KIFUA

- Cela fait bien longtemps, mais je vois que tu n'as pas changé, tu vis toujours aux dépends des autres.

Lorsqu'il entendit la voix de son neveu, le vieux lion sentit que quelque part, le destin se jouait. Pourquoi s'était-il autant éloigné du clan ce jour-ci ? Fidèle à ses habitudes, il ne se mêlait pas vraiment à ses semblables, préférant la solitude et la tranquillité. Mais pourtant, il restait généralement à portée de vue, surtout à présent qu'il vieillissait. Il devenait pratiquement incapable de chasser pour se nourrir, ce qui était une grande preuve de faiblesse dans le désert. Il avait besoin des Jangowas, qu'il le veuille ou non. Mais donc, pourquoi s'était-il écarté, précisément aujourd'hui ? Avait-il pressentit qu'il était temps pour lui de jouer le dernier acte de sa vie ? Ou bien était-ce simplement le hasard qui l'avait poussé à vagabonder ainsi sans faire attention, trop sûr de lui pour s'inquiéter, persuadé que personne ne viendrait jamais à bout de lui ? La deuxième option était plus vraisemblable, et son esprit rationnel se rassurait ainsi. Mais cela ne retirait en rien que Hatari, son cher neveu, le fils de son frère, se trouvait en face de lui, et le contemplait d'un air de défi.

Kifua le regarda de haut en bas les babines pincées, une pointe de mépris dans le regard. Ce garçon ressemblait énormément à son père, c'était flagrant. Mais il ressemblait aussi à sa mère, et cela agaça le vieillard. Il n'avait pas besoin de se souvenir du choix que cette lionne avait fait, des années plus tôt. Il n'avait pas vraiment besoin que tout cela lui revienne en mémoire, en vérité, lui qui n'avait jamais fait sa vie avec qui que ce soit. Il était resté seul au fil des années. Il fit cependant un effort, et essaya de se concentrer sur ce que Hatari avait dit.

- Cela fait bien longtemps, mais je vois que tu n'as pas changé, tu vis toujours aux dépends des autres.

Ah voilà, c'était bien ça. Son neveu restait donc assez amer, même après tout ce temps. Kifua haussa les épaules, vaguement agacé par les propos du garçon. Il n'aimait guère être pris de haut, et avec lui la tension pouvait monter assez vite. Pourtant, étrangement, il était calme. Il regarda Hatari sans dissimuler son dédain. Il avait élevé ce petit, il lui avait tout appris, et voilà comment il le remerciait ? Certes, il l'avait enlevé uniquement pour causer du tord à son frère, mais il s'était tout de même pris d'affection pour cet enfant. Il n'avait pas été un précepteur très tendre, mais il lui avait inculqué des valeurs Jangowas, malgré tout. Enfin, c'était ce qu'il avait cru, jusqu'à ce que ce traître ne décide de tourner le dos au clan, et à lui ! Kifua n'était pas particulièrement loyal, il obéissait aux ordres mais ne se fondait pas dans la masse. Et pourtant, la désertion de son neveu l'avait blessé, sans doute plus qu'il ne voulait bien l'admettre. Le vieux lion répliqua enfin, après de longues secondes de silence, d'une voix sèche et méprisante :

- Et toi, je vois que tu es devenu un vulgaire vagabond sans clan ni honneur.

Le patriarche poussa un grognement exprimant tout son dédain et secoua la tête. La situation ne lui plaisait guère, il savait au fond de lui que Hatari n'était pas venu ici pour faire la conversation. Son neveu cherchait l'affrontement, cela se lisait dans ses prunelles, cela se sentait dans le timbre de sa voix, dans la posture de son corps, dans l'aura qui émanait de lui. Il voulait se battre. Et Kifua n'avait pas l'intention de faire traîner les choses :

- Que fais-tu ici ? demanda-t-il d'une voix sombre. Vako veut ta tête, il a tout mis en oeuvre pour te retrouver. Tu souhaite donc précipiter ton trépas ?

Si Hatari voulait bel et bien se battre, le vieux lion venait de lui donner l'opportunité de régler ses comptes. Il ne faisait pas le difficile, il avait même hâte d'en finir. Il sentait afflouer en lui une énergie qu'il pensait disparue. Cela ne lui permettrait sans doute pas de gagner, mais il comptait néanmoins se défendre. Il restait un Jangowas, il se battrat avec honneur. Jusqu'à la fin.

KIFUA

Étonnement, Hatari ne sembla pas craindre la menace que représentait Vako. Son neveu avait-il perdu l'esprit ? Vako en lui-même n'était qu'un lion comme les autres, mais il avait du pouvoir, il pouvait ordonner à ses sujets de traquer l'exilé et de le tuer. Et c'était d'ailleurs ce qu'il avait fait. Kifua savait que Chenko allait partir très bientôt hors du désert, ce n'était qu'une question de jour. Hatari prenait de gros risques en revenant, mais sa soif de vengeance semblait plus importante que tout. Le vieux lion savait qu'il n'aurait aucune chance en affrontant loyalemment le jeune félin, il était âgé et faible, il n'avait jamais été un très bon combattant. Il n'avait pas non plus spécialement envie de se battre contre son neveu. Il ne le détestait pas après tout, il l'avait même aimé, à sa manière. Mais ce dernier ne lui laissait pas le choix, la détermination se lisait dans ses prunelles. Il ne partirait pas d'ici sans s'être débarrassé de son vieil oncle.

- J'attends ton Empereur de pied ferme, comme tous ceux qui chercherons à se mettre en travers de ma route. Ce n'est pas mon trépas que je viens précipiter.

Les paroles du traître n'avait pas besoin d'être explicité, Kifua comprenait très bien où il voulait en venir. Hatari souriait, le vieux lion cru même voir un soupçon de démence dans les prunelles de son neveu, ce qui l'inquiéta. Avait-il perdu la raison ? Il n'avait jamais été quelqu'un de particulièrement mauvais, il n'était pas un Jangowas sauvage et belliqueux, pourtant il se tenait devant lui aujourd'hui, et cherchait clairement à l'affronter. Pourquoi un tel revirement ? Certes, Kifua l'avait enlevé à sa famille, mais était-ce un mal ? Cette même famille n'avait pas cherché à le retrouver après tout ! Peut-être avait-il été mieux dans le désert, loin de ces ingrats. Evidemment, ce genre d'arguments ne suffiraient pas à convaincre cet impertinent, il était bien trop focalisé sur sa vengeance pour changer d'avis et réaliser la chance qu'il avait eu. Kifua n'avait même pas envie de se lancer dans un débat, les griffes parleraient mieux que les mots. Et Hatari était là pour ça, après tout.

- Tu sais pourquoi je suis ici.

Le patriarche plongea ses prunelles dans celle du jeune lion et hocha doucement la tête. Il avait la sensation qu'autour de lui, le temps s'était arrêté. Le sable tournoyait autour d'eux, les coupant du monde, comme si les Grands Esprits encourageaient ce duel. Cela encouragea Kifua à penser que le destin se jouait ici, d'une certaine manière, que ce moment devait arriver, qu'il était écrit. Il devait spirituel avec l'âge, cela ne lui ressemblait pas. Pourtant, à l'approche du trépas, beaucoup se tournaient vers les croyances pour fuir la peur des ténèbres, la peur de cette obscurité éternelle qui menaçait de les engloutir. Le Jangowas avait recourt au même stratagème en cet instant. Il tendit alors ses muscles et sortit ses griffes, laissant sa vieille hargne pour son frère déborder en lui, l’ensevelir entièrement.

- Alors pourquoi attendre ? Viens chercher ton dû ! cracha-t-il, l’œil brillant d'un éclat fou.

Sans attendre, il se jeta sur son neveu en poussant en grognement sous l'effort. Il ne s'était pas battu depuis un moment, il était un peu rouillé. Sa dernière vraie bataille devait remonter au jour où Akili avait expulsé les Mositus du désert. Il n'avait pas participé au combat que les lions bruns menés par Kwadja avait enclenché, considéré comme trop vieux pour prendre part à l'affrontement. Mais maintenant, il n'avait pas d'autre échappatoire. Il devait gagner, ou bien mourir.

KIFUA

Lorsque Kifua s'élança, l’œil fou, les griffes dehors, un rugissement naissant dans sa gorge, il savait déjà que ce combat serait perdu. Il était vieux, usé, et n'avait jamais été un excellent combattant. Il s'en était sorti jusqu'à présent en fuyant les batailles qu'il ne pouvait gagner, se tassant et se faisant généralement oublier. Mais là, il ne pouvait s'esquiver, il ne pouvait partir. Son neveu voulait sa peau, il ne la lui donnerait pas sans quelques difficultés. Hatari n'essaya pas d'esquiver l'assaut de son oncle, il le percuta à contraire de plein fouet, et tenta aussi de planter ses crocs dans sa chair. Kifua poussa un cri de douleur en sentant les canines de son adversaire l'écorcher et pénétrer sa peau. Il tenta de le repousser, mais Hatari restait plus massif, son sang de Pridelander devait l'aider. Le cou du jeune mâle n'était toutefois pas mortel, Kifua sentait qu'aucune partie vitale n'avait été touché et se demanda si les leçons de combat de son neveu étaient trop loin pour lui. Le vieux lion avait à présent le dos à terre, son opposant le dominant de tout son poids. Il gronda de fureur, et lui laboura le ventre à l'aide de ses pattes arrières, essayant de toucher une partie sensible.

Il ne parvint pas à lui faire lâcher prise, son neveu avait bien trop de hargne, sans doute bien plus que lui. Il voulait le faire souffrir, Kifua l'avait bien compris, trop tard malheureusement. Il avait espéré que Hatari en finirait vite, qu'il se vengerait proprement, mais là n'était visiblement pas son intention. L'exilé voulait du sang. Soit, il en aurait. Le vieux lion joua des épaules pour atteindre la patte de son neveu avec ses crocs et le mordit sauvagement. Il sentit la prise de son adversaire se renforcer, sans doute sous la douleur, et lâcha en rugissant. Il tenta de se débattre pour échapper à ses canines acérés et aux griffes qui le lacéraient, en vain. Son énergie s'envolait, seconde après seconde, et les battements de son cœur s'affolaient. La douleur commençait à le faire paniquer, et la panique l'empêchait de se battre convenablement. Il avait espéré en faire davantage baver à son neveu, mais à part une vilaine balafre sur la patte avant, il n'avait pas du lui faire grand chose.

Sentant que ses forces vitales s'amenuisaient, bien trop vite à son goût, il planta son regard dans les yeux de Hatari. Si celui-ci voulait le tuer, très bien. Il allait devoir assumer son acte jusqu'au bout. Il allait voir la vie dans les iris de son vieil oncle disparaître, peu à peu, tandis qu'un voile de mort se poserait devant ses prunelles, et que son visage n'exprimerait plus que la douleur et la peur. Kifua n'avait jamais été un exemple de bravoure, et ce n'était pas au crépuscule de sa vie qu'il allait se découvrir une âme courageuse. Ses derniers instants, ils approchaient, il les sentait, seraient teintés de sa lâcheté et de ses pêchés. Prenant sur ses dernières forces, Kifua lâcha, sans lâcher son neveu du regard :

- Tu... Tu ne pourras jamais... Changer... Ce que tu es... Tu es... Comme moi... Tu es... Seul... Seul...

Il répéta le dernier mot dans un ultime souffle, tandis que tous ses muscles se contractaient dans un dernier spasme de douleur, avant que l'agonie ne l'emporte. Pour toujours.

Alors qu'au loin, une cruelle bataille faisait rage, l'instinct de Chenko était en alerte. Il n'était plus le général des Jangowas, mais les patrouilles lui tenaient tout de même très à cœur, malgré son âge avancé. Il se chargeait personnellement de sillonner les frontières du Grand Désert, cherchant toujours de potentiels intrus. Il espérait également tomber sur Hatari, l'exilé qui n'avait de cesse de tourmenter le clan après l'avoir trahi. Vako lui avait demandé de tout mettre en oeuvre pour le retrouver et même s'il avait quitté son rang, il comptait toujours mener cette mission à bien. Il avait une rancune personnelle envers ce traître, il voulait se venger. Il savait cependant que son ennemi ne risquait pas de s'aventurer dans le cœur du désert, il allait donc devoir le chercher hors de leur territoire pour se débarrasser définitivement de lui. L'Empereur avait fini par approuver son plan, bien que Chenko l'ait tout d'abord sentit réticent. Il avait également pu obtenir des informations sur la position de l'exilé grâce à Kaïad et à ses espions vautours. Le vieux lion avait trouvé des coéquipiers avec lesquels partir, Mombasa, Skaro ainsi que Kaïad, et ne tarderait pas à partir. Dans quelques jours, tout au plus, le groupe filerait hors du désert, désert qu'ils allaient quitter pour la première fois.

L'ancien général s'immobilisa alors dans sa patrouille. Une odeur bien familière venait de lui effleurer le museau : l'odeur du sang. Aussitôt, Chenko s'élança sur cette piste, son instinct lui soufflant qu'il se tramait quelque chose. Peut-être s'agissait-il simplement d'un chasseur Jangowas qui venait de tuer une proie, mais il n'en était pas convaincu. Il était vieux, très vieux, et le parfum du sang des lions, il le connaissait parfaitement. Il pouvait affirmer sans se tromper qu'il avait bel et bien affaire là à cette odeur, et pas à une autre. Il se dirigea donc vers l'effluve, tous ses sens en alerte, prêt à en découdre. Il grimpa sur un monticule de sable et poussa un grondement sourd devant la scène qui se dessinait devant lui. Hatari, car c'était bien lui, sans l'ombre d'un doute, se trouvait devant le cadavre ensanglanté d'un vieillard, que Chenko connaissait de nom : Kifua. Ce lion, si la mémoire du patriarche était bonne, n'était autre que l'oncle de l'exilé, celui qui l'avait élevé. Et, il ne pouvait pas y avoir d'erreur, Hatari venait de le tuer. Furieux, sentant la rage le secouer de tout part, Chenko observa le traître s'en aller, après l'avoir défié du regard. L'ancien général aurait pu bondir et s'élancer à sa suite, mais il n'était pas idiot. Il n'était plus un jeune guerrier fringant, s'il défiait Hatari maintenant et seul, il finirait comme ce sot de Kifua.

Il le laissa donc partir, cette fois encore. Mais c'était la dernière fois, Chenko se le jura intérieurement. La prochaine fois que sa route croiserait celle de ce félon, il le réduirait en charpie et lui ferait regretter d'avoir défié les lois du Grand Désert.


[RP fini pour moi donc ! A très très bientôt petit Hatari ]

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