Les lions faisaient des enfants qui feraient eux-aussi des enfants, c'était connu du Cycle de la Vie et celui-ci continuerait toujours de fonctionner ainsi. Niwata fut une enfant, en des temps anciens, et aujourd'hui en attendait-elle un à son tour, souffrante mais heureuse. Kutoa allait devenir Papa. Tout comme elle, qui deviendrait Maman. Son ventre blanc s'arrondissant de jour en jour ne prédisait qu'un heureux événement. Hofu était au courant qu'elle attendait des petits. Niwata se sentait en sécurité, avec son compagnon de voyage. Kutoa n'était guère avec elle, mais la voyageuse n'avait pas besoin de la présence de son partenaire pour languir l'arrivée de ses enfants. A quoi ressembleraient-ils ? Seraient-ils plus Jangowas que Freelanders ? Ou l'inverse ? Seraient-ils sages comme des images ? Ou de grands rebelles ? Que deviendraient-ils ? Des lions claniques qui feraient la fierté de leur Clan, ou des solitaires sans croyance et sans lois ? Elle ignorait tout du destin de sa descendance, mais ce qu'elle en savait, et ce sans même devoir à y songer, c'était qu'elle les aimerait profondément, quoi qu'il arrive. Si l'un de ses lionceaux commettait une faute grave, elle serait toujours là pour lui, même si la Terre des Lions entière lui tournait le dos. Si l'un d'eux devenait le plus grand voyageur du monde entier, elle serait toujours là pour l'épauler, même si les dangers et les problèmes l'étoufferaient.

Tandis que Niwata songeait aux petits êtres qui grandissaient dans son ventre, Hofu et elle se baladaient dans la Lande aux Sans-Terres. Depuis peu, ils rendaient régulièrement visite à une vieille lionne, possédant elle aussi une jolie portée de bébés. La femelle dorée ne venait pas la voir par simple plaisir – au vu de la douleur, voire même de la souffrance, qui la prenait lorsqu'elle se déplaçait -, elle préférait simplement se rassurer auprès d'une aînée, qui avait assez d'expérience dans ce genre domaines afin de la conseiller.
Qui était donc cet étrange esprit accueillant, diriez-vous ? Une vieille féline, qui avait déjà connue des portées dans sa vie, une certaine solitaire qui ne prenait jamais un temps pour se poser avec un compagnon fidèle et protecteur, qui préférait donner la vie plutôt que de donner un véritable sens à son existence. Niwata ne jugeait pas les choix de sa camarade de par l'intérêt qu'elle portait principalement à ses propres futurs petits et non à elle, ce qui rendaient les choses bien différentes. En gros, tant qu'elle l'aidait, Niwa' ne lui reprochait rien.

Le soleil tapait assurément fort, aujourd'hui. La future mère continuait d'avancer, blottie contre la fourrure d'Hofu, alors que la chaleur les brûlait et qu'un horrible mal de crâne frappait Niwata avec sadisme. Elle n'arrivait plus à marcher sans se servir de son ami pour s'épauler. La Saison Humide avait beau être là, mais parfois, elle boudait et se faisait absente. La femelle aux yeux bleues détestait ce genre de moments. Elle poussa un petit cri de douleur lorsque son ventre lui fit souvenir qu'elle était gestante. Son corps se colla un peu plus contre celui d'Hofu, et ses oreilles se plaquèrent contre son crâne.

Ses yeux se plissèrent et balayèrent le paysage avec fatigue. La demeure de la vieille lionne n'était plus très loin. La douleur, comme d'habitude, faisait la sourde quant aux dégâts qu'elle causait à sa victime et lui donnait envie de mourir. Niwata ferma un instant les yeux. Elle songea à Kutoa, et à son probable bonheur lorsqu'il découvrirait, bientôt, la portée de lionceaux à qui elle donnerait la vie. Après tout, elle attendait des petits depuis un certain moment, quand même. Ils ne tarderaient pas à venir, elle en était certaine.

La douleur lui arracha un nouveau petit cri. La voyageuse jeta un regard à Hofu, et assura avec difficulté :

« T-Tout va bien … Ce n'est p-pas nouveau. »

En était-elle sûre ? La douleur lui prit la gorge et la força à serrer les dents. Niwata adressa un nouveau regard rassurant à son aîné, mais elle le savait, de par son cœur qui frappait son poitrail plus vite que d'habitude, que son corps tentait de lui faire comprendre qu'il se passait une chose inhabituelle.
Instinctivement, la voyageuse s'abaissa soudainement – avec une certaine douceur sur la fin, cependant – et s'allongea aux pattes d'Hofu. Elle avait mal. Terriblement mal.

« H-Hofu ...  »

Elle prit une grande inspiration puis souffla. La douleur ne voulait pas s'arrêter. Ses pattes tremblaient. Le temps de paix était terminé.

« J'ai … J'ai trop mal. » lâcha-t-elle d'un trait, surprise d'avoir réussi à dire quelque chose sans être reprise pas ses maux de ventre.

Sa tête se posa sur ses pattes avant, et elle trembla. Quelque chose lui arracha un dernier cri, et elle sut alors que, malgré toute les prières qu'elle pouvait faire aux Grands Esprits pour rallonger le temps avant de mettre bas, ce moment-ci serait le bon. Le fameux moment.

« Aide-moi, s'il te plait ! » le supplia-t-elle, gémissant.

Attrapée par une douleur intense, Niwata serra les crocs et planta ses griffes, désespérément, dans la terre afin de se stabiliser. Son corps fut secoué par de nombreux tremblements qui ne rassurèrent que peu la jeune lionne. Était-ce la fin, pour elle  ? Était-ce le fameux moment où elle allait ... donner vie à sa descendance  ? En tout cas, la sensation qu'elle éprouvait semblait lui indiquer cela, et elle trembla davantage sous la pression de l'inquiétude et de la peur. Ses yeux s'ouvrirent un instant, et Niwata balaya la clairière du regard. La vieille lionne et ses petits n'étaient pas là … Aucune chance qu'elle puisse l'aider, à part si un miracle se décidait à ajouter son grain de sel dans toute cette histoire.

Au-dessus d'elle, Hofu la rassurait.

« Reste calme, ça ... ça va aller. »

Tout à coup, elle voulut pleurer. Pleurer la douleur qui la prenait, pleurer afin d'évacuer toute la peur et l'angoisse qui l'animaient à cet instant précis. Mais ce qui était fait était fait, et elle devrait prendre sur elle-même afin de surmonter cet obstacle. Kutoa n'était même pas là pour lui dire quoi faire … La femelle dorée serra davantage ses crocs, les yeux larmoyants. C'était à peine si elle prenait la peine d'écouter les dires d'Hofu, qui tentait d'arranger la situation.

« Je suis là, ne t'inquiète pas, je serais toujours là ... »

Mais elle, serait-elle toujours là  ? Niwata referma les yeux et se concentra sur diverses images de personnes qu'elle aimait ou qu'elle avait jadis aimé  : Hofu, Kutoa, Suki, Bastet, ses parents, et des tas et des tas d'autres esprits. La douleur l'handicapa de plus en plus, et plus le temps avançait, plus elle sentait que l'heure approchait.

« Essaie de ... de calmer ta respiration. »

Il se pencha sur elle. Niwata sentit le souffle chaud de son partenaire de voyage se perdre dans son cou. Elle l'écouta attentivement et essaya, peut-être vainement, de calmer sa respiration. Son corps trembla moins qu'auparavant, ce qui lui causa une légère satisfaction dans son cœur.

« Tout va bien se passer Niwata, je te le promets ... Pense à tes petits qui seront bientôt là, près de toi ... Pense à eux de toutes tes forces ! »

La voyageuse hocha la tête.
Soudain, un nouveau coup douloureux la frappa et, instinctivement, l'ex-Jangowa s'écarta doucement d'Hofu afin d'avoir toute la place nécessaire pour mettre au monde ses petits. Le travail débuta et Niwata n'eut jamais eu aussi mal.

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Quelque temps après, la voyageuse tremblait à cause de l'effort qu'elle avait dû utiliser afin de terminer sa mise-bas. Près de son ventre se trouvait un bébé lionceau, fragile, dont l'esprit venait de s'offrir à la Terre des Lions. Niwata avait donné vie à deux autres lionceaux, un mâle et une femelle : Mais ceux-là n'avaient pas survécu. Niwata avait ressenti une peine atroce en comprenant que sa fille unique, jusque-là aussi dorée qu'elle, n'ouvrirait jamais les yeux et ne pourrait jamais regarder sa mère avec toute l'affection du monde. De même pour le mâle, qui ressemblait plutôt à Kutoa.
La jeune maman couvrait son petit survivant par un regard doux mais fatigué. Le sang tâchait sa fourrure et, même si le Mal était passé, elle était toujours surprise par une fatigue prenante et une douleur inquiétante.
Ce petit … Son fils. Physiquement parlant, il était un mélange pratiquement parfait de ses deux parents : Niwata ne faisait plus attention à Hofu, et se contentait de réfléchir, après quelques coups de langues sur le front du lionceau, afin de lui trouver un nom.

Des voyageurs n'avaient-ils pas déjà dit que Sayidi signifiait « Seigneur » ou bien « Chef » ? Elle n'était pas sûre de la signification de ce nom, mais de toute manière, elle appréciait sa prononciation tout court.

Relevant la tête, ses mirettes bleues se posèrent sur le visage d'Hofu. Elle déclara d'une voix faible :

« Son nom … Son nom sera Sayidi. »

Elle soupira et se coucha, épuisée. Son regard perdait de ses éclats de vivacité. Niwata ne quitta pas des yeux Hofu, et lui implora, presque sous-entendant quelque chose d'après ses mots :

« Prends soin de lui durant mon sommeil … S'il te plaît, Hofu. »

Elle n'attendit pas son reste et ferma les yeux. Le sommeil lui vint plus rapidement que d'habitude, d'une manière presque … inquiétante, aux yeux des spectateurs ? Niwata était fortement attirée par ce repos. Peut-être même que les Grands Esprits l'attiraient vers le vide, elle l'ignorait, toujours était-il qu'elle avait ressenti une vive douleur jusqu'à la fin et que la fatigue, plus proche que jamais, s'était emparée d'elle afin de raccourcir sa durée de vie. Abandonner Hofu et son jeune Sayidi, n'était-ce pas la pire chose au monde ? Et puis, que pouvait-elle y faire … Le Destin en était ainsi.