Après des adieux avec Tahora qui aurons bien réussi à nous déchirer le coeur, je tins cette promesse faite à moi-même de rejoindre Taali dans son voyage pour en profiter et rentrer chez moi. Je n'ai pas aimé lâcher ainsi la petite, sans vraiment prévenir...mais Taali avait raison, il fallait que je me bouge, et que je me réveille.

Je l'avais donc retrouvée près de l'étang le lendemain, après une nuit assez agitée. Je me tenais pas trop proche d'elle, parce que l'idée d'une agression nouvelle me rappelait à quel point j'avais pu être secoué la veille. Sans toutefois paraître fier de ma venue ici - je n'éprouvais aucune fierté à avoir abandonné ainsi Tahora, et encore moins à me retrouver face à Taali - je m'assumais peut-être un peu mieux.

Prenant soin de conserver mes distances vis-à-vis d'elle, je partis alors en tête, pensant connaître le chemin. Effectivement, je ne réussis pas à nous perdre, et de plus, je réussis à éviter qu'elle puisse lire les expressions plus ou moins abattues ou résignées que mon visage tirait tour-à-tour. Je ne voulais pas qu'elle me pose des questions, et encore moins au sujet de ma séparation d'avec Tahora, ce n'était pas le moment.

En marchant, je finis par me rendre compte que le paysage avait changé au bout d'une ou deux heures de marche. Ca y était, nous y étions. L'ultime frontière avant ma famille. Cela me fit une sensation étrange de revenir ici, à la rivière aux crocodiles, le domicile de mon oncle, Chombo Hiki. Je m'arrêtai devant la rivière, puis je me tournai vers Taali.

- Nous y sommes. Bienvenue à la rivière aux crocodiles, la frontière en quelques sortes. C'est ici que ma famille vivait avant que je ne parte.

Les lieux n'avaient pas trop changés, je reconnaissais même à peu près l'endroit où nous étions. Je me mis alors en quête d'un passage à gué non infesté de reptiles géants, car si mon oncle régnait en ces lieux, les crocodiles n'étaient pas censés me reconnaître. Une fois le passage franchi, sans grande aventure, je recherchai activement mon ancien domicile, m'éloignant de Taali pour ne pas perdre trop de temps dans mes recherches. Après tout, elle saurait me retrouver au besoin et puis elle était grande, finalement, elle n'avait pas besoin de moi.

Telle ne fut pas ma déception en voyant que la planque qui abritait il y a si longtemps ma famille était déserte. Même Eiki, le petit otocyon, était aux abonnés absents, et la grotte semblait avoir été abandonnée depuis bien longtemps...Je grimpai sur le rocher qui la surplombait, pour retrouver Taali, et l'intimer à me rejoindre. Une fois réunis, je lui montrai mon ancien domicile.

- Nous vivions ici...mais ça semble faire longtemps que c'est abandonné...

Une seule solution à cela : mon oncle avait fini par adopter le mode de vie du clan, et par amener le reste de la famille là-bas, soit mes parents. Mais c'était étrange, pourquoi il aurait fait ça, lui qui voulait rester distant d'Outland sauf pour essayer d'obtenir une amitié sincère entre le clan et les crocodiles ?

Perdu dans mes réflexions, j'entendis un bruissement herbeux. Je regardai Taali, qui semblait avoir entendu. Ce n'était donc pas elle qui bougeait. Un nouveau se fit entendre, puis je me retournai vers la direction dont je pensais qu'il provenait. Je bondis vers l'origine du bruissement à sa troisième répétition, puis je tirai des hautes herbes...une jeune lionceau jaune ! Je la posai vivement sur une pierre, pour la contempler. Elle avait un losange sur le haut du crâne, le bout de la queue noire, des yeux jaunes. Mais le plus perturbant n'était pas cela. Elle avait l'exacte couleur de poil d'oncle Chombo, ce qui me choqua le plus.

Taali me rejoignit discrètement, alors que je tentai d'aligner des mots à la petite :

- Qui es-tu ? Et pourquoi tu traînes en ce lieu dangereux toute seule ? Où sont tes parents ?

J'étais un peu direct, mais je ne parvenais pas à contrôler mon état de choc. Déjà, des lions aux couleurs Jangowas ici, ça restait très rare. Mais alors qu'une lionceau d'à peine six mois possède le pelage exact - selon mon souvenir - d'oncle Chombo, ça avait de quoi retourner l'esprit le plus équilibré de la Terre des Lions, alors qu'imaginer du mien ?

Taali gronda devant mon absence totale de tact, ce dont elle n'avait pas vraiment tort, puis me poussa de l'épaule avant de prendre place face à la petite, essayant de la détendre avant de lui demander ce qu'elle faisait ici. Elle cherchait son père, l'estomac criant famine ne demandant qu'à être rempli, la poussant à chercher son père jusqu'ici pour avoir à manger. Déjà cela me fit tiquer, le regard surpris : quel lion aimait donc se promener le long de la rivière ? Selon Oncle Chombo lui-même, il n'y avait que lui dont les crocodiles souffraient la présence. Ou alors les moeurs avaient changé, mais rejoindre ce mystère à celui du pelage de la petite apparemment nommée Dhalahi...

Elle parla d'un autre lion, un certain Fahari, qui vu la manière dont elle en parlait semblait être un membre de la famille, soit un frère, soit quelqu'un d'assez âgé pour lui parler sérieusement de la surveillance des frontières. Qu'importe, avant de savoir qui était ce fameux Fahari, il était plus important - de mon point de vue - pour l'instant de découvrir qui était le père de cette petite plutôt que de faire des suppositions sur des membres secondaires de sa famille. Cependant, Dhalahi ne me laissa pas le temps de poser la moindre question quant à sa paternité, et relança le débat sur le reste de sa famille.

- Mais.. Pourquoi tu ressembles à Tata toi ? T'as pas le droit d'abord ! Je vais le dire à Papa que tu as volé Tata d'aboooooord !

Elle bomba le torse, fière de défendre son héritage familial. Taali me regardait bizarrement, comme si j'avais omis de lui révéler un détail, et moi, je ne savais plus où donner de la tête, entre Taali qui ne comprenait pas grand chose de plus que moi, et Dhalahi qui me comparait à sa tante. Etait-il possible qu'elle soit...ma cousine ?! Non, Chombo était un lion solitaire qui ne voulait pas s'encombrer d'une famille autre que sa soeur et le compagnon de sa dernière. Cela dit, le comique de la situation me permis de rire doucement et d'envoyer à la lionceau, avant de réfléchir :

- Un lion ressemble à qui il veut, sache-le !

Par ailleurs, un détail en soit, mais on m'avait davantage dit, pendant mon enfance, que mon pelage ressemblait à celui de mon père et non celui de ma mère. Pourquoi ne fit-elle pas mention de Shaara ? Il s'était passé certaines choses ici qui demandaient à être expliquées, et la première de toute, c'était l'histoire de sa tante. Je m'approchai de la petite, essayant de rester calme malgré le chamboulement intérieur que de telles nouvelles pouvaient provoquer, puis je pris le ton le plus doux dont j'étais capable, qui ne donna pas grand chose à mon avis, mais il allait falloir que ça fasse l'affaire :

- Dis-moi, Dhalahi, pourquoi penses-tu que j'ai volé ta tata ? Et si tu veux bien me donner son nom s'il te plaît, peut-être que je la connais ?

Cela commençait à devenir évident, ma famille devait s'être beaucoup agrandie, ce qui avait de quoi me choquer et me retourner profondément. J'aurais dû revenir il y a bien longtemps, pour comprendre ces changements familiaux...Je regardai Taali, qui devait sans doute penser exactement la même chose, mais ça, je le savais déjà. Et je pensai aussi à Tahora...elle aurait aimé voir ça, retrouver une famille très agrandie, tout autant que Baradi. Cela me permis de me dire que je n'avais aucunement le droit de n'oublier ni l'une, ni l'autre, peu importe la taille que ma famille avait prise, jamais je ne devais les laisser de côté. Tahora ne vivant pas trop loin, je pouvais parfois faire des incursions pour lui rendre visite, et Baradi...parce qu'on s'était promis de ne pas s'oublier.

Taali prit la parole, nan sans avoir auparavant pris la peine de me lancer un regard illustrant typiquement la pensée "Tu vois, j'avais raison !" en faisant référence au besoin qu'il y avait que je revienne ici. Elle expliqua rapidement ma situation auprès de la petite au losange sur le front. Il était étrange ce losange, d'ailleurs, mais mignon. Elle le portait bien. Mais, d'où venait-il ? Personne n'en portait dans ma famille...

Taali fixa un compromis, et visiblement, c'était à mon tour de montrer que je devait m'y conformer. Boah, c'était pas gênant, futée et butée comme la petite avait l'air, de toute façon, je ne risquais pas de réussir à faire autre chose, puis ça semblait honnête. Je fis mine d'hésiter, puis j'acquiesçais d'un bref signe de tête. De toute évidence, on ne pourrait jamais avancer si je continuais à jouer l'enfant. Je pris mon inspiration puis je commençai :

- Dis-moi Dhalahi, est-ce que tu connaitrais un lion nommé Shaara, sa compagne nommée Valaka, et le jumeau de Valaka, Chombo Hiki ?

Je réfléchis un peu. C'était là ma famille telle que je l'avais quittée. Pourtant, j'eus l'impression que quelqu'un manquait à l'appel, une petite créature que mon oncle avait recueillit il y a longtemps. Une sorte de renard je crois. Comment s'appelait-il déjà ? Son nom ne me revenant pas tout de suite, je pensai à autre chose.

Je me souvins subitement du nom que Tahora m'avait dit, en parlant d'un lionceau assez désagréable, lors de son aventure ici. S'il était aussi désagréable, nul doute que tous les lionceaux d'Outland en avaient entendu parler, alors pourquoi ne pas demander à la petite si elle le connaissait ?

- Ah, et aussi, une amie Pridelander a fait un petit tour ici et y a rencontré un lionceau assez désagréable, selon elle. Tu le connais peut-être, il s'appelle, si je me souviens bien, Fahari.

Bien entendu, c'était une question toute innocente, je ne m'attendais pas à ce qu'elle y réponde de suite, je ne pensais même pas qu'elle pouvait avoir de l'importance. C'était simplement pour essayer de la détendre un petit peu, histoire que le courant passe mieux entre nous, puisqu'il semblait vraisemblable que nous soyons de la même famille.

Puis une claque mentale me passa dans l'esprit. Je me souvins enfin du nom du petit otocyon qui nous accompagnait ! C'était si simple, quel idiot je faisais ! J'espérais qu'il allait bien, ce petit qui n'avait rien demandé à personne. Etant encore jeune à cette époque, j'aimais bien m'en servir comme d'un doudou, et il aimait bien me câliner aussi. Que devenait-il ?

- AH ! Et est-ce que tu connais un otocyon du nom de Eiki ?! Oncle Chombo l'avait recueilli avant notre arrivée, mais j'ignore ce qu'il est devenu...

La petite écouta avec attention, tout en paraissant perturbée que je connaisse les noms de son père et de sa tante. C'était définitif, elle était bel et bien ma cousine, et alors que j'allais faire part de ma réflexion à Taali et Dhalahi, la jeune lionne sablée avec son losange sur le crâne commença à pester sur le commentaire que je fis sur le dénommé Fahari.

- Fahari n'est pas méchant ! Il est génial et c'est le meilleur cousin du monde ! Tu n'as pas le droit de dire des méchancetés sur lui ! Je vais le dire à Papa !*

Puis, elle bondit sur elle-même, sursautant après que j'eus prononcé les paroles "Oncle Chombo", ce qui acheva de confirmer ma théorie. J'avais en face de moi ma cousine, fille de Chombo Hiki, ce lion réputé comme solitaire endurci, vivant parmi les crocodiles comme un des leurs, mais aussi comme un lion, occupant plus ou moins officiellement le poste de passerelle diplomatique entre les deux espèces.

- C'est pas possible d'abord ! Mon Papa il n'a qu'un neveu et c'est Fahari ! J'ai jamais entendu parler de toi ! En fait, tu veux prendre la place de mon cousin ! C'est pour ça que tu dis qu'il est méchant !

Les choses étaient si binaires dans l'esprit d'un enfant que cela me fit sourire, jusqu'au moment où un lionceau trop énergique et inconscient s'interposa entre Dhalahi et nous, tentant de nous menacer pour nous faire partir de ses frontières qu'il gardait fièrement tel un vrai guerrier. Ce que je vis de ce petit ressemblait en gros à la description que m'avait faite Tahora du jeune Fahari, et je devinai que c'était lui, mais avant que je ne pus dire quoi que ce soit, Taali se rua sur lui, pour lui apprendre l'intelligence de conserver son calme, alors qu'il proférait des menaces à tout va.

Elle lui fit rapidement la leçon, et moi j'observais la scène, sans pouvoir rien faire, ni même sans savoir quoi y faire. Je n'avais pas vraiment la volonté d'agir, malgré les quelques regards que me lançait ma compagne de route. Visiblement, elle semblait exaspérée...qu'avais-je donc encore fait ? Elle s'éloigna, et moi, j'étais perdu dans mes pensées, malgré mon mouvement inconscient vers les petits. Je m'en rendis compte parce que j'étais passé d'un sol herbeux à de la terre sèche, j'avais donc bougé, mais sans m'en rendre compte. Taali semblait un peu agitée, et moi, cette violence envers un simple lionceau me choquait un peu...mais à quoi bon s'attendre à autre chose de sa part ?

Elle repris la parole pour tout le monde cette fois, avec dans la voix un mélange d'énervement et d'impatience.

Bien, comme on va pas y passer la journée, Jango, je te présente ton frère Fahari, et ta cousine Dhalahi. Fahari, voici ton grand frère Jango, fils de Valaka et Shaara. Dhalahi, fille de Chombo Hiki, je te présente ton cousin Jango.
Maintenant qu'on a établit les liens familiaux, on peut avancer ?

Jamais elle n'avait été comme ça. Enervée, oui, surtout par ma faute, mais alors de cette façon, et surtout à cause de lionceaux, franchement, elle allait un peu loin. Si la situation n'était pas aussi délicate avec les deux jeunes, j'aurais bien grondé pour (tenter de) lui rappeler qu'elle n'était pas réellement en droit de s'imposer ici, qu'elle n'était pas sur ces terres et qu'agresser un lionceau, si un adulte nous surveillait, était suffisant pour nous valoir une exécution rapide sur-le-champ. Mais il fallait admettre que je savais aussi où résidait le pouvoir, entre nous deux...

Je pris la parole devant l'air choqué des deux lionceaux :

- Oui...je suis ton cousin Dhalahi. Visiblement, on ne t'a pas parlé de moi, ne sachant trop ce que j'étais devenu, et à raison. Quant à toi, Fahari...je crois bien que je te dois des excuses. Je suis ton frère, visiblement, et j'ignore ce que notre mère t'a dit sur moi, mais je te présente mes excuses de pas avoir été le frère que j'aurais dû être.

Je savais pas quoi lui dire d'autre. A vue de nez, il devait avoir un an et demi, environ. Déjà, et peut-être qu'il savait qu'il avait un frère, quelque part...Mais là encore, je ne me doutais en rien de l'ampleur des événements que j'avais manqués...

- Dhalahi, comment va Chombo ? Toujours aussi grognon ? Et toi, Fahari, papa et maman vont bien ?

Je ne savais absolument pas ce dans quoi je venais de plonger les pattes, à quel point ça n'allait pas être une partie de plaisir...

Alors que tout aurait pu "bien" se passer, sans trop d'embrouilles, sans problème, sans dispute, sans rien de tout ce qui fait qu'une rencontre et des retrouvailles désagréables, le contraire parfait se produisit. Tout d'abord, Fahari m'appris que papa était mort. La nouvelle eut l'effet d'un choc, et plus encore lorsqu'il accusa directement oncle Chombo de l'avoir laissé crever. Je pris cela avec le bout des griffes cependant, préférant en parler directement avec lui, savoir ce qu'il s'était réellement passé. Mais la nouvelle de la mort de mon père n'en restait pas moins horrible...

Puis ce fut le drame, Fahari cracha une fois de plus sur la petite famille que s'était construit Chombo, et Dhalahi s'en alla en pleurs. C'en était trop, mais une fois encore, Taali ne me laissa pas le temps de réagir, et lui balança ses quatre vérités, notamment mon affection partagée avec Tahora, qu'il connaissait et haïssait déjà, visiblement. Enfin, tout aurait pu mieux se passer, pendant que je bouillonnais intérieurement de rage.

Enfin, elle partit, et Fahari en profita pour déchaîner sa fureur sur le seul lion restant, moi. Mais je le foudroyais du regard. Son nom, il pouvait se gratter, il ne l'aurait jamais. Et non, je n'avais pas à me battre. Je peux peut-être passer pour un lâche ainsi, mais je ne me battais pas. La guerre m'avait fait perdre ma patrie et maintenant mon père, et lui voulait que je me batte ? Je pris par ailleurs soin de l'observer un peu, malgré sa petite taille. Il avait tout d'un Jangowa, hélas ! Le physique petit et maigre, le caractère belliqueux et arrogant...tout y était.

- T'en as assez fait pour aujourd'hui ! Tout aurait pu se passer sans encombre si tu avais remballé un peu ton orgueil ! Maintenant ça suffit !

Il n'en manquait pas beaucoup pour que je le gifle. On ne pouvait pas se permettre de mépriser sa famille, même les enfants direct de quelqu'un qui avait du passer pour un père de substitution. Il avait besoin d'être un peu plus surveillé, mon frère. Mais bon, maintenant que j'étais de retour, j'allais pouvoir passer du temps avec lui et espérer l'assagir un peu...

- Bon, on ne peut pas en rester là, je pense qu'il faut rentrer. J'ai des excuses à présenter à maman, je crois...

J'émis toutefois un maigre sourire en coin, espérant pouvoir détendre un peu le petit. Après tout, il ne pouvait pas être aussi différent des autres lionceaux, il devait bien réagir comme eux, non ? Avec ces rapides changements d'humeur dont eux seuls avaient le secret. Mais je n'en espérais pas trop non plus...juste de quoi pouvoir poser une conversation polie et à peu près calme, en savoir un peu plus sur ce qui avait pu se passer depuis mes deux années et quelques d'absence.

Je fus réellement surpris de le voir lâcher quelques petites larmes. Autant d'événements pouvaient donc quand même le bouleverser, tout caïd qu'il était. Puis bon, pour un frère, j'y étais peut-être allé un peu fort. Cela me fit de la peine pour lui. Déjà, apprendre que je ne reverrai plus mon père m'avait beaucoup attristé, mais comprendre que lui ne l'avait jamais connu me fit me sentir coupable. A tel point que lorsqu'il vint chercher du réconfort dans mes pattes, j'utilisai ma patte libre pour le serrer un peu plus contre moi. C'était à présent mon tour d'assumer les responsabilités paternelles, en quelques sortes.

Maman serait contente...mouais, je pensais surtout qu'elle aurait deux ou trois choses à redire sur mon exil de plus de deux ans. Il sauta sur mon dos et se blotti contre ma crinière. Je retournai un peu la tête pour vérifier qu'il était bien installé. Bon, il était désagréable, mais peut-être manquait-il tout simplement d'attention et d'affection, bien que je doutais que notre mère n'ait estimé l'avoir négligé. En réalité, il lui fallait un père, tout bêtement. Je pouvais comprendre sa jalousie envers ses cousins, bien - que je la désapprouvais complètement, surtout à un tel degré. Je le regardais d'un air attendri ; je n'oubliais pas Tahora, qui me manquait, mais il allait falloir je le laisse un peu de côté de mon esprit pour le moment, et que je joue réellement le rôle de grand frère que j'aurais toujours du être.

- Et si nous rentrions..."

Je me mis en marche, Fahari toujours sur le dos, fatigué. Il ne fallut pas longtemps pour quitter l'habitat des crocodiles, mais déjà j'entendis des bruits de pas, suivis par une odeur que je connaissais, et que je redoutais en même temps...Puis elle se confirma, lorsque je vis à une dizaine de mètres un lion imposant, jaune avec une crinière noire. Oncle Chombo patrouillait, comme à son habitude.

- J'ai vu rentrer Dhalahi en pleurs Fahari, pourrais-tu m'expli...JANGO !

Il avait focalisé son attention sur son plus jeune neveu, sans doute parce qu'il ne nous regardait pas encore mais avait reconnu son odeur, mais il m'avait ensuite vu, et quelle ne fut pas sa surprise. Sa voix très grande et rauque me faisait toujours un peu peur, par ailleurs. Avant qu'il ne puisse enchaîner ou que Fahari n'en rajoute une couche, je répondis :

- Je prends la responsabilité de ce qui a put se passer. Fahari était fatigué et en état de choc à cause de mon apparition, sans compter qu'il s'est vu quelque peu secoué par une autre lionne. Tout ça est ma faute, mon oncle..

Ce n'était pas un mensonge, en tout cas pas selon moi. J'étais en effet responsable de tout cela, à commencer par mon départ il y avait plus de deux années. Je le regardais droit dans les yeux, comme pour oser le défier de réprimander Faha. Je savais bien que le p'tit en avait assez pour la journée, qu'il voulait se reposer et essayer de vivre normalement, des fois...

- Hm...tu verras ça avec elle, mais en attendant...

Et il me gifle, ce qui me déséquilibra et fit tomber Fahari au sol. Puis, comme je le craignais, il commença son laïus. Je savais déjà ce qu'il allait me dire, concernant le chagrin de mes parents, la course-poursuite qu'il avait entamé pour essayer de retrouver ma trace, course qui l'avait emmené jusqu'au Grand Désert, le passage de Baradi et Nsaï sur Outland, comme je le savais déjà, puis la mort au combat de Shaara, etcetera, etcetera...Je le sentais d'ailleurs évasif à ce sujet sur notre père, et je sentis qu'il cachait quelque chose, dont il n'était absolument pas fier...mais je mènerai mon enquête plus tard. Une fois qu'il eut fini, il se tourna vers Fahari :

- Je t'épargne pour aujourd'hui, mais sache que je compte bien que tu répondes de ce qui a pu se passer avec Dhalahi, compris ?

Là, en revanche, je ne tins plus :

- Je t'ai dit que j'en porterai pleinement les responsabilité auprès d'elle ! J'irai lui parler, si elle veut bien, et puis ce sera réglé ! Pas besoin d'en faire une affaire d'Etat, toute responsabilité que tu puisses avoir au sein du clan !

Je m'énervais un peu facilement, ce n'était pas dans mes habitudes, mais nul doute que la jalousie de Fahari devait venir de ses trop fréquentes réprimandes quant à ses agissements avec ses cousins. D'accord, il n'avait pas été tendre cette fois, mais si cela devait continuer, il était certain que Fahari n'aimerait jamais ses cousins comme il le devrait.

- Bref, on va retrouver Maman, si tu nous le permets.

Je pris Fahari dans la gueule, puis je passai mon chemin, en direction de la Termitière, plantant Chombo là. Je détestais me disputer avec lui ou avec quiconque...mais cette fois, c'en était trop. Taali en avait trop fait, Fahari n'avait pas franchement été un modèle mais ça peut se pardonner, le sujet de Dhalahi m'inquiétait un peu, et puis la confrontation finale avec Maman risquait d'être juteuse elle aussi...de quoi faire réfléchir à n'importe quel esprit le plus motivé l'envie d'entreprendre un petit voyage dont la famille n'approuve rien...ou l'exil par la peur, comme ce fut mon cas...

Je posai la tête sur celle de ma mère, me voulant réconfortant. C'était bon de la voir à nouveau, finalement, et de la sentir près de moi, et de pouvoir enfin la réconforter comme je le voulais suite à ma fugue. Mais l'heure en était aux explications, et je craignais déjà cette entrevue. Mais il y avait trop de monde ici, et je commentai simplement d'un :

- Pas ici...

Elle comprit. Elle comprenait toujours. Elle m'emmena dans ce que je considérai comme étant sa grotte personnelle, qu'elle occupait avec Fahari depuis un certain temps. Niveau espace pour vivre, on pouvait difficilement se plaindre de cet endroit, elle ne devait manquer de rien, et je pouvais venir y vivre sans trop y prendre de place, ce qui était rassurant. Serait-ce le statut d'oncle Chombo qui lui permettait de bénéficier d'un tel endroit ?

Mais le temps n'était pas aux questions, mais aux réponses. "Pourquoi ?" résonnait dans ma tête, et il voulait dire tant de choses, et à la fois était superflu. Tant de questions se bousculaient dans ce "pourquoi" sans pour autant savoir par laquelle commencer. Il était donc temps pour moi de commencer dans le bon ordre, sans simplification ni détour. La stricte vérité, telle que je la voyais...

- Si la question est "Pourquoi cette fugue ?", et bien la réponse est que j'avais peur de qui pouvait nous advenir si Shujaa en venait à tuer oncle Chombo. J'ai par la suite trouvé à m'héberger plus à l'ouest, chez les Pridelanders, sans jamais oser revenir, ne sachant ce qui vous était arrivé pendant plus d'un an et demi. Puis une fois que je l'ai appris, une autre chose me retenait là-bas...

Je baissai les yeux sur Fahari, et décidai d'éluder ce passage de mon histoire concernant Tahora. Ca ne risquait pas de lui plaire d'en entendre davantage à son sujet, et il valait mieux éviter de générer de nouvelles tensions entre lui et moi. Je le repris dans entre mes pattes, comme pour me donner un peu de courage pour continuer.

- Si la question est "pourquoi seulement maintenant"...je n'ai pas vraiment d'excuse. Et je n'en cherche pas...Je me sens coupable, et me le suis toujours senti, mais j'avais peur, et malgré notre clan natal, tu sais que je n'ai jamais été fait pour me battre. Je pouvais vivre en paix là-bas...pas en paix avec moi-même, et je n'ai compris que récemment que j'avais des responsabilités et que je ne pourrai jamais être heureux là-bas, mais au moins, je n'avais pas peur qu'il m'arrive quelque chose.

C'était tout ce que j'avais à dire. Je n'avais pas envie de parler de mon père...d'une, pas devant Fahari, de deux, pas tout de suite avec maman...et enfin, parce que la peine était trop lourde, malgré tout. Il était mort au combat près de deux ans plus tôt, lors de la reprise de Prideland, sans que je n'en sache rien. Je me sentais coupable d'avoir laissé ma mère seule pendant si longtemps. J'avais le désir de me rattraper, si cela était possible, et d'offrir à Fahari le grand-frère que j'aurais toujours dû être. Evidemment, ce serait compliqué à présent que Fahari approchait de l'adolescence, mais je pouvais au moins essayer...

Je posai à nouveau la tête contre le visage de ma mère, puis d'une voix un peu brisée je lui dit faiblement :

- Je suis désolé...

Elle écouta avec respect mon récit et, bien que je sentais qu'elle désapprouvait mon comportement sur toute la ligne, au moins eut-elle le tact de ne pas prendre la peine de me le reprocher. Elle savait que je me faisais suffisamment de remords depuis tout ce temps et qu'il n'était par conséquent pas utile d'en rajouter. En revanche, je sentais Fahari comme un peu tendu. Boah, un vrai Jangowa qui ne pense qu'à l'honneur quoi...

Elle me remercia d'être revenu, puis me présenta mon petit frère. Cette situation avait quelque chose d'étrange à vrai dire. Je ne saurai jamais trop dire quoi, mais elle était étrange. Puis elle me demanda si j'avais croisé Oncle Chombo. Fahari bougonna qu'en effet, on l'avait croisé, et le regard interrogateur de Mère me poussa à intervenir avant qu'il n'en ajoute encore trop :

- Les nouvelles vont vite à ce que je vois. En effet, on l'a croisé, et il cherchait des explications sur pourquoi Dhalahi était rentrée en pleurant. J'ai dit que j'étais plus ou moins le responsable, et que j'irai assumer ça auprès d'elle. Je foudroyai Fahari du regard. J'espère simplement ne pas m'être déclaré coupable de quelque chose de réellement grave qui dépasse ce que j'ai pu voir et remonte à un contexte familial bien trop complexe pour le nouveau venu que je suis...

Il fallait que je m'affirme auprès de ce frère rebelle, que j'arrive à jouer le rôle du père dont il avait désespérément besoin, essayer de rectifier la sombre trajectoire qu'il semblait suivre. Il avait du bon, j'en étais sûr...on ne pouvait pas n'être que mauvais en ayant eu une mère telle que Valaka, c'était impossible, mais ce bon devait être enfouit très profondément et accentué par la jalousie de la famille de son oncle, qui avait pourtant longtemps joué le rôle de la figure paternelle...il y avait de quoi le comprendre..

Je frottai alors le visage contre celui de ma mère, qui m'avait tant manquée. J'étais de retour, et cette fois-ci je n'avais plus l'intention de partir. Je veillerai sur cette famille, qui était tout ce qui me restait, jusqu'au bout. Mais pour l'instant...

- Je vous laisse un peu, j'dois faire un tour, seul. J'ai besoin d'une mise au point..

Puis je fis volte face et partis seul, dans mon coin. J'avais besoin de réfléchir, de comprendre, de connaître...Cette nouvelle famille risquait d'avoir du mal à m'accepter, en particulier la pauvre petite Dhalahi, qui a certainement eu le choc émotionnel de sa vie, sans compter la virulence des propos que lui a asséné Fahari...et Taali, qui me laissait désormais dans ma merde, qu'elle avait provoqué en partie en appuyant constamment là où ça faisait mal, pour tout le monde...si un jour venait où je pourrais la revoir, j'aurais bien deux mots à lui dire. Au moins, elle constaterait que je ne fais pas que la laisser me marcher sur les pattes...