Nous rentrions d'Apeland la veille, et il était déjà passé midi lorsque je fus tiré de mon sommeil par Hotaru qui se chamaillait avec un autre lionceau. J'ouvris péniblement un œil, puis me levai tout aussi péniblement pour m'étirer, étendant loin de moi, le plus loin possible, mes antérieurs tout en baillant à m'en décocher la mâchoire. Puis, je me dirigeai vers l'origine des cris de rage qui fusaient entre les deux, et m'interposai :


- On se calme vous deux...

Le lionceau avec lequel mon fils aîné s'était pris la tête bégaya un petit « oui monsieur » avant de filer vers ses parents tout intimidé. J'en lâchai un soupir, parce qu'il me rappelait vraiment moi à son âge, puis je me tournai vers mon fils l'air sévère.


- Quant à toi, sais-tu où sont passées tes sœurs ?

Il me répondit que non -ou plutôt, il me cracha que non- et je fronçai les sourcils :


- Eh bien tu devrais, puisque c'est toi le plus grand. Tu ne dois pas seulement montrer l'exemple, mais également t'assurer qu'ils vont bien en toutes occasions. Nuru est au Rocher avec Asahi, je les ai croisées en venant.

Des éclats de rire me parvinrent aux oreilles, et je reconnu la voix d'Ijin, qui devait certainement conter l'une de ses précieuses histoires dont lui seul connaissait le secret. Ce spectacle me tira un sourire, mais bien que j'observai chaque lionceau qui l'entourait, Inuwa demeurait introuvable. Alors je me mis en tête de la trouver...

Je délaissais Hotaru à ses activités de solitaire qui s'ignore et partit en quête de la première fille de la portée, demandant par-ci par là à tout hasard, si quelqu'un l'avait vue. J'en oublierais presque mon petit rituel du matin... Alors je me dirigeai vers l'étang d'un pas las, toujours aussi fatigué de mon excursion en Apeland durant 3 mois. J'avais certainement manqué à mes enfants, et n'avais pas encore eu l'occasion de vraiment les revoir -enfin, pour Hotaru c'était fait...- depuis. Hier soir, je m'étais écroulé de fatigue avant qu'ils ne me rejoignent, et probablement qu'Asahi leur avait intimé de ne pas me réveiller parce que j'avais besoin de repos.

Je secouai nonchalamment ma tête, encore tout somnolent tandis que j'arrivais à l'étang. Ce qui m'inquiétait quelque peu, c'était cet énorme nuage noir qui se glissait furtivement et dangereusement au dessus de nos têtes. Il grondait de plus en plus, menaçant d'éclater à tout instant, et comme Inuwa était craintive de nature, je redoutais qu'elle prenne peur et puisse s'enfuir suffisamment loin pour se perdre. Mais je la trouvai là, assise face à l'eau calme, sans doute en proie à une intense méditation. Je m'éloignai raisonnablement, et m'approchai discrètement pour plonger ma langue dans ce délectable liquide pur, et en ingurgiter quelques gorgées. Les disques qui se formèrent et se multiplièrent à la surface n'échappèrent certainement pas à Inuwa qui se contemplait.


- Ah Inuwa ! Justement je te cherchais ! Que fais-tu donc seule si loin des autres ? Hotaru a-t-il encore été méchant avec toi ?

Je m'en attristais car il était vrai que depuis quelques temps, mon fils aîné se montrait particulièrement acerbe avec elle, et j'essayais tant bien que mal de diluer ce comportement... Néanmoins, Hotaru n'était pas un mauvais lion, il portait juste en lui la fierté d'être Pridelander... J'aurais tout simplement aimé que comme son jeune frère Ijin, il porte aussi en lui celle d'être Mositu.

Dès l'instant où j'interpellai la plus grande de mes deux filles – et également la plus sombre -, je la vis tressaillir. La voir tourner la tête dans tous les sens m'arracha un léger rire attendrit. Que j'étais content de les revoir tous... Ces trois mois loin d'eux m'avaient semblé durer une éternité... C'était dans ces moments là que je me rappelais à quel point j'aimais ma famille. La petite s'excusa, toute confuse. Mon antérieur droit surplomba sa tête et se posa délicatement dans son dos pour l'attirer contre moi, tandis que je répondis presque dans un murmure apaisant :


- Mais allons, ce n'est rien ne t'excuse pas... Profitons plutôt de ces retrouvailles ma fille ! Cela fait bien longtemps que nous ne nous sommes pas vus toi et moi...

Il était vrai que d'ordinaire, je ne pouvais voir mes enfants qu'ensembles, puisque ma nouvelle fonction de Conseiller du Roi occupait la majeure partie de mon temps, mais j'aimais ce moment exceptionnel d'intimité avec Inuwa. Cela me rappelait à quel point je l'aimais cette petite, même si parfois elle pouvait probablement en douter. Elle laissa planer quelques secondes avant de me fournir la réponse attendue, et il ne me tarda pas à remarquer qu'elle essayait déjà de me cacher la vérité... Pour ne pas dire mentir. Je penchai la tête sur le côté d'un air à la fois interrogateur et finit par froncer les sourcils avant de laisser échapper un :


- Vraiment ? Normal, cela signifie plus ou moins méchant.

Je soupirai ensuite, en remettant ma tête droite pour la baisser un instant :


- Ahhh, il n'aura donc pas changé durant ce temps...

Je surpris le « mais » d'Inuwa, et exprimai de nouveau une inquiétude que je ne pouvais dissimuler lorsqu'il s'agissait de mes enfants, ou de ma compagne. Les oreilles en arrière, j'osai demander :


- Mais.... ? Mais quoi ?

Il ne fallait pas être né de la première pluie pour deviner, au vu des nombreux signes qui la trahissait, quelle bêtise elle essayait de me faire croire pour me rassurer. Je l'éloignai de moi, et après avoir relevé son menton du bout des doigts pour m'assurer qu'elle me regardait, je gardai ma grosse patte posée sur son épaule. Les sourcils froncés, je pris une voix plus sévère pour la réprimander, pas trop méchamment mais assez fermement pour qu'elle retienne ce que j'allais lui dire :


- Tu sais très bien que mentir n'est pas une solution Inuwa... Alors j'aimerais vraiment que tu évites ce genre de choses avec moi.

Mais comme je me sentais toujours mal après ce genre de remontrance, je ne tardai pas à reposer ma patte sur le sol, puis la ramenai contre mon cœur tout en justifiant :


- Ça me blesse tu sais, je ne veux pas que tu caches ce que contient ton cœur... Je ne veux pas que tu te laisse submerger par ce que tu encaisses...

Je replaçai mon antérieur au sol et en attendant de pouvoir prendre en compte ses réactions, je profitai de l'instant pour humer l'odeur de l'orage qui s'annonçait dans la savane, et offrir un tendre sourire rassurant à ma grande fille.

Enfin, Inuwa qui paraissait penaude suite à mes remontrances, m'avouait ce qu'elle ressentait vis-à-vis d'Hotaru, l'aîné de la portée. Il est vrai que c'était un lionceau difficile... Et j'en avais déjà parlé avec Asahi, mais nous n'avions aucune idée de la raison qui affectait son changement de comportement. Il m'inquiétait sérieusement en tout cas, et même si c'était un espoir utopique, je devais bien avouer que j'aurais aimé qu'il redevienne aussi doux qu'avant pendant mon absence. Je refusais de croire qu'il avait perdu ce côté tendre et doux qu'il avait en lui... Je m'efforçais de croire que cette facette de sa personnalité était cachée, enfouie au fond de son cœur... Mais avais-je raison ? J'en étais sûr mais... Et si je me trompais ?

En tout cas, je ne devais pas montrer mes doutes à mes autres enfants. Je ne perdis pas mon sourire envers Inuwa, et répondis dans un souffle d'amour paternel, dans le but de la rassurer :


- Là, là... Tout va bien. Je sais que ton frère n'est pas gentil avec toi tous les jours. Tu as essayé de comprendre quelle en était la raison ? J'irai lui parler, il n'a pas à se montrer aussi acerbe envers toi. Surtout si ça ne va pas, viens me voir. Moi ou Asahi. D'accord Inuwa ?

Mes sourcils abaissés au dessus de mes yeux rendait mon regard compatissant. La pauvre vivait vraiment des choses dures pour son âge, et même si j'essayais de lutter pour que ça ne dure pas, on peut dire que c'était loin d'être gagné...


- Je ne veux pas que tu penses qu'on ne t'aime pas Inuwa. Je t'aime tu sais ? Tout autant que tes frères et que ta sœur. Même si ce n'est jamais facile de toujours bien s'entendre dans une fratrie, il faut surmonter quelques moments de colère et de tristesse. Tu m'impressionnes Inuwa, tu es toujours gentille avec ton aîné, alors que ce n'est pas le cas pour lui. Hotaru souffre, mais je ne sais pas pourquoi alors si vous, vous savez quelque chose... Parlez-en avec nous au plus vite.

Je lui caressai le dos tandis qu'elle posa sa patte sur mon autre antérieur, resté au sol. Ce geste, ce simple contact me fit frissonner et me rappela comme ma petite était fragile elle aussi. Leur vie, à tous les quatre, ne tenait qu'à un fil. Les perdre me... me serait insupportable. Je devais les protéger. Toutefois il y avait de ces dangers, comme Hotaru pouvait en représenter un -bien que je refuse de l'admettre- contre lesquels je ne pouvais rien faire.


- Est-ce qu'il changera ? J'en suis certain. Hotaru redeviendra celui qu'il était. Tu te souviens de celui qu'il était ? Le lionceau doux et serviable... Il n'est plus lui-même, et c'est à nous de comprendre pourquoi pour guérir cette blessure qui le ronge. Il changera si nous faisons tout pour lui ouvrir les yeux, ensemble. C'est pour ça, j'ai besoin que tu sois encore forte avec lui un moment... D'accord ?

J'étais sûr qu'un jour, Inuwa finirait par exploser face à son aîné. Elle encaissait cette souffrance, et tôt ou tard, Hotaru dirait la chose de trop, prononcerait le mot qui briserait ce vase. Ce jour là, il se noiera dans la colère d'Inuwa. Peut-être en mourra-t-il et qu'à sa renaissance, il sera de nouveau lui... Ce qui était sûr, c'est que ça ne pouvait pas être ses origines seules qui détruisaient son être de l'intérieur. Inuwa était, à mes yeux, la clé qui pourrait sûrement ouvrir la porte de son cœur pour que tous, nous le retrouvions...

HRP:

Inuwa m'assura qu'elle voulait aider son frère. Les larmes me montèrent aux yeux face à l'émotion saisissante qui s'emparait de moi. Malgré tout ce qu'il lui avait fait, elle conservait une volonté de fer pour le guérir de ce comportement qui faisait souffrir tout le monde. Elle était forte ma fille... Comme Nuru... Mais de qui tenaient-ils tous cet aspect de leur personnalité ? D'Asahi sûrement... En effet, il fallait être forte pour tourner le dos à toute une famille que l'on aime pour suivre l'élu de son cœur. Même si je le lui avais toujours caché, je m'étais senti coupable vis-à-vis d'elle et de ses parents. Ils étaient âgés... Mais j'avais dans l'idée de les présenter aux petits. Une surprise que je prévoyais depuis quelques temps à ma compagne. J'avais toujours eu la sensation que je leur volais leur fille, et je voulais leur présenter leurs petits-enfants, et les remercier de m'avoir confié le bonheur de leur fille, et, par l'intermédiaire de leur accord quant à son départ, leur bénédiction.


- Tu es forte ma fille... Je suis fier de toi. Tu tiens bien ça de ta mère... Surtout continue de soutenir tes frères et ta sœur... C'est la route à suivre. Je suis vraiment heureux de t'entendre parler de la sorte...

Inuwa se colla contre ma patte, et la voir enlacée autour de mon antérieur me rappela à quel point elle était sensible. Sans doute qu'elle avait hérité ça de moi... Les images de la fois où j'avais avoué mon amour à Asahi sur un coup de tête, ne supportant plus d'être tiraillé entre mon cœur et mon devoir, me revinrent à l'esprit et me volèrent un sourire.


- Ce jour là, mon seul devoir était celui de mon cœur. Je veux qu'il en soit toujours de même pour vous. Tu dois toujours suivre ton cœur Inuwa. C'est là l'un des plus beaux conseils que je puisse te donner, alors promet-moi que tu ne l'oublieras pas...

La petite m'interrogea ensuite. Devait-elle être méchante pour sauver son frère ?


- Non Inuwa... Tu dois être ferme, mais pas méchante. Si tu es méchante, tu pourrais lui dévoiler cette voie, et il pourrait s'enfermer à l'intérieur pour te faire payer. Il deviendrait alors pire, et je ne sais pas si on serait dans la capacité de le secourir. Nous devons lui fermer les chemins obscurs. Tu dois lui faire comprendre, te dresser face à lui. Tu sauras quoi faire le jour où il crachera la remarque de trop... Mais tu sais Inuwa, les horreurs qu'il a pu te dire... Il ne les pense pas. C'est comme si un autre lion méchant était dans sa tête. Un lion gentil essaie sûrement de l'arrêter pour qu'Hotaru redevienne comme avant. Mais pour l'instant, c'est le lion méchant qui a les commandes... C'est aussi pour cela que tu ne dois pas être méchante. Me comprends-tu ?

C'était complexe à expliquer, mais j’espérais qu'elle comprenait. Sinon je reprendrais avec des mots plus simples. J'offris un sourire bienveillant à ma petite, j'étais vraiment fier d'elle, de ses frères, et de sa petite sœur... Et je me fis la promesse, à cet instant, tandis que je sentais le cœur de ma petite battre contre ma patte, que personne ne pourrait jamais me les enlever. Je ne laisserais personne, jamais, se permettre d'arrêter leurs petits cœurs si tourmentés...