La saison humide était arrivée, et avec elle, une déchirante nouvelle. Asili n'était pas là quand les Lamasus étaient venus annoncer la disparition d'Héra, il n'était retourné près du clan que bien plus tard. Il savait que la lionne, qu'il avait toujours admirée, avait un âge avancé, et personne n'est immortel... Mais quelque part, au fond de lui, comme pour Theluji, il ne pouvait pas accepter son décès. Il ne pouvait pas simplement se dire que le cycle avait fini par réclamer son âme et que c'était normal. Il savait que c'était bête de penser ainsi, de refuser que même les plus grands puissent s'éteindre un jour, mais il ne pouvait pas s'en empêcher. Il pouvait se targuer d'être aussi sage qu'il le voulait, mais son rapport avec la mort était toujours le même depuis qu'il était adolescent.

Impassible devant le reste du clan, refusant de montrer ses sentiments et de les laisser voir son désarroi, le demi-Jangowa se mit à s'éloigner de ses congénères de plus en plus. Il savait qu'il devrait être auprès de son roi dans ces moments là, compte tenu de son rôle, mais il lui fallait déjà être en paix avec lui-même. Si Késhia avait besoin de lui, il viendrait le trouver. En attendant...

Asili marcha jusqu'à trouver un endroit où il pourrait être au calme, puis se posa au pied de l'une des montagnes délimitant le Royaume au sud. En temps normal, il se serait frayé un chemin vers le territoire des lions des sables, pour pouvoir poser son regard sur le Désert, qui était une vision apaisante pour lui. Mais pour cette fois, il n'avait pas la force nécessaire. A vrai dire, il pensait que pour la saison à venir, il n'aurait plus la force de faire grand chose. Comme pour la mort de l'ancien roi, il était abattu. Même s'il n'avait jamais vraiment eu l'occasion de parler avec Héra, il prenait cette perte personnellement. Parce que même s'il ne la connaissait pas si bien qu'il l'aurait voulu, il lui vouait une admiration sans bornes. En règle générale, Asili considérait son clan comme une grande famille, même s'il n'était pas accepté par tous, du fait de son sang impur - tout comme la princesse et le prince, pour qui il avait une grande affection malgré le fait qu'ils soient des lionceaux - et Héra était l'un des membres les plus importants de cette famille. Comme une lumière qui les avait guidés pendant tant d'années, au côté du roi. Une lumière qui s'était à présent éteinte. De nouveaux guides avaient pris la relève - dans un sens, d'ailleurs, Asili en faisait partie -, mais ce ne serait pas pareil.

Une larme coula. Après tout, personne n'était là pour le voir. Le conseiller du roi pouvait bien se permettre de faire honneur à son nom et de se laisser aller à la faiblesse de temps en temps non ? Ce n'était pas comme si quelqu'un allait soudainement apparaître pour l'observer alors qu'il déposait le masque qu'il avait porté pour paraître intouchable depuis que Furaha lui avait parlé de la visite des Lamasus.

- Asili...?

Le lion releva la tête instantanément en entendant son nom. Quelqu'un se trouvait dans son dos, quelqu'un que, trop obnubilé par ses propres sentiments, il n'avait pas entendu ou senti arriver. Il se plaqua une patte sur le visage pour faire disparaître la larme qui pourrait le trahir, se redressa, et s'appliqua à adopter l'expression neutre qu'il gardait sur le visage les trois quarts du temps. La personne qui s'adressait à lui avait sans aucun doute pu déchiffrer son attitude pour le moins misérable, mais ça ne le dispensait pas d'essayer de garder une apparence noble. Quelle que soit la situation, le demi-Jangowa se devait de faire bonne figure devant les lions de son clan. Enfin, il se retourna, pour faire face à une jeune lionne avec qui il n'avait jamais conversé auparavant. S'il ne se trompait pas, et il y avait très peu de chances pour qu'il se trompe, puisqu'Asili avait appris le nom de ses congénères avec soin, il s'agissait de Zwissia.

- Pardonnez ma présence... Si jamais je vous importune de quelque manière qu'il soit, dites-le moi tout de suite que je puisse m'en aller et vous laisser seul...

Ce n'était pas le cas. Même si le mâle aurait apprécié un instant de calme de solitude, il était vrai qu'un peu de compagnie était la bienvenue. D'autant plus que son interlocutrice était sans doute l'une des nordiques les plus sympathiques. En tout cas, elle n'avait jamais regardé le lion au sang impur de travers, et il arrivait à Asili d'essuyer ce genre de regards plus souvent qu'avant. C'était d'ailleurs sans aucun doute pour cette raison qu'il appréciait Sungura et Choyo malgré leur très jeune âge : les deux petits recevaient des regards très durs d'une partie des Nordiques. Quand le conseiller prenait certains de ses congénères à avoir une telle attitude, il se sentait bouillir de l'intérieur, même s'il ne laissait rien transparaître. Bientôt, les enfants de Késhia seraient en mesure de comprendre ça... S'il aimait son clan, sur ce point là, il en avait honte. Et dire qu'il avait échappé à ce genre de jugement dans sa jeunesse. Il ne comprenait pas pourquoi à vrai dire. Maintenant qu'il regardait en arrière, il se rendait compte qu'il y avait une certaine gêne autour de lui à l'époque, mais il n'avait jamais su pourquoi.

- Si je vous aborde, c'est parce que... J'ai senti au fond de moi que vous n'étiez pas très bien... Ai-je raison ?

Un instant, Asili se relâcha, laissa transparaître la tristesse qui l'animait en soufflant silencieusement. Puis il se rattrapa, se redressa immédiatement. Même si c'était dur, il ne devait pas oublier : faire bonne figure. C'était important.

- Bonjour Zwissia. Vous ne m'importunez absolument pas, ne vous inquiétez pas. Votre présence est appréciée.

Que pouvait-il lui dire de sa situation actuelle ? Qu'il était abattu, misérable ? Que même s'il n'avait jamais pu adresser la parole à Héra, il ressentait sa perte au delà du raisonnable ? Non, il ne pouvait pas. Il ne pourrait pas se confesser ainsi, il ne savait même pas s'il serait capable de prononcer son nom sans perdre toute contenance. Il ne voulait pas que cela arrive. Il se contenterait d'être sobre.

- Je pense qu'aucun de nous ne peut se sentir bien en ce moment. Les temps étaient déjà rudes, mais cette annonce...

En effet, même si Asili soutenait entièrement Késhia, lui vouait un grand respect, ainsi qu'à sa famille, il n'était pas dupe. Certains lions voulaient le voir partir, et une bonne partie du clan n'acceptait pas la présence d'une Jangowa dans leurs rangs. Certes, les lions du Désert avaient une fort mauvaise réputation, mais il avait vu Suki, et elle n'était pas quelqu'un de mauvais. Les tensions allaient crescendo, et le conseiller du roi n'aimait pas ça, pas du tout. Lui qui n'appréciait pas particulièrement de se retrouver au centre d'un conflit, finirait sans doute par devoir sortir les griffes si la situation empirait. Le futur ne semblait pas très flamboyant, et la disparition d'Héra n'arrangeait rien.

- Que pensez-vous que l'avenir nous réserve ? J'ai bien du mal à voir comment le clan pourrait se relever, considérant la situation actuelle. J'avais tendance à la considérer comme une lumière qui nous éclairait la voie vers un futur moins opaque.

Asili ne pouvait pas dire son nom, il ne pouvait pas.

- Je sais parfaitement ce que vous ressentez, ce qui est arrivé a été un grand choc pour tout le monde. Hélàs, il fallait bien que cela arrive un jour où l'autre. Bien des tragédies ont déjà atteint le Royaume du Nord, et bien d'autres l'atteindront. Je ne suis pas la mieux placée pour le dire, mais tout ceci fait ainsi partie de la vie...

Alors que Zwissia s'asseyait à côté de son congénère, ce dernier laissa son regard se perdre dans le vide. Bien sûr, chaque vie arrivait un jour à une fin, Héra ne faisait pas exception, tout comme Theluji, mais pourtant, quelque part, dans les profondeurs abyssales de l'esprit d'Asili, des idées de révolte contre le cycle se promenaient. Bientôt, elles seraient éradiquées, mais pour l'instant, l'annonce du décès était si fraîche que le conseiller du roi avait du mal à s'en défaire. Aussi, cela le heurta un peu de se voir rappeler la voie naturelle des choses par une lionne plus jeune que lui, mais elle avait raison. Évidemment, il savait que l'existence se déroulait ainsi, mais il lui fallait quand même l'entendre dire. Même si ça pouvait le blesser dans sa fierté, il n'en laissa rien paraître.

- J'ai peur pour l'avenir, tant d'inquiétudes me ronge. Des choses qui m'échappent. Une ombre sinistre semble planer au dessus des montagnes. Pourtant, j'essaye aussi d'avoir confiance. Parce que notre clan est fort et a su surmonter bien des obstacles.

En effet, les Nordiques avaient connu des périodes bien sombres, même s'ils n'avaient jamais vécu de combats sur leurs propres terres. La disparition de Theluji sur le champ de bataille hantait encore Asili dans ses moments de perdition. Mais pouvait-on considérer que le clan s'était remis de la perte de son ancien roi ? La situation actuelle, la scission qui se profilait au loin, les conflits causés par la présence de Késhia... Si seulement les membres du clan pouvaient accepter leur roi tel quel, sans se préoccuper outre mesure de son sang. Après tout, Theluji l'avait nommé, et dans son temps, personne n'aurait douté des choix du roi. Qu'est-ce qui avait changé ? Ceux qui voulaient voir Késhia partir se disait fidèles à la mémoire de son prédécesseur, ne se rendaient-ils pas compte de leur hypocrisie ?

- Ne vous laissez pas abattre Asili, elle n'a pas disparu. Elle est toujours là, à veiller sur nous et cette lumière que vous considérez, elle l'est toujours.

Asili croisa le regard de Zwissia avant de lever les yeux vers le ciel. Héra se trouvait-elle quelque part là, à les observer en silence, au côté du monarque qu'elle avait servi ? A vrai dire, le demi-Jangowa avait un peu de mal avec cette idée, il n'y avait jamais vraiment cru. Cela aidait sans doute les autres à accepter la perte, mais pour lui, une âme qui partait s'en allait vers d'autres contrées. Même si imaginer le regard bienveillant de ses aînés se poser sur lui aurait pu le rassurer, il ne pouvait juste pas se faire à l'idée. Cela dit, les intentions de Zwissia étaient bonnes, et il s'empressa de la remercier pour ses paroles.

Abaissant à nouveau son regard sur les terres des vivants, Asili repris la parole.

- Je m'inquiète également pour l'avenir des petits de Késhia. Nos congénères ne sont pas tendres avec eux, ni avec la reine d'ailleurs.

Quel avenir pour ceux qui étaient mis à l'écart dès la naissance ? Les pauvres enfants étaient encore trop jeunes pour comprendre leur situation, mais ô combien leur vie serait dure quand ils seraient capable de voir les regards dédaigneux que certains posaient sur eux. Bien évidemment, Asili était plus touché car à travers le rejet de ces jeunes au sang mêlé, il se voyait lui-même rejeté par le clan qu'il aimait tant. Et encore, si c'était lui qui s'attirait les foudres de ses camarades, il ne s'en formaliserait sans doute pas. Mais cultiver cette attitude nauséabonde envers des êtres innocents... Asili n'aimait certes pas les enfants de manière générale, mais jamais il n'avait agi ainsi. Il savait se tenir, bon sang, il semblait que ce n'était pas le cas de tout le monde.

- Vous avez raison, ces petits ne méritent pas d'être ainsi considéré à la limite du paria. Si ça se trouve, leur avenir ne se trouve même pas au nord...C'était un peu à prévoir avec toutes ces tensions. Bien peu de Nordique tolèrent les lions des sables.

En effet, il était encore tôt pour savoir si les enfants de Késhia pourraient même rester vivre dans les montagnes. Asili en avait vu partir, des lions qui n'étaient pas faits pour vivre parmi les Nordiques. Des lions avec un pelage trop sombre ou pas assez épais, qui, arrivés à l'adolescence, faisaient leurs adieux au clan du Nord. Lui-même aurait pu en faire partie, mais, malgré le fait qu'il soit frileux, il décida de rester. Et il put survivre, ce qui était une grande source de fierté pour lui. Il devait d'ailleurs être l'un des rares de son clan à ne pas nourrir de haine pour les Jangowas. Ils ne pouvaient pas tous être mauvais, c'était impossible, il y avait forcément des exceptions. Il y avait la reine. Et puis, s'il en croyait les dires de Nyeupe, le père du sang-mêlé n'était également pas l'un des monstres que certains décrivaient quand ils parlaient de l'image qu'ils se faisaient des lions du Désert.

- Vous savez...Sauf mon respect pour le roi, je dois vous avouer que je ne trouve pas cela une bonne idée d'avoir choisi une Jangowa pour être reine. Je n'ai rien contre les Jangowas, mais je pensais surtout à son adaptation pour nos froides contrées. Ça ne doit être facile pour personne de devoir subir cela non ? Autant pour la reine, que pour ses enfants. Mais je sais bien que Késhia a laissé parler son cœur et qu'on ne peut rien contre l'amour, mais a t-il pensé aux conséquences ?

En effet, choisir une lionne des sables comme compagne n'était pas une excellente idée. Késhia avait laissé ses sentiments le guider, sans y réfléchir trop, il semblait. L’accommodation de la reine à ce climat glacial serait très difficile, et leurs héritiers ne seraient peut-être même pas capables de reprendre la tête du clan. Si l'on devait regarder la situation d'un œil parfaitement logique et objectif, le roi avait fait de bien piètres choix. Mais après tout, ce n'était pas à son conseiller d'interférer avec ses affaires de cœur. Ce n'était pas son domaine, il n'y connaissait rien, et espérait bien que cela reste ainsi. Si des sentiments se mettaient à l'empêcher de réfléchir de manière cohérente... Non, il ne laisserait pas faire ça.

- Tout ça pour vous dire que vos craintes sont partagées...Je ferai en sorte de garder un œil sur ces deux petits, histoire de m'assurer que rien de fâcheux ne leur arrive. Je dois reconnaître que cette intolérance vis à vis d'eux par les nôtres ne fait que ternir la réputation de notre clan. Peut-être que si les autres s'en rendaient compte, ils feraient un peu plus preuve d'ouverture d'esprit...

Asili hocha doucement la tête. Il ne pouvait être plus d'accord. D'ailleurs, lui-même s'affairerait à surveiller les petits, même si ce n'était pas là son rôle. Enfin, il les surveillerait de loin, tout de même, si possible. Il voulait bien protéger le prince et la princesse, mais de là à se laisser accaparer par deux lionceaux, alors qu'en temps normal, il évitait les enfants le plus possible... Il y avait des limites à tout.

- Je ne peux m'empêcher de penser que le sort de ces enfants vous atteint parce que... Parce que vous avez un point commun avec eux. N'hésitez pas à me dire si jamais mes propos vous offensent, ou vous perturbent.

Le mâle posa son regard sur Zwissia. Elle avait touché de la griffe la juste raison de son inquiétude. Bien sûr, il se serait senti impliqué même si les petits avaient été entièrement Nordiques, mais leur point commun rendait ça encore plus personnel. La jeune lionne eut l'air sensiblement gêné d'avoir mis ce sujet en avant, mais Asili ne lui en voulait pas. Tout le monde savait ce qu'il était, et même sans le savoir, cela se devinait. Après tout, il était plus petit que ses congénères, son pelage rappelait plus un sable clair qu'une neige immaculée, et il lui arrivait de frissonner quand le froid le saisissait. Il aurait donc été bien ridicule pour lui de se formaliser de cette remarque, qui était parfaitement juste.

- Ne vous inquiétez pas, vous ne m'offensez nullement. Pour être tout à fait honnête, vous n'avez pas tort. Il est normal que je sois plus dérangé par cette histoire car mon père est - ou était, je ne sais pas - un Jangowa. Parce que j'ai un sang impur.

Il fallait dire les choses telles qu'elles étaient. Zwissia n'avait pas osé employer les mots qui désignaient la situation du conseiller, de peur de le froisser sans doute. Mais lui, n'avait pas peur des mots. Il était de sang mêlé, impur, un bâtard pour certains. Ce n'était rien de plus qu'un fait, des expressions verbales qui ne le heurtaient pas le moins du monde. Et il l'acceptait.

- Cependant, ce comportement reste inacceptable, même si je mets mon ascendance de côté. Quand à Késhia... En effet, il n'a pas fait le meilleur des choix, et la vie sera bien difficile pour la reine comme pour les héritiers, mais je serais bien mal placé pour juger de son comportement en matière de sentiments. En tout cas, il ne m'a pas nommé pour cela.

- Ne dites pas ça, vous n'avez pas le sang impur.

C'était bien la première fois que l'on disait ça à Asili. D'habitude, les gens étaient trop gênés même pour aborder le sujet, et si le demi-Jangowa s'attendait à ce qu'un jour on l'insulte à cause de ses origines, il ne s'attendait certainement pas à entendre ça. D'ailleurs, il ne comprit pas vraiment, sur le moment, ce que Zwissia voulait dire par là. Il n'était pourtant ni plus ni moins qu'un lion dont le sang a été mélangé. Comme un grain de sable venu entacher la neige immaculée. Pour beaucoup, le nom approprié à ce genre de situation, c'était "impur". Surpris, mais curieux de savoir où la jeune lionne voulait en venir, le conseiller attendit qu'elle continue sa pensée, qu'elle lui explique ce qu'il n'avait évidemment pas compris.

- Vous avez simplement le sang-mêlé et je ne verrai jamais d'inconvénient à cela. C'est même grandiose que vous soyez resté parmi nous malgré la vie dure que contrées du nord doivent vous offrir. Vous êtes quelqu'un d'admirable Asili.

Le principal concerné n'avait pas la moindre idée de comment réagir à un tel compliment. A vrai dire, c'était bien la première fois que quelqu'un qui n'était pas sa mère le complimentait. Quoi qu'il en soit, il avait saisi que Zwissia considérait "sang impur" comme une insulte. Asili n'avait jamais vu cela ainsi, il avait accepté ce terme comme un simple fait. Si cela ne le dérangeait pas personnellement, il ferait tout de même attention à l'avenir, de ne pas l'utiliser devant son interlocutrice, qui avait l'air d'être bien plus sensible à ce genre de mots.

- Si Keshia vous a nommé ainsi, c'est avant tout parce qu'il a confiance en vous et qu'il espère votre soutien en toute épreuve. Notre roi ne fait peut-être pas toujours les bons choix, mais je suis certaine d'une chose, c'est qu'il sait très bien s'entourer.

Sans aucun doute, Asili devait épauler son roi même s'il n'approuvait pas particulièrement de ses choix en matière de sentiments. A vrai dire, c'étaient ces mêmes choix qui faisaient que le conseiller doive être encore plus présent. Avec un Royaume divisé, des lions qui voudraient détrôner Késhia, et maintenant une reine Jangowa et des héritiers qui pourraient finir par quitter le territoire ? Et à présent, la disparition d'Héra... Contrôler le clan était devenu bien plus compliqué ces dernières saisons. Le jeune roi avait plus que jamais besoin de ses alliés. Amani, Macha et Asili étaient là pour soutenir leur monarque, et ils le feraient jusqu'au bout.

- Je vous remercie.

Le yeux à nouveau perdus dans le vide, le sang-mêlé chercha quoi ajouter. A vrai dire, il ne sentait un peu à court de sujets à aborder, lui qui ne parlait qu'assez peu d'habitude. Il était absolument reconnaissant envers Zwissia pour être venue lui remonter le moral, et même si ses doutes quand à l'avenir subsistaient, même si la perte d'Héra résonnait encore en lui, il ne ressentait plus le profond désarroi qui l'avait poussé à l'isoler du groupe. Juste une douleur muette, un fardeau qu'il porterait avec le reste de ses camarades.

- Vous êtes quelqu'un de bien, dit-il en posant à nouveau son regard de glace sur elle, le Nord a bien de la chance d'accueillir en son sein une lionne comme vous. J'espère que vous le savez.

Les Nordiques étaient, de manière générale, plutôt bienveillants. Asili avait toujours considéré que l'affabilité faisait partie intégrante de la culture de son clan. Et pourtant, ces derniers temps, certains devaient l'avoir oublié. Leur comportement abject envers la famille royale... Ce n'était pas comme ça que Furaha et Nyeupe avaient élevé leur fils, et ce dernier était certain que ce n'était pas comme ça que les lions en question avaient été élevés également.

- Il me semble que la bonté se perd.

- Notre clan est entré dans... une sorte de crise. Les crises, c'est passager. Ça finira par passer et tout rentrera dans l'ordre. Il y a eu beaucoup de chamboulement, et beaucoup des nôtres ont besoin de temps pour s'y faire.

Pourvu qu'elle ne se trompe pas, et que tout cela soit bel et bien passager. Le conseiller ne voulait pas assister au triste spectacle que serait la dislocation du clan. Si seulement Héra était encore là pour les guider...

Au contact de la patte de Zwissia, Asili dut se retenir de sursauter. Il n'était pas très tactile, et donc ne cherchait jamais à s'approcher ainsi de ses interlocuteurs. D'habitude, ces derniers évitaient également le contact avec lui, et c'était pour cette raison qu'il fut surpris. Cependant, même s'il n'était pas particulièrement à l'aise avec cette proximité, il se retint de faire un mouvement de recul : il ne voulait pas offenser sa congénère.

- Vous savez Asili, je sais que vous êtes triste en ce moment, notamment par tout ce qui arrive et surtout par... la perte d'Héra. Nous le sommes tous. Je voudrais simplement que vous sachiez qu'en cas de besoin, pour parler par exemple, je peux être à votre écoute... Croyez-vous peut-être que je n'ai pas remarquer ce masque qui couvre votre visage...? Mais aucun masque ne pourra couvrir votre coeur... Je sens votre désespoir plus encore. Si cela peut vous faire du bien de ne plus vous cacher, n'hésitez pas. Nous avons plus que besoin en ce moment de nous soutenir et de veiller les uns sur les autres. Vous n'êtes pas seul.

En effet, le sang-mêlé avançait derrière un masque au quotidien. Il pensait que cela faisait partie de son rôle. Qui ferait confiance à un conseiller qui se laisse mener par ses émotions ? Il devait être l'image même de l'objectivité, et même si cela avait tendance à empêcher ses compères de vouloir sympathiser avec lui, c'était mieux pour tout le monde. Ainsi, il gardait tout pour lui, et s'arrangeait pour toujours parler avec son cerveau plus que son coeur. Ce dernier ne devait avoir qu'un usage pour Asili : faire courir le sang dans ses veines et le maintenir en vie.

Cela dit, Zwissia n'avait que faire des apparences et des masques.

- Je vous remercie encore une fois. Mais ne vous inquiétez pas pour moi, je m'en sortirai. Certains ont plus besoin de votre écoute que moi.

Qui sait, peut-être que nombre des maux du clan pourraient être guéris par une oreille attentive ? Cela semblait utopique, mais Asili savait que certains se retrouvaient écrasés par leurs propres masques. Peut-être que certains des lions qui voulaient détrôner Késhia étaient dans ce cas...