Avec le temps, le cœur de Nedge s’apaisait peu à peu. S’il lui arrivait encore de faire des cauchemars et d’avoir quelques crises de larmes, il gagnait toujours plus en maturité et son esprit apprenait à connaître la paix. C’était étrange de ne l’avoir jamais connue – comme si, depuis sa naissance, le lionceau avait été hanté et torturé sans cesse… et, à vrai dire, la vérité ne s’en éloignait pas tant que ça. Heureusement, la terreur s’enfuyait peu à peu de ses pensées et, rationnel, le petit beige imaginait déjà un étrange plan. Lui qui n’avait autrefois aucun espoir pour son avenir commençait à se rendre compte qu’il avait bien plus de ressources qu’on ne le croyait. Si ses sœurs se démarquaient par leur témérité et leurs talents belliqueux, Nedge savait que sa supériorité à lui était intellectuelle.

Cependant, il s’était aussi rendu compte de la force tranquille qu’il représentait. Il commençait à se sociabiliser de plus en plus et participait aux jeux et aux affrontements auxquels s’adonnaient les lionceaux. Il fallait avouer que tout ça, c’était grâce à Sahale : malgré leurs disputes, ces deux-là s’aimaient, et la sœurette exhortait constamment son frangin à jouer avec elle et les autres petits… D’ailleurs, elle décidait presque toujours de se liguer avec lui : à deux contre tous les autres ! Au début, Nedge n’avait pas vraiment compris pourquoi elle faisait ça – le désavantage était évident. Pourtant… Sahale elle aussi connaissait les ressources cachées de son frère. Et ce frère finit par les découvrir également et en prendre pleinement conscience au fil des démonstrations de force – il écrasait et immobilisait ses adversaires pour que Sahale puisse mieux glisser parmi eux et faire usage de ses techniques de combat.

Plus grand et plus fort que les enfants de son âge, Nedge ne doutait plus de lui-même. Il avait pleinement accepté ses gènes et était fier de son héritage de lion noir. Il n’était plus une victime, on ne pouvait plus venir lui chercher des noises sans qu’il réagisse. Il était fini, le temps où Sahale devait le protéger des vilains garnements. Le lionceau timide et craintif né sur la Lande s’était éteint à son premier anniversaire. Aujourd’hui, c’était le fils de Kigeni qui arpentait les sentiers de Prideland.

Ce fut sans doute cette confiance en soi renouvelée qui le fit réagir au quart de tour quand il fut témoin de la débandade de l’Étang. Espérant initialement pouvoir se reposer loin des cris et de l’agitation de la marmaille Pridelander – malgré cette force trouvée, il restait le jeune calme, sensible et solitaire qu’on avait toujours connu –, il fut bien contraint de changer ses plans en arrivant à destination. En effet, l’endroit habituellement si paisible était ravagé par le chaos le plus total. Inquiet, le jeunot se précipita parmi les animaux et tenta tant bien que mal de calmer ceux qui passaient en courant près de lui, mais en vain. Un zèbre faillit même le renverser ! L’ayant évité juste à temps, Nedge se dressa d’un bond et chercha de ses yeux vairons le responsable de la panique générale.

Et il eut tôt fait de le trouver en la personne d’un autre lionceau, plus jeune, qui poussait des grognements et quelques rugissements en direction des herbivores pour les affoler encore plus. Il avait l’air de trouver ça très amusant, le bougre ! Mais Nedge appréciait peu qu’on vienne semer la zizanie ici. C’était mal. Fronçant les sourcils, il fixa l’inconnu au pelage sombre mais ne le reconnut pas : une chose était sûre, celui-là ne faisait pas partie du clan.

Raison de plus pour lui faire arrêter ses bêtises ! Il n’était même pas chez lui ici, alors comment pouvait-il se permettre de se faire remarquer ? Dominant, et avec la ferme intention de couvrir les rires de l’insolent, le beige révéla sa présence à l’aide d’un rugissement qui roula du fin fond de sa gorge et adopta un timbre grave qu’il ne reconnut même pas. La pré-adolescence était décidément là, et ce n’était pas pour lui déplaire ! Par la même occasion, il voulait faire savoir aux herbivores qu’il était là à présent, qu’ils pouvaient se calmer et n’avaient rien à craindre car un Pridelander était arrivé leur rendre justice. Et, sans plus attendre, il bondit sur le petit brun, les emmena tous deux dans une roulade, et bondit une nouvelle fois pour se séparer de lui avant de lui faire face, bien campé sur ses quatre pattes. Imitant les postures dominantes de sa sœur au pelage gris, Nedge allait enfin faire valoir sa position et prouver qu’il était tout à fait capable de protéger les siens, ainsi qu’il l’avait toujours voulu.

Sa voix était ferme, son ton autoritaire, mais sans méchanceté ni arrogance, quoiqu’il se fit un peu dur. Le Roi Kumpa, Nedge ne l’aimait pas tant que ça, mais son nom impressionnait toujours. Autant profiter de la situation…

HRP:

Le foncé ne semblait nullement impressionné par la mention du nom ne Kumpa. Nedge s'en sentit encore plus énervé, et il serra les mâchoires quand l'autre vint se pavaner près de lui. Il en faisait trop, marchait la tête haute et se prenait sans doute pour un petit roi - alors qu'il n'était même pas chez lui ! Ce manque de respect et d'étiquette eut le don d'agacer le beige, qui se sentit commencer à grogner en entendant l'excuse toute pourrie, et beaucoup trop moqueuse à son goût, de l'impertinent :

Oh, il voulait qu'il se calme ? Eh bien non ! C'en était fini du calme et de la soumission - à partir d'aujourd'hui, Nedge ne voulait plus se laisser faire. Sahale subissait déjà ce renouveau, car il répondait à présent à chacune de ses méchancetés, mais elle n'allait pas être la seule à en pâtir. Pas de traitements de faveur ! Tout le monde était logé à la même enseigne, et encore plus quand on n'était qu'un vagabond en terre étrangère et qu'on se permettait de faire n'importe quoi...

L'inconnu s'amusait à lui tourner autour, comme un vautour au-dessus d'une vieille carcasse. Mais Nedge était loin d'être mort, et il comptait bien le lui faire comprendre ! Il profita du moment où il marchait à côté de lui pour faire subitement un pas de côté, l'empêchant ainsi de continuer et se retrouvant tous deux face à face. Ses sourcils froncés montraient tout de son mécontentement, ainsi que la détermination qui brillait au fond de ses yeux vairons.

On lui avait souvent rabâché d'innombrables leçons sur le Cycle de la Vie et les herbivores pour savoir que les affoler inutilement était vraiment minable et odieux. La mère de ce petit-là avait décidément mal fait son boulot. Il espérait tout de même qu'elle ne soit pas loin, parce que laisser son enfant sans surveillance dans un territoire qui n'est pas le sien était un comportement purement irresponsable et dangereux. Bah, peut-être que c'était de famille...

Son ton était un peu hautain, mais pas vraiment méchant. Si on lui demandait gentiment, alors il voulait bien expliquer au jeunot de quoi il s'agissait - les Pridelanders plus que quiconque connaissaient cette notion apparemment étrangère au cerveau du voyageur.