintenant et en plus c’est un lycaon ! C’est quand même pas banal, ahah ! »

Son sourire semblait interminable et resplendissait. Ahva avait réellement eu un coup de foudre amical pour celui qu’elle ignorait être l’espion de Prideland et se languissait désormais des journées en sa compagnie.

Son père l'amusait par son optimisme. Il était toujours comme ça, pensant que nul n'avait problème n'était sans solution et sans cesse, il s'efforçait à tempérer les choses pour que toujours en ressorte un bon côté. Il était fort, très fort et Ahva l'admirait pour ça. Même elle, la plus joyeuse et insouciante de tous les lionceaux de Prideland, semblait parfois terne aux côtés du roi tant il était grand.

Hein, des peintures ? Comme de vrais guerriers ? Le visage de la princesse s'illumina de mille rêves et elle en oublia presque les autres propositions de son cher paternel.

« Oh papa c'est tellement une idée géniale, rien que pour ça j'attendrai ce jeu avec grande impatience ! Je demanderai à Kuzaida de me parer de la robe la plus dorée jamais vue, je brillerai comme personne et je ferais honneur à mes ancêtres et au Soleil lui-même ! »

Ses miaulements étaient plus aiguës tant elle était enchantée par cette idée. Son pelage n'était peut-être pas celui de sa mère mais son cœur crépitait avec autant d'ardeur et la fierté de ce peuple coulait dans son sang. Ahva serait la plus terrifiante et la plus acclamée des participants, elle n'en doutait pas. Quoi que, sa fratrie pourrait facilement lui voler le premier rôle.. Hmm peut-être devraient-ils faire équipe alors, elle détestait perdre contre eux.

L'intrigue passée, son père s’intéressa à sa récente relation avec le lycaon. Le regard malicieux, Ahva souriait. Bien bien, il était temps de parler comme des grands.

« On a parlé de beaucoup de choses, papa. D'abord, on a parlé des nuages et de leurs formes. Puis de nos rêves, de ce que grandir signifiait vraiment. On a parlé de nos aspirations, de nos goûts et de ce qu'était la peur et le danger. On a parlé du désert et de l'oasis tout comme nous avons parlé des Nyeusis. »

Sur ces derniers mots, le murmure de la princesse n'en était plus un et le son de sa voix s'était doucement évaporé avec le souffle du vent. Silencieuse, elle observait fixement son père. Elle avait délibérément choisi de s'arrêter sur ces mots précis, ce n'était pas un hasard comme l'en témoignait l'intensité de son regard. Ahva grandissait et elle s'interrogeait de plus en plus, elle voulait mieux comprendre la terreur qui avait autrefois régner ici mais aussi mieux connaître ces fameux lions noirs qui depuis peu hantés son esprit.

L'air était plus lourd, plus sérieux. Kumpa n'avait pas caché sa surprise, sûrement ne s'attendait-il pas à une telle tournure dans leur discussion. Si d'ordinaire son père faisait de son possible pour combler leur curiosité, certaines questions étaient toujours rapidement évincés mais maintenant qu'elle le tenait, Ahva comptait bien approfondir le sujet. Elle était plus grande, bientôt adolescente. Elle ne voulait plus de mensonges.

Un peu hébété, il répétait ses dires et la jeune lionne hocha vivement de la tête, signe qu'il avait bien entendu. Oui oui, les Nyeusis.

« S'ils ont disparu, pourquoi vous êtes inquiets ? Les adultes... derrière leurs sourires, ils ont peur parfois, peur de ce qui cache dans les recoins sombres. » reprit-elle de sa petite voix mais la mine bien sérieuse.

Elle fixait son père avec insistance, cherchant des réponses et espérant que celles-ci soient suffisantes pour étancher sa soif de curiosité. Souvent punie et confinée au Rocher, la princesse avait appris à observer le monde qui l'entourait et tout particulièrement ses habitants. Parfois quand ils se pensaient à l'abri, certains lions montraient leurs vrais visages et puis il y avait aussi ces lourds regards que l'on portait sur son grand-frère. Elle n'avait jamais vraiment fait attention à ce traitement déplorable, elle pensait simplement que son frère était victime des envieux mais le temps passait et son assurance laissait place à un trouble et revenait alors cette insoutenable question : qui était le père de Sadaka ?

Maintenant que cette question pesait dans son esprit et que sa mère n'était pas là pour apaiser ses doutes, Ahva se perdait. Auparavant cette question lui importait peu, c'était juste sa famille et son clan et pour une jeune lionne qui découvrait le monde, c'était amplement suffisant mais elle grandissait, elle apprenait toujours plus et se questionnait davantage. Sa mère avait eu un autre mâle avant son père, il n'avait pas été le seul. Curieusement, la petite se rendait compte qu'elle ne connaissait pas sa mère aussi bien qu'elle le pensait. Si elle se plaisait à leur raconter des légendes de sa terre natale, Kuzali évoquait peu son temps avant la rencontre avec leur père. Un passé trouble où la princesse pensait trouver bon nombre de réponse à ses questions.

Levant un regard vers son père, la petite fut soudainement très mal à l'aise, elle réalisait les liens complexes de sa famille et son cœur se serrait pour le roi. Est-ce qu'elle en voulait à sa mère d'avoir eu une vie avant eux ? C'était difficile à voir. Dans un murmure maladroit, elle lui demanda :

« Dis papa... ça ne te dérange pas de pas être le père de Sadaka ? »

Attentive mais aussi intimidée d'avoir provoquer un tel changement chez son père, Ahva écoutait docilement le monarque sans même réaliser que ses deux petites oreilles s'étaient abattues contre son crâne.

Ses sages paroles résonnèrent contre ses tympans. Ce n'était pas la première fois qu'on lui évoquait ces deux notions ni même leur dualité. Elle hocha doucement la tête à la conclusion de son père. Cette exposition de l'ombre et de la lumière serait donc une allégorie du bien et du mal en perpétuel combat ? Eux étaient la lumière pas vrai, alors l'ombre... qui lui était voué ? Les Nyeusis ? Mais étaient-ils les seuls ? Les deux forces se devaient d'être égales pour maintenir la balance droite.

Ahva comprenait enfin la peur de ses parents. Cette ombre n'était plus présente sur Prideland mais elle rôdait encore au-dehors et ses parents ne la connaissaient que trop bien. Ce combat qu'ils menaient depuis si longtemps, ils ne voulaient pas les impliquer eux et leur innocence aussi les maintenaient-ils à l'écart pour leur permettre de grandir sans avoir à se soucier des mêmes peurs, souriants, bons et justes. En clair, ce développement qu'ils souhaitaient pour leurs enfants n'était pas possible au contact de l'ombre car c'était une éducation purement lumineuse.

La petite lionne retint un soupir. Elle n'avait pas choisi de grandir comme ça mais voulait-être voir son innocence brisée comme celle de ces « cousins » d'Outland qui, eux, connaissait l'ombre ? Non. Un entre-deux serait plus souhaitable mais existait-il vraiment ? En tout cas, ce n'était pas la méthode suivie sur Prideland. Dans un murmure, elle lui répondit simplement :

« Je comprends, papa. »

Regrettant son manque de tact, elle dressa enfin son regard vers son père. Il ne semblait pas particulièrement peiné mais une étrange lueur brillait dans son regard ; sa voix était aussi douce qu'ordinaire mais derrière ce semblant de désinvolture, elle lisait sa peine et son cœur se serra.

Un peu timide elle s'approcha du roi et doucement, elle s'agrippa à l'une de ses pattes pour se presser très fort contre lui. Sa petite tête enfoui dans son pelage, elle lui dit :

« Désolée de t'avoir demandé ça papa, c'était bête. »

Tremblotante, elle retenait ses larmes. C'était difficile en ce moment : Kuzali était parti en voyage accompagnée de Rono et de Sadaka et ces multiples absences se faisaient lourdement ressentir, d'autant plus que Malkia s'en était aller vers les esprits de leurs ancêtres... La grotte lui paraissait affreusement vide en plus de lui rappeler constamment l'absence de ses proches. Autant dire qu'une dispute avec son père était très mal venue tant sa présence au quotidien la rassurait.

Sans lâcher la patte de son père, la princesse dressa vers un lui un regard timide :

« T'es fâché ? »

Son miaulement était incontestablement le plus doux qu'il soit et son regard le plus implorant. Elle comprenait enfin pourquoi les maximes s’acharnaient à dire que la curiosité était un vilain défaut.

La douce étreinte de son père apaisa son cœur tourmenté tandis que ses mots la rassuraient. Ahva avait le meilleur papa du monde, elle en était intimement convaincue. Soufflant sa vilaine peur, elle se reposa les yeux clos contre Kumpa, inspirant son odeur et s'en imprégnant. Ce serait toujours avec son papa qu'elle se sentirait le plus en sécurité et quelques mots de sa part suffisaient à calmer toutes ses peurs. Finalement, elle dressa un regard vers celui-ci et lui sourit.

Avec amusement, le roi lui confia qu'elle comprendrait ses parents en devant mère à son tour. Ahva ouvrit de grand yeux, très étonnée par cette tournure dans la discussion. Ma... maman ?

« Mais papa je suis trop jeune pour ça, j'veux même pas y penser ! » répliqua-t-elle avec une mine dégoûtée.

Bien sûr qu'elle bâtirait sa propre famille dans des temps futurs mais pour le moment, elle était très loin de se sentir concernée par cette idée, d'autant plus que cela sous-entendait un fiancé. Grand mère Malkia leur avait déjà raconté comment elle s'était fiancée à Farao sous avis de leurs parents. Est-ce que ce serait pareil pour la fratrie, auraient-ils des partenaires imposés ? Ahva dressa un regard vers son père avant de se raviser : Kumpa et Kuzali n'imposeraient jamais rien à leurs enfants un choix qui n'était pas le leur concernant leur vie future. Elle soupira, rassurée.

Justifiant ses actes par son expérience, le roi lui apprit avoir vécu la même frustration dans son enfance. Oh, même grand mère Malkia et papi Farao ? La princesse resta un petit temps silencieuse. Si son propre père avait vécu la même chose mais qu'il répétait le scénario avec ses propres enfants alors oui, sans doute avait-il jugé leur décision sage. De sa tendre voix suave, Kumpa ajouta que si la princesse avaient confiance en eux, le temps des révélations viendrait. Ses oreilles frétillèrent d'excitation tandis qu'elle se demandait quel genre de secret cachait leur famille.

« Bien sûr que j'ai confiance en vous, Awena et Azaan aussi. Ça sera ptete dur mais on sera patients ! »

Ses troubles oubliés, elle souriait chaleureusement à son père. Rien n'était fait au hasard pas vrai, toute action avait ses raisons et ses conséquences. Très expressive avec ceux qu'elle aimait profondément et chérissait, la princesse s'en retourna près de son père et prenant appui sur ses pattes arrières, elle se dressa contre son poitrail et l'enlaça.

« Je t'aime, papa. »

Sourire aux babines, sa petite tête d'ange ne tarda pas à s'enfoncer dans les crins de son père, chose qu'elle adorait faire. De loin, on pourrait presque penser que la princesse en avait perdu sa tête... Désireuse de retrouver sa fratrie, elle se hissa sur le dos de son père et s'installa confortablement dans sa crinière, jouant discrètement avec sa banane.

« Allons rejoindre Azaan et Awena, je suis sûr qu'ils nous attendent ! »

Manquant de basculer dans le vite, la petite se pencha vers l'avant pour capter le regard de son père. Elle rit de sa maladresse et se repositionna plus solidement, cajolant les crins du grand roi. Elle les aimait tous très fort, plus que quiconque à vrai dire et c'était bien pour cette raison qu'elle acceptait de taire sa curiosité. Elle serait bientôt adolescente et ce nouvel âge lui ouvrirait de nombreuses portes dont celle de la vérité. Elle avait hâte de grandir. Oh mais... elle ne pourrait plus se cacher dans la crinière de son père... Soudainement très triste à cette idée, la princesse plongea avec hâte sa tête dans les crins roux, les laissant caresser son pelage ambré tandis qu'elle creusait toujours plus loin. Hmm, ce petit manège lui manquerait pour sûr.