La vie n’était pas facile pour les lionceaux de la guerre.
Couché contre l’écorce rugueuse du baobab, Nedge observait de loin les autres enfants de son âge. Ils jouaient à faire la course et à se pourchasser, leurs éclats de rire et leurs haussements de voix parvenant sans mal aux oreilles de l’isolé. Il les regardait avec envie, parce que lui aussi aurait aimé avoir un groupe d’amis et s’amuser toute la journée. Cela faisait maintenant une bonne demi-heure qu’il les espionnait ainsi, détaillant avec attention les pelages chocolatés et beiges qui roulaient dans la poussière. En effet, les petits Mositus s’étaient mêlés aux Pridelanders, et les lionceaux des deux clans jouaient ensemble comme si de rien n’était. Ils oubliaient tout de la guerre et de leurs différences, faisaient fi des clans et des races. Ils ne portaient pas attention aux couleurs de leurs pelages. Nedge renifla une fois et sentit ses griffes s’enfoncer dans le sol, simple réflexe dû à l’énervement qui montait.

Il s’était levé tôt ce matin-là. Il avait passé une horrible nuit et n’avait pas pris beaucoup de repos : des cauchemars n’avaient eu de cesse de le hanter. Un grand lion noir y était apparu. Comme toujours. Au petit matin, le cauchemar ne l’avait pas quitté et avait continué à torturer son esprit et ce, jusqu’à ce que les autres enfants de son âge se réveillent. Là, histoire de penser à autre chose et de se changer les idées, il avait décidé d’aller les regarder jouer. Quelle terrible erreur ce fut…

En effet, si ça avait marché les dix premières minutes, ses pensées habituelles n’avaient pas tardé à refaire surface. Il savait que ces lionceaux ne l’aimaient pas. Il en était persuadé. Et ce n’était pas juste parce qu’il était timide et qu’il avait du mal à adresser la parole aux inconnus – non, il n’ignorait pas les regards mauvais et les chuchotements. Ses frère et sœurs avaient droit au même traitement, même s’ils ne s’en rendaient pas toujours compte. Mais lui voyait tout. Alors, il leur en voulait, à ces stupides lionceaux qui n’étaient racistes qu’envers les siens. Mositus et Pridelanders jouaient sans souci, mais ceux qui connaissaient la vérité à son sujet le rejetaient sans même le connaître.

Il serra les dents et vrilla son regard au sol pour ne plus les voir. Les adultes avaient dû en parler entre eux et leurs enfants les avaient entendus. Ensuite, ils avaient colporté des rumeurs, tant et si bien qu’il était rare de trouver quelqu’un qui n’était pas au courant. Pourtant, ces petits étaient souvent trop jeunes pour vraiment comprendre la situation de la petite famille – mais ce qu’ils comprenaient bien, c’était qu’il fallait suivre la masse, juger et se moquer bêtement.

Nedge se leva d’un geste brusque et rageur, à l’opposé de son calme habituel. Il décida de trouver une autre occupation et se mit en quête des seules personnes dont il pouvait partager la compagnie sans crainte : ses frère et sœurs. S’il n’était pas particulièrement proche d’eux, ça ne l’empêchait pas de passer de bons moments en leur compagnie et de s’amuser avec eux comme toute famille plus ou moins normale.

Il fureta ainsi à droite à gauche, jusqu’à apercevoir la fourrure grisâtre qu’il recherchait. En voilà une qui partagerait sûrement son mécontentement à l’égard du comportement des lionceaux de leur âge. Retrouvant un peu de paix, il laissa un petit sourire venir égayer la commissure de ses babines et trottina en direction de sa sœur.

« Sahale ! »

La pauvre devait bien se douter de ce qui l’attendait… ‘Sahale, je m’ennuie, et personne ne veut jouer avec moi alors je viens te parler. Par contre comme techniquement je n’ai rien à dire, si tu pouvais trouver quelque chose à faire ce serait bien. Je t’aime, ‘tite sœur.’ A priori, c’était ça.

« Tu fais quoi ? »

Il était encore tôt, et peut-être venait-elle de se lever. Mais Nedge, tout juste arrivé à côté d’elle, n’y pensait pas et s’attendait à ce qu’elle lui explique un projet super cool ou une aventure rocambolesque qui lui était arrivée. C’est parce qu’elle était géniale, sa sœur – et que, de son point de vue, il était le plus inintéressant des quatre. Il s’émerveillait à chaque fois que Sora et Tahora racontaient leurs folles escapades et il admirait Sahale pour ses idées intelligentes. Ah, ce qu’il adorait sa famille !

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Il pencha légèrement la tête en observant sa sœur. Sa fourrure était tout ébouriffée et tachée de terre – un peu comme si elle venait de tomber… La pauvre devrait subir les remontrances de maman quand ce serait l’heure du bain du matin. Il sourit faiblement à cette idée, déjà désolé pour Sahale qui risquait de se faire passer un savon – dans tous les sens du terme.

« Eh bien, j'attaque pardi ! T'as jamais essayé de faire la guerre aux taupes ? C'est un excellent entraînement pour la rapidité et la dextérité, à ce qu'on m'a dit ! Il eut un regard interrogateur – elle savait ce que ça voulait dire, dextérité ? Tu veux faire la guerre avec moi ? »

Non, il n’avait jamais vraiment essayé – mais oui, il adorerait jouer avec elle ! Malgré son inexpérience en la matière, Nedge était plutôt doué quand il s’agissait de jouer. D’ailleurs, c’était la raison principale qui poussait les autres lionceaux à le prendre avec eux quand ils décidaient de reproduire des scènes de bataille et des combats en tout genre : Nedge avait apparemment hérité de la carrure de son père. Il était bien plus grand et plus massif que les petits de son âge – il suffisait de le mettre à côté de Sora pour s’en rendre compte.
Ni une ni deux, sa sœur lui bondit dessus et le plaqua au sol. Il mit un petit temps à comprendre ce qui lui arrivait, car le monde s’était subitement renversé, et il ne voyait plus que le visage de Sahale en gros plan sur fond de ciel bleu. Un sourire mutin se dessina sur ses babines, et il en oublia ses tracas d’un peu plus tôt.

« Et toi, que faisais-tu ? Tu as mauvaise mine mon frère ! A quoi as-tu encore bien pu penser ? »

Oh, elle voulait faire la grande ? Mais c’était lui, l’aîné de la famille ! Le moral remontant en flèche grâce à la gaieté de sa frangine, il ne s’inquiétait plus des autres lionceaux et du rejet dont il était victime. Il se défendit d’un coup de pattes arrière et la força à le lâcher – il enchaîna ensuite en s’appuyant sur le sol pour lui sauter dessus à son tour, inversant alors les rôles.

« Eh bien, ma sœur, sache que je pensais à la prochaine bataille qu’on ferait ! fit-il en l’imitant. »

Il la libéra immédiatement et bondit sur le côté, où il se mit en position de jeu. L’arrière-train relevé, la tête au ras du sol, il avait tout du parfait lionceau prêt à s’amuser. Inutile de préciser que Sahale était l’une des très rares personnes à avoir le privilège de le voir sous cet angle. Même Sora et Tahora ne voyaient que rarement ce spectacle – la hargne de Sahale, cependant, avait le don d’exciter le lionceau. Etrangement, il préférait l’ardeur de sa sœur grisée à l’innocence enfantine des deux autres.

« Nos adversaires n’auront aucune chance contre nous ! On est les meilleurs ! »

Bien sûr, il faisait référence aux fausses guerres que les lionceaux faisaient pour s’amuser entre eux. Il était rare que la fratrie soit séparée – non, les quatre petits jouaient toujours du même côté. En première ligne, Sahale la grande guerrière et Tahora la meilleure des chasseuses. Nedge les suivait de près et utilisait son physique avantageux pour les protéger tandis que Sora passait derrière lui pour prendre leurs ennemis à revers. Quand ils étaient tous les quatre, personne ne pouvait les battre ! C’était ça, la force d’une famille. Et là, ils ne faisaient que jouer… Mais quand ils seraient grands, ces quatre-là deviendraient sans doute les plus fiers représentants de la jeunesse Pridelander, les égéries de l’armée du Rocher.

« Mais en attendant, j’ai trouvé une grosse taupe sur qui m’entraîner ! »

Et il se jeta une nouvelle fois sur sa frangine, les envoyant tous deux rouler dans la poussière.

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L’action de Nedge provoqua une roulade et, ni l’un ni l’autre n’ayant envie de céder, ils se battirent tant bien que mal jusqu’à ce que leurs galipettes soient stoppées par une des racines du baobab qui dépassait du sol. Sahale s’y cogna la tête, émettant un petit cri de douleur, et son grand frère s’en voulut immédiatement. Certes, ce n’était pas bien grave, mais il avait toujours un pincement au cœur quand l’un des siens se blessait malencontreusement dans leurs jeux – et, connaissant les quatre fripouilles, de tels incidents n’étaient pas rares.

Allait-il pour autant s’avouer vaincu et libérer Sahale de son emprise ? Ah ça non ! Il connaissait assez sa frangine pour savoir que ce petit problème ne la ferait nullement stopper la partie. S’il s’était agi de Sora ou de Tahora, Nedge aurait sûrement arrêté là le jeu, mais Sahale était hargneuse, déterminée et maligne. Avec elle, il devait se méfier ! Ainsi, il tint bon quand elle se débattit pour se libérer, et ne la laissa pas s’échapper.

« Bon, tu m'as battu cette fois, mais tu peux me lâcher maintenant ?! »

Il eut un petit sourire satisfait et mesquin, très fier d’avoir battu sa jeune sœur. Mais l’avait-il définitivement vaincue ? Il ne lui faisait pas assez confiance pour croire à sa reddition – c’était bien trop facile ! Et Sahale ne laissait jamais quiconque s’en sortir avec facilité. Lui offrant un sourire moqueur, il campa sur ses positions – et donc, sur elle.

« Même pas en rêve ! »

Mais elle le connaissait autant qu’il la connaissait. Bien vite, elle trouva une nouvelle tactique et tâcha de détourner son attention. Intrigué, Nedge suivit son regard et, rabattant la tête en arrière, observa le sommet du grand arbre.

« Tu crois qu'il y a quelqu'un ou quelque chose qui vit là-haut, dans l'arbre ? Ou que quelqu'un a déjà réussi à y grimper ? »

La curiosité intellectuelle de Nedge était piquée au vif. Ses rêveries également, et il perdit toute concentration sur la bagarre. Ses pattes sur le poitrail de Sahale se firent plus légères tandis que son esprit carburait à vive allure, émettant mille et une hypothèses sur les questions qu’avait soulevées sa cadette. En effet, le baobab était plein de mystères, et il s’étonnait lui-même de ne pas y avoir songé plus tôt.

Mais le fil de ses pensées se retrouva très vite perturbé – voire carrément interrompu – quand Sahale profita de cette occasion rêvée pour prendre le dessus. Elle avait réussi son coup, la fourbe !

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D’un coup, il se sentit basculer sur le côté. Il ne comprit que trop tard qu’il avait été trompé et n’eut pas le temps de réagir : déjà, il se retrouvait dos à terre, avec une Sahale victorieuse trônant fièrement au-dessus de lui. Il fronça les sourcils et fit une petite moue boudeuse, pas très content de s’être laissé avoir aussi facilement.

« Et bien me voici au-dessus de toi maintenant. J'crois bien que j'ai gagné cette fois ! »

Oh ! Elle osa lui tirer la langue, en plus ! Il eut envie de lui donner un coup de patte au museau pour lui apprendre les bonnes manières, mais se résigna : d’accord, elle avait gagné, il devait bien l’admettre. Enfin… ils étaient à ex-aequo, hein ! Match nul. Au final, aucun des deux n’avait réellement vaincu l’autre.

Elle se laissa choir sur le côté, se positionnant elle aussi sur le dos pour observer les nuages. Nedge ne bougea pas, reprenant doucement son souffle, les yeux rivés sur le bleu sombre du ciel. Mais sa frangine attira à nouveau son attention, le faisant se concentrer sur les grandes feuilles vertes de l’arbre géant.

« Mais, dis-moi Nedgy, à ton avis, y a quoi en haut ? »

Ses yeux vairons scrutèrent le feuillage avec attention, espérant y découvrir un mouvement suspect ou un bout de pelage qui répondrait à leurs questionnements… mais ce fut en vain, car rien d’autre que le vent ne fit frémir la cime du baobab ce jour-là. Pensif, il tourna la tête vers sa sœurette pour découvrir qu’elle le regardait déjà. Leurs regards se croisèrent, et il lut dans celui de Sahale toute l’attente et l’espoir d’un lionceau curieux qui voulait la réponse à la grande question sur la vie, l’univers et le reste.

Il déglutit une fois, comprenant que c’était l’instant ou jamais de prouver qu’il était un bon grand frère sur qui on pouvait compter. Ne pas avoir de réponse serait comme une trahison, il ne pouvait s’y résoudre ! Affichant un sourire plein d’assurance, il reporta son attention sur l’arbre et en pointa le sommet du bout de la patte.

« Ce sont les esprits. Tu vois, les Grands Esprits dans les étoiles ? Des fois, ils se rapprochent un peu plus de nous pour nous parler, et là ils sont dans le baobab. C’est pour ça que tous les clans se sont réunis pour en faire leur quartier général. Il est très très important, le baobab ! »

Heureusement que son imagination était toujours aussi active… Il n’empêche, dans l’esprit d’un jeune enfant, ça se tenait : pour quel autre motif les Pridelanders, Mositus, Hyènes et Rebelles Freelanders, tous rescapés pour des raisons différentes, se seraient-ils réunis sous un même symbole ? Comment Kumpa savait-il qu’il était de temps de repartir en guerre, et que cette fois, ils allaient gagner à coup sûr comme le répétaient sans cesse tous les adultes ? Les esprits lui avaient forcément parlé, c’était obligé !

Il roula sur le côté pour se coucher sur le ventre et observa sa sœur avec enthousiasme. Il venait tout juste de reprendre assez de forces pour une nouvelle partie de jeu…

« Tu veux qu’on essaie d’aller les voir ? »

Il parlait doucement, chuchotant presque, et avec un air mutin – comme s’il lui proposait là la bêtise du siècle. Il se doutait bien que les adultes ne seraient pas très contents de tomber sur deux garnements s’échinant à escalader l’arbre qui leur servait à tous de refuge…

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Sahale semblait très emballée par sa proposition.
Tout content d’avoir trouvé une idée intéressante, le lionceau se leva à sa suite, un grand sourire sur les babines. Des étincelles au fond des yeux, il était prêt à s’amuser comme un fou, loin qu’il était de ses troubles habituels.

« Oh mais oui, trop bonne idée !!! »

Il se tourna vers le baobab et en observa l’écorce, se demandant comment ils pourraient y grimper. Elle semblait très lisse et n’offrait aucune prise – il avait beau se creuser la cervelle, il n’arrivait pas à trouver un moyen de s’y agripper… Mais, de toute façon, l’escalade n’était plus à l’ordre du jour : des troubles-fête venait d’arriver…

Nedge regarda les trois lionceaux inconnus d’un œil inquiet, se rapprochant imperceptiblement de sa sœur. Tout ça ne lui disait rien qui vaille : il était clair que ces trois-là ne leur voulaient pas que du bien. Ils ne s’approchèrent cependant pas de trop près – la posture hargneuse de Sahale y étant sûrement pour quelque chose – mais ne se gênèrent pas pour autant de les reluquer comme s’il s’était agi de monstres.

Le jeune Pridelander n’aimait pas cette façon qu’ils avaient de les regarder, sa frangine et lui. Il connaissait ces regards depuis bien longtemps mais il ne parvenait pas à s’y faire. A chaque fois, ça le rendait terriblement mal à l’aise, et il se ratatina un peu sur lui-même. Il espérait de tout son cœur que ces garnements s’en aillent, mais le sort en décida autrement : voici qu’ils commençaient à chuchoter entre eux. Leurs paroles étaient viles et malsaines, uniquement destinées à faire du mal et à se moquer. Ils parlaient assez fort pour se faire entendre de leurs victimes, et Nedge baissa pitoyablement les yeux quand ils évoquèrent leur étrange particularité. Il était prêt à encaisser les coups et à attendre sagement qu’ils se lassent et partent – Sahale, elle, n’était absolument pas du même avis. Effaré, il la vit foncer sur le premier des lionceaux, apparemment le leader du trio, et le gifler d’un coup de patte entraîné, avant de revenir vers lui d’un bond agile.

« Le premier qui reparle de la monstruosité des yeux d'mon frère, il va perdre un oeil histoire de voir ce que ça fait d'être différent ! »

Il sursauta. Il ne s’était pas attendu à ce que sa sœur le défende de la sorte, et il se sentit tout honteux. N’était-ce pas lui qui était censé la protéger ? N’aurait-il pas dû frapper le premier, défendre leur honneur ? Non, la violence ne résolvait jamais rien. Mais il était trop tard pour reculer maintenant, les trois débiles n’allaient pas laisser passer un tel affront. Et Sahale non plus.

« Nous au moins, on est sûr que personne ne nous ressemble, bande d'idiots ! Aller, v'nez vous battre, si vous avez du courage ! J'suis sûre qu'à moi seule j'vous rétame tous les trois ! »

Oh non ! Tout mais pas ça ! Il essaya de se rapprocher d’elle pour la calmer, lui dire que tout cela ne servait à rien, mais elle le repoussa vers l’arrière. Elle devait déjà savoir ce qu’il allait lui dire, et il risquait de lui mettre la honte en la rabrouant ainsi devant leurs adversaires… Car les trois imbéciles étaient bel et bien devenus des ennemis. Se remettant de la gifle qu’il avait reçue, le petit chef lança un regard noir à la femelle pour lui cracher d’un air mauvais :

« T’es qu’une sale traîtresse : la preuve ! D’où t’attaques ton clan ? J’savais que t’étais qu’un monstre ! »

Les choses ne faisaient que s’envenimer, et le pauvre Nedge ne pouvait rien y faire. Paralysé par la crainte et l’incertitude, il doutait grandement du comportement qu’il devait adopter. Devait-il agir en bon grand frère et se battre aux côtés de sa sœur, ou agir en bon Pridelander et éviter à tout prix la violence ?

« On peut pas leur faire confiance t’façon, j’suis sûr qu’ils sont du côté des Nyeusis ! »

Voilà qui allait vraiment énerver Sahale… Voilà, c’était fini. La guerre était lancée. Nedge ne pouvait plus l’éviter, alors autant essayer de défendre sa sœur. C’était comme jouer, non ? Il lui suffirait juste de sortir les griffes, cette fois-ci… Il déglutit difficilement et observa, avec fatalité, le combat commencer.

« On va vous montrer que c’est les Pridelanders les plus forts, bande de monstres ! »

Il parlait comme si les petits de Nawapa ne faisaient pas partie du clan… Mais Nedge n’eut pas le temps de s’en attrister : le leader poussa une espèce de miaulement-rugissement minable avant de se jeter, avec l’un de ses acolytes, sur Sahale. Le troisième en profita pour s’attaquer à Nedge, qui avait l’air tout faible avec son air soumis.

Les cinq lionceaux roulaient dans la poussière comme des enragés. Tout ça n’avait plus rien d’un jeu… Nedge faisait tout son possible pour rejoindre sa sœur et l’aider face à ses deux adversaires, mais le sien l’en empêchait. D’abord réticent à l’idée de frapper, il ne retint plus ses coups quand il sentit les griffes de l’imbécile déchirer la peau de son épaule. Une fureur qu’on ne lui connaissait pas s’empara alors de son esprit, et le lionceau retourna coup pour coup. Les crocs découverts, les griffes tailladant la chair, il laissait les gènes parler. On lui reprochait d’être trop Nyeusis ? Oh, mais il allait leur montrer à quel point il était Nyeusis ! A cet instant précis, il se sentit terriblement fier de l’héritage de son père. Il était grand, il était massif, il était fort.

Il allait les réduire en bouillie.

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Les coups pleuvaient.
Nedge entendait vaguement Sahale rugir des provocations à l’égard de ses adversaires mais, perdu dans une rage folle, il ne lui prêtait plus aucune attention. Il frappait, griffait, mordait du mieux qu’il pouvait. Peu entraîné aux techniques de combat, il comptait simplement sur la force brute, et assénait des coups comme s’il maniait une masse. Le lionceau qui l’avait attaqué avait du mal à suivre, le retournement de veste de Nedge l’ayant apparemment assez déstabilisé. Comment ce petit ange, cette victime qu’ils pouvaient toujours insulter sans qu’elle ne réagisse, avait pu se transformer en ce monstre qu’ils ne cessaient d’invoquer par leurs moqueries ?

Nedge ne remarqua même pas quand le combat cessa. Il continuait à se battre avec acharnement, jusqu’à ce que le petit chef de bande rappelle son ami, qui s’empressa de le rejoindre pour fuir le petit beige. Essoufflé, Nedge respirait comme un buffle, bien campé sur ses quatre pattes. Les trois petits partirent, et ce n’est que là qu’il vit que l’un d’eux avait l’air sérieusement sonné.

« Quand mes parents sauront ça, ils en parleront au roi et il bannira ces monstres ! »

Il étouffa un grondement et les regarda partir avec une haine qu’on ne lui connaissait pas. Sahale accourut alors à ses côtés, et il reprit ses esprits. Redevenant le doux et gentil Nedge, il constata avec soulagement qu’elle n’avait pas l’air blessée. Bien sûr, elle avait l’air d’avoir perdu quelques poils et y avait gagné quelques égratignures, mais rien de bien grave – lui-même devait sans doute être dans le même état. A part sa blessure à l’épaule qui était plus profonde que les autres, tout allait bien.
D’ailleurs, Sahale remarqua sa plaie. Elle vint s’en occuper à l’aide de légers coups de langue, et le mâle se crispa sous l’effet de la douleur. Il ne souffrait pas tant que ça, mais Nedge avait toujours été très douillet, et la blessure piquait.

« Ça va ? Il ne t'a pas trop fait de mal le troisième ? »

Elle se blottit contre son épaule, et il répondit sans hésitation à son affection en se mettant doucement à ronronner. Après toute cette violence, cette douceur lui faisait beaucoup de bien. Un câlin était décidément la solution à bien des problèmes – surtout au rejet que subissaient les deux petits. Au moins, ils n’étaient pas tout à fait seuls : ils s’avaient l’un l’autre, et c’était le plus important.

« Ne t’inquiète pas, ça va… »

C’était surtout son cœur qui souffrait, à vrai dire. Mais il ne voulait surtout pas que sa famille se fasse du souci pour lui, et il espérait que leur maman ne soit pas au courant de l’accident du jour… même si c’était peu probable. Tôt ou tard, Nawapa apprendrait ce qu’il s’était passé, surtout que les trois autres leur avaient clairement dit qu’ils allaient tout balancer aux adultes. Nedge ne craignait pas d’être puni – sa mère le connaissait assez bien pour savoir que s’il s’était battu, c’est qu’il n’avait pas eu le choix. Quant à Sahale, eh bien, il la défendrait. Mais Nawapa allait se faire un sang d’encre en se rendant compte que ses enfants n’étaient pas encore bien intégrés dans le clan… Le petit mâle poussa un soupir las.

« J’espère que ça va pas nous retomber dessus… »

Il se laissa doucement glisser au sol pour finir couché, et emporta sa sœur avec lui. Le câlin n’était pas terminé, et Nedge avait encore grand besoin d’affection.

« Merci de m’avoir défendu… fit-il d’une toute petite voix. Je t’aime, sœurette, termina-t-il en lui adressant un timide sourire. »

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