Elle se tenait là, droite et souriante. L’enfant l’accueilli avec un grand sourire. Il vint se frotter tendrement à elle, comme une étreinte volée. Il se montrait peu affectif avec sa mère face au public, mais dans l’intimité de la vallée il se laissait aller à coeur joie à ces débordements. Bien qu’il grandisse, il aurait toujours Kuzali dans son coeur, et celle ci aurait toujours la première place. De plus, il voulait lui prouver que malgré son absence de ces derniers temps, il ne l’oubliait pas. Le petit avait rencontrer bien du monde les mois passés et sa mère avait été tenue écartée de tout ça. Il ne lui avait pas raconté ses péripéties et était hésitant à lui faire partager. Il s’était posé beaucoup de questions sur son père et les Nyeusis, des questions peut être mal placées… Puis, en plus de ça, il avait eut le malheur de tomber sur Kumpa un après-midi, un après-midi où il avait été peu enclin à abdiquer… A cette pensée il dégluti.

Kumpa lui avait-il parlé ? Si oui, il allait se faire enguirlander, et si il ne l’avait pas encore fait, Sadaka ne se voilait pas la face, il le ferait bientôt. Ne valait-il pas mieux être honnête d’entrée et éviter les propos rapportés ? Ce Prince avait, en plus, une influence que le petit avait en horreur sur sa mère. Qui sait ce qu’il était prêt à raconter pour éloigner encore plus le lionceau de Kuzali ? Il avait confiance en la lionne mais, de part sa confession sur l’amour qu’elle portait à Kumpa, il se disait qu’il ne pouvait pas tout comprendre en elle. C’était très frustrant pour lui d’avoir à remettre le lien qu’il avait avec elle en doute à cause de… l’amour.

« Bonjour. »

Allait-il se lancer ? Il le fallait bien…

« As tu vu Kumpa ces derniers temps ? » On se mouille mais pas trop. Sadaka n’était pas le genre à prendre des pincettes. Il n’avait pas de pudeur à dire ce qu’il pensait - en général en tout cas. Mais là c’était délicat. Il s’agissait de ne pas la froisser, en tout cas pas trop violemment. Il avait agit en Prince avec sa mère, se montrant tolérant lorsqu’elle lui avait appris pour son nouveau compagnon. Mais cela ne voulait pas dire qu’il avait digéré et Kumpa en avait payé les frais. Cependant, il n’en avait pas discuté avec sa mère et il savait très bien que ce retournement de situation allait lui faire de la peine.

De toute façon, le mal était fait, autant crever l’abcès.

L’amour était un terrain trop inconnu pour l’enfant, il ne pouvait pas en saisir les subtilités. Kuzali était loin d’être soumise aux dires de Kumpa, ça le petit le savait, il connaissait sa mère. Mais on ne pouvait nier que, pour lui, elle était prête à beaucoup de choses… des choses que Sadaka ne cautionnait pas. L’amour c’est donc ça ?

Sa mère n’était pas dupe et démasqua l’enfant dès les premiers instants. Il fallait admettre que sa question n’avait rien de banale et avait dut mettre la puce à l’oreille de sa mère, car, dans son attitude, rien ne trahissait l’angoisse. En grandissant le petit avait de plus en plus d’aisance à dissimuler ses émotions, à l’exception des grandes colères. Lorsqu’il était énervé, il perdait assez vite le contrôle et Kumpa en avait fait l’expérience. D’ailleurs, en parlant du loup, voilà qu’il devait donner une réponse à la lionne qui, soit dit en passant, ne semblait pas du tout au courant de leur rencontre passée. Tant mieux, cela éviterait à Sadaka de se faire remonter les bretelles pour n’avoir rien dit. Il soupira cependant, un peu déçu qu’une fois de plus leur conversation tourne autour du roi aux yeux azur… Après, cette fois ci, c’était sa faute, c’était lui qui avait mit le sujet sur le tapis, il n’avait qu’à en vouloir à lui même.

« Oh je pensais que tu en avais peut être discuté avec Kumpa… Je l’ai croisé l’autre jour… il te cherchait… »

Cela amenait vite ce qui allai suivre. Kuzali savait que son fils n’avait qu’une considération moindre pour son amant, la finalité de leur rencontre était plus évidente. Cela dit, rien de plus naturel pour elle que d’espérer autre et c’est ce qui peinait le plus le lionceau de suie. Il baissa les oreilles, un peu penaud de la tristesse qu’il allait engendrer chez sa mère.

« Ecoute maman je suis désolé par avance. Ce que tu vas entendre ne vas pas te plaire mais décidément je n’arrive pas à me faire à lui… » C’était très dur pour lui de l’avouer à Kuzali. Il lui avait promis de faire des efforts quant à cette idylle mais c’était plus fort que lui, il n’y arrivait pas. A la simple pensée du grand lion il frissonnait. Bien que tout les arguments du mâle à l’égard de la guerre n’étaient pas tous à mettre de côté l’aversion qu’il avait pour lui l’empêchait d’entendre.

« Disons que nous nous sommes un peu… fâché. » Il avait honte d’avoir à avouer qu’il avait été plus qu’odieux avec son futur beau père et qu’il lui avait, également, fait comprendre qu’il n’était pas le bienvenu dans la famille. C’était si dur d’être face à deux être pour qui les sentiments étaient si éloignés : d’un côté Kuzali pour qui il donnerait tout jusqu’à sa vie, et de l’autre Kumpa, qu’il verrait mieux au fond d’un fossé ou tué par son propre père qu’à deux mètres de lui. Mais n’était-ce pas ça le fond même du petit Sadaka ? Un paradoxe à lui seul, rongé par un tiraillement permanent…

Kuzali semblait pessimiste quant aux dires de son fils et ses mots résonnaient avec une musique nouvelle. Elle paraissait abdiquer et baisser les bras quant à la position de son fils par rapport à son nouveau compagnon. C’était étrange, l’enfant n’avait pas envisagé sa mère si fataliste. A croire que la fièvre amenée par son fils ainsi que part Kumpa avait gagné la lionne également. Le lionceau faisait le gros yeux, un peu retourné par le comportement de la femelle dorée. Pourquoi celle ci n’essayait pas, comme à son habitude, de voir le côté positif des choses et d’essayer d’arranger tout ça. Kuzali était-elle fatiguée du comportement de son fils ? Le coeur de Sadaka était lourd de questions et la peur qui grandissait en lui ne faisait que s’accentuer de part le déterminisme de sa mère à son égard.

Non, elle n’abandonna pas de si tôt - au plus grand plaisir du lionceau. Elle voulait savoir. Il en avait déjà parlé à beaucoup, mais pas elle. Pas encore. Il avait voulu jauger. Au fil de ses conversations il avait vu les choses à taire et celles à confier. Cependant, il s’agissait tout de même là de sa mère, et elle venait d’être claire : honnête. Celle ci fixait son fils, posant son doux regard soleil dans le sien, comme deux échos les yeux des deux félins se répondaient, se comprenaient tant leur ressemblance les unissait.

Alors il allait parler. Parler pour que Kuzali comprenne.

« Ce que je n’aime pas chez lui maman c’est ce qu’il représente. Un nouvelle vie dont je ne fais plus partie… » C’était très dur de dire ça à la lionne dorée. Il avait été plus ou moins maitre de lui même - hormis devant Kumpa - lorsqu’il avait parlé de tout ça par le passé. Là c’était prenant, sa gorge se serait, comme étranglé par les évidences de l’avenir. Il déglutit avant de reprendre.

« Un nouveau logis, une nouvelle terre, une nouvelle famille, un nouveau père… C’est beaucoup maman. Ca ne sera plus jamais toi et moi ici, maintenant ça sera Kuzali, Kumpa, frères et soeur, puis… Sadaka. » Oui il osait même déjà parler des frères et soeurs potentiels. Comme déjà évoqué, le beau-fils Nyeusis en seul héritier… Non, ça ne semblait pas être une perspective envisageable.

« Vous allez ensemble vous construire une nouvelle vie, une vie plus paisible, plus simple. Je ne suis pas paisible, je ne suis pas simple. Je ne m’entend pas avec lui et cette mésentente ne nous rapprochera pas maman, et tu ne sacrifiera jamais Kumpa pour moi… » Avant ça aurait été le cas, il le savait, maintenant il voyait sa mère et l’amour que lui procurait le pridelander en faisait une lionne paisible, une lionne heureuse.

« Ces enfants que tu auras avec le roi, ils seront des enfants de l’amour… alors que moi je ne suis que le fruit… d’un viol. » Annonça-t-il comme une sentence, sortie de nulle part. Cependant les larmes ne coulaient pas. Ses yeux s'étaient perdus dans le lointain, espérant y trouver une accroche, un soutien.

Sa mère le fusilla du regard après ces derniers mots. Sadaka s’en mordit la lèvre inférieur. Il avait un peu dit ça pour la titiller, lui faire comprendre en tout cas que tout ça le remuait, ça avait marché, trop même. Il faisait profil bas quand celle-ci ouvrit la gueule. Lui qui s’attendait à un sacré sermon se trouva, une fois de plus, complètement désemparé par les mots de sa mère. Sacrifice, ça il le savait, mais le cadeau, le don, non. L’avait-il juste oublié ou avait-il simplement préférer n’entendre que le premier ? Sacrifice, c’était plus facile, c’était le premier sens, même Akhet n’avait relevé que celui-ci lors de leur première rencontre. C’était peut être aussi le sens duquel Sadaka se sentait le plus proche, en tout cas souvent. Il n’y avait que face à sa mère et Rono qu’il se sentait profondément un cadeau. Kuzali n’avait pas terminé et elle se tenait toujours froide et droite.

Il aurait aimé pouvoir lui dire qu’elle devait laisser tomber le Pridelander. Bien sur, mais jamais il ne reviendrait sur ses mots. Les désirs de sa mère passaient avant les siens, et si il devait être triste un temps pour elle, alors il le serait. Il ne voulait juste pas qu’elle souffre à cause du mâle au pelage soleil. Bien que son ton était sec et son regard poignant, la lionne fit monter les larmes aux yeux du lionceau. Elle lui pointaient des vérités, des vérités qu’il avait voulu penser mouvantes, malléables. Il avait juste eu besoin de l’entendre d’elle, la lionne de sa vie, sa mère. A ses côtés, il y serait, et ça pour toujours. Qu’importe l’endroit… Il aurait juste besoin d’aide, besoin d’elle, afin de pouvoir la suivre dignement, tout comme elle aurait besoin de lui pour être présent. Ces deux là faisait la pair et cette effusion lui faisait des fourmis dans le ventre. Il s’en voulait tant d’avoir douter d’elle, d’avoir remit tout en cause, et surtout l’amour qu’elle lui portait. Il s’en mordait les pattes maintenant, mais, ça avait du bon. Elle lui avait remit les idées au clair et les larmes coulaient à présent en abondance sur les joues sombre du jeune félin. Il renifla un peu mais ne bougeait pas.

« Excuse moi maman, excuse moi, j’avais peur, puis tu sais ces derniers temps on ne s’est pas beaucoup vu puis… » Il balbutiait un peu, gauche et ému. « Oh qu’est-ce que je m’en veux d’avoir douter de toi maman, je serais toujours là pour toi, et je t’aime tellement que ça me rendait malade d’avoir ces idées noires. Je crois que j’avais juste besoin d’entendre ça de ta propre bouche. » A force de parler l’émotion prenait le dessus et les larmes s’amplifiaient, ponctuant ses phrases de petits hoquets frénétiques.

« Je ne laisserait plus personne me faire flancher par rapport à toi, à moi, à nous. J’ai beau avoir des doutes ailleurs, toi je n’en ai jamais eu et ça ne changera pas, j’ai confiance. Ca me rend malade de m’être moi-même retourné le cerveau comme ça… j’ai juste eu peur, oh oui si peur… » Les sanglots prirent alors le pas sur tout et Sadaka se retrouva incapable de continuer. Il ne savait même pas si il pleurait de tristesse, d’énervement, de joie ou de soulagement. Surement un bon mélange. Ca faisait maintenant des semaines qu’il avait apprit pour Mopanga, pour sa mère et Kumpa, la période de digestion avait été douloureuse et fatiguante, en un simple échange avec sa mère elle venait de mettre le point final sur beaucoup de questions que le petit se posait et ça lui faisait un bien fou.

Epuisé il se jeta alors dans les pattes de sa mère, se blottissant contre son poitrail chaud. « Je t’aime maman. » réussit-il à articuler en guise de conclusion.