Ils s'étaient encore fait attrapés. Grommelant dans son coin, Ahva vivait mal la punition bien qu'habituée à ces fins d'histoires tragiques. Un peu maussade, la petite lionne jouait avec la touffe de poil ponctuant la queue dorée de son aînée. Au moins était-elle avec eux, c'était toujours plus agréable lorsque qu'Awena était complice de leur filouteries, la fratrie était alors au complet et la chipie regrettait que ce ne soit pas aussi souvent le cas. Très admirative envers sa grande sœur, la cadette avait une étonnante aptitude à devenir plus calme en sa présence. Oh bien sur cela ne l'empêchait de faire des bêtises et créer d'innombrables problèmes mais elle semblait tout de même plus docile. Voilà l'effet que dégageait l'héritière de Prideland.

Chassant les quelques crins qui fouettait le sol au rythme des ondulations de la lionne, Ahva s'ennuyait à mourir. Bon certes ce n'était pas non plus la mort, au moins étaient-ils punis ensemble mais tout de même, c'était navrant d'être confiné dans une grotte alors que le soleil les appelait au dehors. Soudain, un miaulement de la part d'Azaan lui fit levé les yeux. Semblable au plus grand héros de tous les temps, Rono se tenait à l'entrée de la caverne, sa silhouette illuminée par les éclats du Soleil. Un vrai dieu. Se levant à son tour bien que tout aussi agitée que pressée, Ahva s'emmêla un peu les pattes et pris du retard sur son frère et sa sœur, retard qu'elle combla de grandes foulées pour se précipiter dans les pattes du vieux lion.

« Rono ! » miaulait-elle de joie.

Les trois jeunes lionceaux semblaient soudainement avoir repris goût à la vie et leur enthousiasme à accueillir ainsi le semi nordique témoignait de leur grande affection à son égard. Après tout, Rono faisait parti de leur grande famille. Elle enviait la retenue de ses frères et sœurs mais c'était plus fort qu'elle et la petite lionne laissait toujours éclater sa joie au grand jour. Enchérissant les propos de son aînée, elle ajouta toute excitée :

« Tu es venu nous délivrer de l'enfer de la punition ? »

Un grand sourire aux babines comme elle en avait le secret, Ahva frotta affectueusement son front contre l'immense patte du vieux lion puis elle se faufila sous son flanc pour laisser place à sa fratrie qui, elle aussi, voudrait peut-être câliner leur tonton. C'était une surprise mais un réel plaisir de le voir.

Laissant à son frère l'occasion de narrer leur récit, Ahva trouvait plus grand intérêt à frotter sa petite tête contre l'épaisse crinière de leur tonton. Son sang nordique lui conférait une douceur inégalable ! Et oui, peut-être que les crins roux de son papa n'étaient pas ses préférés après tout. Alors que le prince expliquait sans mensonge leur intention de se rendre au désert, ce dernier eut le malheur d'insister sur le grand enthousiasme de sa cadette ce qui lui valu de s'attirer un regard assassin de sa part. Comment osait-il dire ce genre de chose devant Rono ?! Elle grommela silencieusement, évitant le regard de son oncle. Ahva aimait tellement le vieux lion qu'elle n'était jamais très enclin à lui montrer son côté vicieux. Aux côtés de Rono, la princesse se métamorphosait miraculeusement en un ange.

Couchée aux pattes de son oncle, la petite lionne écoutait sagement le récit de son frère tout en laissant son esprit s'évader vers quelques rêveries. Comme elle aurait aimé atteindre l'Oasis... oh les Jangowas et autres prédateurs hostiles, elle n'en avait que faire ! Tout cela n'était qu'un détail qui paraissait bien fade comparé à leur objectif. Progressivement nourrie des récits de tantine Asahi puis de l'expérience de monsieur Fleck et enfin les dires de Taali... Toutes ces informations emmagasiner avait eu raison de la patience de la princesse qui, fidèle à ses habitudes, avait bien vite entraîné le reste de sa fratrie dans ses bêtises.

Les paroles maladroites de sa sœur aînée sortirent la jeune lionne de ses rêveries et un peu surprise, elle coula un regard vers Awena. Il était rare de l'entendre bredouiller, elle de nature si éloquente et gracieuse. Son soupir eut raison de la gaieté de sa petite sœur qui baissa alors le regard d'un air désolé. C'était de sa faute si Awena était dans cet état... habituée aux sermons de ses parents, Ahva avait su prendre un recul nécessaire pour ne plus être touchée par les mots parfois durs des monarques mais Awena, elle, supportait toujours difficilement la déception de leur père. Désireuse de se faire racheter mais aussi d'atténuer le chagrin de sa grande sœur, Ahva s'approcha d'elle d'un pas léger et lui lécha affectueusement la joue :

« T'en fais pas 'nana, ils seront pas fâchés très longtemps. »

Elle lui sourit chaleureusement, frottant sa tête contre la sienne et s'en retourna aux côtés du vieux lion, prenant place entre ses pattes. C'était évidemment la place privilégiée et la chipie ne s'était pas gênée pour se l'accaparer. Elle lança un regard à son frère non sans caché sa satisfaction et lui tira la langue, joueuse. Même punie, Ahva ne semblait jamais perdre de sa malice...

« Et toi Rono, tu en as des histoires à nous raconter ? » demanda-t-elle très enthousiaste, se dévissant à l'occasion le cou pour pouvoir trouver le regard améthyste du patriarche.

En soit, c'était une question bête ; Rono avait toujours des histoires à leur raconter mais la princesse aimait encore feindre l'interrogation.

Un enfant entre les pattes, l'autre perché dans sa crinière puis la dernière sagement couchée devant lui ; le vieux nordique entama l'un de ses récits qui aujourd'hui porterait sur le Désert. Les oreilles de la chipie s'agitèrent tant elle était enthousiaste à cette idée car à défaut d'avoir vu les dunes de leur propres yeux, ils pourraient se les imaginer par le regard de leur tonton. Règle numéro un : toujours avoir un Rono dans sa famille. Le regard pétillant de mille éclat, la princesse ne lâchait plus l'adulte du regard maintenant que son récit avait débuté. Ah, le Désert !

Emballée et pensant vivre l'aventure avec lui, Ahva se surprenait à vérifier que ses pattes n'étaient effectivement pas en train de brûler. Oh, elle avait tout de même bien chaud d'un coup ! Rono était un formidable conteur, presque meilleur encore que maman et ses histoires semblaient toujours si réel, comme si eux même les avaient vécu et que cette traversée du désert brûlant leur donnait encore des sueurs froides. Le récit continuait, ils étaient désormais aux abords de Prideland où était venu à leur rencontre Farao, leur grand père. Alertée par ce nom, elle lança un bref regard vers son frère. Selon les dires, il était son portrait craché.

Ébahie, elle apprit que Rono s'en était plu à rêvasser du désert et qu'il y était même retourne peu de temps après pour cette fois-ci rencontrer l'Empereur en personne. Ahva écarquilla ses deux prunelles ambrées, surprise mais aussitôt fascinée. Partout sur la Terre des Lions, les monarques se faisaient appeler Roi ou Reine mais le désert était le seul royaume où le régent devenait Empereur. Cela avait toujours intriguée la princesse. Ils étaient comme eux, des lions, mais leur mode de vie était à l'opposé, régi par des codes dont ils n'avaient pas idée et que sûrement ils ne comprendraient jamais. Alors qu'elle souhaitait l'interroger sur l'Empereur, son frère prit de la même idée fut plus rapide qu'elle. Anthipaquoi ? Ahva ouvrit de gros yeux, choquée. Mais qu'est-ce que c'était que ce mot ?! Oh... Très bien. Une ruse pour s'attirer les compliments de leur oncle. Il en avait fait exprès c'était certain, rien qu'a voir son petit air fier sa sœur pouvait le deviner. Roulant des yeux, elle lui accorda cette victoire.

Alors qu'il évoquait leur parent, la dernière princesse n'était que d'une oreille agitée, encore sujet à la culpabilité. Dans ces cas-là, plutôt que de continuer à ressasser la peine, Ahva préférait mettre ces souvenirs dans un coin de sa mémoire et avancer, passer à autre chose, oublier pour mieux rebondir. Pourtant, elle ne fut pas sourde aux propos tenus par son oncle. Aussi vite que sa fratrie, ses oreilles pivotèrent et tous trois se regardèrent intensément, l'esprit plein d'idée. Elle miaula de joie pour appuyer les paroles de son frère tandis que ses petites pattes avants avaient trouvé appui sur le torse parsemé de crin gris du vieux lion. La queue battant frénétiquement l'air, elle attendait une réponse que, nom d'une girafe, elle souhaitait positive et pleine de promesse.

« Oh oui oui oui, il faut que tu acceptes Rono ! Tu es un adulte toi et en plus tu es notre tonton, jamais papa et maman ne pourront te le refuser, ils te font confiance comme à personne ! Oh Rono, il faut que tu nous emmènes là-bas ! »

L'excitation des trois lionceaux étaient palpables et si le nordique espérait désormais se tirer de ces mauvais draps, il était malheureusement trop tard. On pouvait voir à l'éclat de leur regard que déjà Awena, Azaan et Ahva s'imaginaient gravir le sable chaud des dunes aux côtés de leur oncle pour finalement rejoindre cette fameuse Oasis, celle qui les faisait tant rêver.

Muni d'une grande douceur, la vieux lion cendré prit soin de rappeler les enfants à l'ordre. Toujours très sage lorsque Rono était dans les parages, Ahva s'efforça de mettre son excitation de côté et écouta les paroles du lion. Hmm c'était tout de même très décevant, la princesse s'était vite emballée à l'idée d'une telle exploration mais celle-ci était malheureusement irréalisable. A défaut de nourrir leur désir d'aventuriers, le voyageur assouvi leur curiosité en leur donnant toujours plus de précision sur le désert mais également en leur confiant sa rencontre avec l'ancien chef des Mositus. A cette nouvelle, les yeux de la princesse s'illuminèrent. Rono avait vécu et vu tant de choses ! C'était une source inépuisable de fantasme pour la chipie.

Maître des compromis, le vieux lion parvint tout de même à proposer aux enfants une escapade jusqu'aux frontières du désert. Satisfaite de ce voyage moins périlleux mais tout aussi instructif, Ahva affichait un grand sourire tandis que sa queue s'agitait de gauche à droite. Pour rien au monde elle ne refuserait de passer plus de temps aux côtés de son oncle adoré. Ils n'avaient peut-être pas de lien de sang mais Ahva le considérait tout comme, après tout le mâle était si proche de sa mère qu'il en avait officieusement intégré leur famille. Et puis, c'était aussi une des leçons que Kuzali leur avait enseigné : la famille ne se limitait pas au sang.

« Oui, c'est une chouette idée ! » enchérissait-elle suite aux mots de sa sœur.

Alors que l'aînée s'était rapprochée de l'adulte pour s'appuyer sur ses pattes massives, les deux sœurs échangèrent un regard complice. A sans cesse la voir aux côtés de leur père à apprendre diverses leçons et à étudier la politique, Ahva en oubliait presque que sa sœur était un lionceau comme eux et qu'elle aussi avait des désirs à assouvir et rien ne pouvait rendre la chipie plus heureuse que d'accompagner Awena dans ces moments. Elle profita de cette nouvelle proximité pour donner un coup de museau affectueux à l'héritière.

Déversant alors son attention sur sa fratrie plutôt que sur leur oncle, Ahva devina bien vite l'ombre qui se dessinait sur leur visage, ils s'inquiétaient de leur punition. Évidemment ! Souvent punie pour ses bêtises, Ahva avait l'habitude de gérer ces petits désagréments et contourner les règles étaient devenue un véritable talent chez la princesse :

« Papa et maman n'auront aucune inquiétude si nous sommes avec toi et puis si on s'approche seulement des frontières c'est plus un voyage pédagogique, non ? C'est important pour nous d'apprendre aux côtés des meilleurs ! »

Son miaulement était aigu, signe de son emballement et un feu ardent animait son regard. Kumpa et Kuzali pourraient-ils vraiment leur refuser cette grâce quand la simple présence du vieux lion rendait les lionceaux aussi sages que des images ? Même Ahva était sujet à cet effet canalisant. Croisant le regard de son partenaire dans le crime, elle lui adressa un clin d’œil malicieux.

A la plus grande joie de la fratrie, l'oncle Rono accepta la proposition lancée et tous les quatre s'en quittèrent la grotte pour aller retrouver les parents des lionceaux, espérant obtenir leur accord. Bien que pressée et jappant tels les lionceaux qu'ils étaient, tous se tenaient à carreaux et obéissait au vieux lion en restant sagement derrière lui, se collant allégrement à ses grandes pattes cendrées. Rono était vraiment grand, plus imposant que la plupart des lions qu'ils connaissaient et Ahva s'en réjouissait. Son oncle était vraiment un lion remarquable.

Très doué des mots et des coutumes, le semi-nordique salua dignement les régents et leur avança sa proposition tandis que les trois lionceaux guettaient leurs parents avec mille étoiles dans le regard. Nom d'une gazelle, ils devaient accepter ! Kumpa était généralement le plus condescendant avec ses enfants mais en présence de Kuzali, la partie n'était pas gagnée d'avance. C'était toujours comme ça, les pères plus sensible aux charmes de leurs enfants tandis que les mères envisageaient tous les risques, d'autant plus que la reine connaissait bien sa fille cadette.

« S'il vous plaît, on sera sages ! Promis. » enchérit la petite lionne aux paroles de son frère.

Tous usant de leurs charmes, ils détaillaient leurs parents avec un grand sourire innocent. Kuzali quant à elle posait son regard tour à tour sur son compagnon puis son meilleur ami avant de soupirer, s'avouant vaincu.

« Très bien mais vous écouterez attentivement Rono et surtout, vous lui obéirez. S'il vous dit que c'est dangereux, ne tentez pas de faire les fous et gardez bien en tête que nous aurons écho de tout dérapement quel qu'il soit. C'est compris ? »

Une explosion de joie anima alors la plus jeune des trois qui semblait bien vite avoir oublié l'objet de leur confinement. Heureuse et reconnaissante, elle accouru vers ses deux parents et les serra chacun son tour dans ses petites pattes, ronronnant au possible.

« Merci, merci ! » miaulait la chipie avant de s'en retourner vers l'oncle : « Allons Rono, il faut vite partir, le Désert n'attend pas ! »

Comme c'était excitant ! La petite dernière échangea un regard complice avec le reste de sa fratrie et tous trois suivirent sagement le lion cendré qui les emmenait vers des lieux inexplorés bien qu'en tout honneur, ce n'était qu'une excursion éducative mais tout de même, si toutes les punitions pouvaient se terminer de la sorte.