Le regard vide, j'observais l'horizon et cette promesse de liberté qui semblait s'être évanouie. Rien ne s'était déroulé selon mes plans et je me retrouvais dépourvue d'espoir. Je pensais naïvement avoir traversé le pire mais tout cela ne semblait être que chimère. J'étais brisée. Comment pourrais-je faire face à Uhucha après une telle tragédie ? Il ne me le pardonnerait jamais... Je m'étais rendu indigne de son amour en laissant un autre me souillé et pourtant ô combien je ressentais le besoin de me blottir contre lui dans l'espoir que tout cela se révèle être un affreux cauchemar. Tout était aller de travers et jamais je n'aurais cru devoir payer un tel prix. Les rares moments où je croisais Mopanga, ce dernier ne m'accordait que des regards emplis de haine et ne se gênait pas pour me cracher son dégoût au visage. Sa rancune n'avait d'égale que sa colère. Je l'avais déçue mais lui avait fait bien pire. Comme je regrettais ces sentiments que j'avais développé à son égard...

Non loin de là, le regard méprisant de Mopango m'observait. Plus que jamais depuis ma tentative de fuite, les Nyeusis me surveillaient en permanence. Tout mes privilèges s'étaient envolés et l'on me traitait avec un mépris non dissimulés pourtant, ce déversement de haine ne m'affectait pas plus que ça. J'avais déjà tout perdu et le monde qui m'entourait devenait peu à peu insignifiant. Jamais on ne m'avait fait subir un tel déshonneur. Comment avait-il pu oser... Je craignais que cette union non-consentie aboutisse à la naissance de lionceaux, il était hors de question que je donne naissance aux enfants de ce démon. Malkia m'avait fait part de son inquiétude à mon sujet... elle me trouvait pâle et amaigrie. Tout comme ces lions noirs, j'étais devenue une ombre. L'ombre de moi-même.

Des pas se firent finalement entendre et je détourna mon regard de la savane pour voir s'approcher ce rejeton des Nyeusis dénommé Kigeni. Prisonnière au même titre que Malkia, je n'étais plus autorisée à me rendre seule dans la savane. Si j'étais autorisé à quitter la grotte pour aller m'abreuver, il était sous condition que je sois accompagnée. Terminé le temps où je pouvais errer à ma guise, leur regard ne me lâchait plus. A l'arrivée du plus jeune des Nyeusis, Mopango disparut lentement dans l'ombre du rocher considérant son travail terminé. D'un pas las, je pris les devants et sans attendre le disciple de Mobaya, je fis marche vers l'étang. Leur présence me rendait malade aussi prenais-je soin de maintenir une certaine distance. Malgré l'humiliation subie, mes pas restaient dignes. Je ne voulais pas que Mopanga sache à quel point il m'avait brisée... mais malgré mes efforts, cela était vain. Mon éclat d'autrefois avait cessé et je marchais la tête pendante, rongée par l’amertume. Jamais l'éclat du jour ne m'avait paru si amer.

Je sentais le diable prendre ma suite mais continuer de fixer l'horizon, nauséeuse à l'idée de croiser son regard. Tout ce que je souhaitais était d'étendre ma soif pour en finir et rentrer au plus vite. Rentrer... pouvais-je réellement penser de la sorte ? Ce n'était en rien mais mon foyer mais cette grotte était toujours plaisante que son infâme compagnie.

Brisant ce silence que j'espérais éternel, le mâle m'interpella d'une voix neutre, presque grave. Claquant ma langue entre mes crocs, je lui lançais un regard par-dessus mes épaules ondulantes sous ma marche. Allais-je devoir supporter ces remarques sans intérêt jusqu'à temps que nous soyons rentrés ? Autant couper les ailes du démon avant que ce dernier ne s'enflamme. Il n'était pas responsable de mon humiliation mais n'allait pas tarder à s'apporter les foudres de ma colère.

« As-tu déjà vu un mort marcher et respirer, sombre fou ?! Et ne me fais pas rire, que sais-tu de la vie d'abord ? Toi et les Nyeusis ne semez que chaos et malheur autours de vous. » grondais-je, le regard perçant.

Mon honneur avait peut-être bafoué mais ma langue pendue n'avait pas encore été coupée. Il n'avait pas peut-être pas tort mais jamais je ne lui donnerais raison. Je ne m'avouerai pas encore vaincue et ma récente conversation avec Nawapa m'avait redonner du poil de la bête. Brisée, humiliée, découragée mais morte, pas encore.

« Quand bien même une âme charitable est prête à t'aimer, tu te joues d'elle. » lâchais-je avec amertume.

Je ne considérais pas Nawapa comme une amie mais j'appréciais cette lionne et savoir que ce lion participait à son malheur m'agaçait. L'amour pouvait sauver les âmes vouées à la destruction et les ramener sur le bon chemin mais Kigeni méritait-il seulement une rédemption ? Je l'ignorais bien que n'étant pas favorable à cette idée mais tant qu'il accompagnerait les Nyeusis, il ne serait voué qu'aux ténèbres et indigne de la lumière que lui offrait la jeune lionne.

Malgré cette colère qui bouillonnait, je continuais de marcher la tête haute sans même me délecter des expressions du lion. Je n'étais pas ici pour me battre mais pour me désaltérer aussi vite que possible. Pourtant qu'il ne se méprenne pas : s'il m'attaquait, je répondrais. Ce lion n'était pas Mopanga et je ne le craignais pas autant que le Nyeusis, il n'était qu'un gamin qui tentait d'imiter ses aînés sans percevoir son ridicule.

Basculant la tête par dessus mon épaule, je jetais un regard de mépris au lion avant de continuer ma marche, silencieuse. Sous prétexte que monsieur était un protégé des Nyeusis, il se créait une fausse personne et jouer les durs mais à regarder ses traits de plus près, ce n'était encore qu'un jeune lion tout juste sorti de l'adolescence. A cet âge on était facilement manipulé et surtout très arrogant, Kigeni n'échappait pas à cette règle. Bien que murée dans mon silence, je n'étais pas devenue sourde aussi entendais-je parfaitement les paroles du jeune lion. Je me demandais ce qui avait bien pu le pousser dans les pattes des Nyeusis, ce n'était pas une troupe anodine après tout...

Les yeux plissés, je soutenais le regard du mâle jusqu'à me pencher vers la surface de l'étang où je me perdis dans ma propre contemplation. Mes joues étaient creusées, mon pelage terne et derrière la colère qui animait actuellement mes pupilles, ce n'était que le vide. Je ne me retrouvais guère dans ce reflet que m'offrait la surface de l'eau, où était passé la lionne du soleil ? Frustrée mais surtout peinée, je fermais mes paupières pour m'abreuver, préférant ne pas faire face à mon pâle reflet. Mopanga devait bien rire de moi... Malgré mon amertume, l'eau fraîche semblait ranimer ma gorge restée trop longtemps déshydratée et je me sentais retrouver quelques forces. Assez pour revenir à l'assaut de ce geôlier improvisé...

« Et que penses-tu être maintenant ? » demandais-je finalement en m'écartant de la surface cristalline.

Les appuis solides malgré ma frêle apparence, je soutenais à nouveau le regard du mâle. Il n'était pas un Nyeusis et n'aspirait pas la même crainte, je ne voyais en lui qu'un jeune lion perdu qui se trompait éperdument en pensant avoir trouvé une famille mais ces lions ébènes ne pourraient jamais être ce que Kigeni attendait d'eux. Tout ce qu'ils pouvaient lui apporter n'étaient que ténèbres et damnation.

Sans doute en pleine introspection, le jeune mâle resta silencieux quelque temps. Je pouvais sentir ses neurones cogitaient dans sa tête et au moins avais-je la preuve qu'il n'était pas encore dénué de sa capacité à réfléchir seulement, il réfléchissait aux mauvaises choses ce qui conduisaient à de mauvaises actions. Sa réponse me laissait pensive.. Il semblait réaliser quel genre de lion il était devenu et pourtant, cela ne semblait pas l'inciter à changer de nouveau pour redevenir une personne meilleure si tant est qu'il l'est était un jour.

« Je suis restée la même lionne qu'avant, seulement blessée. » répondis-je d'un ton déterminé tandis que mon regard exprimait ma douleur. « Cela ne me conduira pas pour autant vers l'Ombre comme le fut ton choix. »

On m'avait enlevé mon honneur en me privant de ma vertu mais cela n'avait pas pourtant tué mon âme. Souillée certes mais pas morte. J'avais vécu d'autres drames par le passé et comme j'avais su me redresser, je marcherais à nouveau la tête haute. Il me faudrait simplement le temps nécessaire pour me reconstruire et apprendre à vivre avec cette souillure. Voilà ce que Nawapa m'avait rappelé.

Passant ma langue sur mes babines encore humidifiée par l'eau de l'étang, je plongeais de nouveau mon regard dans celui du partisan de l'Ombre. Je n'y avais jamais prête attention mais au-delà de ses diverses cicatrices, son corps semblait parsemé de rayures propres à une toute autre espèce. Cette tare génétique expliquait-elle son déficient mental qui avait pu le pousser dans un chemin si sombre et voué aux ténèbres ? Encore fallait-il qu'il existe une cause rationnelle à cela, ce lion pouvait tout aussi bien être fou.

« Pourquoi avoir suivi ces lions ? » demandais-je finalement sans signe d'agressivité dans la voix.

Je voulais simplement comprendre ce qui avait pu poussé le jeune lion dans une telle voie. Malgré mes pensées quelque peu aigries, je ne pouvais nier que Kigeni était doté d'intelligence. A vrai dire, il ne semblait absolument pas stupide alors pourquoi avoir fait un tel choix... Le mal devait-il nécessairement avoir une raison pour exister ou bien n'était-il là que pour s'opposer au bien ? C'était là une bien profonde réflexion qui nécessiterait plus de temps pour trouver une réponse si réponse il y avait.

La lionne dorée haussa légèrement un sourcil à l'entente des quelques mots du mercenaire qui la surprirent. Elle continuait de soutenir le regard émeraude du lion, s'attendant à y déceler une lueur d'ironie mais il n'en était rien. Il était sincère et c'était cela qui la troublait. En vue des événements récents, aucun Nyeusis n'aurait osé la qualifier d'un tel terme non, elle n'était plus qu'une traître à leur yeux, une menteuse qui s'était jouée de l'un des leurs et pourtant, Kigeni lui disait être forte. Pourquoi ne pas partager l'avis de ceux qu'il servait si fidèlement ? Peut-être les lions noirs ne l'avaient-ils pas encore arraché de sa propre réflexion.

Pour la première fois depuis qu'ils avaient quitté le rocher et la surveillance des lions sanguinaires, Kigeni laissa son regard coulé, comme accablé de ces songes dont lui seul avait le secret. Il affirmait détenir une dette de vie envers les Nyeusis, dette qui l'avait poussé à leur prêter allégement. Peut-être pensait-il être un lion d'honneur en remerciant les Nyeusis de cette vie qu'ils avaient daigné lui accorder mais servir ces lions de l'ombre n'était pas vivre et il n'y avait rien d'honorable dans ce chemin là. Néanmoins, malgré son désaccord certain, Kuzali pouvait concevoir cette dette dont le jeune mâle se sentait redevable, elle-même avait toujours pensé devoir sa survie à son mentor qui l'avait tiré des abysses dans lesquelles elle avait peu à peu plongé jusqu'à ce qu'un éclat chaleureux viennent l'en tirer. Pour Kuzali, cet éclat de lumière lui avait été apporté en la personne de Samekh qui avait grandement participé à faire d'elle la lionne qu'elle était aujourd'hui, si ce n'était même qui l'avait créer de toute pièce. Son Créateur vénéré, sa seconde figure paternelle, ce frère qu'elle avait perdu puis retrouvé, cet ami qui l'avait mainte fois épauler et ce mentor qui l'avait éduqué. Il était un tout pour elle, un tout dont elle ne saurait se passer. Kigeni ressentait-il une telle chose à l'égard des Nyeusis ? Kuzali se permettait d'en douter.

« … et alors ? Penses-tu vivre à leur côté ? Penses-tu que servir des assassins et répandre le chaos ainsi que la terreur est une bonne façon d'honorer le présage qu'est la vie ? » lui demanda-t-elle la voix calme mais le regard puissant. « Je ne connais pas ton histoire Kigeni, je ne sais pas quel lion tu es mais si tu penses que cette vie que tu mènes est digne d'être vécu, tu te trompes. »

Ce rictus à la fois neutre et paisible qui étirait ses babines n'était pas le sourire d'un démon né, il devait y avoir plus sous cette carapace de muscles et de cicatrices. Les reproches de la lionne n'étaient en rien une sanction ni même une condamnation, elle n'avait pas pu tiré Mopanga des ténèbres dans lesquels il s'était enfoui mais peut-être était-il encore temps pour le mercenaire.

« Tu es aimé d'une lionne Kigeni, ne penses-tu pas que ce serait-là une autre façon de mener ta vie ? Tu as suffisamment servi les Nyeusis et tu as payé ta dette de vie en leur en offrant d'autres. Ne confond pas dette et assujettissement. »

Bien que brisée, elle tentait de maintenir une apparence digne pour donner plus de force à ses propos. Sa force de jadis n'était plus mais peut-être reviendrait-elle avec le temps, rien n'était jamais perdu, pas même sa vie et son espoir.

Code d'honneur ou folie, n'avait-il pas continué à les suivre car il ne trouvait sa place qu'auprès de ces monstres ? Mais à trop côtoyer le mal, on finit par s'habituer à sa noirceur pour lentement la laisser venir s'éprendre de notre âme. Kigeni se trompait, les Nyeusis ne lui avaient pas fait don de la vie, simplement offert une seconde chance et sa dette de vie lui semblait si grande qu'il lui était impossible de se défaire d'eux.

« On peut mener sa vie à un but plus grand, qui dépasse notre propre personne, on peut choisir d'agir pour autrui et tenter de rendre leur vie meilleur en agissant dans leur intérêt. Loin du chaos et de la mort, on peut choisir de se battre pour le bonheur et la vie. »

Que se souviendrait-il au moment de sa mort, serait-il contenté des choses qu'il avaient vécu et des choix qu'il avait fait ? Pourrait-il mourir un sourire aux babines, sans regret apparent ? Si Kigeni et Kuzali s'étaient rencontrés plus tôt, avant tout ces événements, peut-être leur relation aurait été différente. L'ancienne Kuzali, rongée par la colère et la peine n'aurait pas tenu ce genre discours non, elle aurait davantage rejoint l'avis du jeune mâle pour partager avec lui une vision sombre et sanguinolente de la vie mais désormais entouré des siens, de ces lions qui avaient su lui redonner confiance en la vie, en l'amitié, parfois même en l'amour et surtout en elle-même, Kuzali était devenue une lionne nouvelle et de ce renouveau était né le désir de changer les choses.

Une fois de plus, la lionne créait un parallèle entre Samekh et les Nyeusis. Individuellement, ils n'avaient rien de comparables mais séparés et rattachés à leur rejeton respectif, ils devenaient semblables. D'une autre façon qu'en l'arrachant aux griffes de la mort, Samekh avait sauvé Kuzali de sa vie de désespoir, il lui avait donné un but, une éducation et une nouvelle manière de penser bien plus pointilleuse. Plus qu'un sauveur et un mentor, il avait été son Créateur. Ce lien qui les unissait était indéfinissable mais aussi incassable. Le jour où la mort viendrait prendre Samekh, elle emporterait également avec elle une partie de la lionne dorée. Cet événement marquerait le début de la fin, elle le savait car sans lui, rien ne serait plus pareil.

Kigeni semblait surpris des propos de la lionne dorée, n'avait-il donc pas su lire l'amour dans le regard de cette lionne qu'il avait pourtant enfanter ? Elle aurait pu rire face à sa naïveté si son cœur avait été empli de plus de joie.

« Trop tard, tu dis ? Non, tu es le seul à décider de cela. Il y a différent type de rédemption mais l'une d'elle est la croyance qu'une transformation par l'amour est toujours possible, et qu'il y a donc quelque chose qui peut être repris, relevé, sauvé. Mais crois-tu seulement en l'amour, Kigeni ? C'est une chose que les Nyeusis ne pourront jamais t'apporter. »

Quand bien même brisée et affaiblie, Kuzali n'oubliait pas l'amour que lui portait ses proches, peu importe qu'ils soient séparés par une longue distance ou une prison de roche, ils étaient avec elle. Ces liens qu'elle avait tissé avec eux était aujourd'hui la seule et dernière force qui lui permettait de s'accrocher. Désormais si loin de lui et ignorante de son avenir proche, Kuzali regrettait amèrement de ne pas avoir prévenu Samekh de cette mission périlleuse dans laquelle elle s'était embarquée. Pensait-elle mourir ? Non, cela ne semblait pas être les intentions de ses bourreaux mais alors qu'étaient-elles ? Les chiots étaient indispensables pour garder une patte ferme sur les hyènes et la détention de la reine de Prideland leur assurait un atout indispensable mais et pour toutes ces autres lionnes sans valeur dont Kuzali ? Leur sort restait indéterminé et sans espoir, l'ancienne princesse se laissait aller à la fatalité du sort, doutant même peu à peu de revoir ses proches.

Samekh... son regard se perdit quelques instants vers l'horizon, au-delà de la savane vers les terres environnantes. Avait-elle commise une terrible erreur en venant ici ? Kuzali était venue chercher le bonheur d'un ami mais elle se retrouvait privé de son honneur et d'espoir. N'était-ce pas là une constatation terrible d'un échec ?

Il disait avoir autrefois connu l'amour, la lionne dorée ne remettait pas ses paroles en doutes mais s'il l'avait en effet connu, il semblait l'avoir oublié. Si ce démon avait un jour eu un cœur pour aimer, il ne pouvait être fait que de ténèbres car dans ce cas présent, on en oubliait toute signification de que signifiait aimer or, le regard trouble de Kigeni témoignait de son non-indifférence à ce terme. Des souvenirs semblaient lui revenir mais étaient-ils assez fort pour l'éloigner de son vice ? Kuzali ne tenait pas le fauve en haute estime en raison de son affiliation avec les Nyeusis mais cette seule conversation en sa compagnie lui avait permis de poser un regard différent sur lui. Peut-être n'était-il pas juste ce qu'il laissait paraître et qu'au final, tous deux se ressemblaient plus qu'ils n'y paraissaient car à ne pas s'y méprendre, Kigeni semblait lui aussi brisé. Par quoi, cela Kuzali l'ignorait mais il y avait bel et bien des blessures invisibles à l’œil nu qui rongeaient le lion cendré.

« L'amour est la plus belle des rédemptions. Tu dis l'avoir connu autrefois, tu n'as donc qu'à t'en souvenir... Un tel sentiment n'est jamais perdu, seulement enfoui. »

Son attitude confiante et hautaine semblait flancher, comme s'il était confus et doutait de ses choix. Kuzali s'en voulait de s'être montrée si dure avec lui car désormais, son image du lion avait changé et elle commençait à le percevoir comme un jeune adulte perdu dans ses choix et ignorant face au chemin à suivre. Rendu ainsi confus, Kigeni ne lui inspirait plus aucun dégoût mais de la peine, comme un enfant qui avait été arraché à sa famille puis plongé dans un univers de noirceur qu'il n'avait jamais demandé. Une solitude pointée d'amertume.

D'une voix plus naïve à laquelle il l'avait habitué, Kigeni l'interrogea sur ses songes tandis que la lionne dorée décrochait son regard de l'horizon pour en revenir à l'instant présent. L'ombre d'un sourire se dessina sur ses babines avant de soupirer, lasse et pensive. Maintenant que l'espoir l'avait quitté, elle regrettait amèrement de ne pas avoir mis Samekh dans la confidence. La simple idée de ne jamais le revoir la terrorisait. S'accrochait-il autant à son image qu'elle le faisait ? De nouveau, ses iris dorées contemplèrent au-delà des frontières et la lionne aimait s'imaginer que dans la contrée voisine, Samekh lui aussi portait son regard vers Prideland dans l'espoir de la retrouver.

« Mon regard se porte là où des lions m'attendent : l'un à qui j'ai fais une promesse, un autre qui a ramené la lumière dans mon cœur et un qui a donné un but à mon existence. Tous trois m'attendent mais j'ignore si je pourrais un jour les revoir. » confia-t-elle la voix basse avant d'admettre dans un demi-souffle : « Ils me manquent. »

Kumpa. Rono. Samekh. Elle ne les oubliait pas, eux seuls lui permettaient de tenir le coup. Elle voulait les retrouver, être à leurs côtés comme si rien de tout cela n'était arrivé... Kuzali voulait rentrer chez elle, auprès des siens.

Se détachant lentement de l'horizon, son regard ambré se dirigea vers le mercenaire tandis que ses paroles résonnaient étrangement dans ses tympans. Il semblait différent, comme si une mince fissure avait laissé de côté sa carapace de lion sournois et ses mots semblaient même apporter un certain réconfort à la femelle. Elle l'observait, interdite, ne sachant trop quoi penser. Qui était réellement Kigeni ? Les mots restaient coincés dans sa gorge mais fort heureusement, le mâle n'en avait fini et lui souffla des paroles d'espoir. Ses yeux se plissèrent légèrement tandis qu'une expression de tristesse assombrissait ses traits. De l'espoir, lui disait-il... Ces quelques mots auraient pu autrefois encourager la lionne mais désormais, ils sonnaient creux à ses oreilles.

« J'ai tenté de les rejoindre, j'ai tenté d'honorer ma promesse mais j'ai échoué. Cette brise d'espoir que tu sembles vouloir m'apporter, elle ne peut que m'effleurer. Mopanga a détruit toutes mes espérances en même temps que je lui ai brisé le cœur. Ce mal qu'il m'a causé... c'est moi qui l'ai provoqué. »

Elle aurait voulu croire de nouveau et garder espoir comme lui soufflait le mâle mais jamais la lumière du jour ne lui avait paru si sombre. Elle n'était plus qu'une enveloppe, tantôt vide, tantôt animée par les souvenirs d'une vie passée. Sortirait-elle un jour de cet enfer ? Elle n'y croyait plus. Sa piètre tentative d'évasion avait également blessé Makeo, elle ne voulait pas les autres souffrir pour ses erreurs. C'était douloureux. Le regard à nouveau porté vers l'au-delà des frontières, ses pensées voguer entre son mentor et son précieux ami. Elle aurait tant aimé les voir, pouvoir sentir leur présence rassurante et protectrice pour finalement les entendre dire que tout irait bien. Les paupières clauses, elle se ressassait quelques souvenirs en leur compagnie. Les souvenirs... c'était tout ce qui lui permettait de tenir le coup.

A nouveau, la voix suave du mâle rompit le silence et Kuzali l'observa longuement, pesant ses paroles. Pourquoi ce choix ? Elle ne comprenait pas. Il subirai des représailles à coup sûr alors pourquoi choisir de fermer les yeux sur cette hypothèse de fuite ? De toute manière, il était bien le seul à songer à une nouvelle évasion, Kuzali avait cesser d'y croire depuis un moment. Elle soupira, secouant négativement la tête. Il était vain de construire un tel scénario futur, les Nyeusis étaient plus que jamais sur leur garde et la lionne avait perdu de sa force, elle n'était plus que l'ombre d'elle-même.

A son grand étonnement, Kigeni l'interrogea sur ses terres natales. Un peu surprise, la lionne cligna des paupières avant de prendre la demande en compte. Pouvait-elle encore prétendre être des leurs ? Non, cela avait cessé dès le jour de son exil mais, à jamais son cœur battra comme celui d'une lionne du soleil. Les Nyeusis ne pourront jamais lui enlevé cela, rien ni personne ne le pourrait. C'était la seule certitude qui lui restait.

« Des Terres du Soleil. » répondit-elle d'une voix plus forte qu'elle ne l'aurait cru. « C'est... c'est un endroit très beau et agréable. La légende dit que c'est la première terre à être touchée par les rayons de l'astre, d'où notre pelage doré. C'est un endroit magnifique. »

Sans même s'en apercevoir, Kuzali s'était éloignée de sa situation actuelle dès l'instant où les souvenirs avaient pris le dessus sur le présent. C'était son seul moyen d'évasion mais sans doute les lions du Soleil seraient offusqués de voir une enfant de la lumière au cœur si sombre et perdu dans l'obscurité. Elle était une honte pour eux mais cette offense avait pris place dès l'heure où l'ancienne princesse avait perdu son honneur. Il n'y avait pas pire humiliation pour eux et de ce fait, Kuzali se sentait rejeté des siens, comme si on l'avait arraché à ce seul souvenir paisible d'enfance. Tout ce qu'elle avait été, ce qu'elle devenait, on le lui arrachait à chaque fois. Pourquoi le sort avait-il décidé de s'acharner autant sur elle ? Elle était perdue, brisée et terriblement seule.

Un soupir, des regrets puis une pensée.

« Si, comme tu le dis, un jour le vent me porte dans son sillage, ne voudrais-tu pas te joindre à moi ? » proposa-t-elle, la voix abîmée. « Je ne sais pas grand chose de toi mais tu n'as pas l'air d'ici, n'as-tu pas une terre à retrouver ou une famille quelque part qui t'attend ? Je refuse de croire que les Nyeusis soient ta seule option. Tu n'es pas mauvais Kigeni, tu n'es pas comme eux. »

Enfant de l'Ombre et enfant de la Lumière, ils n'étaient pas si différents.

L'espoir perdu, il était difficile de trouver sens à la vie car il n'y avait plus d'avenir pour celui qui ne croyait plus en rien. Ils n'étaient plus que fantômes et se retrouvaient étrangement compagnons dans leur solitude. Deux mondes, deux histoires, une même peine. Les terres d'ombres, lieu de naissance du jeune lion qu'il décrivait poussiéreuse, sombre et gorgée de ténèbres. Elle ignorait qu'il existait une telle contrée mais le contraste était marquant et pour une enfant du Soleil, cet endroit sonnait comme une punition. L'animosité qu'elle avait un temps éprouvé à l'égard du mercenaire s'évanouit, dès lors qu'elle prenait conscience des diverses souffrances qu'il avait connu dans sa vie. Un incendie marquant la fin d'une ère et la survie d'un seul : Kigeni. Son récit n'était guère ponctué d'émotion ou même d'hésitation, le mâle restait égal à lui même : froid et détaché. On aurait presque pu le penser étranger à ce récit mais cette flamme qui brillait dans son regard ne mentait pas, c'était bel et bien son histoire.

Elle l'observait, silencieuse tandis que son regard ne se détachait pas du sien. Elle songeait à Mopanga. Avait-il lui aussi connu un passé aussi sanglant que celui du mercenaire qui expliquait sa chute dans les ténèbres ? Ce genre de lion naissait-il condamné ou bien était-ce le cycle de la vie qui l'avait poussé dans les abysses sombres auxquelles il s'était voué ? Kuzali avait bel et bien aperçu une lumière en le Nyeusis mais, elle n'avait pas été assez forte pour le tirer de sa cage. Au lieu de cela, elle ne l'avait que poussé plus loin dans ses retranchements et l'avait à son tour condamné. Un autre échec pour la lionne mais dont il lui était impossible de parler. Ce bourreau n'était que le fruit de ses mensonges et de ses manipulations. Elle avait voulu aider d'autres mais pour ce faire, elle s'était joué de lui. Elle n'avait fait que mentir et n'avait pas su être honnête avec ses propres sentiments, des sentiments qu'elle n'acceptait pas mais ces braises s'étaient estompées dès lors qu'elle en avait tué leur beauté en se montrant aussi fourbe que les Nyeusis eux-mêmes. Mopanga n'était pas le seul coupable dans cette histoire et Kuzali avait également sa part de responsabilité.

« Je suis désolée de l'apprendre. » dit-elle, la voix calme mais le regard sincère.

Ce soleil qu'elle aimait tant était pour lui un fléau, coupable de sa souffrance. C'était sa peine qui l'avait changé, la douleur de perdre les siens sans pouvoir agir pour inverser la balance. Il n'avait pas pu être acteur mais simplement spectateur, témoin de la mort des siens et de sa survie au cœur de ces ténèbres. Les flammes l'avaient épargné mais dans quel but ? Loin de voir cela comme une chance, Kigeni l'interprétait telle une malédiction. La lionne dorée soupira brièvement avant de reprendre :

« Ne penses-tu pas que Mère Nature t'a laissé vivre pour t'offrir une autre chance ? Ne laisse pas Prideland sombrer dans un destin similaire à celui de tes terres natales, ne laisse pas ce chaos se répandre... Tu peux encore trouver le chemin de la rédemption. Tu dis que tu n'as plus d'espoir, moi j'en ai pour toi. Ce jeune lion qui me fait face n'est ni un démon ni un fléau. Tu peux dévier ta route de ce chemin que tu penses être tout tracé, tu as encore le choix, la possibilité de choisir qui tu veux être, où tu souhaites mener ta vie et dans quel but. »

Peut-être inconsciemment souhaitait-elle venir en aide au jeune lion pour réparer sa faute envers Mopanga, peut-être pensait-elle que si elle n'avait pas pu tirer le Nyeusis des ténèbres, elle pouvait encore agir avec Kigeni. Peut-être. Qui allait vraiment le voir comme un démon, les autres ou lui-même ? On percevait de nous ce qu'on laissait entrevoir de notre personne et Kigeni avait fait le choix de ne montrer que son ombre pourtant, une parcelle de lumière persistait en lui et Kuzali la voyait. Il n'était pas damné, pas encore mais il serait s'il choisissait de ne pas agir en ce sens. Dans ces ténèbres auxquels il s'était voué, une lionne lui avait ouvert son cœur. La croyance en l'amour était une rédemption forte et possible, il n'avait qu'à tendre la patte pour saisir celle que lui tendait Nawapa et ainsi tenter sa chance mais en serait-il capable ? Lui même ne semblait pas y croire.

Kuzali avait aimé, plus d'une fois et ces souvenirs étaient aussi beaux que douloureux. Beau quand l'amour était là, qu'il l'avait enveloppé de sa douceur et chassé ses peurs mais douloureux quand il avait pris fin, dans la douleur et le chagrin. Jamais un amour était semblable à un autre, chaque histoire était unique mais quand bien même la peine engendré, elle ne regrettait rien. Elle pensait à Uhucha, son compagnon qui l'attendait au-delà des frontières. Tout comme elle avait fait avec Samekh, Kuzali était parti sans le lui dire. Il l'en aurait empêché. Peut-être aurait-elle du laisser faire. Maintenant, leur histoire était condamné. De par son éducation et ses principes, une lionne du soleil ne pouvait accepter de revenir auprès de son mâle quand son honneur lui avait été arraché. C'était inconcevable.

Elle redressa son regard doré vers le mâle. L'ombre du fléau... voilà ce qu'il pensait être. Ce lion n'avait plus aucune estime pour lui-même, il sentait étranger et à ses semblables et n'avait pensé trouvé de place qu'aux côtés des Nyeusis. Si quelqu'un l'avait pris sous son aile comme Samekh l'avait fait avec la lionne dorée, les choses auraient pu être différentes. Peut-être. Toutes ces réflexions reposaient sur des hypothèses bien que Kuzali aurait aimé y croire mais qu'en était-il d'elle, en quoi croyait-elle maintenant ? Elle était incapable d'y répondre.

« Ils auront peur de toi, c'est certain mais un blason peut toujours être redoré. Tout ce dont tu auras besoin pour passer outre et devenir quelqu'un d'autre, quelqu'un de meilleur, c'est des personnes qui croient en toi. Nawapa sera cette personne. Et moi aussi. »

Elle aurait aimé apporter de la chaleur à son regard mais tout en elle était gelée, sa passion comprise.

Un semblant de sourire mêlant divers sentiments étirait ses babines, lui donnant presque l’air d’un lion anodin. Quel aurait été sa vie sans l’interruption des Nyeusis ? Sans doute plus belle. Une vie heureuse qui lui aurait permis d’afficher cette mine plus souvent, qui aurait permis aux autres de voir que ce lion était capable de sourire de manière aussi naturelle et qu’il n’était pas un démon. Avec des hypothèses, on pouvait refaire tout un monde. La lionne soupirait doucement, laissant s’écouler un mince silence entre les deux lions. Son animosité pour Kigeni lui semblait si loin derrière… En une seule et simple discussion, le lion avait réussi a brisé l’image qu’elle avait de lui, laissant alors entrevoir un autre lion que celui qu’il semblait être. Un parallèle sans doute avec cette princesse exilée qui avait perdu foi en toute chose après avoir perdu son foyer.

« Tu connais Tahani ? » demandait la lionne, en écho à ses propos.

Elle était surprise. Voilà deux individus qu’elle n’aurait certainement pas imaginé ensemble. Elle sourit doucement. Voilà bien longtemps que l’ombre d’un sourire n’avait pas éclairé ses babines. Kuzali pensait à sa petite sœur de cœur qu’elle chérissait tant, ses amis, son mentor, son compagnon… Elle qui avait tant se retrouvait sans rien, isolée et brisée. Il lui semblait avoir tout perdu mais était-ce vraiment le cas ? Si elle parvenait à s’enfuir d’ici… Nouveau soupir. Il était dangereux de trop s’attacher à un rêve, la réalité n’en devenait que plus dure à accepter.

Son regard se tourna vers le priderock. Les Nyeusis… Sans doute était-il temps de rentrer, cette simple excursion pour ne pas laisser la lionne mourir de soif prenait trop de temps, elle craignait que les Nyeusis ne suspectent quelque chose. Ses prunelles dorées se plantèrent dans celles du mâle et l’espace d’un instant, elle se perdait dans son regard. Malgré ses apparences, son regard ne pouvait dissimuler sa peine. Un peu faiblement, elle se redressa et avança d’un pas en direction de sa prison. La tête basse, elle dit dans un murmure :

« Parfois, il suffit qu’une seule personne croit en nous pour raviver notre flamme… Rentrons maintenant, notre absence est anormalement prolongée. »

Bien qu’elle retournait à ses bourreaux et à son malheur, la lionne dorée se sentait moins accablée après cette discussion, comme si elle était moins seule. Kigeni n’était pas quelqu’un de bon mais il n’était pas non plus quelqu’un de mauvais, piégé dans une sorte d’entre deux. La balance était amovible, ignorant si elle devait plus pencher d’un côté ou de l’autre. Ce facteur décisif, ce serait à Kigeni lui-même de l’apporter par ses choix et par son cœur. Il pouvait effectivement choisir de suivre le chemin des Nyeusis comme il se pensait destiné à faire mais il pouvait aussi choisir d’être autre chose. Quoi ? C’était à lui de le trouver.


[HORSRPG: Merci pour ce très chouette RP, on bien fait de le reprendre ça a changé toute la donne ahah!]

[FIN. Merci à toi aussi, j'ai adoré On se revoit aux EVENTs ]