Il faisait chaud sur le grand baobab aujourd'hui. Cela faisait déjà quelques temps que je me promenais nonchalamment, foulant le sol brûlant de la savane tandis que le soleil cuisait sur mon pelage. Je n'avais étonnement pas soif. Je rêvais, et j'avais le sentiment que mes pattes auraient pu me mener au bout du monde, sans que cela ne m'épuise jamais. En fait, mon corps me paraissait être en apesanteur, je me sentais léger... Très léger. Si léger que j'aurais pu m'envoler. Hors du temps en quelque sorte.

Les couleurs ressortaient, et j'aimais ces éclats qui réveillaient en moi une sérénité que je ne ressentais hélas, que trop rarement. Tout semblait paisible... En fait j'étais bien, mais mon cœur était en partie pincé par une voix qui me rappelait que ma place n'était pas ici, mais en Prideland. Penser que les Nyeusis occupaient actuellement notre royaume éveilla des frissons glacés de dégout dans tout mon être. J'eus une affreuse grimace de haine envers ce clan. Ils étaient juste des cauchemars vivants... Nous devions faire en sorte qu'ils ne soient plus... Vivants.

Nous cohabitions avec les Mositus sur la Lande des Sans-Terre. Étais-ce donc tout ce que nous étions vraiment ? Des « sans-terre » ? C'était si... Si péjoratif. Dire ça, c'était se sentir bien seul, sans personne, sans rien. Sans terre au final. Nom cruel mais pourtant si juste, qui résumait la situation à la perfection. Je ne détestais pas particulièrement les Mositus, et je ne les aimais pas particulièrement non plus. En fait je ne les connaissais pas énormément donc je ne pouvais guère formuler d'avis, de préférence, d'opinion ou quoi que ce soit de ce genre les concernant. Je n'en pensais rien, et du moment où nous pouvions vivre côte à côte sans craindre pour nos vies, cela me suffisait. De toute manière j'étais bien trop distant pour déranger qui que ce soit.

Hummm, connaître les Mositus hein ? Pourquoi pas après tout ? Mais la particularité de ma personnalité qui aimait se poser mille et une questions avant de vivre les choses se réveilla. Et si je n'abordais pas un lion très aimable, cela ne me donnerait-il pas un sentiment général de mépris envers ce clan ? Rooo Damu ! Allez, vis les choses, évolue ! (comme les pokémon  ). Mais qui voudrait bien discuter avec moi ? Je risquais juste d'importuner l'un de mes confrères félins dans un moment de tranquillité qu'il ou qu'elle chérissait non ?

Tout ce que je faisais en attendant, c'était tourner inlassablement en rond, en soupirant. Et même cela ne m'épuisa pas le moins du monde. Même le ciel que j'aimais contempler ne m'était d'aucun secours. Il me fallait bien trouver quelque chose à faire pour ne pas avoir de réflexion qui me donnerait mal au crâne... Pourquoi est-ce que personne n'était là pour m'apaiser ?

Au lieu de penser à faire des rencontres alors que je n'avais vraisemblablement aucune capacité dans ce domaine, pourquoi ne pas tout simplement explorer notre nouvel endroit ? Bonne idée ! Il devait forcément y avoir des recoins que je n'avais pas vu... Passionnant Damu, passionnant... Allez en avant !

Je commence donc par... Le Baobab tiens, puisque je m'y trouve... Il est temps d'inspecter les endroits même les plus reculés, les plus dangereux... Les plus dangereux ? Mais euh, est-ce que cela n'était pas un peu risqué ? Bon, là je pense, il vaut mieux avoir confiance en mon... D'accord, je ne sais pas trop en quoi avoir confiance mais je pense toujours ! Marche Damu, marche. Une deux, trois quatre, les pattes postérieures suivent les antérieures...

Baissant mon nez au sol, je flaire les odeurs. Hum, beaucoup de senteurs qui flottent et que je ne connais pas. Des effluves qui se mélangent, se perdent, s'envolent, disparaissent... Pridelanders, Mositus, des clans aux milles odeurs qui cohabitaient, et se mixaient dans l'air lourd qui nous encerclait. Mais l'odeur des Mositus devenait de plus en plus forte au fur et à mesure que je détaillais ce que je percevais.

Je redresse la tête, inspectant toujours, perdu dans ma concentration. Quand soudain... Mes yeux tombent prunelles à prunelles avec deux autres yeux, bleus. Oups, il semblerait que je sois truffe à truffe avec une lionne inconnue...

Je sursaute, et tout ce que je trouve à dire c'est :


- Euh... Euh... Je... C'est que... Euh...

Mes yeux ambrés tournent dans mes orbites, comme s'ils cherchaient une réponse ailleurs. Mais oui Damu, tout est écrit sur le dos d'un lézard volant...

Je déglutis et ajoute sur une petite voix :


- Je peux tout expliquer....

Allons Damu reprend-toi ! Je me racle la gorge, mon côté timide l'a bien embrayé on dirait. Plus sûr de moi (enfin, je parais plus sur de moi), je reprend :


- Excusez-moi de vous avoir dérangé je... En fait je... J'étais concentré à inspecter les alentours. Mais je vais m'éloigner, pardonnez ma maladresse. Cela ne se reproduira plus.

Spoiler:

Mon interlocutrice, celle que j'avais importunée, me considéra étrangement, tandis qu'elle penchait la tête des deux côtés pour me dévisager sous tous les angles. D'où pouvait bien venir cet inconnu si étrange qui bégayait et venait tout juste de la chambouler dans un moment si paisible de sa journée ? Eh bien c'était moi, Damu... Haut les cœurs... Youpee... Pourquoi fallait-il toujours que ça tombe sur moi et jamais sur un autre lion ?

Je regardais la lionne, en retrait tout de même. Je m'étais déjà permis de perturber sa sérénité, je n'allais pas en plus m'octroyer l'audace de la toiser irrespectueusement. Elle avait de belles couleurs et je ne me souvenais pas l'avoir déjà vue avant... Elle se cachait donc souvent dans des recoins un peu reculés du reste du monde ? Un peu comme moi... C'était ce que je me demandais... Après, je me retrouvais tellement seul et je croisais tellement de lions, qu'il était fort possible que je ne me souvienne pas d'elle. Mais j'avais beau chercher jusqu'au fin fond de ma mémoire, elle ne me disait rien. Mes yeux se posaient sur elle pour la première fois.


- C-C'est vrai vous êtes sûre ? Hum hum... Soulagé dans ce cas, si je vous ai amusé plus qu'agacé, très chère...

J'effectuais une révérence soignée, en guise d'excuse et pour appuyer le respect que je lui témoignais. Il n'était pas bon de s'attirer les foudres des autres. Je ne les fréquentais déjà pas tant, alors les rares fois où cela se produisait, il serait dommage que les situations ne soient pas des plus amicales...

La voix de la lionne était calme et rassurante. Elle me détendit et m'apaisa. Je remerciai silencieusement les rois du passé de ne pas être tombé sur une féline agressive, car j'étais en tort et cela aurait pu bien mal se terminer pour moi... Mais là, elle m'invita, à ma grande surprise, à m'asseoir et se présenta comme étant du clan des Mositus.


- Mositu vous dites ? Cela tombe fort bien, je cherchais à en rencontrer justement.

Je n'avais pu m'empêcher de l'avouer, et j'ajoutai, inquiet :


- Vous êtes sûre de vouloir m'inviter à m'asseoir en vôtre compagnie ? Moi qui pensais que vous voudriez me chasser comme un malpropre pour reprendre cette journée en paix. Cela aurait été tout à votre honneur, et sachez que j'aurais compris cette réaction...

Je dis cela en m'asseyant auprès d'elle. Un peu à distance tout de même, pour ne pas l'encombrer davantage. Tout en prenant place, je laissai échapper :


- Asahi... Ce nom vous va à ravir. Il est plutôt doux à l'oreille...

Je m'étais montré assez intrusif comme ça. J'ajoutai en m'inclinant à nouveau :


- Eh bien Asahi, je m'excuse encore de voler de votre précieux temps... Je vous serai infiniment reconnaissant de votre hospitalité, et si vous voulez que je m'éclipse, surtout faites-le moi savoir. Vous êtes perspicace et avez visé juste, je suis Pridelander, et je me nomme Damu. Enchanté très chère de vous rencontrer, même si les conditions auraient pu être toutes autres...

Asahi m'avoua a demi-mot qu'elle commençait à se sentir seule. Elle avait pris place assise tout comme moi, et je ne pu m'empêcher d'avoir un sourire nostalgique :


- Si vous saviez comme je le suis...

Je remarquai que le compliment fait sur son nom eut au moins l'effet de lui faire plaisir. Peut-être l'avais-je quelque peu embarrassée. Elle me remercia et à l'entente de mon nom, j'observai sa réaction. Savait-elle que j'étais le frère du futur roi ? Non visiblement... Elle sembla réfléchir quelques instants, mais son visage ne s'éclaira pas, comme il aurait pu s'éclairer en reconnaissant un confrère dont le nom nous était familier.

Je lui rendis son sourire, et perdis un instant mes yeux ailleurs. C'était ainsi, je ne pouvais pas soutenir le regard d'un autre félin plus de quelques secondes...

Elle releva clairement ma courtoisie et ma politesse. Je la respectais comme on m'avait toujours appris à le faire. Je n'étais pas vraiment en position de lui témoigner une quelconque rancœur, contrairement elle, et puis de toute manière, je n'en avais aucune envie.


- Eh bien... Il le faut vous savez, lorsque l'on est prince...

La patte qui torturait le sol s'arrêta à l'entente de son rire. Je dressai les oreilles pour l'écouter un instant. Nous étions tous deux seuls visiblement, et elle s'était elle aussi écartée de la vie qui continuait son court... Avec ou sans nous.

C'est cruel quand on y pense. Que l'on soit là ou pas, malade ou pas, mourant ou en pleine forme, la vie avançait, indifférente à nos tracas, à nos joies, nos sourires, nos peines... Nos quotidiens, à tout un chacun... Elle s'en fichait, tout cela lui était bien égal... Elle elle avançait. Tant mieux si nous arrivions à la suivre. Dans le cas contraire, d'autres seraient là pour pleurer sur notre sort, l'espace d'un temps toujours trop court...


- Eh bien, à vrai dire... Je suis assez solitaire, c'est une habitude que j'ai prise. Une... Une très mauvaise habitude. J'explorais juste les recoins qui m'entouraient pour me familiariser avec ce lieu, et sans doute... Pour passer le temps. Je voulais rencontrer un membre du clan Mositu mais comme j'avais peur d'être intrusif, j'ai préféré changer d'occupation. Hum... Il semblerait pourtant que le destin en ait décidé autrement.

J'eus un rire retenu. Oui c'est vrai, non désireux d'importuner, je l'avais pourtant bel et bien fait, alors que mon exploration ne promettait pas du tout ce genre de rebondissement. M'enfin, il y a parfois de ces rebondissements que l'on ne saurait regretter. Ma rencontre avec Asahi en faisait-elle partie ?

Asahi sembla un peu surprise d'apprendre que Kumpa était mon frère, j'eus un autre sourire gêné tandis qu'elle reprenait le plus simplement du monde quelqu'une de mes paroles.


- C'est exact, Kumpa est mon jumeau... Je comprends qu'on ne le remarque pas au premier coup d’œil. Nous... Nous sommes très différents.

Je soupirai silencieusement. Asahi ajouta que je n'étais pas seul. Ces mots là déclenchèrent un rire jovial de ma part, faisant tomber mon masque de timidité, tandis que je m'esclaffais joyeusement, en souriant :


- Vous non plus vous n'êtes plus solitaire dans ce cas ! Enfin pour le moment. Il faudra bien que je m'en retourne.

La lionne répliqua que nous pourrions nous revoir. Je restai bouche bée un moment. La stupéfaction me coupa toute envie de répondre durant de longues secondes qui se perdaient chacune en éternité. Une éternité si courte...

Me revoir... Aucun lion n'en avait vraiment eu l'envie. C'était plutôt mon aîné que l'on aimait revoir, parce qu'il occupait une grande place et avait des responsabilités toutes aussi conséquentes que son rang. Moi je décorais un peu aux yeux des autres. J'étais là mais je ne servais à rien. En tout cas, c'était la situation actuelle. Alors me revoir... Nous avions si peu échangé, et je n'avais pas vraiment la conversation agréable...


- V-Vous... Se revoir ?

J'étais abasourdi. En fait c'était comme si le baobab entier s'était écroulé sur ma tête. Peut-être même que si c'était ce qui arriverait, cela m’assommerait moins que ces mots.

Je décidai tout de même de me reprendre, parce que je devais avoir l'air d'un sacré drôle d'oiseau avec ma gueule ouverte et mes yeux ambrés ronds comme des billes. Je me raclai la gorge, me redressai et repris donc, comme si je n'avais jamais été dans un pareil état :


- Se revoir vous dites ? Je pense qu'au vu de notre rencontre un peu houleuse, placée sous le signe du destin... Ou parce que les rois du passé avaient envie de s'amuser.... Je pense que je vous dois bien ça. Si ça vous fait plaisir...

Aïe aïe aïe Damu... Tu es un orateur plutôt performant, mais pour ce qui était de parler aux lionnes, il faudrait encore tout t'apprendre. Et encore, tu aurais pu te dire que ce n'était qu'éphémère, parce que ça l'était... Mais Asahi tenait visiblement à te donner un autre rendez-vous.

Dans ma tête, je songeai, là où personne n'aurait pu l'entendre. J'exprimai intérieurement mes doutes, parce que la jeune Mositu venait de me troubler plus qu'elle n'aurait pu le penser en prononçant une phrase qui, à la base, semblait si simple et innocente.


« Se revoir... Serait-ce... Un rendez-vous ? »

Cette question tournait en rond dans ma tête. Question silencieuse, mais qui résonnait inlassablement sous les parois de mon crâne. Décidément Damu, c'est fou ce qu'un rien peut causer chez toi...

La voir sourire me donna l'envie de faire de même, bien que mon regard demeurait empli d'un embarras non négligeable. Pourquoi étais-je donc dans un état qui me semblait si similaire à tous ceux que j'avais déjà ressentis, mais pourtant très différent de ces derniers ? C'était étrange... J'avais la sensation d'avoir éprouvé cent fois cette timidité, mais elle était si... Si unique... Il y avait un petit quelque chose en plus qui la rendait plus intense. Malheureusement je n'aurais su dire ce que c'était, mais ça me faisait me sentir si bien...

Ma charmante interlocutrice... Que dis-je ? Voilà que je la qualifiais de charmante ? Hum... Je secouai un instant la tête en la détaillant rapidement pour la dixième fois. C'est vrai que cet adjectif lui correspondait fort bien... M'enfin, Damu, ne nous emballons pas. Pour en revenir à nos lionceaux... Charmante, lionceaux... N'y avait-il que moi pour faire un lien entre ces deux termes ? Apparemment oui.

Ma charmante interlocutrice disais-je, pencha une fois encore la tête sur le côté. Elle était si mystérieuse, si amusante lorsqu'elle faisait cela, que ce geste ne me lassa pas le moins du monde. J'écoutais un instant de plus ses douces paroles qui me rappelaient que j'étais unique, et confirmaient donc ma différence avec Kumpa. Ah la la... Asahi, ça pour être unique, ce n'était pas peu dire.

Mon air hébété lui provoqua un rire, et je ne su pas si je devais m'en vouloir de lui avoir arraché une mélodie que mes félines oreilles ne méritaient peut-être pas d'entendre et qui berçait une part de moi que je ne savais pas enfouie si profondément en mon être, ou si je devais profiter de ce frisson agréable qui me parcourait lorsqu'elle témoignait d'un peu de joie, de sérénité ou d'un autre sentiment qui me rendait sa compagnie plus merveilleuse encore...

La femelle évoqua ensuite le destin. Deux mots, un être invisible que je ne savais toujours pas comment considérer.. Le destin. Si c'était lui qui avait provoqué cette rencontre, et non ma regrettable idiotie, alors je ne pouvais que l'en remercier. Asahi était loin d'être l'une de ces lionnes enragées qui vous agresse sitôt que vous la bousculez quelque peu, et se rend ensuite compte que vous occupez un rang qui n'est pas à ignorer... Mais je n'aimais pas que l'on se donne un mal fou à fournir quelques efforts dans le but d'avoir une personnalité qui ne nous convienait pas, sous le simple prétexte du respect de la hiérarchie... Asahi s'était montrée telle qu'elle était, et c'était sans doute cela qui me la faisait apprécier.


- Eh bien Asahi, cette rencontre fut forte en enrichissements, mais je crains de n'avoir pas encore assez volé de votre temps pour satisfaire ma chère curiosité. J'aimerais encore vous poser tant de questions et en apprendre tellement plus sur vous et votre clan... Mais la voix qui me pince le cœur me rappelle que cela ne sera qu'une raison de plus pour vous revoir, si vous en partagez l'envie.

Kumpa allait s'inquiéter de ne plus m'avoir vu durant quelques temps. Nous n'étions pas loin, mais cachés toutefois... Il était temps que j'aille apparaître sous leurs yeux, tel un magicien de l'ombre, pour donner implicitement de mes nouvelles et prouver que tout va bien de mon côté, avant que quiconque donne l'alerte de ma longue disparition, qui, de mon point de vue, n'avait été que trop courte... Beaucoup trop courte.

Je m'inclinai royalement, soignant ma dernière révérence et achevai sur un ton solennel :


- Merci pour cette journée, et pour cette brève, mais délectable conversation. Je ne vous en serai jamais suffisamment reconnaissant.

Je tournai un instant la tête, à l'entente d'une lionne clamant mon nom. Mon absence leur avait donc été si interminable ?


- Vivement que nous recroisions, Asahi. Je me languis déjà de te revoir.

Je partis ensuite, en m'assurant de le faire avec toute la politesse que l'on m'avait inculquée, et plus loin, je fus pris d'un doute... C'est que, dans mon empressement...

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