Ajjin avait décidé de se faire la belle aujourd'hui, après tout ça ne changeait pas de d'habitude. Presque pas en réalité ! Il avait juste décidé de retourner sur la Lande, mais cette fois tout seul. C'est vrai quoi, la dernière fois il n'avait pas eu l'occasion de tout voir et de plus sa mère le surveillait. Pas qu'il aimait désobéir, mais l'aventure l'appelait et tenir en place relevait de l'impossible absolu.

Il s'échappa donc de la Jungle pour revenir sur cette terre qui lui semblait si vide à côté de la sienne. Personne ne remarquerait son absence, il n'était jamais au même endroit. Sa sœur serait probablement occupé et Jekhat lui … Bah très certainement dans un endroit bien confortable à piquer du nez pendant des heures. Bon, il aurait peut-être aimé être accompagné, ça aurait peut-être été moins effrayant… Trop tard.

Ses pattes foulaient déjà le sol sec de cet endroit. C'était exagéré ! Cet endroit n'était pas si mort que ça, mais à côté de tout ce que le Mositus connaissait, eh bien, c'était vide. Mais tant pis, il pensait pouvoir trouver de nouvelles choses, aussi il passa les alentours du Baobab au peigne fin. Enfin presque. Il bougeait tellement dans tous les sens qu'il pouvait parfois manquer plus de choses qu'il n'en relevait.

Une grimace tordit son visage quand il sentit quelque chose lui chatouiller les pattes. C'était un insecte avec une grosse carapace noire. Pas très rassuré à l'idée que cette bestiole soit trop près de lui il se recula un peu. Puis par curiosité s'avance encore. Mais l'insecte bougea, alors le lionceau recula à nouveau.

« Pourquoi tu pleures ? »

Trop occupé à regarder cet insecte, il ne s'était pas aperçu que quelqu'un s'était rapproché de lui. Il n'avait même pas fait attention à son odeur, rien. La surprise était telle que la réaction d'Ajjin ne se fit pas attendre, il sursauta violemment, se recula et haletant fit volte-face pour s'enfuir. Mais voilà… Ajjin en bon chanceux heurta quelque chose, la tête la première dans un « outch » bien audible.

Se frottant légèrement la tête il remit ses idées en ordre. Déjà premièrement il toucha ses petites joues. Rien. Pas de sensation d'humidité, son poils était parfaitement sec. Pourquoi est-ce qu'elle avait demandé ça ? Il répondit sans la regarder, trop effrayé :

« Je pleure pas … J'ai pas de larmes sur mes joues... »

Elle avait probablement mal regardé. Tout comme lui d'ailleurs qui n'avait même pas remarqué qu'elle était juste à côté de lui. Cependant Ajjin lui tournait toujours le dos, malgré le fait que ça soit terriblement impoli, mais il avait peur et personne n'était là pour le rassurer. Il finit cependant par prendre la parole :

« Dis … T'es qui d'abord ? Et puis … Tu vas pas me manger hein ? C'est promis, tu me manges pas, hein ? »

Des fois que celle-ci soit cannibale ! Cependant il se rendit compte de son impolitesse encore grandissante et légèrement honteux il miaula de façon à peine audible :

« Moi c'est Ajjin ! »

Le lionceau brun se détendit d'un coup lorsqu'il entendit les mots de la femelle. Voilà qu'il se sentait bien bête mais en même temps ça se fait pas de surgir devant les gens comme ça. On frôle la crise cardiaque et après il y a plus personne ! C'est malin. En vérité, le lionceau ne voulait pas s'avouer qu'il faisait probablement la même chose quand il avait ses grands moments d'excitation. Bien que lui aurait eu trop peur pour s'élancer comme ça vers une inconnue.

Il avait beau ne pas la regarder en face, il l'écoutait avec la plus grande attention, ses oreilles frémissant à chaque son qui sortait de sa bouche. Il se doutait bien qu'elle n'avait pas l'intention de lui faire peur. Il n'y avait que Jekhat pour s'amuser à le terrifier juste pour qu'il puisse voir son frère sauter dans tous les sens et hurler à la mort. Il arriva cependant à articuler quelque chose :

« Non ça va … J'ai pas mal. »

Le plus de peur que de mal était parfaitement de circonstance, surtout quand on regardait Ajjin. Maintenant qu'il avait été bien ridicule elle se moquerait peut-être de lui… Mais il se préoccupa davantage des mouvements qu'il perçut et des yeux qui lui firent face, soudainement. Bien qu'étonné, il ne bougea pas d'un pouce. Il laissa ses pattes retomber sur le sol et croisa le regard de la femelle. Son museau frémit légèrement quand il aperçu son sourire.

« Tu es un Mositus pas vrai ? Moi je viens de Prideland. Nos deux clans sont amis tu sais et puis ma tante c'est aussi une Mositus, comme toi ! Alors euh... tu as encore peur de moi ? »

Bah euh … Est-ce que ça se voyait tant que ça qu'il était Mositus ? Son pelage était brun c'est vrai, mais dans son clan y'en avait pas ? Ajjin devait bien avouer être un peu ignorant sur la totalité des clans qui composaient le territoire des lions. En fait c'est surtout qu'il ne tenait pas en place, même quand il devait écouter les histoires.

Ajjin n'était pas familiarisé avec les étrangers, aussi n'avait-il connu que des Mositus et avait entendu parler des autres habitants de la Jungle, mais pour ce qui est de voir des membres d'autres clans, c'était une première. Enfin, pour les Pridelanders en tout cas. Il répondit quand même avec un peu plus de bonne volonté cette fois :

« J'ai pas peur de toi, tu m'as juste surpris... Je vois jamais des habitants des autres terres, avec mon frère et ma sœur on ne s'éloigne pas trop de la Jungle. »

Le Mositu se redressa enfin et laissa parler sa curiosité. Il était resté immobile trop longtemps et ce n'était clairement pas dans ses habitudes. Aussi il sautilla légèrement autour d'Ahva et lui demanda avec grand intérêt :

« Dis, dis, dis, c'est comme chez toi ? C'est tout sec comme ici ou est-ce qu'il y a de la végétation partout ? Et si ta tante c'est une Mositu, ça veut dire que t'es à moitié comme moi ? Et puis … T'es venue toute seule ou y'en a d'autres avec toi ?»

Ajjin dans toute sa splendeur. Cependant il tiqua sur sa propre question. D'autres ? Si ça se trouve y'avait pleins de grands lions avec elle, et peut-être même que ceux-là mangeaient les lionceaux ! Un frisson le parcouru alors qu'il cherchait du regard si d'autres animaux avaient décidés de traîner dans le coin. Cependant il n'y pensa rapidement plus et reporta son attention sur la lionne, un grand sourire collé aux babines :

« Eh ! Si ça se trouve je pourrai peut-être te montrer la Jungle ! »

De l'herbe dorée ? C'était possible ça, de l'herbe ayant la couleur du miel ?! C'est Jekhat qui serait content, il pourrait peut-être la manger. Souriant à cette pensée, le lionceau n'en resta pas moins attentif à ce que lui disait Ahva. Une petite lueur traversa ses yeux quand elle évoqua sa jungle. Il hocha la tête de répondre par l'affirmative :

« Oui ! Il y a des arbres, des buissons et de l'herbe partout. La Jungle c'est tout vert, même si il y a une partie qui est un peu plongée dans le noire dans laquelle j'aime pas aller… Mais c'est très très grand ! »

En même temps qu'il disait cette dernière phrase, le Mositu s'était dressé sur ses pattes arrières et a écarté les pattes afin de prouver à quel point la jungle pouvait être immense. Ayant sûr-estimé son équilibre, le lionceau vacilla et retomba sur son arrière-train. Il n'en perdit pas moins son sourire et il le ponctua même d'un léger rire.

Il aimait tellement l'endroit où il vivait. C'était comme un trésor aux yeux d'Ajjin, au même titre que sa famille. Mais il voulait en voir plus aussi ! Ce serait tellement formidable de pouvoir admirer de quoi le monde est fait. Mais c'était aussi, à son sens, terriblement dangereux. Aussi dangereux que de vouloir aller tout seul dans la Jungle noire. Il en frissonnait d'avance. Au pire, il embarquerait sa fratrie avec lui !

Il lui adressa un sourire gêné quand il s'aperçut qu'elle avait remarqué son malaise. Ce n'est pas qu'il n'aimait pas vraiment les étrangers. Mais… La grande entité qui porte l'étiquette « Inconnu » lui faisait peur, cependant Ajjin ne douta pas de la parole de la petite femelle au pelage dorée.

Elle était pétillante de vie, mais il ne pensait pas que sa proposition de lui montrer la Jungle l'enchanterait à ce point. Il en était heureux mais n'avait pas tellement l'habitude de faire face à autant d'excitation ! C'était lui qui ne tenait jamais en place, Jekhat et Hesima était beaucoup plus calmes. Mais si ça pouvait lui faire plaisir, il se promit d'un jour lui montrer ! Même s'il devait attendre que sa crinière pousse encore.

« On peut faire un pacte si tu veux, toi tu me montres la Jungle et moi je te montre Prideland ! »

Un grand sourire vint se planter sur la tête du lionceau brun. Oh que cette promesse lui faisait plaisir ! Il pourrait enfin voir ce qu'il voulait, sans être tout seul et sans en avoir trop peur. Il hocha vigoureusement la tête avant de répliquer :

« C'est une promesse alors ! Tu me laisseras pas tout seul sur Prideland, hein ? »

Bah oui, manquerait plus qu'Ajjin se retrouve perdu au milieu d'un endroit et d'un clan qu'il ne connaissait pas. Bonjour l'angoisse ! Curieux et impatient, il lui adressa encore une question, sa queue fouettant activement le sol :

« Dis, t'as l'air d'en savoir beaucoup beaucoup beaucoup ! T'en as vu d'autres ? Des territoires ! Et tu connais des histoires, de grandes aventures ? »

La machine Ajjin était lancée, l'arrêter serait absolument … Impossible !

Ajjin observa d'un œil curieux le rituel d'Avha. Il se laissa faire dans chacun des mouvements, joignant ainsi leur griffes respectives. Alors que leur promesse était ainsi scellée, un large sourire illumina les traits du Mositu. Il était fier de pouvoir se dire qu'un jour il ferait comme ses parents, il verrait autre chose que l'endroit où il est né. Bien sûr il ne manquerait pas d'embarquer son frère ou sa sœur ou même les deux pour ce voyage ! Sinon ça serait probablement moins amusant pour lui de réaliser cette aventure.

Le regard du lionceau dévia légèrement derrière Avha pour vérifier que personne d'autre n'approcherait. Malgré le fait qu'elle puisse avoir une famille adorable et tout ce qu'il y a de plus gentil, Ajjin n'était pas rassuré de se retrouver confronter à tout ce petit monde. Ses yeux coulèrent de nouveau vers la femelle et Ajjin paniqua un instant.

Bien sûr qu'il avait écoutait ce qu'elle lui avait dit, mais elle semblait arborer un air plutôt penaud et le mâle se demanda rapidement ce qu'il avait bien pu dire ou faire… Piétinant légèrement sur place, le regard d'Ajjin s'affola jusqu'à ce que son aîné reprenne enfin la parole.

« Tu sais, en fait j'en pas vraiment vu plus que toi... Mes parents sont très strictes quand on va jouer avec ma fratrie, on a interdiction de s'approcher des frontières donc du pays, j'en ai pas vraiment vu. Mais un jour c'est certain, pas un seul recoin de la Terre des Lions n'échappera à mon regard ! Et puis, ça va bientôt commencer, j'ai un ami sur Outland qui m'a promis de me faire visiter ses terres ; en plus je suis presque une adolescente maintenant alors je pourrais aller voir Freeland, ça a l'air chouette là-bas aussi ! »

Probablement contre sa volonté, le lionceau brun poussa un soupir de soulagement. Il avait retenu sa respiration pendant tout le discours de la lionne et se sentait rassuré. Il n'avait rien fait, évidemment ! Comment aurait-il pu ? Il avait à peine bronché. Mais en l'écoutant plus qu'attentivement, le lionceau avait développé une certaine admiration envers la femelle. Non seulement elle ne manquait pas de courage mais en plus elle croyait dur comme fer en ses rêves et ça rendait le Mositu heureux.

« Les histoires de voyage tout ça, c'est plus ma mère qui pourrait t'en parler. De ce qu'elle m'a dit, elle a visité tous les royaumes de la Terre des Lions ! Et puis, elle va bientôt emmener mon grand frère dans le Nord avec son parrain. Il en a de la chance... Je me demande comme c'est là-bas ! Tu y penses toi parfois aux montagnes nordiques et à la neige ? »

Comment dire que le lionceau était partagé entre deux réactions totalement distinctes ! D'un côté il très contente d'avoir un point commun avec sa nouvelle amie, parce que ses parents aussi avaient tout vu ! Presque peut-être … Beaucoup en fait ! Mais au lieu de se montrer excité à cette nouvelle, il pencha la tête sur le côté, fronçant les sourcils, interloqué. Il réfléchit un peu, tentant de savoir à quoi pouvait bien correspondre ce dont elle lui parlait mais ne trouva pas. Il osa alors répondre, un peu honteux d'être si ignorant :

« Je … Je sais pas ce que c'est la neige. »

Il baissa les yeux en réfléchissant un instant.

« Dis, dis dis ! Tu veux bien m'expliquer ce c'est la neige ? Et puis y'a quoi dans les montagnes nordiques ? Et puis, tu me raconteras tes voyage quand on se reverra, pas vrai ? »

Il ne lui aura pas fallut très longtemps pour se reprendre et redevenir un véritable moulin à paroles !

On aura probablement jamais vu Ajjin aussi calme que quand la lionne au pelage dorée commença ses explications et à lui raconter des histoires. Le Mositu avait des étoiles pleins les yeux, écoutant avec une grande attention tout ce qu'elle lui disait. Même avec sa sœur il n'était pas aussi attentif… En même temps, c'est pas elle qui lui raconterait de telles histoires ! Alors que la femelle s'était allongée, Ajjin lui s'était rapproché d'elle, observa chacun de ses mouvements.

Plusieurs expressions passèrent sur son visage d'enfant à chaque nouvelles phrases de son aînée. Elle était douée pour captiver l'attention des autres. En plus elle faisait considérablement rêver le petit brun. Il n'avait jamais autant voulu voir quelque chose de ses propres yeux. Mais dans tout son récit il semblait y avoir un problème, puisque ce n'était pas possible pour tous les lions d'y aller.

Un peu déçu de ne peut-être pas pouvoir réaliser un de ses rêves, Ajjin se replongea tout de même dans l'histoire d'Ahva. Plus elle lui parlait plus elle lui donnait envie. Envie de tout voir, oui, de voir cette neige, de voir les lions du nord, d'aller aux sources chaudes et peut-être même de dépasser les frontières qui sait ! C'était encore mieux de faire ce que personne n'avait jamais osé faire.

« Pourquoi ne pas voyager toi aussi, Ajjin ? Entendre des histoires c'est génial, moi-même j'adore ça mais les vivre, faire que ce soit de toi dont on raconte les histoires, tu t'imagines ça ?! »

Une mine confuse orna le visage du Mositu et il demande bêtement :

« Qui ça ?! Moi ? ... »

Évidemment qu'elle parlait de lui. Ajjin se gifla mentalement pour la débilité de sa question. Décidément il enchaînait la maladresse avec elle. Mais ça l'avait tellement surpris qu'elle lui pose ainsi la question. Bien sûr qu'il y avait pensé, faire comme ses parents, être aussi courageux qu'eux pour voir plus que la jungle. Mais Ajjin ? Vraiment ? Il secoua la tête négativement :

« Je peux pas … Enfin si bien sûr, je verrai Prideland, on se l'est promis ! Mais le reste … J'ai bien trop peur ! Tu n'as pas peur toi ? Tu imagines si jamais tu te perds, si tu tombes sur un méchant lion ?! »

Le lionceau brun continuait de secouer la tête, comme si ça allait chasser cette idée totalement folle de sa tête. C'était insensé, quoique terriblement tentant mais il ne pouvait s'imaginer aussi loin et tout seul qui plus est ! C'était pas pour lui, non non non non, ça faisait bien trop peur. Il en tremblait d'avance. Il réussit à articuler d'une petite voix :

« En plus … Ma maman et mon papa ils étaient ensembles quand ils ont voyagé ! Si je pars je serai tout seul ! Tu imagines être tout seul ? C'est encore plus effrayant que tout le reste. »

Elle en avait de la chance. Cette petite lionne n'avait décidément peur de rien et semblait foncer tête baissée dans chaque aventure. Bon … Ajjin le faisait aussi mais il frôlait la crise cardiaque à chaque expédition. D'ailleurs il n'avait même pas besoin de s'éloigner vers l'inconnu pour prendre peur comme il se doit ! Son frère y arrivait très bien et Ahva avait réussi à l'effrayer rien qu'en le surprenant.

Sa joie de vivre était cependant contagieuse puisqu'elle réussi à arracher un grand sourire au Mositu quand celle-ci se mit à sauter dans tous les sens. Elle était cependant aussi bien optimiste. Ajjin n'était pas aussi sûr qu'elle et doutait pouvoir un jour surmonter toutes ses peurs.

« On pourra voyager ensemble si tu veux, moi ça me plairait bien. Tout seul c'est plus palpitant parce qu'on est livré à soi même mais je ne te cache pas que je rigole toujours plus lorsque mon frère ou ma sœur vient avec moi, parfois même les deux ! »

Hein ? … Ajjin agita les oreilles et ouvrit grand les yeux. Il avait bien entendu ? Cette jeune lionne qu'il connaissait seulement depuis aujourd'hui lui proposer de voyager avec elle ? Ajjin secoua la tête, remettant ses idées en place. Vraiment ? Voyager avec lui, elle le voulait bien ? Non non… Elle avait même dit que ça lui « plairait bien ». Oh la la la la la la la ! Le Mositu avait encore peine à y croire si bien qu'il resta d'abord bouche bée devant sa proposition. Comme pour se rassurer il lui demanda :

« C'est vrai ça ? Tu voudrai bien qu'on voyage ensembles ? Même si je suis un gros froussard ? »

Il contenait à peine sa joie et son étonnement. En fait, il était pratiquement au bord des larmes tellement l'excitation faisait battre son cœur à toute vitesse. C'était comme retenir une bombe ! Il vit cependant la femelle disparaître d'un coup de son champ de vision. Paniqué il pensa d'abord à un malaise. Lui jetant un rapide coup d’œil il s'aperçut qu'en fait elle s'était juste allongée… Froussard ! Le lionceau brun se gifla mentalement, maudissant cette fichue frayeur de tout et de rien.

« Dis Ajjin, tu voudrais être quel genre de lion quand tu seras grand ? »

Surpris de la question, Ajjin plongea ses yeux dans ceux d'Ahva. Il haussa les sourcils et réfléchit un instant. Quel genre de lion quand il serait grand ? Boah c'était trop loin tout ça ! Ajjin n'y avait pas vraiment pensé. Il tenta de répondre à la question de la Pridelander, en essayant d'être le plus assuré possible :

« Bah … J'aimerai vraiment être quelqu'un sur qui on peut toujours compter ! C'est important ça, non ? Pouvoir devenir aussi courageux que ma maman et mon papa, aussi généreux qu'eux aussi ! Mais ça va être dur, parce qu'ils ont beaucoup beaucoup beaucoup de bonnes choses dans leur cœurs. Je sais pas si je pourrai en avoir autant, mais j'aimerai... »

Il regarda le ciel, pensant à ces souhaits qui lui semblaient si peu réalisables.

« Et toi ? Tu veux devenir quelqu'un en particulier ? Une super-héroïne qui aura visité toutes les terres et qui racontera les supers histoires de ses aventures ? »

Ajjin avait lâché cette dernière phrase dans un rire léger et franc. Au fond, ça pourrait bien être possible !

Les paroles de la Pridelander avait le don de donner du baume au coeur à Ajjin. Lui qui était si incertain de son avenir, en fait il n'était pas sûr d'être à la hauteur de ses parents, c'était tellement difficile de leur ressembler tout en étant un trouillard invétéré. Cependant la femelle avait l'air de croire en lui, bien plus que lui même en réalité et suite à ses paroles il lui adressa un sourire presque gêné.

Ahva lui expliquait tellement de chose que le lionceau brun avait peur de ne pas réussir à tout assimiler, mais ça ne l'empêchait absolument pas d'être attentif. En fait il y avait beaucoup de choses qu'il ne comprenait pas. Comme ce terme de « Gardienne » - oh bien sûr en définitive il connaissait le terme et savait à peu près ce qu'il signifiait.

Cependant quand la lionne en parlait ça semblait être légèrement différent de ce que pouvait s'imaginer Ajjin. Il fronça d'ailleurs les sourcils quand elle évoqua les terribles conditions qu'une telle responsabilité engendrait. Il trouvait cela fortement ridicule dans le fond. Comment pouvait-on prétendre protéger quelqu'un, comment prétendre savoir ce que c'était protéger quand on ne pouvait pas avoir de famille ? Puis aussi c'était quoi cette histoire de princesse ? Ahva était très jolie c'est vrai et n'allez pas croire qu'Ajjin pensait à quoi que ce soit d'autre que de l'amitié, mais plus elle parlait moins il comprenait. Il n'osa cependant poser aucune autre question. C'était peut-être pour la raison énoncée plus tôt qu'elle était princesse. C'était important ? Peut-être, peut-être pas. Il n'y avait rien de tel chez les Mositus.

Quand sa nouvelle amie lui confia sa volonté de devenir une grande combattante et les motivations qui la poussait à vouloir une telle chose, Ajjin se sentit soudainement emplie de beaucoup d'admiration pour son aînée. Il était d'ailleurs presque honteux de ne pas pouvoir formuler le même souhait. Il aurait pu, mais c'était aussi dérisoire que le fait de vouloir ressembler le plus possible à ses parents. Il tenta quand même de prendre la parole une fois qu'elle eût terminé, hésitant quant à ce qu'il allait dire à cause de toutes ses lacunes :

« Tu sais … Je comprend pas bien tout ce que tu me dis, parce que je ne connais pas toutes vos coutumes… Mais, ça devrait pas être plus important de pouvoir faire ce dont tu as envie ? Enfin… Protéger les autres, c'est quelque chose dont on peut être fier non ? Je pense que tu pourrais être une super guerrière ! »

Ajjin était peut-être trop jeune pour vraiment comprendre ce que cela devait entraîner comme conséquences, mais le petit lionceau avait été honnête et rien d'autre ne le préoccupait dans l'immédiat.

« Ils ont combattu les Nyeusis tes parents ? »

Le Mositu fronça les sourcils. Les Nyeusis ? C'était la deuxième fois qu'elle évoquait ce nom là et Ajjin savait qu'il en avait entendu parler mais ne s'en rappelait que trop peu. Il grogna de frustration n'arrivant vraiment à s'en souvenir jusqu'à ce qu'il fasse enfin le rapprochement avec les histoires des grands. D'habitude c'était Jekhat qui était long à la détente mais il faut croire que ça arrivait à la pile qu'était Ajjin qui s'exclama :

« Les lions noirs ! »

Gêné de son exclamation le petit lionceau se racla la gorge avant de secouer négativement la tête :

« Non, mes parents n'ont pas combattu les Nyeusis et je crois qu'aucun Mositus ne l'a fait… Tu sais, notre clan a été décimé et ce n'était probablement pas le bon moment pour s'engager dans une autre guerre. Mes parents et mes grands parents m'ont raconté que nous avions perdu la moitié du clan, peut être même un peu plus… »

Il baissa la tête avant de demander d'une petite voix :

« Tu crois qu'il y en a encore beaucoup ? Des méchants ? »

L'idée même de ne pas être pleinement en sécurité le terrorisait. Il y avait eu déjà beaucoup de morts et ce n'était pas impossible qu'il y en ait encore plus !

Le jeune Mositu était convaincu que la Pridelander y arriverait, elle avait l'air d'avoir bien plus de cran que lui et au moins elle croyait en ce qu'elle voulait réellement, alors il n'y avait pas de raison pour que ça n'arrive pas.

Son regard s'attarda un instant sur elle, constant un moment de trouble, le lionceau chercha ce qu'il avait bien pu faire de mal mais comme elle revint rapidement à elle il en conclut qu'elle devait seulement réfléchir. En fait, il préférait penser qu'il n'avait pas dit de bêtise, c'était mieux comme ça. Cependant les paroles qu'elle prononça firent lentement baisser les oreilles du lionceau. Alors le monde était ainsi ? Incertain, à chaque fois ?

Ajjin baissa les yeux et griffa le sol, l'air absent. Il n'y avait jamais eu de problèmes de la Jungle, il n'y en aurait jamais, pas vrai ? Non, bien sûr que non, il ne pouvait rien leur arriver ! Il y avait tous les Mositus adultes qui étaient très fort et puis dans ce lot on pouvait aisément compter ses parents… La seule chose dont on devait vraiment se méfier dans la Jungle c'était les singes, mais Ajjin n'en avait pas vu beaucoup, pas encore tout du moins.

Mais seulement, si ce qui disait Ahva était vrai, que les adultes avaient pleins de secrets, ça voudrait dire qu'un danger pouvait planer sans qu'il soit au courant ? Cette simple pensée le fit frissonner et il se sentit tout d'un coup dans une profonde insécurité.

« Tu ne dois pas avoir peur Ajjin, je te protégerai ! »

Cette phrase l'arracha à sa torpeur. Il lui adressa un regard surpris – il ne s'attendait pas à ce qu'elle lui dise ça et même si ça ne semblait pas évident, il lui en était reconnaissant. Ca aurait pu mettre plus d'un mâle mal à l'aise qu'une femelle le prenne sous son aile de la sorte, mais pas Ajjin. Il savait pertinemment reconnaître qu'il était – pour le moment – incapable de se défendre tout seul et il doutait que ça puisse un jour changer.

Ajjin enviait la détermination et le courage d'Ahva. Il n'en était pas jaloux mais il savait qu'il ne pourrait jamais atteindre un tel niveau. Il se contenta alors de lui donner un sourire et de lui souffler un merci, cependant il aurait toujours peur. C'était Ajjin, il ne pouvait pas en être autrement ! Une idée folle lui traversa pourtant l'esprit et elle franchit même la frontière de ses babines :

« Peut-être que quand on se reverra, tu pourras m'apprendre quelques une de tes techniques de super guerrière ! »

On avait toujours le droit de rêver ! Mais Ajjin espérait être un jour capable de faire quelque chose de sa vie et ne pas rester planquer dans le fin fond de la jungle. Cependant, il ne rêvait pas vraiment de rejoindre les patrouilles Mositus, il trouvait ça terriblement ennuyeux… Ajjin avait besoin de bouger et patrouiller lui semblait être une activité trop monotone. Un jour il trouverait c'était certain ! Il pourrait peut-être même protéger son frère et sa sœur, même si celle-ci était bien assez capable de se défendre toute seule, Ajjin en était persuadé.

Un petit hoquet s'empara de lui et il percuta immédiatement quelque chose. Il s'était absenté pendant un petit moment. Olalalala, Heshima ne tarderait sûrement pas à remarquer l'absence de son frère et irait sûrement avertir les parents de la disparition du petit Mositu… Le lionceau trépigna alors sur place et adressa un regard désolé à sa nouvelle amie :

« Ahva, je vais devoir rentrer chez moi avant que ma sœur ne dise à mes parents que je suis allé un peu loin tout seul… Mais promis, on se revoit très bientôt ! »

Afin de donner plus d'importance à ce qu'il venait de dire, le lionceau effectua le même geste que la Pridelander un peu plus tôt. Ce fameux serment de la griffe ! Il termina :

« Voilà ! Bientôt je te montrerai la jungle avec toute sa végétation, ses oiseaux colorés, ses animaux en tout genre et son magnifique paysage. J'oublierai jamais ma promesse, je te le jure, foi de Mositu ! »

Il lui adressa un dernière sourire et s'en alla. Marchant à vive allure le lionceau ne cessait de dire « Olalala, maman et papa vont pas être content, Heshima non plus, Jekhat lui il dort probablement c'est pas grave… Je vais me faire gronder, zut alors ! » et autres phrases débitées à une allure phénoménale. Il s'autorisa cependant encore un dernier regard vers la fille du Soleil et lui adressa un dernier salut. Mais à vouloir faire trente-six choses en même temps, le lionceau manqua encore de trébucher. Dans un « Oups » bien audible, il reprit équilibre et cette fois s'élança vers son chez lui.

HPR: