Il avait neigé durant la nuit. Encore. Je me réveillai, puis, tandis que j'ouvris les yeux, je ne vis qu'une fine pellicule blanche et gelée. J'étais recouverte de quelques flocons, peu épais, mais qui formaient une couverture parfaite pour me fondre dans le décors... Seulement, c'était eux qui fondaient, les flocons... Alors je pris la décision de me lever et de me secouer. Je jetai un regard vers ma famille. Tous dormaient encore. Sur la pointe des coussinets, je m'extirpai du recoin que nous avions choisi pour nous assoupir et attendis d'être suffisamment à distance pour m'étirer, faisant couiner la neige sous mes grosses pattes. Je soupirais :


- Ah... Il fait bien bon ce matin !

Je réprimai un bâillement. J'avais bien dormi, et la température ni trop fraîche ni trop chaude de cette douce journée me mettait d'ores et déjà de bien bonne humeur. Néanmoins, lorsque je me mis en marche, une affreuse grimace de douleur s'empara de mon visage. Mes muscles étaient tous engourdis et mal réveillés... Je me remémorai la journée de la veille. J'avais passé l'après-midi à chasser, et mes courses folles à travers la montagne pour constituer mon repas m'avaient épuisées. On peut dire qu'une nuit, aussi reposante soit-elle, n'avait que guère suffit pour me remettre d'aplomb, et l'effet de tout ce sport se faisait encore douloureusement ressentir, rappelant qu'il était bien présent. Je pouvais presque entendre mes muscles me crier que j'étais une dégénérée et m'imposer sur une seule et même voix, de bien vouloir me recoucher, parce qu'eux avaient besoin de repos et que j'étais une bien belle sotte d'avoir pu supposer le contraire...


- Oh non mes chers, je ne vais certainement pas passer une journée à me prélasser sans bouger. Mais ne vous en faites pas, j'ai prévu autre chose qui vous contentera largement. Ainsi, ce compromis nous comblera tous, pensai-je à voix haute, comme si je pouvais réellement m'adresser à eux.

Laissant de nouvelles traces fraîches sur mon passage, je m'éloignai dans les décors enneigés du mont, observant si quelques changements avaient eu lieu durant ces heures de déconnexion que je m'étais octroyées. Je suivis du regard l'envol d'un oiseau, guettai le passage vif d'un élan, et me perdis même dans la contemplation pourtant devenue familière, des roches de glaces luisantes sous le soleil de cette matinée si délicate.


- Les Sources Chaudes... Nous y voilà...

Je m'étais lentement laisser entraîner dans l'eau brûlante de cet endroit, soupirant de bonheur une fois que mes muscles cessèrent leur souffrance lancinante. Fermant les yeux, j'avais porté mon choix sur un lieu assez isolé, ou l'eau était suffisamment basse pour que je puisse m'allonger en gardant ma tête hors de portée du liquide bouillant. Savourant ce sentiment de bien-être qui s'emparait de moi, je fermai les yeux et me serais presque endormie une deuxième fois tant j'étais dans une position confortable.

Mais j'entendis du bruit... Mes paupières s'ouvrirent vivement, et j'observai une lionne, inconnue pour ma part, qui marchait non loin. Visiblement, elle venait de traquer son repas, et le fruit de cette traque avait été au rendez-vous. Je devinai le corps inerte d'un renard polaire entre ses puissantes mâchoires. La voyant de profil, je remarquai sa prunelle droite, d'un bleu particulier. Tandis qu'elle s'installait pour déguster son repas, et que, semblait-il, elle n'avait pas remarqué que je faisais acte de présence non loin, je souris et, refermant les yeux, je lâchai sur une voix paisible :


- Bon appétit très chère.

Visiblement, je perturbais la jeune lionne dans son repas. Elle me dévisagea un moment, et je sentis un poil de piquant dans son regard désapprobateur. Mon salut n'avait pas l'effet escompté, et je ne m'en rendais compte que maintenant. Elle me toisait depuis un moment de ses yeux vairons qui m'avaient laissée sans voix. C'était la première fois que j'en voyais, mais je ne montrai rien de ma surprise, me contentant de lui rendre attentivement l'attention qu'elle me portait, même si cette dernière ne lui plaisait décidément pas.

J'avais l'impression qu'elle voulait d'ores et déjà me bondir dessus pour défendre sa nourriture, ou au contraire, se lever en deux temps trois mouvements pour fuir avec celle-ci bien ancrée entre ses mâchoires de fauve. Quoi qu'il en soit, c'était très facile de se dire qu'elle me jugeait, comme si elle attendait de voir ce que je valais sur un simple coup d’œil. Un geste de sa part parvint à me distraire l'espace d'une seconde, et je vis bien vite qu'il était celui de tirer jalousement sa proie contre elle. J'avais donc pensé juste, elle avait peur que je la lui pique.

Songeant à cela, j'eus un sourire doux envers elle, pour la rassurer de mes intentions. Mes oreilles se dressèrent tandis qu'elle me répondit sur une voix, certes prudente, mais qui dissimulait sans doute au loin, la raison d'autant de mise en alerte venant d'elle. Il est vrai que si j'avais eu la chance d'avoir une enfance plutôt calme au Royaume Du Nord, tous les lions n'avaient pas eu le même passé que moi...


- N'ayez crainte, ajoutai-je sans me départir de mon air serein. Je n'ai pas faim.

Moi qui pensais me lever au fil de la conversation pour me rapprocher d'elle et discuter plus facilement, autant dire que je m'étais ravisée. Si même à distance correcte de cette inconnue je parvenais à briser sa tranquillité et à la rendre aussi soupçonneuse, il était de loin beaucoup plus préférable de demeurer à cet emplacement, au moins le temps de voir comment se dérouleraient les choses...

Néanmoins, la question assez virulente de mon interlocutrice me fit tomber des nues. Autant dire que je ne m'attendais pas à ça du tout... Mais je remuai une oreille, comme si celle-ci m'avait dérangée ou comme si une poussière s'était coincée dans les poils qui en décoraient le bout, et fermai les yeux tout en poursuivant sur un ton sincère -puisque je l'étais-  :


- Je ne vous connais pas voyons, et autant vous dire que si j'avais un message à vous faire passer, je le dirai explicitement. Je ne suis pas du genre à me parer de faux-semblants... Vous ne m'êtes pas familière, et je trouvais cela dommage c'est tout.

Je tendis mes antérieurs, m'étirant sans me lever et, retrouvant la sensation de bien-être que j'étais venue chercher, je plantai mon regard ambre dans ses prunelles dépareillées et ajoutai avec un rictus sympathique :


- Je me nomme Sihiri, et je suis enchantée de vous rencontrer. J'espère que ce renard suffira à votre appétit, il ne me semble pas très gros..., achevai-je en esquissant une petite moue boudeuse, avant de reprendre mon air paisible.

[Comme dit sur la cb, ton rp passe en priorité. Bonne chance avec cette "petite belette" comme tu l'appelles x')]

J'avais visiblement contrarié la lionne en m'adressant à elle comme je le faisais. Elle demeurait là, sans réaction d'aucune sorte, me regardant presque comme si je venais d'ailleurs et que je ressemblais à un tout autre animal visible dans les environs. Mes prunelles emplies de sérénité ne manquèrent pas de relever l'infime détente qu'elle laissa paraître, ce qui me rassura quelque peu car, ne la connaissant pas, j'étais tout de même restée relativement prudente sans le montrer. Parce qu'on ne peut prévoir les réactions d'autrui, il est toujours bon d'être conscient des siennes, me plaisais-je à me répéter... Seulement, si tous les félins agissaient de la sorte, nous passerions toute notre entière existence à nous méfier sans cesse les uns des autres, toujours en position défensive face à l'inconnu, et conditionnés à attendre qu'il fasse le premier pas dangereux en notre direction pour nous défendre.

Ce n'est que lorsque mon interlocutrice dressa les oreilles en avant que mon regard s'y attarda, détaillant avec un doux sourire leur forme en croissant, à la courbe si délicate et captivante. Je ne pus m'empêcher d'accentuer mon rictus en déclarant :


- Vos oreilles ont l'allure rassurante de la lune que je me plaisais à contempler étant enfant... Cette lune si belle et mystérieuse qui apaisait mes craintes quand je me réveillais au cœur de la nuit, agitée par d'affreux cauchemars... Je les trouve merveilleusement originales.

Elle déclara que généralement, ses quelques rapports extérieurs avec d'autres congénères ne se faisaient pas sans remarques, que je devinais désagréables.


- Ah bon ?, fis-je, étonnée. N'êtes-vous donc pas sûre que ces paroles acerbes ne soient clamées sous l'emprise d'une jalousie dissimulée ?

Au moins je comprenais mieux son précédent comportement en alerte. Je constatai son embarras lorsqu'elle ancra ses yeux vairons sur sa proie. Elle m'assura que cette bête convenait à son faible appétit, puis se présenta sous le nom d'Idéha. Je fermai les yeux en inclinant la tête pour appuyer un énième salut, et répliquai :


- Enchantée Idéha. Dites-moi, poursuivis-je en jetant une œillade brève autour de nous. Qu'est-ce qui vous a poussé à venir ici ?

Ce n'était en rien pour assimiler la scène à un interrogatoire que je lui posais cette question, mais plus pour entretenir notre discussion, et lui prouver ainsi au fil des secondes qui s'écoulaient que je n'avais vraiment aucune mauvaise intention vis-à-vis d'elle . De toute manière, je ne possédais aucune raison valable pour en avoir, n'est-ce pas ?

J'avais le plaisir de voir Idéha se détendre peu à peu et cela accentuait la joie qui s'emparait de moi. Cette lionne n'avait pas l'air d'avoir une vie très facile... Ou du moins, elle n'avait pas l'air d'être très à l'aise en présence des autres. Tel qu'elle me parlait de ses relations avec le clan, j'avais l'impression qu'on la traitait en bouc-émissaire, ce qui n'était pourtant pas le genre du clan... Qu'avait-elle donc fait pour qu'on se comporte avec elle de la sorte... ?

Mon interlocutrice, qui avait au moins le mérite de m'intriguer, pencha la tête sur le côté, ce qui alluma une étincelle de curiosité dans mon regard. Elle paraissait beaucoup moins méfiante, ce qui n'était pas pour me déplaire, et je concentrai mon attention sur la chaleur de l'eau, qui détendait mes muscles. Je me surpris à pousser un soupir de détente, parce qu'au moins la douleur s'en était allée, et je n'étais pas celle qui allait la regretter ! Au contraire, j'étais venue par ici pour la chasser, dans l'espoir d'avoir raison en pensant qu'une hausse de température atténuerait mes courbatures causées par l'intense chasse de la veille.

Idéha me confia la raison de sa présence, et comme je m'y attendais, on ne pouvait pas dire qu'elle cherchait vraiment la compagnie. Je voulais lui prouver que nous n'étions pas tous doté d'une étroitesse d'esprit qui consistait à suivre bêtement le chemin qu'empruntaient les autres. J’espérais que ma présence l'influencerait un tant soit peu, parce que j'étais connue pour ma confiance en moi. Au moins j'en savais un peu plus sur ses goûts, dans le sens où je savais maintenant qu'elle adulait particulièrement les ambiances feutrées et calmes.


- C'est vrai que cet endroit est très agréable. J'y viens souvent également, nous nous recroiserons sûrement, cela pourrait être sympathique !, m'exclamai-je joyeusement.

Si personne ne voulait être son ami, moi je n'avais rien contre elle, et elle m’intéressait. Je la trouvais captivante, elle renfermait quelque chose de mystérieux qui me donnait envie de la connaître. Elle était différente des autres lions que j'avais pu croiser pour l'instant, et cela n'était pas pour me déplaire. J'étais trop curieuse, tout simplement, et à l'instar d'Idéha, j'avais une étrange facilité à m'approcher des autres pour les côtoyer. Il n'empêche qu'échanger avec elle me permettait de comprendre davantage ses réactions précédentes que j'avais déjà excusé depuis longtemps... Heureusement que je ne l'avais pas jugée sur la première impression... On dit qu'elle ne trompe jamais, mais elle ne permet pas de connaître l'autre et d'interpréter convenablement ses éventuels réflexes.

Je fus agréablement surprise de voir que la lionne entretenait la conversation en me posant à son tour la question de ma présence ici. Puisqu'elle m'avait répondu, je ne pouvais pas me permettre de ne pas faire de même. Je pensais juste arrêter la discussion si elle ne l'avait pas reprise, et je répondis sur une voix calme :


- Eh bien, j'aime parfois m'aventurer un peu partout pour me changer les idées et voir ce que je pourrais bien trouver. Il se trouve qu'ayant chassé intensément hier, j'avais des courbatures, et je cherchais juste un endroit plus éloigné, où l'eau serait plus basse pour pouvoir étendre mes pattes et les guérir un peu...

Je fermai un instant les yeux, puis, au terme de quelques secondes, je demandai en laissant échapper un petit rire amical, mais contenu :


- Au fait... Vous ne mangez pas ?

Mon interrogation avait au moins eu le mérite de perturber l'espace d'un instant la jeune lionne, et je me mis à rire d'un rire attendrit. Il serait bon de la manger avant que la proie ne perde sa chaleur corporelle, sinon ce serait moins goûteux. J'avais fermé les yeux et, l'entendant dévorer son repas, j'avais arboré une nouvelle expression paisible, comme s'il en avait toujours été ainsi et que notre rendez-vous en ce lieu était déjà quotidien.

Au moment où je n'entendis plus le bruit de ses crocs se fichant dans la chair sans doute tendre de l'animal, suivit du bruit de mastication propre à la dégustation d'une bonne viande, j'ouvris, un œil tout d'abord, très vite suivit de l'autre. Le regard de nouveau méfiant de mon interlocutrice m'intrigua. D'abord elle était prudente, puis plus détendue, et de nouveau en alerte... Curieux personnage que je venais de rencontrer dites donc ! Néanmoins, je songeai bien qu'elle avait une idée en tête puisqu'elle ne tarda pas à m'interroger à son tour.

Ce lion dont elle parlait, j'en avais vaguement entendu quelques rumeurs, mais comme à mon habitude, loin de moi l'idée de se fier au jugement des autres, qui ne représentait aucune source fiable, mais plutôt l'avis d'un anonyme que l'on savait publiquement partagé. Aussi, mon regard s'illumina et mon visage s'éclaira lorsque je compris quel lion elle évoquait. Je ne tardai à répondre, sur un ton enjoué :


- Oh bien sûr que j'en ai entendu parler ! Je ne me suis que légèrement intéressé sur le sujet. C'est le plus important qui m'attire, pas ce que pensent les autres. Autant vous dire que je préfère me faire ma propre opinion moi-même, ainsi je n'aurai pas comme argument qu'un tel ou qu'une telle est d'accord avec ce point de vue.

Mon regard ne la quittait pas. Qu'attendait-elle de moi ? Quelle réponse voulait-elle me tirer en me posant cette question ? J'achevai ainsi, en secouant tranquillement ma grosse tête pelucheuse :


- Je n'aime pas les jugements des autres, non... Mais si je pouvais rencontrer cet individu, je le ferais volontiers ! Converser avec lui de ses rêves me semble plus qu’intéressant... Si par là vous me demandez si je crois aux choses mystiques...

Je la fixai en plissant légèrement les paupières, retrouvant un air sérieux et susurrai :


- Oui j'y crois. Et vous pouvez bien en juger ce que vous voulez je m'en moque. Peut-être suis-je folle, mais c'est mon choix. Oui, parfaitement. J'assume le fait de croire aux choses que l'on ne peut pas toujours prouver. Pourquoi ? Pas vous ?

Visiblement, lorsque je lui retournai la question, elle fronça les sourcils. Sa voix sèche lorsqu'elle me répondit, sonna presque comme un reproche. Son regard était brillant sans que je ne sache vraiment de quoi. Je me contentai de hausser les épaules et déclarai gentiment :


- Chacun son avis. Je respecte le votre.

Ma queue glissait sur les rochers, sous l'eau chaude. Mes oreilles étaient dressées en avant, fières et droites. J'étais tellement bien ici que je me promis intérieurement d'y revenir. Le sourire qui décorait mes babines était serein, doux, paisible. En fait, il me reflétait différemment que l'eau. L'eau me donnait une image physique de moi, mais ce sourire lui, témoignait peut-être de mon naturel calme. C'est que depuis la perte de mon amie, je m'étais donnée pour résolution d'être moins expansive. Preuve en était faite que je l'avais respectée, cette décision, puisque je ne l'étais plus. J'avais changé...


- Ancêtres ou non, la vie suit son cours. Quelques soient les croyances des uns ou des autres, pourquoi cela me dérangerait-il à partir du moment où la vie d'autrui n'y est pas confrontée ? Je ne sais pas s'ils existent, ces Ancêtres, mais si c'est le cas, alors j'espère juste que pour ôter la vie d'êtres vivants qui nous sont chers, ils ont une bonne raison.

J'évoquais cette amie anonyme qui avait disparue, autant de ma vie que de ma mémoire, et dont il ne me manquait que le nom. J'avais froncé les sourcils un instant durant ma réplique, tirant quelques traits de mon visage sous ma remise en question. Je m'interrogeais peut-être trop finalement, mais je ne pouvais pas m'en empêcher hélas...

Je me levai, laissant retomber l'eau chaude si précieuse par filets le long de ma fourrure dans un bruit des plus sourds, et me rallongeai plus sur la droite en soupirant de soulagement. J'avais juste envie de bouger un peu, et de me positionner à un endroit différent, même s'il ne se trouvait qu'à quelques millimètres du précédent. Mon rictus se redessina et je décidai de clore les paupières une fois encore. Le silence durant lequel je ne bougeai pas l'ombre d'un cil sembla vouloir s'éterniser un moment avant que je ne le brise, pour achever sur une voix calme qui se perdit en échos au delà de la montagne :


- Vous savez, je ne juge pas quelqu'un selon l'endroit d'où il vient ou ce en quoi il croit. Je ne le juge que sur ses faits, car c'est eux, et uniquement eux qui font de lui celui qu'il est.

Ces quelques paroles étaient empruntes de sagesse, et comme elles s'étaient envolées loin de nous, je ne pouvais qu'espérer qu'au loin peut-être, quelqu'un d'autre les aurait entendues.