La vie était décidément bien paisible.
Bien loin de la savane, des antilopes et des zèbres, les Mositus n'avaient plus rien de lions classiques. Ils avaient appris à vivre comme des panthères, dans une humidité omniprésente, sans oublier la chaleur étouffante et les énormes moustiques qui caractérisaient leur forêt tropicale. Jekhat n'imaginait pas un instant qu'il en était autrement pour les autres lions - que tous ne vivaient pas comme lui. Il ne pensait même pas que sa jungle n'était qu'un tout, tout petit bout d'un vaste monde où des tas d'âmes vivaient plus ou moins en paix.

La jungle tout entière représentait déjà assez un vaste terrain inconnu - qu'il n'explorerait sans doute jamais - pour qu'il ne s'occupe de la Terre des Lions dans sa globalité. Il ne se prenait pas la tête, le lionceau, et il était bien dans son petit cocon familial. Très loin des escapades des petits de son âge, il ne rêvait ni d'aventures ni de découvertes. Il savait se contenter de ce qu'il avait et ne ressentait nul besoin de désobéir à ses parents pour goûter ce frisson d'interdit dont les lionceaux étaient si friands.

Son aventure du jour, c'était à quelques mètres du cœur du clan seulement qu'il avait décidé de la passer. Il allait devoir s'amuser seul car, en ouvrant difficilement les yeux au petit matin, il avait constaté avec un certain dépit qu'Ajjin et Heshima ne l'avaient pas attendu pour s'éclipser en douce. Sa sœur n'étant pas désobéissante, il supposa que c'était son frère qui s'était éloigné, et qu'elle ne l'avait suivi que pour lui faire la leçon. Typique.

Seul, il s'était donc un peu éloigné des Mositus pour ne pas les déranger et avait entrepris de grimper à un arbre tout tordu. Escalader les arbres, il adorait ça. C'était pratiquement le seul effort physique qu'il faisait de son plein gré et, au-delà des jeux enfantins, qui lui permettait de muscler ses faibles pattes de lionceau. Il s'améliorait de jour en jour et grimpait toujours un peu plus haut, à la recherche de douillets nids de feuilles où faire paisiblement la sieste. Les arbres du Zawadi étant sans doute les arbres les mieux portants de toute la Terre des Lions, Jekhat ne craignait pas qu'une branche casse sous son faible poids - il était même persuadé que, vu la taille des troncs, il pourrait continuer son loisir favori même à l'adolescence et au-delà.

Le seul bémol ? Les singes. En effet, si, depuis le temps, les primates s'étaient habitués aux Mositus, leur laissaient de la place et se montraient tolérants envers leurs petits, tous n'étaient pas très ravis d'en voir un s'amuser à prendre de la hauteur. Il était déjà arrivé que Jekhat devienne la cible de lanceurs de fruits mécontents - auquel cas, le lionceau chutait mais parvenait toujours à atterrir dans une épaisse fougère ou sur un lit de mousse. Une véritable chance qu'il n'ait jamais été blessé...

Cette fois encore, il tomba. Mais il était le seul à blâmer : encore trop jeune pour maîtriser parfaitement ses mouvements, il avait perdu l'équilibre en tentant d'éviter ces énormes fourmis rouges qui font mal, et ne réussit pas à se rattraper. Il tomba d'une hauteur conséquente mais, la chance ne l'ayant toujours pas quitté, se fit rattraper par un noeud de lianes où il resta empêtré. Suspendu entre les arbres et la terre - mais, à vrai dire, assez proche de la terre - il ne parvenait pas à se défaire des épaisses lianes et resta coincé là un petit moment. Petit, parce qu'il abandonna vite et jugea qu'il était stupide de s'épuiser pour rien.

— Mamaaaaaannnnn...

Sa voix traînante trahissait l'absolue non-urgence de la situation. Mais il avait quand même besoin de sa maman, ou de son papa, ou de ses grands-parents, ou de n'importe quel adulte qui aurait entendu son appel à l'aide.

‟ J'te jure, Gasha, on va lui faire bouffer ses morts ! „

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Une nouvelle paisible journée s'annonçait dans la Jungle du Zawadi. Baradi avait passé une nuit reposante, ses petits dormaient à présent bien mieux et s'agitaient moins. Ils grandissaient. Ils n'étaient désormais plus des petites boules de fourrure, mais de vrais jeunes lionceaux, qui commençaient leur découverte du monde. Ajjin, incapable de tenir en place, entraîné généralement le reste de sa fratrie dans ses aventures. Heshima le suivait seulement pour le surveiller, en poussant des petits grognements mécontents, et Jehkat se joignait à eux lorsqu'il ne dormait pas. Ce matin là, l'aîné de la porté s'était levé le premier, avait bousculé sa sœur en voulant partir, ce qui avait tiré Baradi du sommeil. Elle avait contemplé la scène d'un œil discret, avec un certain amusement. La petite féline grise avait décidé d’emboîter le pas de son frère, en persiflant que c'était une mauvaise idée. Malgré son énergie flamboyante, Ajjin était très souvent effrayé par la moindre petite chose, et ne tardait pas à rentrer auprès de sa mère, avant de repartir aussitôt. La lionne aux yeux verts les laissa s'en aller, elle les savait en sécurité dans la jungle, ils ne risquaient rien. Enfin, du moment qu'ils n'embêtaient pas les singes, mais Baradi faisait confiance à Heshima et au caractère quelque peu trouillard d'Ajjin pour éviter cela.

Le regard de la jeune mère se posa alors sur Jekhat, qui dormit encore une bonne heure avant de se réveiller. Il était le plus tranquille de la portée, ne causait que rarement des ennuis, ne se bagarraient pas souvent, ne chouinait pas... Il se contenait de profiter paisiblement de la vie, sans s'inquiéter de quoi que ce soit. Une attitude que Baradi trouvait appréciable, même si elle craignait que son fils ne devienne empoté à force de ne rien faire. Elle fut donc contente de le voir se lever et partir en quête d'activité. Maintenant qu'ils n'avaient plus besoin d'une surveillance constante, la femelle brune pouvait se détendre un peu plus. Elle irait les chercher à l'heure du repas, mais en attendant, elle allait pouvoir se dégourdir un peu les pattes. Alors qu'elle allait à la rencontre de quelques camarades du clan, elle entendit la voix de Jekhat au loin, qui l'appelait.

— Mamaaaaaannnnn...

Aussitôt, l'instinct maternel en alerte, Baradi partit chercher son fils, les oreilles dressées. Elle n'avait pas détecté de peur ou de douleur dans la voix du petit, mais elle était tout de même inquiète. Dans quoi s'était-il fourré ? C'était Ajjin qui s'attirait des ennuis d'habitude, Jekhat avait tendance à rester tranquille. Que lui était-il arrivé ? Elle le trouva bien vite, à une vingtaine de centimètre du sol, enroulé dans des lianes, les pattes ballantes, un air lassé sur le visage. La Mositus ne mis pas longtemps à comprendre comment il s'était retrouvé là : il avait du s'amuser à grimper à un arbre mais était tombé. C'était une chance pour lui d'avoir été retenu par les lianes, il n'avait pas du se faire très mal. Baradi offrit un sourire amusé à son fils et alla à son secours.

- Tu voulais devenir un singe mon chéri ? Tu ne t'y prends pas comme il faut je crois.

Elle s'appuya sur le tronc de l'arbre de ses pattes avant, et attrapa les lianes à l'aide de ses crocs. Elle trancha le cordage d'un coup sec, libérant suffisamment Jekhat pour qu'elle puisse l'attraper. Elle avança la tête et le saisi par la peau du cou, avant de le poser délicatement sur le sol. Baradi se souvenait de ses propres bêtises, lorsqu'elle était enfin, et restait persuadée que c'était en se fourrant dans le pétrin qu'on apprenait le plus dans la vie. Maintenant, Jekhat savait que pour se sortir de ce genre de situation, il fallait utiliser ses dents. Enfin, il appelait sans doute sa mère la prochaine fois que le même problème surviendrait, mais il finirait par apprendre. Il était peut-être un peu lent, mais il était loin d'être idiot. Elle vérifia néanmoins qu'il n'avait pas de plaie apparente, en collant son museau contre sa fourrure.

- Tout va bien ? Pas de bobo ?

Elle parcouru le corps de son fils avec le bout de sa truffe et ne repéra rien d'ennuyeux. Il ne s'était pas fait mal, c'était déjà ça.

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Spoiler:

Jekhat n’eut pas à attendre longtemps pour percevoir le trot feutré de sa maman. Instinct de bébé oblige, il reconnut immédiatement la démarche de sa mère – ou peut-être était-ce le fait d’un étrange phénomène de liens et de magnétisme maternel ? En tout cas, il fixa son regard d’émeraude entre deux fougères d’où Baradi ne tarda pas à apparaître, s’avançant vers lui en souriant doucement. La situation avait l’air de l’amuser et Jekhat, bien qu’il n’en fut pas réellement offensé, eut une petite moue boudeuse.

— Tu voulais devenir un singe mon chéri ? Tu ne t'y prends pas comme il faut je crois.

Il répondit par un petit gémissement à mi-chemin entre le grognement et le soupir tout en agitant faiblement ses petites pattes en direction de sa mère. Celle-ci s’affaira à le délivrer, prenant appui sur le tronc tout proche pour couper les lianes de vifs coups de dents. Il la regarda faire mais n’en tira aucune expérience. Heshima aurait sans doute retenu cette mésaventure, à sa place, histoire de savoir quoi faire la prochaine fois que ça arriverait… Mais pas Jekhat. Lui, il savait que sa maman serait toujours là pour l’aider. De toute façon, il n’aurait pas été bien loin avec ses dents de lait…

Le museau de Baradi s’avança pour atteindre le lionceau, qui se laissa docilement faire. Il fut transporté jusqu’à terre, puis soumis à une inspection minutieuse. Il ne gigota pas et resta aussi calme que d’habitude, les attentions de sa maman ne le dérangeant pas le moins du monde. C’était pareil pour l’heure du bain – loin des caprices des autres petits, Jekhat savait profiter de ce moment comme il se devait.

— Tout va bien ? Pas de bobo ?

Il sourit doucement et se mit à rigoler faiblement en sentant la truffe maternelle le chatouiller. Il recula de quelques pas et se secoua, étonnamment vigoureusement en comparaison de la mollesse à laquelle il avait habitué son entourage, afin d’ôter les brins de végétation de son pelage chocolaté.

— Ça va !

Il s’immobilisa et, le visage levé vers celui de sa mère, lui offrit le plus doux et le plus paisible des sourires. Nullement frustré ou secoué par son échec et l’incident qui avait suivi, il était juste content que sa maman soit venue l’aider. Il était du genre à voir le trou d’eau à moitié plein.

— J’aime bien grimper. Il y a de belles choses dans les arbres…

Jekhat n’était pas insensible aux jolies choses, et il s’émerveillait toujours devant les petites fleurs ou les plumes colorées cachées parmi les branches. Il était d’ailleurs déjà arrivé qu’il ramène un de ces petits trésors d’enfants à Baradi et Ima en guise de cadeau. A Nsaï et Chezo, c’était plutôt les galets lisses des rives du Sheshayo ou les racines aux formes rigolotes qu’il offrait. Il adorait gâter sa famille, à sa manière !

— Tu veux voir jusqu’où je peux aller ?

Il leva vers elle des yeux scintillant d’espoir. Quel lionceau n’aimait pas montrer à ses parents à quel point il s’était amélioré dans sa discipline favorite ? Pour une fois, Jekhat ne dérogeait pas à la règle, et était prêt à tous les efforts du monde pour que Baradi soit fière de lui.

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Contrairement à son frère qui ne cessait de s'agiter lorsqu'elle essayait de le faire rester calme, Jekhat resta tranquille pendant que Baradi vérifiait qu'il n'était pas blessé. Elle s'amusa à respirer plus fort pour chatouiller le lionceau, ce qui eu l'effet escompté. Il remua un peu en riant doucement, puis s'écarta pour s'ébrouer énergiquement. Il ne semblait pas beaucoup secoué par sa mésaventure, et peut-être n'avait pas encore retenu la leçon. Jekhat n'était pas le plus aventureux de la portée, il se mettait rarement dans le pétrin, mais lorsque cela arrivait, il avait tendance à attendre que quelqu'un vienne l'en sortir. Heureusement, son frère et sa sœur étaient souvent là pour l'aider, et Baradi n'était généralement jamais loin. Nsaï gardait également un œil sur lui, et il y avait aussi les grands-parents. Les petits étaient bien entourés, ils avaient une famille aimante pour s'occuper d'eux en toute circonstance.

- Ça va !

Le sourire qu'il offrit à sa mère amusa cette dernière. Cet enfant était décidément d'un calme reposant. Il était bien différent d'elle au même âge. Baradi donnait du fil à retordre à ses parents, jadis. Elle se fourrait toujours dans de drôles de situations, courait dans tous les sens, prenait des risques, allait rencontrer des ennemis... Elle n'était pas sûre de s'être beaucoup assagie avec le temps, mais elle était devenue adulte et avait compris certaines choses en grandissant. Elle n'avait plus cette même soif d'aventure qu'avant, elle savait où était sa place et était heureuse d'être avec sa famille. Jekhat ne partagerait sans doute pas cette fougue, cette envie de voyage, mais c'était un pacifiste dans l'âme, elle le sentait.

- J’aime bien grimper. Il y a de belles choses dans les arbres…

Baradi se souvenait effectivement d'une jolie plume rouge que le lionceau lui avait ramené un jour, tenant l'objet précieusement entre ses petits crocs. Il avait été très fier de sa trouvaille, et la femelle avait été touchée de ce présent. Parfois, elle avait du mal à croire qu'un petit si calme et paisible soit effectivement le sien. Pourtant, il n'y avait aucun doute, elle l'avait vu naître. Il ressemblait beaucoup à son père, ce dernier était un lion serein lui aussi. Jekhat possédait cependant une certaine curiosité, un éclat dans le regard qui montrait qu'il était attentif au monde qui l'entourait. Il aimait les jolies choses, il aimait la paix, il aimait la jungle.

- Tu veux voir jusqu'où je peux aller ?

Pour une fois, le petit mâle semblait vouloir faire un peu d'exercice, ce qui ne déplut guère à sa mère. Elle adorait grimper aux arbres de l'Oasis lorsqu'elle était enfant, ce genre de jeu était parfait pour développer l'agilité et les muscles des pattes. C'était également assez dangereux, mais le danger faisait parti de la vie, Baradi était bien placée pour le savoir. Elle voulait que ses enfants apprennent eux-même de leurs erreurs, et elle était là pour veiller à ce que Jekhat ne se fasse pas mal. Elle l'encouragea donc d'un sourire.

- Je te regarde, montre-moi. Mais fais attention cette fois, d'accord ?

Elle leva les yeux pour s'assurer qu'il n'y avait aucun singe dans l'arbre, puis attendit que son fils se décide. Elle ignorait ce qui l'avait fait tomber la première fois, mais elle veillerait à ce que ça ne se reproduise pas. Et s'il devait chuter, elle ferait en sorte de le rattraper, bien sûr.

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Spoiler:

Jekhat n’eut pas à espérer longtemps car, bien vite, un sourire se forma sur les babines de sa maman. Il se sentit ragaillardi, prêt à lui montrer de quoi il était capable. S’il n’était pas du genre à sauter partout comme son frère, le lionceau était tout à fait en mesure de déployer des montagnes d’énergie quand il en avait envie.

— Je te regarde, montre-moi. Mais fais attention cette fois, d'accord ?

Sa voix était douce, encourageante et chaleureuse. Jekhat avait décidément beaucoup de chance, car sa maman était la meilleure maman du monde : protectrice sans être étouffante, autoritaire sans être trop stricte. La bonne façon d’apprendre était de tomber, de se relever et de recommencer – la portée de Jekhat, bien que très entourée, n’était pas chouchoutée ou confinée dans un cocon de sécurité comme d’autres petits de leur âge. Étaient-ils en danger ? Leurs parents étaient-ils irresponsables ? Pas le moins du monde !

— Promis !

Tout sourire, excité, Jekhat se retourna vers son arbre tordu et entreprit son ascension. Les premières secondes étaient faciles, et le lionceau se hissa bien vite à hauteur des branches basses. Là, l’exercice devenait plus dur, mais pas décourageant pour autant : le Mositu se mouvait de branche en branche en faisant bien attention où il mettait les pattes. Les arbres étaient tellement serrés les uns aux autres qu’il en changeait souvent sans vraiment s’en rendre compte, avant de revenir au premier. De plus, les branches très nombreuses lui permettaient de les gravir sans devoir faire de dangereux bonds au-dessus du vide – en fin de compte, cette aire de jeux était assez sécurisée.

— Tu sais, fit-il à sa mère tout en gagnant centimètre sur centimètre, je suis tombé à cause des grosses fourmis rouges. Je voulais pas les écraser.

Ce petit ange ne ferait pas de mal à une mouche ! Une vie était une vie, et il faisait toujours tout pour éviter de faire du mal à un autre être, aussi petit soit-il. Cependant, il fallait bien avouer que son désir de ne pas toucher les fourmis était également dû à un désagréable souvenir… En effet, Jekhat s’était déjà fait piquer par ces bêtes-là, et il en avait pleuré tant ça faisait mal. Voilà une leçon qu’il n’avait pas oubliée…

Enjoué par l’escalade, mais pas aventureux, Jekhat arrêta sa progression en arrivant aux branches très feuillues, bien différentes des branches basses. Au final, il n’avait pas été très loin – mais pour un lionceau de son âge, c’était déjà un grand exploit ! Tout fier, bien cramponné à l’écorce de l’arbre, il pencha la tête vers sa mère et lui dévoila toutes ses dents dans un grand sourire.

— T’as vu ? Je vais haut, hein ?

Il n’y avait plus qu’à redescendre…

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Des étoiles s'allumèrent dans le regard du petit mâle devant les encouragements de sa mère. Il semblait soudain tout excité à l'idée de montrer ses capacités, ce qui n'était pas ordinaire. Jekhat n'avait pas pour habituer de sautiller, de trépigner ou d'exprimer d'une quelconque manière la fébrilité. Sa petite chute avait cependant du le réveiller, il paraissait plus en forme qu'à l'accoutumé, ce qui n'était pas pour déplaire à Baradi. Voir son fils faire un peu d'exercice la rassurait, il ne fallait pas qu'il devienne impotent non plus !

- Promis !

Aussitôt, il se tourna vers l'arbre et commença à grimper, sous le regard bienveillant de la féline brune. Cette dernière s'assit, les muscles néanmoins légèrement tendus, prête à réagir aux moindres faux pas de son fils. Elle lui faisait confiance, il était sans doute capable de monter sans aide, mais s'il tombait à nouveau, elle devait être prête à le rattraper. Il n'était pour le moment pas très haut, une chute ne le blesserait pas mais pouvait le sonner un peu. Une fois en haut des branches, le danger serait néanmoins plus important, car le tronc se rétrécissait au fur et à mesure qu'il s'élevait, les branches devenaient plus minces et plus friables. Néanmoins, les massifs arbres de la jungle étaient plus solides que ceux de la savane, il en faudrait plus qu'un petit lionceau pour les faire ployer.

- Tu sais, je suis tombé à cause des grosses fourmis rouges. Je voulais pas les écraser.

Baradi eu une moue amusée, que Jekhat ne pourrait voir. Cela lui rappelait les petits insectes qu'elle attrapait, les papillons qu'elle pourchassait, les scarabées qu'elle taquinait. Elle s'était toujours tenu à l'écart des fourmis cependant, car ces dernières pouvaient s'avérer réellement dangereuses, leur piqûres faisaient très mal. Elle se rappelait que le petit mâle s'était fait piquer une fois, il ne devait pas garder un très bon souvenir de cette rencontre avec ces bestioles. La jeune mère suivit son fils du regard, le regardant s'élever plutôt habilement entre les branches. Il ne grimpait pas très vite, il prenait son temps, choisissait bien son chemin, puis s'immobilisa une fois arrivée à une certaine hauteur. Il était à trois mètre au-dessus du sol, ce qui était déjà très bien pour un enfant de son âge. L'enfant qu'avait été Baradi aurait sans doute continué jusqu'à risquer de tomber, mais Jekhat était bien plus prudent. Peut-être même était-il un peu fatigué par tout cet exercice.

- T’as vu ? Je vais haut, hein ?

Il lui offrit un grand sourire, visiblement très content de lui. La lionne lui répondit par une moue pleine de tendresse. Elle était fière de son adorable fils. Il n'était pas le plus dynamique des enfants, mais il était merveilleux. Si doux, si gentil, Jekhat était plein de bonnes intentions. Il s'entendait bien avec tout le monde ! Les Mositus le trouvaient généralement amusant, avec son flegme naturel et sa démarche un peu mollassonne. Baradi s'écria alors, félicitant son petit.

- C'est super mon ange, bravo !

Elle attendit ensuite qu'il commence à descendre, mais vit bien vite qu'un problème se profilait. Jekhat ne semblait pas très assuré pour faire le chemin inverse, elle le vit dans ses prunelles. Allait-il rester coincé là haut ? Baradi se remis sur ses pattes et le regarda avec un soupçon d'inquiétude dans le regard. Elle du toutefois faire un effort pour rester au sol. Il devait essayer par lui-même. Et s'il n'y arrivait vraiment pas, elle irait l'aider. Mais d'abord, il devait tenter. Prenant une voix calme et réconfortante, la jeune mère lança :

- Jekhat, tu descends maintenant ? Vas-y doucement, tu peux y arriver.

La Mositus comprenait désormais ce qu'avait pu ressentir ses parents lorsqu'elle disparaissait au milieu de l'Oasis pour aller s'aventurer dans des coins dangereux. Elle devait faire un effort monstrueux pour garder son calme et ne pas grimper immédiatement à l'arbre pour chercher son fils. Il pouvait le faire seul, elle en était persuadée.

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Spoiler:

— C'est super mon ange, bravo !

L’enthousiasme de Jekhat faisait écho à celui de sa mère. Elle semblait fière de lui, et il sentit sa poitrine se gonfler d’amour devant les félicitations de Baradi. Mais le pauvre allait se décrédibiliser dans l’immédiat car, à l’heure de redescendre, il eut un blocage. Par où passer… ? Il se redressa en position assise sur sa branche et regarda derrière lui, incertain. Il allait devoir descendre par là, mais il n’était pas sûr de pouvoir se retourner sans perdre l’équilibre… Indécis, il baissa un regard inquiet vers sa maman qui réagit au quart de tour en se levant.

— Jekhat, tu descends maintenant ? Vas-y doucement, tu peux y arriver.

Il n’en était pas si sûr… mais la confiance que lui témoignait Baradi l’incitait à essayer de se débrouiller. Il se leva donc tout doucement sur sa branche et entreprit un demi-tour maladroit où, tel un chaton tenant à peine sur ses pattes, il perdit l’équilibre. Il se rattrapa néanmoins de justesse et se hissa à nouveau sur la branche, dans le bon sens cette fois.

— Je vais bien ! lança-t-il à sa mère qui devait se faire un sang d’encre.

Il commença alors la descente, reproduisant exactement le même chemin qu’à l’aller mais à l’envers. Ses gestes étaient très prudents, et il hésitait quelques secondes avant un bond qu’il jugeait trop risqué – mais un lionceau plus aventureux aurait sûrement été plus sûr de lui. En fin de compte, Jekhat se débrouilla plutôt bien – mais quand il arriva à la dernière (ou plutôt, la première) branche, il resta bloqué. S’il pouvait grimper à un tronc, le faire à l’envers était ardu, et il posa sur sa mère un regard de détresse. Il était trop haut pour sauter à terre – quoique, s’il réussissait à atterrir dans cette fougère là-bas… – mais assez bas pour qu’elle l’attrape aisément.

HRP:

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Devant les encouragements de la féline, le lionceau retrouva le sourire et entama la descente. Baradi ne détachait pas son regard de son fils chaque muscle de son corps tendu, prête à agir si quelque chose tournait mal. Elle faisait confiance à son petit, mais s'inquiéter était encré dans sa nature profonde de mère. Elle manqua de bondir lorsqu'elle le vit perdre légèrement l'équilibre et glisser un peu trop rapidement vers le bas, mais il se rattrapa bien vite, et lança d'une voix un peu hésitante :

- Je vais bien !

La lionne poussa un petit soupir discret, espérant que Jekhat ne l'entendrait pas et qu'il continuerait de descendre sans trop se faire de soucis. Le jeune mâle était très prudent, sa mère le devinait aisément en observant attentivement ses mouvements avec soin. Elle se revoyait à son âge, galopant sans crainte de branche en branche à l'Oasis, sans imaginer un seul instant qu'elle pouvait se faire mal. Baradi était inconsciente lorsqu'elle était jeune, et sans doute l'était-elle encore un peu. Son voyage avec Nsaï puis leur départ pour Apeland l'avaient changé, elle avait définitivement quitté l'adolescence pour entrer dans l'âge adulte, devenir davantage responsable, prendre soin des siens. Puis elle avait fondé sa famille, et cela avait, quelque part, achevé sa métamorphose. Elle se sentait apaisée en présence de ses petits et de son compagnon, confiante et sûre d'elle. Les doutes qui l'avaient traversé une année plus tôt, alors qu'elle ignorait encore tout de l'avenir de son clan, la quittaient peu à peu. Elle sentait qu'à présent, les Mositus auraient droit à la paix.

La femelle au pelage brun cligna des yeux et se focalisa de nouveau sur les gestes précis de son fils. Le lionceau s'en sortait bien, il avait le regard sérieux et concentré, signe que toute son attention était sur ses mouvements. Baradi esquissa un petit sourire, le regard chargé de douceur. Elle était fière de voir que la peur n'avait pas paralysé le petit mâle, qu'il avait réussi à la surpasser pour avancer. Il était justement au bout de son épreuve, il venait d'arriver sur la branche la plus proche du sol. Il sembla tout d'abord assez fier de lui, jusqu'à ce que son regard se pose sur la terre ferme, et qu'il réalise qu'il allait devoir sauter. La lionne n'avait pas vraiment envie qu'il se foule une patte en se réceptionnant mal, il en avait déjà beaucoup fait. Sans hésiter, elle se dressa sur ses pattes arrières et attrapa Jekhat par la peau du cou. Elle le déposa délicatement sur le sol, devant elle, et lui donna un coup de langue plein de tendresse sur le crâne.

- Et voilà mon petit oiseau. On est mieux à terre hein ? Tu t'en es très bien sorti, un vrai petit singe ! Je suis fière de toi tu sais ?

Elle plongea son regard dans les prunelles vertes du lionceau, identiques aux siennes, espérant ainsi lui transmettre ce qu'elle ressentait. Ce petit était un vrai Mositus !

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Spoiler:

Une nouvelle fois, maman Baradi n'hésita pas à se dresser sur ses pattes postérieures pour saisir petit Jekhat et le poser à terre, en sécurité. Docile à souhait, le lionceau se laissa faire et se permit même un petit ronronnement de plaisir en réponse au coup de langue affectueux qu'il reçut sur la tête. Il était fier de sa performance - surtout que pour une fois, il n'était pas tombé ! Certes, il avait failli chuter, mais il s'était rattrapé à temps ! Mine de rien, le paresseux de service avait des réflexes sur lesquels compter.

— Et voilà mon petit oiseau. On est mieux à terre hein ? Tu t'en es très bien sorti, un vrai petit singe ! Je suis fière de toi tu sais ?

Presque embarrassé par tant de compliments, il laissa échapper un gloussement gêné - mais au fond, Jekhat était très heureux de l'attention que lui portait sa mère. Faire plaisir à ses parents, les rendre fiers, c'était tout ce qu'il recherchait. Si on pouvait le blâmer pour son manque d'aspirations dans la vie, le lionceau gardait en mémoire la noble mission qu'il s'était confiée : rendre ses géniteurs heureux, et se faire tout plein d'amis dans le clan.

— Merci, Maman.

Et, tout content, il alla se frotter à la patte avant maternelle en ronronnant comme un chaton. C'étaient ces petits moments simples qui soudaient une famille, ces bêtes moments de bonheur et d'innocence qui signifieraient tant dans les épreuves à venir. Car toute vie comporte maintes embûches, et même le paisible Jekhat devrait s'y frotter un jour ou l'autre. Et quand ces temps viendraient, nul doute qu'il se souviendrait de sa famille si tendre, si patiente, et si aimante. Bien sûr, il ne se rendait pas encore compte de la chance qu'il avait, d'être ainsi né dans le bonheur parfait et total d'une famille qui s'aime - mais sûrement s'en rendrait-il compte en grandissant et alors n'aurait-il de cesse de remercier ses parents, son frère et sa sœur pour la bénédiction qu'ils représentaient.

— Tu sais, une fois Siri a dit qu'on devait être comme les singes. Alors je fais de mon mieux !

Jekhat était loin d'être du genre à espionner les conversations des adultes - non pas qu'il n'était pas assez curieux, mais disons que les mots compliqués et les histoires sous-entendues lui semblaient trop ennuyants à déchiffrer - mais il arrivait toujours des moments où, en passant par là, il entendait par mégarde des choses qui ne lui étaient pas adressées. En entendant sa mère évoquer les primates, il s'était souvenu avoir entendu leur chef en parler aussi. Mais le pauvre petit ne comprenait pas vraiment la portée des paroles de Siri : être comme les singes ? Qu'est-ce que ça voulait dire ? Faire comme eux, et grimper aux arbres ? Sûrement que c'était ça - grimper aux arbres, c'était marrant et peut-être que ça serait utile ! Lui, il ne savait pas comment ça pourrait être utile à des lions, mais si Siri et les autres adultes le disaient, c'était qu'ils avaient raison ! Alors, le gentil petit Jekhat, plein de bonne volonté, apprenait à grimper du mieux qu'il pouvait.

Jamais il n'aurait imaginé qu'être comme les singes, ça voulait dire protéger les frontières d'Apeland comme eux le faisaient autrefois. Jamais il n'aurait envisagé une guerre et tout ce que ça impliquait... L'innocent enfant leva donc vers sa mère un sourire naïf, plongé dans les illusions de l'enfance et du paradis qui avait été son berceau.

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