Les nouvelles étaient parvenus jusqu'aux oreilles de l'Empereur : une partie des Mositus était en marche pour le désert, animée par l'espoir fou de reconquérir leur ancienne terre qu'était l'Oasis oubliée, véritable point de paradis perdu au milieu d'un désert qui semblait infini. Espoir ou désillusion, Angani ignorait ce qui motivait leur pas mais elle pouvait néanmoins être certaine de l'issue de ce cheminement : leur mort. Ceux que le désert aurait la bonté d'épargner serait achevé par les Jangowas, seuls maîtres des dunes. C'était une fin inévitable mais au moins leurs corps reposeraient-ils non loin de leur précieuse terres si chères à leurs cœurs qu'elle les avait conduit à leur perte. Angani serait-elle également prête à mettre sa vie en jeu pour un désir si virulent de son âme ? Probablement mais encore lui fallait-il trouver ce désir en question. A vrai dire, la lionne de sable ne se préoccupait guère de l'arrivée prochaines des suicidaires, son esprit vogué à bien d'autres préoccupation.

Si pour le reste du clan, cela n'avait été qu'un autre voyage mais un autre repère, pour Angani, cela avait été bien plus. Une question existentielle s'était soulevée durant sa mission d'éclaireur en compagnie du fils du général : qui était-elle, quelle lionne se révélait être cette dénommée Angani ? D'un certain point de vue, la femelle s'en voulait d'avoir craqué face à Khassim mais de l'autre, elle ne pouvait nier qu'il avait été grand temps pour elle de soulever cette question d'identité et après tant d'années à se voiler la face, elle était finalement arrivée à ce point de remise en question mais, ce n'était que la moitié du chemin qui avait été parcouru. Trouverait-elle réponses à ses interrogations ou bien prendrait-elle peur devant l'impact qu'elles pouvaient avoir et se réfugierait-elle de nouveau derrière cet amas de protection et ce voile déposé sur sa personne ? Jamais de toute sa vie elle n'avait autant doutée et malgré l'amour que lui portait Vako, la lionne se sentait plus seule que jamais.

Son frère... parlons-en. Aussi inexplicable que cela pouvait lui paraître, Angani avait pris ses distances avec Vako et bien des lions s'étonnaient de ne plus voir l'Empereur précédé de son ombre vivante. Pourquoi un tel comportement ? Elle-même l'ignorait mais elle avait le pressentiment qu'en demeurant aux côtés de son frère comme elle l'avait toujours fait, il lui serait impossible de trouver réponses à ses questions. Pour la première fois, elle considérait ses sentiments amoureux comme un frein à son développement personnel. Il n'était pas question pour Angani de cesser de l'aimer mais elle voulait trouver sa propre place et savoir qui elle était vraiment pour ne pas s’étiqueter de ce statut de sœur de l'Empereur. Elle voulait être Angani, elle voulait être elle-même à savoir une lionne à part entière mais cette personne qu'elle recherchait, elle ignorait encore qui elle était vraiment et son long chemin en quête d'identité ne faisait que commencer.

Non seulement éloignée de son frère mais aussi du reste du clan, Angani vadrouillait seule dans le Champ Rocheux, là où elle savait qu'elle ne serait pas dérangée pour pouvoir ainsi se retrouver seule avec elle-même et son esprit embrumé. Isolée et à l'abri des regards, elle se permettait d'ôter son masque d'apparence pour laisser place à cette seule part de la lionne qui la constituait pour le moment, à savoir une jeune lionne sortant des bras de l'enfance et en quête d'identité.

Qui était-elle ? Cette question ne cessait de se retourner dans sa tête sans pour autant parvenir à une réponse cohérente.

L'air était lourd et la lionne peinait à recevoir une dose d'oxygène suffisante. Était-ce à cause de son trouble qu'il lui semblait soudainement si difficile d'être et de vivre ou bien la chaleur lui faisait-elle perdre ses esprits ? Sa respiration était haletante et les battements de son cœur martelaient sa poitrine avec une vigueur surprenante qu'elle ne connaissait pas. Ses pensées devenaient floues et incompréhensibles, elle n'arrivait plus à joindre les bouts et face à cette impuissance, un sentiment d'impuissance et d'agonie lui broyait les entrailles. Ses pas de plus en plus lourd ne semblaient plus avoir la force nécessaire pour la soutenir et la lionne s'écroula à même la terre rocailleuse, vaincue. Elle était satisfaite de savoir que personne ne la verrait dans telle position de faiblesse et pourtant, quelque part en elle, elle aurait aimé avoir quelqu'un à ses côtés, quelqu'un pour la soutenir sans la juger, pas un inconnu ni même un amant, quelqu'un qui serait simplement un ami... Comme en réponse à cette prière secrète qu'il exauça, le vent apporta à Angani l'effluve d'une lionne qui était la seule à pouvoir consoler la belle de ses maux.

La sœur de l'Empereur se redressa péniblement et épousseta son pelage sali tandis que la lionne s'approchait. Elle était un peu honteuse de se faire prendre dans une telle situation mais le vainqueur de cette étrange chasse au trésor n'était pas n'importe qui aussi pouvait-elle un peu laisser sa fierté de côté après tout, ce n'était pas sa plus grande préoccupation du moment. Son arrivée était douce que la brise du vent et comme si cela avait toujours été une évidence, Swayli se glissa aux côtés de son amie, caressant son pelage du sien. Leur étreinte n'était guère appuyée mais cela suffisait à Angani pour se sentir soutenir aussi se permettait-elle de se laisser un peu aller contre la lionne. Pourquoi et comment, elle l'ignorait mais Angani réalisait qu'elle pouvait laisser tomber les masques en compagnie de la femelle mais aussi qu'à ses côtés, elle serait soutenue et appréciée.

Un seul regard échangé avait suffit à la sang-mêlée pour percevoir le trouble de la lionne. Cette dernière n'avait pas prévu d'en parler à qui que ce soit, sa conversation avec Khassim lui ayant amplement suffit mais, elle n'avait trouvé aucun réconfort auprès du lion tandis que Swayli, elle, se proposait d'être l'oreille avertie dont Angani avait désespérément besoin. Un semblant de sourire si fragile se dessina sur les babines de la lionne tandis qu'elle posait délicatement sa tête contre l'épaule de son amie, puissant dans sa force et dans ce soutien qu'elle lui offrait si généreusement.

« Pourquoi avec toi je n'arrive pas à faire semblant... » murmura-t-elle, la tête enfouie contre le pelage de Swayli.

Elle avait toujours pensé que montrer ses émotions était signe de faiblesse mais Angani était arrivé un tel niveau de saturation qu'il n'était plus possible pour elle de mentir, pas quand une douce lumière venait l'éclairer malgré toute cette noirceur qu'il l'entourait. Un soupir las de la lionne vint chatouiller les poils rosés-crèmes de sa compère. Sa tempe ainsi poser contre le corps de son amie, la princesse des dunes pouvait percevoir les battements de son cœur anormalement rythmée : Swayli était tout autant perturbée qu'elle, quelque chose n'allait pas. Deux cœurs blessés étaient-ils capables de se soigner mutuellement ?

« Je suis perdue, Swayli. » confessa-t-elle, la voix basse. « J'ai enfin compris ces reproches que tu me faisais mais j'ignore comment soigner mon mal. Je ne suis personne, seulement connue des autres comme la sœur de l'Empereur mais qui est véritablement Angani ? Je n'ai pas de désir propre à ma personne, aucun rêve personnel ni même d'ambition qui ne toucherait pas au futur de Vako. Cette lionne que je vois à la surface de l'eau est incomplète et elle semble si vide.. »

Un nouveau soupir. Redressant son crâne, Angani se délogea de l'abri rassurant que lui avait offert le corps de son ami pour affronter son regard ambré. A bas les masques et les apparences, elle se révélait comme étant la simple lionne perdue et à la recherche d'identité qu'elle était.

« Je ne sais pas qui je suis. »

Tout comme Khassim auparavant, Swayli n'aurait probablement pas de réponse à cette question mais le simple fait de partager ses peines soulageait quelque peu la jeune lionne. Elle se sentait plus légère mais était-ce du à sa confession ou à la présence de son amie ? Elle n'avait pas réponse à cette question comme à bien d'autres mais si Angani pouvait au moins se vanter de connaître une vérité, c'était bien qu'elle ne voulait que Swayli parte.

Pensive, l'esprit ailleurs, Swayli lui confiait que personne ne savait qui il était réellement. Angani aurait aimé connaître les pensées de son amie tant son regard était empli de songes. Son visage était impassible, presque dur et d'une certaine façon, cela confortait Angani. Elle savait que son amie était forte et lorsqu'elle-même ne l'était plus, Swayli prenait le relais pourtant en ce jour étrangement maussade, les deux lionnes semblaient aussi perdues l'une que l'autre. Angani avait bien vite perçue que son amie était également troublée mais pour l'heure, Swayli prenait soin de dissimulée son trouble pour consoler la jeune lionne. Angani sourit doucement, d'un rictus presque invisible, touchée de cette attention.

La lionne rosée lui conseillait de montrer son vrai visage mais quel était-il ? Angani était un peu perdue mais ne décrochait pas pour autant les paroles de son ami qu'elle écoutait avec grande attention. Être ce qu'elle voulait vraiment être, se comporter de la manière qui la faisait se sentir bien... Serait-ce sa nouvelle doctrine que venait de lui formuler sa précieuse et unique amie ? Angani resta pensive un moment, réfléchissant à comment elle pourrait bien appliquer cette formule. Ce qu'elle voulait être, dans le fond, c'était être indépendante et ne pas se poser mille et une questions avant d'agir. La spontanéité, voilà ce qui lui manquait, Angani avait toujours été un peu trop sage... Elle tinta des oreilles aux derniers mots de la lionne puis redressa son regard, laissant s'écouler un court instant de silence avant de répondre :

« Autrefois, je pensais être heureuse ainsi mais je me suis rendu compte trop tard que ce bonheur n'était que chimère. Aujourd'hui, je veux changer et agir selon mon propre désir. Demain, j'espère être une lionne différente. »

C'était étrange pour Angani de s'entendre parler de la sorte, cela n'était pas dans ses habitudes mais pour devenir quelqu'un de nouveau, il fallait caser avec le quotidien, non ? La présence de Swayli avait apaisé les maux de la jeune lionne qui se retrouvait subitement apaisée et face à la détresse apparente de son amie à laquelle elle ne pouvait rester aveugle, Angani avança doucement sa tête pour donner un petit coup amical à la lionne.

« Tu m'as l'air bien pensive, que t'arrive-t-il ? »

Se comporter comme elle en avait envie lui avait prescrit Swayli et bien, c'était exactement ce qu'elle faisait. Elle ne supportait pas de voir cet air peiné sur le visage de son ami aussi s'inquiétait-elle de savoir ce qui la tracassait. Angani était étrangement douce au contact de Swayli mais, cela était du à ce sentiment de réconfort et de protection que lui offrait la lionne. La jeune femelle n'avait jamais eu à faire semblant avec sa congénère et une amitié sincère s'était développée au fur et à mesure du temps. C'était peut-être la relation la plus saine qu'entretenait la sœur de l'Empereur... Swayli l'avait toujours acceptée telle qu'elle était et en ces temps sombres où elle cherchait son identité, sa présence lui était vitale.

Swayli et Angani avaient sensiblement le même âge aussi la sœur de l'Empereur connaissait-elle les diverses rumeurs qui avaient couru à l'égard de la lionne. Jamais le père de Swayli n'avait été connu et bon nombres de Jangowas avaient crié au scandale d'une liaison avec un Mositu seulement, la vérité n'avait jamais été clairement avoué. Angani était encore jeune à l'époque aussi ne s'en souvenait-elle que brièvement. Elle se souvenait par exemple du jour où la mère de son amie avait décidé de quitter le clan, accompagnée de son fils, tandis que la guerrière était restée postée aux côtés du clan, regardant sa famille partir. Si un seul détail précis lui revenait, c'était celui de l'expression vide sur le visage de Swayli qui n'avait rien laissé paraître de son ressenti. Akili lui avait alors permis de rester parmi le clan et depuis ce jour, les rumeurs s'étaient essoufflées aussi vite qu'elles s'étaient levées.

Elle-même plongée dans la tourmente face à la détresse de son amie, Angani était restreinte à une action limitée, Swayli refusant de lui livrer quoique ce soit. Des individus ignobles qui ne méritaient pas de vivre, disait-elle... De qui pouvait-elle donc parler ? L'unique fois où la jeune lionne avait pu observer son amie dans un état similaire, Swayli avait également choisi de ne pas se livrer et les deux lionnes avaient alors simplement discuté jusqu'à l'apaisement de la première. Son corps tremblotant accompagnée sa voix chevrotante tandis qu'elle osait enfin exprimer ses peurs ou plus précisément sa peur d'elle-même dû à son manque de contrôle. Angani était profondément peiné d'entendre une telle chose. Ce n'est visiblement pas une journée de rêve pour les deux lionnes.

Un sourire accompagnant son soupir, Angani s'approcha doucement de la lionne pour poser sa patte contre la sienne, contenant ainsi ses tremblements.

« Moi je n'ai pas peur de toi. »

Elle continuait de lui sourire, souhaitant lui apporter tout son soutien durant cette phase difficile. Angani n'avait jamais daigné accorder un sourire à nul autre personne que son jumeau mais aux côtés de Swaily, elle se surprenait à sourire purement et simplement. Cela lui semblait presque naturel, preuve de son confort en compagnie de la lionne.

« Personne n'est parfait, Swayli, nous avons tous nos défauts mais jamais tu ne dois laisser les tiens prendre le dessus sur ta personne. J'ai confiance en toi alors toi aussi aie confiance en toi. »

Sa patte toujours posée sur celle de la lionne, Angani s'approcha timidement avant de poser avec douceur son front contre le sien. Elle voulait l'aider, elle ignorait comment mais l'intention était là, pure et sincère. C'était la première fois que la lionne se souciait autant d'une personne qui n'était pas Vako, c'était nouveau mais aussi agréable. De cette manière, elle avait l'impression d'être quelque chose d'autre que sa jumelle et aider Swayli était un désir propre, pas comme ceux qu'elle s'était persuadée être uniques et prioritaires depuis son enfance. Pour la première fois, elle pensait au bien-être de quelqu'un d'autre. Peut-être avait-elle ainsi sa réponse, peut-être Swayli était-elle cette clef qui lui permettrait de toucher son indépendance et de trouver qui elle était.

« On a tous peur, moi aussi j'ai peur. J'ai peur de n'être qu'une ombre, de n'être personne... mais avec toi, cette peur diminue. Peut-être parce que j'ai confiance en toi alors, voudrais-tu bien faire de même ? Me faire confiance et me raconter toute l'histoire ? Jamais je ne te jugerai, ce n'est pas ce que font les amies et toi et moi on est amies, pas vrai ? »

Tantôt adulte, tantôt enfant, Angani oscillait entre les deux. Être aussi proche de quelqu'un qui n'était pas son frère était nouveau pour elle et étrangement, elle ne savait pas trop comment s'y prendre et semblait quelque fois maladroite mais ses intentions étaient sincères. La jeune lionne ignorait quelles étaient les préoccupations de son amie mais si cette dernière le lui permettait, elle serait ravie de pouvoir lui apporter un quelconque réconfort, en l'écoutant par exemple. Peu importe ce que Swayli cachait, Angani ne fuirait pas.

Son trouble était palpable et bien qu'elle désirait l'aider, Angani prenait soin de ne pas brusquer la lionne. Il fallait que l'initiative de la vérité vienne de Swayli sans que sa compère n'ait besoin de la forcer à dévoiler quoi que ce soit, cela devait venir de son cœur. Néanmoins, la lionne sablée afficha un mince sourire en entendant son amie dire qu'elle lui faisait confiance. Elle était heureuse, ce n'était plus que Vako et elle, maintenant il y avait quelqu'un d'autre aussi peu importait le poids de la révélation de Swayli, cela ne changerait rien. Elles avaient déjà trop parcouru ensemble pour qu'un secret de famille vienne tout chambouler. Dans une expiration à peine audible, la femelle rosée lui confia la source de ses tourmentes ou du moins le point d'origine : Swayli n'était pas une vraie Jangowas. A en juger par la réaction chevrotante de la lionne, cela devait être la première fois qu'elle se confiait sur ce sujet. Angani ne dit mot, laissant le temps à son amie d'aller au bout de ses pensées. Il aurait été bête de l'interrompre lorsqu'elle décidait enfin de s'ouvrir.

Le regard droit, soutien sans faille des iris caramels de la femelle, Angani écoutait avec grande attention les explications de la lionne sans pour autant paraître indignée ou même alarmée. A vrai dire, cela n'était pas une fatalité pour elle. Quand bien même elle descendait d'une famille de sang-pur réputée parmi le désert, Angani ne portait aucun jugement sur ces origines mixtes qui ne définissaient en rien la personne. Bien évidemment, être sang-mêlé ne devait pas être facile tous les jours mais avec de la conviction et de la patience, cela pouvait se faire oublier par des qualités remarquables et remarquées. Swayli, de son côté, était persuadée de ne pas faire véritablement parti des Jangowas en raison de ses origines doubles.

« Tu es une Jangowas, Swayli, c'est le choix que tu as fait le jour où tu as laissé partir ta famille. Tu te bats fièrement pour ton clan, tu aspires à devenir la meilleure des guerrières pour être reconnue par celui-ci et l'aider du mieux qu'il t'est donné de faire. Tu fais bien plus pour nous que certains. »

Assise face à son amie, Angani ne cessait de soutenir son regard tantôt vide tantôt troublé. Il était évident que ces deux lionnes étaient sujets à de graves troubles d'identité mais ensemble, patte dans la patte, elles s'en sortiraient. Angani voulait que Swayli voit en elle ce pilier voire même cette forteresse qui la protégerait lors de temps troubles et l'épaulerait sans faille. C'était ce qu'elle désirait, que Swayli ait besoin d'elle autant qu'elle ait besoin de Swayli.

Exprimant ses regrets, Swayli se blâmait d'avoir abandonner la chose la plus importante à ses yeux à savoir sa famille. La lionne sablée fronça alors sensiblement les sourcils, n'étaient-ce pas eux qui l'avaient abandonné et laisser derrière ? Ses paroles pesaient sur le cœur de la jeune lionne, touchée par la détresse de son amie.

« Certains disent que l'on possède deux familles : celle du sang et celle que l'on se choisit. Tes origines ne te définissent pas, Swayli. C'est à toi de savoir quelle lionne tu veux être mais aussi de comprendre ce que tu veux : rejoindre le reste de ta famille ou bien rester parmi les Jangowas, continuer de te battre et leur montrer que tu mérites amplement ta place. Être de sang-mêlé... Je ne pourrais jamais comprendre quel impact cela a mais, sache que ce n'est plus tant une rareté que cela. J'ai rencontré un jeune lion en exil dernièrement et à ne pas m'y méprendre, il était également de gène Mositus. Ce que je veux dire, c'est que tu n'es pas la seule et que tu ne dois pas te limiter à cela. »

Ce n'était des idées clairement exprimées ni même structurées mais voilà les songes qui animaient la jeune Angani. Elle baissa le regard quelques instants, à la recherche de mots plus concrets. Elle devait tout envoyer maintenant sinon les doutes de Swayli ne s'estomperaient jamais, elle devait retrouver cette confiance qui l'animait autrefois, il lui fallait retrouver cette rage de vivre qui avait longtemps animé son regard. Voila. Redressant son regard doré, Angani observait son amie d'une manière doucereuse avant d'ajouter :

« Sang-pur, sang-mêlé … cela ne définit pas qui nous sommes. Ce sang n'est qu'un élément de notre corps, pas de notre conscience et il ne dicte certainement pas nos actions. Cette histoire d'origine ne change rien pour moi, tu restes la même. »

Comme prise au piège par ce sang qui l'empoisonnait, Swayli se sentait étouffée. Dans une détresse solitaire, la rosée s'approcha de la lionne pour enfouir son visage contre son pelage sablée. Angani se surprit à frissonner, prise par le fait. Elle ne franchissait jamais de telles limites avec personne hormis son frère mais cette nouveauté, bien qu'un peu effrayante, était plaisante. Elle étira ses babines dans un sourire un peu gauche puis accueillit son amie contre elle en l'enlaçant.

« Tu m'as moi. »

Sa présence n'égalerait probablement jamais celle de sa famille au moins affirmait-elle son soutien, son affection et un havre de paix dans lequel Swayli pourrait venir trouver refuge.

C'était étrange en un sens, elle n'avait plus peur, ses troubles semblaient évaporés. Se focaliser sur Swayli lui avait permis de prendre une distance avec ses propres problèmes et elle ne ressentait plus ce mal être. Dans leur malheur, les deux lionnes avaient su affirmer ce lien qui les liait et ensemble, elles semblaient plus fortes. Ce semblant de promesse que lui proclama Swayli fit vibrer son corps. Elle n'avait plus à craindre d'être seule, elle savait que son amie était là. Toujours. Ce n'était plus qu'elle et Vako, une autre personne avait su trouver grâce dans son cœur, une personne sur laquelle elle pouvait se reposer, confier ses troubles et donner sa confiance. Swayli était plus d'une amie, elle était... plus et ses dires ne firent que confirmer le ressenti de la lionne sablée. Que voyait-elle dans le regard de Swayli ? Une belle lionne, brave, forte et confiante. Ce reflet qu'il lui semblait percevoir dans les yeux de son amie était tout simplement beau et unique, comme le lui affirmait la lionne. Elle n'était plus une enveloppe charnelle dépossédée de sens et de conscience, elle était quelqu'un. Voilà ce que Swayli lui faisait ressentir, ce besoin désespéré d'être quelqu'un. Un beau sourire, simple mais sincère, étirait les babines de la lionne d'une bien belle manière.

Angani connaissait Swayli, de peut-être pas dans les moindres recoins de son âme mais, elle la connaissait et c'était de par ce savoir qu'elle pouvait dire combien les paroles de la lionne rosée étaient sincères. Jamais elle ne douterait de son honnêteté, Swayli s'était toujours montrée droite envers elle et sincère aussi Angani lui faisait-elle confiance comme à nul autre. Affectueusement, elle posa délicatement sa tempe contre celle de son amie et soupira :

« Si les autres me voyaient de la même manière que tu me perçois, je crois que je serais la plus heureuse des lionnes. »

Jamais Angani n'aurait pu croire un seul instant qu'une autre personne que son frère puisse la faire se sentir aussi bien et apaisée. Sans sa carapace et le cœur ouvert, elle s'était livré à la lionne mais ne regrettait en rien ce choix, contrairement à ce qui s'était produit avec Khassim. Cette confiance qu'elle avait choisi de placer en Swayli, elle était inébranlable. Angani ignorait comment et pourquoi mais à compter de ce jour, la présence de cette lionne lui serait primordial. Pas seulement pour sa quête d'identité et son désir d’indépendance mais également parce qu'elle en éprouvait le besoin.

« Marchons côte à côte, trouvons qui nous sommes. Nous y arriverons parce que nous sommes ensemble. »

Son regard ne quittait plus celui de son amie, elle avait envie de s'y perdre. Cette vision d'elle-même que lui offrait les yeux de Swayli... elle aurait aimé se voir de la même manière, se plonger dans ce monde si merveilleux qui lui tendait les bras. En cet instant, Angani prenait conscience de l'importance grandissante que suscitait Swayli dans son cœur. Elle avait désespérément besoin d'elle pour ne pas couler, elle seule la maintenait à la surface par sa seule présence et ses mots réconfortants. Mais Angani ne prenait-elle pas le risque de créer une autre dépendance ? Non, ce n'était pas la même obsession qui avait pu la lier à son frère, c'était autre chose. C'était différent. Angani avait fait du chemin pour reconnaître la relation malsaine qui l'unissait à son frère aussi par cette prise de conscience était-elle capable de faire la part des choses. Ce lien avec Swayli avait été créé au fil du temps, la confiance s'était peu à peu installée et l'une avait fini par s'ouvrir à l'autre et inversement. C'était une amitié forte, une relation de confiance et de profonde affection.

« J'ai besoin de toi, Swayli. Maintenant plus que jamais. » dit-elle en enfouissant sa tête contre l'encolure de son amie. « Merci d'être là, je ne sais pas ce que je ferais sans toi. »

D'ordinaire si froide et distante, ses barrières ne résistaient pas à la proximité qui avait lieu entre les deux lionnes. Loin des apparences, elle redevenait une enfant perdue et apeurée que seule la présence de Swayli pouvait consoler.