La nuit continuait de surplomber le royaume, apportant avec elle les dernières lumières célestes. Le tableau était complet, mais mon cœur ne l’était pas. Un poids invisible commençait à peser sur mes épaules, abaissant mon regard loin des étoiles. Plus bas que l’horizon, sur terre. Les herbes frôlaient mes pattes avec douceur, mais leur passage était glacial. Le vent m’était devenu mordant et la Lune plus triste que jamais.

La silhouette de mon père se coucha aux racines du Baobab, les yeux levés vers le ciel. Je n’eus l’air de rien, mais ma respiration se coupa momentanément, ma mâchoire se crispa et j’eus l’impression d’étouffer.

Une étrange sensation m’enveloppa. Je ne voulais savoir quel était cet air froid qui refroidissait le sang de mes veines. Mon père semblait apaisé, alors que je le rejoignais lentement, la tête relevée et la démarche calme.
Mes fines oreilles s’orientèrent vers l’arrière, tandis que j’offris l’un de mes plus beaux sourires sages à Lukah, dont le regard émeraude m’apaisait, alors que ma poitrine s'était épris d'un sentiment oppressant.

Je ravalais mes larmes, bien cachées dans le revers du masque apaisé que j’abordais. Le silence me laissa m’allonger avec douceur auprès du vieux Mositus, mon corps calé contre le sien, dont la chaleur me procurait l’assurance dont j’avais besoin. Celle de donner à mon père l’image d’une fin heureuse.

J’eus une inspiration calme, mais douloureuse. Ma tête se cala doucement contre sa crinière sombre, humant son parfum familier alors que mes paupières se refermaient sur la vision de ses larges pattes, dans lesquelles j’aurais voulu qu’il me prenne, comme si je n’étais encore qu’un lionceau.

RONO • Je t'aime, papa.

Ces quelques mots avaient une telle douceur, qu’il aurait pût soigner n’importe lequel de mes maux. Mais leur acidité n’avait d’équivalent. Je retins à grande peine le flot de sentiments qui découlait dans une partie de mon esprit, mon oreille collée sur sa crinière ébène. Je pouvais entendre son cœur, battre lourdement à travers son poitrail. Il respirait avec une certaine difficulté, comme si lui aussi retenait cet orage grandissant.

Mon regard se releva vers son visage, alors qu’il articulait quelques mots. Ravalant ma salive douloureusement, ma gorge me brûla, incapable de sortir un mot dans l’espace de ces quelques secondes. Je ne pleurerais pas. Pas une larme ne coulera en sa présence. Je m’en étais fait la promesse.

J’avais peur. Peur de réaliser, finalement, que mon père mourrait lentement sous mes yeux et que même le meilleur remède ne pourrait rien y faire. Je ne voulais pas y faire face, mais je n’avais plus qu’un temps limité, à présent.
Un dernier temps pour lui donner un dernier éclat de joie.

RONO • Je... murmurais-je en silence, cherchant mes mots. Tu es grand-père, papa.

Je n’avais pas encore eu l’occasion de lui parler de Sadaka. Tout était arrivé si vite. Mon fils. Pourrais-je un jour lui racontait l’histoire de mon propre père ? Lui décrire ce grand lion. Cet être si sage, dont j’avais été fier d’en être le fils et dont je le serais encore.

RONO • J'ai un fils... Il n'est pas de mon sang, mais c'est tout comme. Je l'ai vu naître et maintenant, il est âgé de quelques mois... Je l'élève avec sa mère et il m'est si précieux. Il est adorable.

J’eus un sourire tendre, espérant le partagé avec le vieux lion. Je voulais son bonheur, en cet instant présent. Toute la joie que je pourrais lui donner, je la lui donnerais. Père à mon tour, j’avais eu des moments difficiles, comme des moments qui ont éblouis ma vie.

Comme tous lions sur cette terre.
La large patte de mon père sur ma crinière, je restais blotti contre lui, me retrouvant lionceau à nouveau, comme plus adulte que jamais.

Lukah semblait heureux de l’entendre. D’un regard satisfait et sage, il m’observa, quelques nouveaux mots franchissant la barrière de ses babines. Je faisais de mon mieux pour Sadaka, et plus encore. Je ferais tout ce qui soit en mon pouvoir pour lui, comme mon propre père l’aurait fait pour moi.

Avec un sourire bienveillant, je hochais doucement la tête, dans un signe entendu. Je protégerais ma famille jusqu’à ma mort s’il le fallait, car ils étaient tout pour moi. Chaque personne de mon entourage comptait. Où qu’elle soit.

La respiration de mon père changea. Elle se fit plus lourde, plus fatiguée, alors que mon cœur se serra douloureusement. Mes yeux se remplirent d’humidité, mais une nouvelle fois, je tiens bon. J’écoutais avec attention, me penchant vers lui, afin de recueillir ses précieux mots au creux de mes oreilles.

Son regard brillait toujours, de cette vivacité qui rendait les personnes vivantes, mais je pouvais le sentir. Le temps pressé et les secondes découlaient, plus vite que je ne l’aurais jamais cru.

RONO • Je te le promets.

Ses yeux se dirigèrent vers les étoiles, brillant tout comme les miens, de larmes retenues. Mes mâchoires se crispèrent doucement, alors que son dernier sourire m’était accordait. Hors, je ne sentais pas que les premières perles d’eau venait s’échapper du bord de mes paupières. Les derniers mots de mon père me transpercèrent.

J’écarquillais les yeux, rivé sur la grande silhouette du lion à mes côtés. Sa patte s’était immobilisée sur ma crinière, alors qu’aucuns mots ne purent sortir d’entre mes mâchoires. Le vent froid sécha le passage de mes larmes, séchant sur mon pelage, comme le silence refroidissait mon cœur.

RONO • Papa ... ?

Je n’eus aucune réponse, quand bien même ma patte se posa sur la sienne.
Il était parti.

J’eus une brève inspiration, serrant mes crocs mais en vain. Mes yeux se plissèrent et mes larmes continuèrent de s’écouler, mes oreilles s’abaissant lentement de chaque côté.

Je fermais les yeux, me laissant aller aux sanglots en me blottissant contre le corps de Lukah, dont la présence me manquait déjà cruellement.

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