- Aurais-tu perdu la raison ?

- Tu n'écoutes même pas ce que j'essaye de te dire !

- J'ai très bien écouté au contraire !

Les retrouvailles avaient été de courtes durées. Cela faisait plus d'un an qu'Akhet avait quitté les siens pour partir à la grande aventure dans la Terre des Lions. Tant de choses s'étaient passées. Sous la menace des Nyeusis, le jeune suricate avait pris la décision de venir en aide aux Pridelanders. La majorité de son temps passé hors de chez lui avait été destiné à la recherche de ces derniers. Mais les Pridelanders n'étaient plus sur Prideland et la mangouste s'était rendu en premier lieu dans la Lande des Sans Terre, sachant que les troupeaux du territoire s'y était réfugié. Il y avait rencontré Matsukan et lui servait désormais d'yeux et d'oreilles pour savoir ce qui se passait sur Prideland. Peu de temps après, le suricate avait décidé d'aider les lions, comme prévu à la base. Il avait fait beaucoup de rencontre, surtout féline et avait su se faire apprécier des fauves. Mais plus encore, le prince Kumpa avait accepté son aide, ainsi que les lions de Freeland.

Mais Kumpa lui avait demandé une faveur supplémentaire : tenter de rallier sa troupe de suricate en tant qu'espions pour les Pridelanders. Akhet avait toujours été hésitant sur le sujet. L'idée de revenir parmi ceux qu'il avait abandonné ne lui plaisait guère. Il s'était étonné finalement à retourner sur ses pas. Akhet, l'estomac noué, avait fait le voyage en sens inverse et était retourné vers les gorges, espérant toujours voir les terriers intacts des siens. Par chance, aucun lion, ni aucune hyène n'avait souillé les lieux. Mais les retrouvailles avec sa famille avait été de courte durée. Son père, sa mère, ses frères et soeurs avaient tous été très surpris de le revoir, avant de s'en ravir. Mais lorsque la mangouste expliqua la situation des lions à ses parents, et leur demanda ce que le prince attendait d'eux, il se frotta à une réaction paternelle dont il s'était toujours attendu.

- Mon fils nous quitte du jour au lendemain sans prévenir et revient pour nous dire d'aller aider nos prédateurs ! mugit Cheikh de colère, te rends-tu seulement compte de ce que tu dis ?

- Akhet, fit la mère à son tour, te rends-tu compte de l’inquiétude que tu nous as causé ?

- Quoi donc ? répliqua Akhet en croisant les bras, vous avez mis combien de temps avant de remarquer mon absence ? Allez, une semaine ou un mois minimum.

- Ne réponds pas à ta mère de la sorte !

- Vous êtes gonflés, j'essaye d'améliorer la situation du clan !

- En t'associant à ces créatures sanguinaires ?

- Je parle des Pridelanders papa. Il ne faut pas mettre tout le monde dans le même sac.

- Ce sont tous nos prédateurs !

- Si vous les aider, on pourra se débarrasser des Nyeusis et on aura la protection des Pridelanders, insista Akhet avec espoir.

- Ca suffit ! Tu n'es qu'un traître pour oser fréquenter, soutenir et défendre ces monstres !

- Ces monstres m'ont accordés plus d’intérêt et d'attention en six mois que vous tous réunit en trois ans !

Le suricate serra les poings puis se détourna de la troupe avant de se faufiler à toute vitesse dans les hautes herbes de la brousse, disparaissant aux yeux de tous.

- Akhet attends ! hurla sa mère derrière qui tenta de le suivre mais fut rattraper par la patte de son compagnon.

- Laisse-le, fit ce dernier, il a choisit son camp...



Akhet ne s'arrêta qu'une fois à l'abri le temps de reprendre son souffle. Mais il ne pouvait pas se permettre de rester trop longtemps dans les environs avec les Nyeusis et les hyènes qui menaient toujours leur train train quotidien. Se souciaient-ils de ce qui étaient en train de se préparer sur la lande en ce moment même ? Très bientôt, la guerre éclatera et Akhet espérait grandement la victoire aux Pridelanders. Le jeune suricate reprit son chemin, plus dépité que jamais, vers la lande des sans terres. Il savait que sa demande serait refusé, mais il avait du mal à imaginer qu'il venait de tirer un trait sur le passé, sur sa propre famille, sa propre espèce. Etait-ce le bon choix ? Il en venait désormais à douter. Le soir descendait tout doucement lorsque le suricate était revenu dans la vallée abandonnée. Il partageait pour une fois le nom de ce territoire. Parce qu'il avait abandonné les siens et qu'il se sentait plus seul que jamais. Et s'il avait mal fait son compte ? Et si les lions n'étaient pas vraiment son destin ? Peut-être avait-il commis une erreur en espérant trop d'eux. Si c'était le cas, il aurait renié les siens pour rien. Le soleil étalait sa lumière dans la vaste vallée, étirant les ombres du peu d'arbre qu'il y avait et colorant le sol d'un halo orangé. Akhet devait sans doute se rendre au baobab. Curieusement, il n'en avait plus trop la motivation. Il ne pouvait que compter sur lui même pour aider les lions. Il espérait ne pas commettre d'erreur. Face au coucher du soleil, la petite créature s'assit au pied d'un rocher et contempla l'astre qui brillait de mille feu.

- Je sais ce que je fais, je sais ce que je fais ! répéta t-il pour lui même, je sais ce que je veux aussi...

Il croisa les bras, comme s'il boudait le soleil lui même, complètement perdu dans ses pensées.

Dans la Vallée Abandonnée, le silence régnait. Akhet y contribuait. En levant le museau en l'air, il ne vit pas un oiseau. Il n'y avait rien qu'un ciel dégagé aux beaux dégradés violacés dû au crépuscule qui s'imposait. En temps normal, il aurait tendance à s'exalter de ce décor déjà mille fois vu. Il n'en avait pas l'âme ni le coeur en cette soirée calme et paisible. Les doutes et son propre avenir le tourmentaient. Peut-être était-il partit un peu vite. Mais qu'entendre de plus de la bouche de ses parents inconscients ? Il était un peu tard pour faire une crise d'adolescence. Akhet, malgré son caractère souvent juvénile, était un grand garçon tout de même. Il en avait conscience. Selon lui, on avait plus à lui dicter sa conduite. Pourquoi alors ce petit geste rebelle le gênait tant ? D'un autre côté, en tant que suricate, l'esprit de groupe jouait avant tout. C'était difficile de s'en défaire. Il venait pourtant d'accomplir ce fait. Il ne pense pas un jour revenir en arrière. En plus d'une honte totale, ce serait un échec à son destin. Ou ce qu'il croyait être son destin. Et si ça se trouve, il ne serait même plus accepté parmi les siens. Quand il avait remarqué son accueil avant, il avait bien comprit qu'il ne faisait plus partit du monde souterrain depuis qu'il l'avait quitté. Mais ce n'était vraiment pas drôle d'être seul. Il ne pouvait que supplier le Grand-Esprit de se faire accepter parmi les Pridelanders, même après la fin de la guerre et quelque soit leur future condition.

Tout à coup, des bruits de pas se firent entendre. Akhet tendit l'oreille. Il souffla, exaspéré par le dit visiteur dont il ignorait tout. Ce n'était pas le moment d'être dérangé, ou d'être pris pour cible par un prédateur ! Le suricate se redressa un peu et se colla contre la pierre, prêt à réagir en cas de danger. C'est alors qu'un visage sombre, familier et poilu fit son apparition à l'angle du rocher, étirant un large sourire et prononçant avec enthousiaste le nom de la mangouste :

« Akhet ! »

- Hein ? C'est toi Sadaka ?

Il pouvait être pardonné d'avoir des doutes sur la personne. Le lionceau n'avait pas la même pousse que la première et la dernière fois qu'il l'avait vu. Le félin avait gagné en taille, mais pourtant, Akhet ne pouvait que s'appuyer sur le fait qu'un seul jeune lion noir le connaisse et en si bon terme. Voilà une apparition qui arracha enfin un sourire à la petite créature. De tous les félins qu'il avait jusque là rencontré, il n'avait pas trouvé de plus sympathique que ce brave lionceau impétueux.

- J'aurais dû me douter que tu pousserais comme une feuille avec ce temps qui passe, ajouta la mangouste.

De temps en temps, il était arrivé à Akhet de penser à ce curieux jeunot. De se demander ce qu'il advenait. Car depuis le temps que le suricate faisait des aller retour entre la lande, Prideland et Freeland, il n'avait jamais pu le revoir. Jusqu'à ce soir. Akhet se redressa, debout face au félin et mit ses mains à ses hanches. Mais sa joie serait sans doute bien plus immense s'il n'avait pas le poids de la journée dans son esprit. Même Sadaka avait remarqué l'étrange manque de dynamisme et d'enthousiasme de la part du petit mammifère.

« Que se passe-t-il ? Tu as un problème ? » demanda t-il en perdant à son tour son agréable humeur.

A cette demande, Akhet laissa tomber le sourire. Il soupira une énième fois. Un problème...Pouvait-on vraiment appelé ça ainsi ? Ce n'était pas vraiment un problème qu'il avait. Ce n'était pas comme si un prédateur cherchait à le tuer, comme s'il n'arrivait pas à attraper son repas du soir, comme si une puce le chatouillait bien au milieu du dos, là où il ne pouvait pas accéder malgré tout les contorsions possible de son petit corps.

- Je n'appellerais pas ça un problème, répondit alors la mangouste avant de se rasseoir contre le rocher qui lui servait de dossier, je crois que je ne sais juste plus trop où j'en suis.

Il marqua une pause relativement longue, durant laquelle il fixa l'horizon. Puis, il détourna son regard sur le jeune félin à ses côtés :

- T'es t-il déjà arrivé...De penser à renier tes origines en te disant que c'est pour bien faire ?

Le voilà qui se lançait dans des questions existentielles. Il faudra y remédier très vite avant qu'il ne ressemble à un vieux singe qu'on connaît que trop bien ! Les rôles des deux protagonistes étaient étrangement inversés. C'était le plus expérimenté de la vie qui questionnait le plus jeune. Enfin, un peu de sagesse, parfois, ça ne pouvait pas faire de mal. Surtout pour des évadés de la vie tel que Akhet.

« Les origines sont des poids bien lourds à porter. »

Rien qu’avec ces mots, Akhet ne s’en voulait pas d’avoir posé cette question à un jeune lionceau. Il avait tout de suite remarqué, lors de leur première rencontre, la maturité dont faisait preuve Sadaka. La curiosité du petit lion avait bien évidemment finit par l’emporter mais il avait une âme particulière que même un être recherchant aussi peu le détail qu’Akhet avait remarqué. Et voilà maintenant que le lionceau lui répondit ceci. Akhet leva à nouveau son museau vers lui, à la fois surpris et pas du tout car il s’attendait étrangement à ce que le lionceau lui donne une telle réponse. Une réponse terne mais empli de vérité et si simple à savoir. C’était bien en sachant cela que la mangouste avait demandé conseil au petit. Akhet ne répondit rien pour le moment, s'attendant à ce que le lionceau développe d'avantage. Ce qu'il fit sans attendre.

« Tu sais c’est compliqué tout ça. Renier d’où l’on vient certes mais ce qui compte c’est les raisons pour lesquelles on le fait. Juger d’une expérience vécue ça n’a rien avoir avec ce que l’on entend sur ces dénommés parents, ancêtres. Je ne sais pas ce qui te chagrine ou t’interpelles aujourd’hui Akhet mais le questionnement fait de toi quelqu’un de censé. Tu pourrais fuir, tout simplement, ou juste te baser sur ce que chuchotent les autres. Tu sembles savoir de quoi tu parles et je pense que ta peine est légitime. On ne choisi pas d’où l’on vient, on ne choisit que ce qui vient après, et encore… »

Certes, ce lionceau incroyable avait incroyablement raison. D'où pouvait bien lui venir autant de sagesse ? C'était inimaginable. Comment sera-t-il quand il sera adulte ? Akhet, au final, ne savait presque rien de ce félin là, mais rien qu'en l'entendant, il pouvait lui deviner un grand avenir. Plus tard, Sadaka sera un grand lion ! Et ceci étant tout aussi peu fondé sur le fait que le suricate ne sait rien de lui.

- Oui, répondit-il, tu as sans doute raison. L'ennui étant justement que je n'ai pas cherché à renier quoi que ce soit. Enfin…Si, peut-être ? Je ne sais plus du tout en fait.

Est-ce lui qui a renier les siens la première fois qu'il les avait quitté pour aller voir les lions de plus près ? Ou est-ce eux qui venaient tout juste de le rejeter ? Ou alors c'était lui qui s'était auto banni de la colonie de son plein gré ? Comment devait-il prendre les évènements qu'il avait vécus ? Peut-être qu'il interprétait tout mal depuis le début.

« Les origines te forgent un jour, le lendemain la décision reste entre tes mains Akhet, ne l’oublis pas. Ta famille, si c’est d’elle que tu parles, restera là, bien ancrée dans tes tripes, dans ta tête, sur ton corps. Mais si tu vois que tu es différent et que tu veux, pense, autre chose, alors fonce. Au pire tu rates, ils penseront qu’ils avaient raison mais tu n’auras fait qu’apprendre. Sinon, tu brilles. »

- Donc…fit la mangouste pour résumer, selon toi, c'est bien d'être différent ?

Pour un lion, peut-être. Pour un suricate, ça pouvait être pas aussi évident. Les mangoustes se ressemblaient toutes, quasiment, et vivaient toujours de la même façon. Un clan de suricate, c'était des clones partout. D'un autre côté, c'était bien pour ça que Akhet était partit non ? Parce qu'il en avait marre de n'être qu'un grain de sable dans le désert, ignoré même pas ses parents parce que ces derniers ont trop de progéniture à gérer ? Akhet voulait briller, comme le disait si bien Sadaka, et c'était la raison pour laquelle il était partit. Mais à présent, il se demandait juste si ce qu'il a fait, était bien ou mal. Comme le disait le lionceau, la famille restera au plus profond de lui. Peut-être aurait-il toujours plus ou moins l'esprit tourné vers elle, culpabilisant ou se vantant d'avoir réussi ou échoué. Des lions solitaires, il en existait plein. Mais des mangoustes, c'était déjà plus rare. Akhet savait pourquoi maintenant.

« Je suis désolé je suis bavard ce soir, ajouta Sadaka.

- Attends, fit Akhet, non, c'est moi qui t'ai demandé.

C’est juste que… disons que j’ai appris récemment une drôle de nouvelle. »

- Ah bon ?

« On parle d’origines, les miennes sont aujourd’hui si floues pour moi. »

Akhet demeura un temps silencieux en contemplant son ami félin. Il finit par se redresser sur ses pattes et se dressa devant lui pour lui faire face.

- Expliques-toi, demanda alors le petit suricate en insistant du regard.

La situation actuelle d'Akhet n'enlevait en rien à sa légendaire curiosité. De plus, il semblerait que Sadaka ait plus ou moins répondu à sa question. Akhet ne savait toujours pas vraiment où il en était, mais le lionceau avait éclairé son chemin. A la mangouste maintenant de voir ce qu'il y trouvera. En attendant ce moment grandement attendu, Akhet était prêt maintenant à rendre la pareille à son ami si celui-ci voulait bien se dévoiler. Comme ça au moins, le petit lion ne sera pas venu pour rien et Akhet pourra mettre ses soucis de côté en pensant à ceux d'un autre. C'était un peu débile comme concept mais ça avait l'avantage de fonctionner. D'un autre côté, avec Akhet, il ne fallait pas s'attendre à de la logique pure et dure.

« Il n’y a pas un bien ou un mal Akhet. Être différent c’est juste une réalité. » répondit le lionceau noir.

Oui, évidemment et la vie était ainsi : rempli de flou. Il n'y avait de oui, de non, de bien, de mal, rien de jamais très net. Ca serait tellement plus facile si c'était le cas. Des réponses claires et précises n'existaient pas, surtout dans ce genre de questionnement.

« La différence c’est l’arme de celui qui a peur de ce qu’il ne connait pas. » poursuivit alors le jeune félin.

Décidément, il était époustouflant en tout point. Akhet commençait vraiment à être surpris par ce petit, mais sincèrement. Mais d'un autre côté, il suffisait de regarder de plus près ce lionceau pour se rendre compte que lui-même après tout semblait concerné par le thème de la conversation. Devant tant de sagesse de la part du jeune lion, la mangouste restait le regard figé sur ce dernier mais buvait totalement ses paroles comme s'il était son aîné. Après cela, Akhet décida qu'il était temps de passer à autre chose. Pour le moment. Peut-être que ce qui hantait son esprit reviendra plus tard, ou pas du tout. On ne pouvait jamais savoir avec lui ! C'était déjà relativement rare de le voir perturbé par quelque chose, on pouvait être sûr qu'il allait faire son possible pour que cette situation ne se reproduise plus ! Les mots du lionceau l'avaient de toute manière convaincue. La mangouste devait de toute manière se concentrer sur le sort de ses amis lions et rien d'autre ! Puisque apparemment, sa famille ne valait pas la peine qu'on s'inquiète pour elle, elle qui n'en avait rien à faire de lui. Akhet jeta un œil à Sadaka, se demandant intérieurement si lui aussi avait déjà eut des conflits avec sa famille, des doutes sur son amour ou des trucs dans le genre. Il n'allait pas lui poser la question. Le lionceau au sombre pelage devait déjà désormais lui parler de lui, puisqu'il avait abordé ainsi le sujet. C'était également la meilleure façon pour la mangouste d'oublier ses propres soucis. Le lionceau afficha d'ailleurs un sourire, comme s'il avait deviné l'astuce du suricate. Et le suricate avait deviné ce qu'avait deviné le lionceau. 'Fin, vous suivez ? Il lui rendit alors un sourire complice, tout en patientant sur la réponse du petit félin.

« On est tous un peu différent Akhet. Chacun à sa manière, d’autres se font plus remarquer, et ça sans le vouloir. Ca n’enlève rien au fait que tout être est unique, finit par dire ce dernier.

Akhet approuva grandement les dires du lionceau d'un hochement de tête, mais attendit la suite avant de se donner la peine de commenter quoi que ce soit.

Mon histoire est toute neuve et je ne sais pas quoi en penser. Mon ami j’ai besoin de te la raconter pour que tu puisses m’aiguiller, ajouta alors le dit félin.

Akhet ne le lâchait pas du regard mais haussa une épaule avant de répondre en toute honnêteté :

- Tu peux avoir confiance en moi.

Il y a peu j’ai découvert la vérité sur mes origines. Tu es loin d’être bête Akhet, et je me doute pertinemment que je ne suis pas le premier lion que tu rencontres.

- Ce n'est pas un fait que je te cache Sadaka ! répliqua avec amusement la petite créature.

Mon pelage te rappel ces lions qu’on décrit comme monstres, les empereurs de Prideland, les voleurs de trône… La liste était fort longue… Mon père est un de ceux là. Je suis, Akhet, le fils d’un Nyeusis. »

Il y eut un silence. Un silence durant lequel personne ne parla. Akhet toisait le jeune lion du regard et ce dernier en faisait de même. Curieusement, la mangouste n'ajouta rien à cette révélation. Rapidement, Sadaka reprit :

« Le truc c’est que… Je ne suis pas en colère contre ma mère et… je suis même fâché contre ceux qui convoitent leur mort… Je ne veux pas qu’il meurt, je ne veux pas qu’on le tue. Je… je pense qu’il est brave mon père. »

Akhet fronça légèrement les sourcils, mais pas de colère, c'était une mine de réflexion sur ce que venait de lui avouer son ami félin.

« Akhet ces lions ont réussi à prendre un trône, ces lions sont… imbattables. Ils sont forts ils sont…

Akhet haussa les sourcils, attendant le verdict.

imbattable. Oh tu me prends sûrement pour un fou de te dire ça mais… je l’admire tant… »

Le pauvre Sadaka avait effectivement de quoi être déboussolé à son tour. Ce fut un nouveau et lourd, bien lourd silence qui suivit ce petit monologue de la part du félin au pelage sombre.

- Eh bien…fit soudainement Akhet, rompant dangereusement cette atmosphère à la tension légèrement palpable.

Akhet restait installé aux côtés de Sadaka, le regard perdu dans les derniers rayons de l'astre solaire. Il y eut un nouveau silence, un peu plus court néanmoins. Très vite, le suricate pivota à nouveau ses prunelles d'ambre sur la mine basse du jeune lionceau. Il se leva et se posta alors debout à ses côtés, face au soleil couchant. C'est alors que la mangouste donna un petit coup de coude dans le flanc de l'animal.

- Eh ! lâcha t-il alors, tu crois vraiment...

Il marqua une pause, un suspens voulu, mais mon visage était pourtant bien serein.

- …Que je ne le savais pas ? termina-t-il alors.

Akhet regarda à nouveau l'horizon et joignit ses mains derrière son dos, bombant le torse avant de lancer avec une certaine fierté dans la voix :

- N'importe quel animal avec un esprit un minimum ouvert pourrait deviner rien qu'en te regardant que tu as du Nyeusis en toi ! Je l'ai su dès notre première rencontre…Je connaissais déjà un minimum les Nyeusis à force de les observer de loin. Cela n'a pas été difficile pour moi de savoir de qui tu tiens ce pelage si sombre, même si sur le coup, j'aurais parié sur un Mositus, comme je t'en avais fait part à l'époque.

Akhet fit quelques pas désinvoltes en avant, puis, pivota sur les talons pour faire face au petit lion.

- Sadaka ! Si tu savais à quel point je tiens à toi malgré tout.

Il se mit subitement à réfléchir, se demandant à présent comment aborder les autres sujets sans braquer le jeunôt. Après un petit moment de pause, il le regarda à nouveau pour poursuivre :

- Je suppose, et je dis bien que je suppose, que c'est un peu normal de ne pas vouloir la mort d'un de ses parents. Ton père est grand, brave, fort et tout ça, certes mais…Comment dire…Il a fait tellement de mal. Et penses-tu bien que je ne m'exprime pas sur un point de vue personnel ! Ces Nyeusis ne m'ont encore rien fait personnellement, mais ils ont rompu le Cycle de la Vie et ont rendu Prideland stérile. Alors…Ton père et les siens, ils sont peut-être grands et fort, des qualités qui peuvent susciter l'admiration. Mais ils sont aussi cruels, irresponsables, fourbes, irrespectueux et semeurs de morts, ce qui est moins appréciable.

Akhet plongea profondément ses iris dans le regard du jeune lion.

- Ils ont fait beaucoup de mal, répéta-t-il, et ont bien l'intention d'en faire encore.

Comment lui en vouloir ? Vous savez ce qu'on dit des nouveau-nés ? Ils sont innocents par nature. Si Sadaka avait été élevé parmi le clan de son père, il serait devenu un monstre comme lui. Et beaucoup de lions auraient voulu sa mort autant qu'ils veulent la mort des Nyeusis. La mère de Sadaka lui avait donc inconsciemment sauvé la vie, en le faisant vivre loin de tout ça, même si elle n'avait pas eut trop le choix. Enfin, c'était ce que se disait Akhet qui ne connaissait pas les détails de l'histoire. Il n'avait jamais vu la lionne dorée, il ne savait pas…comment les choses en étaient venu à lui donner un fils de Nyeusis. Mais malin et instinctif comme il l'était, il savait néanmoins que c'était surtout une contrainte qu'on avait fait à cette lionne qui portait ainsi un fardeau, le même que celui de Sadaka : un lien avec un monstre. Mais Akhet savait que malgré tous les efforts de la lionne, Sadaka avait toujours du sang de Nyeusis en lui et sait-on jamais ce que cela pouvait au final engendré. A ce moment-là, peut-être que l'amour d'une mère ne suffisait plus pour garder le petit sur la bonne voie. Sadaka avait besoin d'autre chose. Des amis sincères qui connaissait son fardeau et étaient capable de le soutenir malgré tout ça. C'était ce à quoi Akhet aspirait à ce moment-là. Ne pas laisser tomber son jeune ami. Il se sentait pousser un rôle de grand frère qu'il ne pensait pas avoir un jour durant sa petite vie. Pourtant des frères, il en avait à la pelle dans sa colonie. Mais lorsqu'il regardait Sadaka, il savait que le seul et vrai frère qu'il avait, c'était lui et pas les clones mangoustes qui n'avaient jamais fait attention à lui jadis. Akhet ne se fit pas prier pour dire clairement que Sadaka était important à ses yeux. Lorsque le lionceau croisa son regard, le suricate lui fit un large sourire pour consolider ses dires.

« J’entends bien ce que tu me dis Akhet. J’essaie juste de faire la distinction entre le fait que ce lion soit un Nyeusis et qu’il soit mon père. A vrai dire, je me fiche pas mal des Pridelander et de cette guerre… Tu sais peut être que le roi Kumpa et ma mère son aujourd’hui ensemble et lui je ne l’aime pas du tout. Je rends tout ce conflit très personnel et c’est égoïste Akhet. »

A vrai dire, Akhet ignorait que Kumpa avait une compagne. Il comprenait encore un peu mieux le fait que Sadaka soit perturbé par cela.

- Il n'y a pas de distinction à faire Sadaka, répondit le suricate, ton père EST un Nyeusis, et rien ne pourra changer cela ! Quand à Kumpa…Je ne sais pas pourquoi tu ne l'aime pas, je suppose que le fait qu'il soit prince et avec ta mère, ça joue un rôle mais…Tu sais, c'est déjà bien que tu te rend compte de voir l'égoïsme de la chose.

« Si jamais cette guerre se solde par la victoire de Kumpa et son armée tous reviendront sur Prideland et nous emmèneront avec eux ma mère et moi. Je n’ai pas envi d’appartenir à un clan, à son clan, et je n’ai pas envie de perdre ma mère. Je ne suis pas dupe, il va vite avoir besoin d’héritiers et le beau-fils Nyeusis ne fait pas partis du tableau ! C’est immature de se plaindre comme ça non ? Je suis juste un peu perdu Akhet… »

- Hum…Tu sais Sadaka, si tu n'as pas envie d'être dans son clan, l'idée de ne pas être un héritier devrait pas te déranger du coup. Mais je pense que tu devrais penser à ce qui fait le bonheur de ta mère, si tu l'aimes vraiment. Après, rien ne t'oblige à vivre éternellement dans un clan et quand tu seras grand, tu voleras de tes propres ailes et fera ce que tu veux de ta vie ! Regarde moi ! T'as déjà vu un suricate tout seul ? J'ai quitté ma famille pour vivre une nouvelle vie et…

Akhet se tut un moment. Il maintint un instant le silence avant de regarder à nouveau le lionceau.

- Non c'est faux…fit-il d'une voix plus basse.

Il regarda un instant le coucher de soleil avant de se tourner vers le petit félin.

- A la base, j'ai quitté les miens parce que la menace des Nyeusis prenait de plus en plus d'ampleur sur le territoire et je craignais qu'ils ne viennent, eux ou les hyènes, saccager ma colonie et ma famille. Je pensais que malgré ce que j'étais, je pouvais aller faire quelque chose pour empêcher que ça arrive, à savoir, aller chez les Pridelanders et proposer mon aide pour qu'ils puissent récupérer Prideland.

Maintenant qu'il connaissait la haine de Sadaka envers Kumpa et l'admiration qu'il avait pour les Nyeusis, Akhet eut beaucoup plus de mal à lui expliquer tout ça. Il déglutit avant de poursuivre :

- Kumpa a accepté mon aide et m'a confié l'espionnage des Nyeusis pour repérer les failles, ainsi qu'un peu d'aide pour les Freelanders face à leur roi tyrannique…Je suis ensuite rentré récemment parmi les miens pour leur annoncer le pourquoi j'étais parti, ainsi qu'un peu d'aide pour ces missions à haut risque. Mais ma famille n'a rien voulu savoir et j'ai été plus vu en traître qu'autre chose…Je sais que je n'ai jamais eu un grand intérêt à ses yeux mais quand j'ai vu que c'était pire rien qu'en voulant les aider…Enfin…Bref. Je me suis rendu compte que...J'ai pris plaisir à vivre parmi les lions.

La mangouste s'assit à nouveau dans l'herbe avant d'ajouter :

- Si je dois donner une conclusion à tout ça, à nous deux, je dirais que la vie est bien compliqué des fois.

« Non ça n’est pas de moi qu’il s’agit là Akhet, les héritiers dont je te parle seront les enfants de Kumpa et ma mère, leur famille… C’est ça qui me fais peur. C’est que Kuzali s’oubli dans cette nouvelle famille parfaite. »

Famille parfaite, famille parfaite…C'était vite dit ! Ce n'était pas parce que c'étaient des souverains qu'ils auraient une famille parfaite également.

- Et toi, mon cher Sadaka, répondit Akhet, n'oublies pas non plus que tu fais partie de cette famille ! Que tu le veuille ou non.

Akhet se doutait bien de ce que pouvait ressentir actuellement le lionceau. Mais quand Sadaka sera plus grand, il trouvera peut-être enfin ce qu'il veut vraiment faire de sa vie et peut-être se détachera-t-il de sa mère et de Prideland. Pour ainsi dire, ce n'était pas ce que souhaitait le suricate. Akhet avait bien l'intention de faire partie du clan de lion et il aimerait vraiment que Sadaka reste parmi eux et avec lui. Mais bon, difficile de prédire à l'avance ce que l'avenir nous réserve. Le suricate en vint ensuite à lui parler de lui d'un peu plus en détail et des motivations qui l'ont un jour poussé à quitter son doux foyer. A vrai dire, Akhet s'attendait à tout sauf à un sourire de la part du lionceau. Il pensait que ce dernier lui en voudrait sans doute d'avoir aidé à la chute des Nyeusis et au désir de vouloir se rallier pour de bon avec Kumpa. Mais il semblerait qu'il n'en était rien de tout ça.

« Oh Akhet je pense qu’on aime à se compliquer les choses aussi parfois car ton histoire fait de toi le plus grand des héros que je connaisse.

Embarrassé, Akhet afficha un sourire en se passant une main derrière la nuque :

- Oh humpf…Tu exagères Sadaka !

Etait-ce vraiment ce qu'il était ? Un héros ? Difficile à croire pour un petit suricate, d'être vu comme un héros. S'il aurait été capable de tuer un lion de ses mains, là, probablement qu'il s'en vanterait mais être vu comme un héros pour avoir joué les fourbes espions, ce n'était pas un peu trop ? Même pour quelqu'un de légèrement égocentrique. D'autant plus que la mangouste était aussi assez étonnée de la réaction du lionceau au sombre pelage.

- Tu as quitté ta famille pour eux, tu as tenté de te mettre au service d’une cause qui te semblait juste. J’ai beau avoir mes questionnements sur les Nyeusis, ton acte va bien au-delà de ça. Il s’agit de courage et de détermination.

Moui certes, vu sous cet angle…

- Tu as, en plus, décide de revenir chez les tiens. Si il ne t’ont pas accepté à ta juste valeur pour ce que tu as feux pour eux alors ce sont des imbéciles. Tu sais Akhet je pense être le mieux placé pour le dire, on ne choisi pas sa famille, on ne fait qu’en subir les conséquences, qu’elles soient heureuses ou malheureuses. Après à toi de te forger la famille que tu veux, celle constituée des gens que tu aimes. Moi je te considère comme un membre de ma famille… »

Eh bien, voilà une révélation qui faisait chaud au cœur du petit suricate. Lui-même voyait Sadaka comme un ami intime, mais jamais il n'aurait songé être considéré comme un membre à part entière d'une famille de lion. Ca allait au-delà de ses espérances ! Pire encore quand on savait que ce n'était que la deuxième fois que le félin et le mustélidé se rencontrait. Sadaka s'attachait incroyablement vite au monde qui l'entourait, mais on ne pouvait pas dire que Akhet en était différent.

- C'est tellement difficile de te contredire, répondit le suricate, comment tu fais pour avoir toujours raison ? Je croyais être le seul capable de ça !

Il sourit, sentant tous ces doutes de la soirée s'éclipser comme ils étaient venus. Il le savait désormais : sa place était parmi les lions. Au diable sa colonie. Elle se débrouillait bien sans lui après tout. Ce n'était pas la solitude qui risquait de les déranger un jour. Mais Akhet savait à présent que s'il restait parmi les lions, il ne serait plus seul et sera toujours mieux comprit que parmi les siens. Quelle situation étrange, mais pas désagréable pour autant. Il était temps après tout qu'il trouve sa voie. Devant les dires de Sadaka, c'était fait. Mais il ne manquait plus qu'une chose : officialiser le tout. Il n'était pas encore dit que les Pridelanders vaincront les Nyeusis. Il n'était de ce fait pas dit non plus que Akhet resterait parmi eux. Mais quoi qu'en décide l'avenir, le suricate se jura de partager le destin de cet empire.

« De plus, j’aurais beau me plaindre autant que je veux, je sais qu’ils vont aller se battre. Ca n’est plus de mon ressort… » ajouta le jeune félin.

Akhet posa une main sur l'épaule de son ami à moustache :

- Eh, je pense que tu as raison. Une fois de plus.

- J’aimerais avoir ta conviction Akhet… J’aimerais tant. »

- Oh je suis sûr que tu l'as Sadaka. Tu le sais pas encore, voilà tout. Tu sais mon coco, tu as beau être jeune, tu es de loin de félin le plus censé que j'ai jamais rencontré. Et je dis pas ça à tout le monde !

Akhet se redressa sur ses petites pattes et bondit sur le rocher, atteignant ainsi la hauteur du lionceau, où il bomba le torse face au soleil couchant :

- Je dois dire que tu as su me regonfler le moral à bloc ! Et avec du recul, je me rends compte que je me faisais vraiment du souci pour rien ! Pourquoi se préoccuper d'une famille si banale quand je peux avoir un frère vraiment unique à mes côtés ? La solution du problème est de se concentrer vraiment sur ceux qui en valent la peine.