You win or You die ♫

Voila longtemps, désormais, que la rumeur avait fait son chemin. Sur la Terre des lions, et dans l'esprit d'Hatari. Les Mositus s'étaient divisés, et si Siri était parti loin avec les lions qui lui étaient fidèles, Kwadja avait pris la tête d'un autre groupe. Et c'était précisément ce groupe qui intéressait l'exilé. Il ne savait rien de cette lionne qui avait eu l'audace de s'élever face au mâle brun, si ce n'était qu'elle avait décidé de reprendre ce qu'on lui avait volé. L'oasis. Ce qui signifiait, sans erreur possible, qu'elle irait affronter les Jangowas. La Terre des lions n'avait pas oublié la guerre qui avait fait des ravages il y a de cela plusieurs années déjà, mais elle s'était apaisée par la suite, pour laisser le temps à ses habitants de guérir leurs blessures. Néanmoins, depuis peu, les Clan s'agitaient, et la guerre était désormais imminente.

Chacun mènerait son combat, et peu nombreux seraient ceux qui s'en sortiraient sans avoir à se mêler au jeu. Hatari aurait pu être de ceux-là - et ne pas se mêler aux autres - mais il savait parfaitement que l'Histoire s'écrivait en faisant des choix, et ce choix, il l'avait fait. Il avait là l'occasion de prendre sa revanche - du moins en partie - sur les Jangowas. Depuis le temps qu'il attendait cela, il ne passerait pas à côté. Qu'importe ce que dirait Kwadja, il s'imposerait. Les Mositus n'étaient pas aussi nombreux et aussi violent que pouvaient l'être les lions des sables, un guerrier de plus n'était pas négligeable pour eux. Surtout lorsqu'il était animé d'un esprit de revanche. Durant son exil, Hatari avait veillit. Il avait pris de l'expérience, et s'était musclé. Il avait enduré le temps, la famine et la solitude. Cela l'avait rendu plus fort, et faisait de lui un adversaire dangereux pour quiconque s'y méprenait.

Alors, une fois de plus, il s'était mis en route, et fait demi-tour encore une fois. Mais cette fois-là, il avait rejoint les Mositus, et les avait suivit. Il avait vu certains d'entre eux peiner dans l'air sec et aride, et si lui même n'y était plus habitué, il resterait toujours plus résistant que ceux qui n'avaient jamais vécu là-bas. Alors, quand le soir était tombé et que chacun était allé se reposer - sur ordre de Kwadja - lui s'était éloigné, et désormais, il veillait. Sa silhouette clair tranchait avec celles des autres Mositus, et il était clair que sa morphologie n'avait rien de semblable, mais les Mositus devaient lui faire confiance. Il ne leur tournerait pas le dos pour les trahir. Plutôt mourir que d'aider les Jangowas. Néanmoins, il préférait s'isoler et veiller plutôt que de dormir parmi des lions presque inconnus. Il n'était plus à l'aise au milieu d'un groupe. Peut-être ne l'avait-il jamais été, au fond. Il préférait apaiser les tensions en montant la garde, et en s'éloignant, dans le cas où ses compagnons de guerre se méfiaient de lui. Qu'ils dorment sur leur deux oreilles, il ne leur ferait pas de mal.

Seul dans la nuit, silhouette clair parmi les ombres, il posa son regard sur Kwadja. Il ne savait rien d'elle, mais elle dégageait un autorité et une volonté farouche qui ne laissait pas de place au doute. Comme lui l'était. Pas une seconde, le doute ou la peur ne vinrent envahir ses pensées. Comme le calme avant la tempête, il était immobile, et seule la légère brise du désert faisait onduler sa crinière. Mais que personne ne se trompe, lorsque le soleil se lèverait, il se mettrait en marche. Et plus que quiconque, il filerait droit vers son destin.

Tout était calme cette nuit-là. Il semblait que les éléments, le Désert lui-même, avaient cessé toute activité et retenaient leur souffle pour cette nuit si particulière. Pas un nuage ne couvrait la lune qui éclairait les dunes d'une lumière argentée. Pas un souffle de vent ne remuait l'atmosphère lourde et chargée qui régnait, et qui malgré le ciel dégagé, révélant lune et étoiles, annonçait la tempête à venir.

Au milieu des siens, Khassim avançait d'un pas souple et rapide. Chacun de ses mouvements trahissait la plus intense détermination, et son regard ne faillissait pas. Il était prêt à la bataille qui l'attendait, à la bataille qu'il attendait depuis des mois maintenant.
Presque deux mois après leur exil de l'Oasis, les Mositus s'étaient aventurés de nouveau dans le Désert, fermement décidés à reprendre "leur" jungle. A cette pensée, un rictus mi-haineux, mi-moqueur traversa le visage jusque-là impassible du mâle. Akili leur avait offert leur chance, lors de cette première "Bataille de l'Oasis", il s'était montré miséricordieux: au lieu de tous les exterminer jusqu'au dernier, sans cérémonie, il les avait laissés quitter le Désert.
Et voilà que ces demeurés avaient décidé de revenir, de s'exposer de leur plein gré au péril, choisissant d'ignorer le généreux avertissement de l'ancien Empereur du Désert. S'imaginaient-ils qu'ils auraient plus de chance avec le nouveau? Si c'était le cas, ils seraient bien surpris: pour le plus grand plaisir du lion aux yeux d'ambre, Vako n'avait pas tergiversé et avait décidé de lancer l'assaut.

Aussi une grande partie des Jangowas se dirigeait vers le lieu du combat, guidée par la lumière qui filtrait par intermittences des nuages qui peu à peu s'amoncelaient dans le ciel, annonciateurs de l'orage qui éclaterait sans doute sous peu.
Les lions du Désert savaient exactement où aller; cela faisait des jours que les Mositus avaient été repérés, depuis leur entrée dans le Grand Désert, en fait. C'était pathétique. Pensaient-ils vraiment pouvoir traverser le territoire de leurs ennemis jurés sans encombre? D'une manière générale, pensaient-ils vraiment que cette misérable tentative d'opposition aux Jangowas mènerait à autre chose qu'à leurs morts et à la désolation? Khassim se sentait brûler de rage lorsqu'il songeait que les lions bruns bafouaient leur jugement ainsi. Comment osaient-ils?!
En même temps qu'il sentait son sang bouillir dans ses veines, le jeune Jangowa ne pouvait s'empêcher de se sentir fiévreux. Il n'était pas habité par la simple fièvre du combat, non, il sentait également sa soif de vengeance être décuplée à la perspective du combat à venir. Il allait enfin pouvoir faire personnellement payer aux Mositus le prix de leurs actions. Ils avaient séduit et sali leur – ancienne – Impératrice, et bien qu'il ait obtenu la confirmation par son père que les Mositus n'avaient jamais empoisonné l'eau, cette histoire lui était restée en travers de la gorge. En plus du dégoût qu'il éprouvait déjà envers eux en raison de leur mépris des lois Jangowas et de leur "parasitage" de l'Oasis, il les avait véritablement pensés responsables de la mort de nombre de Jangowas, dont la propre mère de Khassim, ce qui avait augmenté sa haine. Et maintenant, après tout ce temps à avoir été convaincu de la responsabilité des lions sombres dans cette affaire, il ne parvenait pas à se départir de ses sentiments. Et de toute manière, pourquoi faire? Les Mositus avaient quand même choisi de retourner dans le Grand Désert, s'exposant de leur plein gré aux crocs et aux griffes des Jangowas. Ces derniers sauraient leur faire comprendre une bonne fois pour toute qu'ils n'étaient pas les bienvenus.
Alors que lors de la première bataille, il y avait de cela presque deux ans, le fils de Chenko n'avaient pas pu être présent, encore en Exil rituel, aujourd'hui, il se le jurait, il aurait sa revanche. Sa soif serait enfin étanchée. Cheminant à présent aux côtés de son père, le lion ne quittait plus la voie invisible tracée devant lui, cette voie qui le mènerait au combat. Il le savait, rien ne l'en détournerait.

Son cœur bondit dans sa poitrine lorsqu'il entendit de Vako les mots tant désirés.

- Tuez-les... Pas de deuxième chance...

C'était tout. Pas besoin de long discours pour échauffer les esprits, ces simples mots suffisaient aux guerriers entrainés et déterminés qu'étaient les Jangowas.
Posté au premier rang, près de Chenko, Khassim n'en attendait pas plus. S'élançant alors au plus fort de sa vitesse à la suite de l'Empereur, le lion des sables se réjouit de la sensation de puissance qu'il ressentait. Sans une seule seconde d'hésitation, il se jeta sur une forme sombre qui se tenait à l'abord du groupe de lions bruns. Le félin tétanisé par la surprise eut à peine le temps de se remettre du choc que Khassim plongeait ses crocs dans sa gorge et serrait du plus fort qu'il pouvait, se dégageant moins d'une minute après: il ne souhaitait pas perdre le moindre instant inutilement. Il exterminerait le plus grand nombre possible de ces vermines de Mositus sans le moindre état d'âme...

Citation :

Désolé pour l'attente ! J'espère que ça vous plaît. Désolé, j'ai eu du mal à jouer Léhona sur ce coup-ci ^^'

The Great Battle ♫

Tandis que la plupart des Mositus reprenaient des forces avant de s’élancer dans la bataille – usé par le pénible voyage qu’ils avaient entamé – Hatari fixait l’horizon, immobile. Au loin, les nuages s’amoncelaient, et le vent qui montait peu à peu ne laissait pas de doute quand à la tempête qui se préparait. La nuit serait sombre, sans aucun doute. Beaucoup de lions perdraient la vie, ici comme ailleurs, mais c’était ainsi que les choses évoluaient. L’Histoire s’écrivait par des choix, et nul ne pouvait y échapper. Il revenait à chacun, un jour ou l’autre, de choisir. Choisir une voie ou un camp, sans connaître l’issue. C’était peut-être ce qui rendait les choix si compliqué ; ne pas savoir si c’était un premier pas vers la fin, ou bien le début d’une longue aventure. Ne pas savoir si on faisait erreur, ou si la raison servait de guide. Être ignorant, somme toute. Mais qu’importait, puisque la fin était la même pour tout le monde, sans possibilité d’y échapper. L’exilé était parfaitement conscience que les chances des Mositus étaient minces, pour ne pas dire infimes, mais ce n’était pas réellement pour eux qui le faisait. Lui n’avait nulle besoin de récupérer l’oasis, puisque la guerre terminée – si tant est qu’il y survivait – il repartirait là d’où il venait. Non, c’était bien différent pour lui. Il aurait pu ne jamais se mêler à la guerre, et laisser les deux clans se mesurer, mais il aurait manqué sa chance, celle qu’il attendait depuis le jour de son exil. Il n’était pas un traître. Il n’était pas non plus un lâche, il avait simplement suivi son instinct, et fait ce qui lui semblait être juste.

Mais qu’importait le passé, puisqu’aujourd’hui marquerait un nouveau tournant de l’histoire. S’il avait rejoint les Mositus, c’était uniquement pour pouvoir affronter les Jangowas. Prendre sa revanche sur tous ceux qui s’étaient retournés contre lui sans même réfléchir, contre tous ces entravés qui se pensaient libres. Lui l’était, pas eux. Et il allait leur montrer à quel point ils avaient eu tort, ce jour-là. Tandis qu’une violente bourrasque agitait sa crinière, ses yeux bruns fixaient toujours l’horizon, attentif au moindre mouvement. Et bientôt, des silhouettes sombres se découpèrent dans la nuit, agile et rapide. Mais il ne bougea pas, ne donnant pas non plus l’alerte. Il attendait. Hatari n’avait pas peur, et ne redoutait pas de se battre. Depuis la dernière guerre – où il avait su échapper à ses ex-compagnons une première fois – il s’était musclé, et avait pris du poids. Il était devenu plus trapu, et surtout, plus expérimenté. Et il était animé d’une détermination si farouche que rien ne l’arrêterait. Qu’ils viennent, il était prêt.

Bientôt, un cri s’éleva parmi les Mositus, annonçant l’arrivé des Jangowas. Les lions bruns se relevèrent d’un bond, prêt à en découdre quoi qu’hésitants par ce réveil inattendu. Ils étaient peu nombreux, et jeunes. Néanmoins, ils étaient prêts, et ils avaient quelque chose à gagner. Les Jangowas n’avaient qu’à y perdre. Tandis que leurs ennemis se rapprochaient de plus en plus, presque à leur portée, les Mositus s’élancèrent aussi. Hatari, toujours assis à l’écart, observa la scène. Il connaissait plus de lions du désert que des lions sombres. Il y a quelques années de cela, lorsqu’il faisait encore parti de leur clan – et qu’il pensait y être intégré – il s’était élancé contre les lions de l’oasis, certain de leurs culpabilité. Mais aujourd’hui, il se rendait compte à quel point il s’était trompé, à quel point tout cela était futile. Il n’y avait pas de bons ni de mauvais lions, seulement des intérêts divergents. Personne n’avait tort, et personne n’avait raison. Les clans ne s’opposaient que parce qu’ils désiraient et revendiquaient les mêmes choses, sans vouloir les partager. Le pouvoir guidait chacun d’entre eux. Hatari y compris.

Lorsqu’enfin les premiers rugissements se firent entendre, et que les premiers lions se heurtèrent, l’exilé s’élança. Plus rien ne comptait, désormais, si ce n’était cette froide détermination qui l’animait. Aucuns sentiments, aucun doute. Il abattrait chaque Jangowa qu’il croiserait, peu importe son âge ou son identité. Il n’aurait de pitié pour personne. Ils avaient jadis fait un choix, à eux de le payer aujourd’hui. Rejoignant la mêlé, il dépassa quelques Mositus déjà en train de se battre pour sauter à la gorge du premier Jangowa qu’il croisa. Un jeune mâle qu’il ne connaissait pas, à peine revenu de son exil sans doute. Un mâle qui ne lui avait rien fait. Mais qu’importe. Même lorsqu’il vit la lueur d’hésitation dans les yeux de son adversaire – qui ne comprenait pas pourquoi il se retrouvait face à un Jangowa – il ne s’arrêta pas. D’un violent coup de patte, il le jeta à terre, avant de plonger ses crocs dans son cou. Sans s’attarder plus longtemps, son pelage clair tâché de sang, il s’élança à nouveau. Son physique de Jangowa ne pouvait pas passer inaperçu, et perturbait les lions autour de lui, qui semblaient hésiter à son passage. Lui en profitait, et se jeta sur un autre Jangowa qui ne l’avait pas vu. Le heurtant de plein fouet, ils roulèrent en boule, avant que le mâle beige brise la nuque de son chétif adversaire.

Tandis qu’il se relevait pour trouver un autre adversaire, son pelage maculé de boue et de sang, le visage inexpressif, son regard croisa celui d’une autre lionne, immobile elle aussi. Une lionne qu’il ne connaissait que trop bien. Léhona. Durant une fraction de seconde, il s’arrêta, immobile au milieu des combats. Elle était encore là, malgré la mort d’Akili et sa disgrâce. Elle était restée, alors qu’elle avait été libérée de l’Empereur. Au fond, elle n’avait jamais voulu partir, quoi qu’elle ait pu lui dire. Elle l’avait trompée aussi, comme tant d’autres. Il lui avait fait confiance, et il n’avait reçu que de l’indifférence en retour. La vieille lionne avait assuré regretter ce qui s’était passé, et l’exilé l’avait cru, mais il s’était fait avoir. Blessé et en colère, il dévoila ses larges crocs, prêt à s’élancer de nouveau.

Passé le premier instant de surprise, les Mositus se reprirent... Ce qui ne faisait pas grande différence, pensait Khassim en arrière-plan, plein d'une ironie mauvaise. Il fallait le leur reconnaître, ces chacals étaient dotés d'une certaine forme de courage. Ou de folle stupidité, à choisir, puisqu'ils étaient partis défier les Jangowas sur leur propre terrain, là où ils avaient l'avantage, alors même qu'Akili leur avait offert l'exil au lieu de la mort, lors de la première Guerre de l'Oasis! Insensé... Ils allaient maintenant payer le prix de leurs erreurs. Khassim se le jurait.
Le jeune mâle aux pelage clair passait d'un adversaire à l'autre, tuant sans état d'âme, sans perdre de temps. Il achevait un lion brun, bondissait sur un autre, le plus proche de lui, avait à peine le temps de voir le regard terrifié, ce regard qui sentait la mort planer sur lui, de sa nouvelle victime que déjà il plongeait griffes et crocs dans son corps, à la recherche de ses centres vitaux. Il se faisait griffer et mordre lui aussi, mais la douleur était sourde, elle n'était que secondaire, il ne la sentait qu'en arrière-plan. Cela importait peu. La seule chose, primordiale, qui comptait en cet instant était de faire le plus de victimes possibles dans les rangs ennemis.

Le clan clairsemé de félins bruns avait peine à se défendre sous les vagues de Jangowas qui avançaient, incessantes et impitoyables. Relevant un instant la tête à la recherche d'un nouvel adversaire après avoir ôté la vie d'un nouveau Mositu, Khassim entr'aperçut son père non loin, qui feintait un ennemi pour mieux atteindre sa gorge – malgré un âge avancé, Chenko savait se défendre mieux que quiconque, son expérience compensant la fatigue apportée par l'âge. Les rangs Mositus subissaient durement l'attaque Jangowa, les lions bruns encore debout étaient de moins en moins nombreux, leur nombre diminuant rapidement suite à l'assaut des lions du Désert... Khassim reconnut vaguement deux ou trois visages connus, d'autres Jangowas se battant sans pitié, avant de reporter son attention sur le corps sombre sous ses pattes qui tremblait de terreur et de rage de vivre mêlées... L'instant d'après, le corps ne tremblait plus.
Le mâle aux yeux dorés gronda tout en se jetant sur un énième félin brun, le renversant et l'entraînant dans sa chute. Les deux animaux roulèrent dans le sable pâteux, échangeant coup de griffes, morsures sans merci et regards brûlants de haine. Le Jangowa lutta un moment, sa mâchoire cherchant la jugulaire de son ennemi, puis fut renversé par un autre Mositu. Il se releva sans attendre, porta un coup fatal à celui qui se trouvait encore à terre – il n'avait pas eu le temps de savourer la chance qui lui avait été offerte par le second Mositu – avant de se tourner vers celui qui l'avait poussé et qui lui faisait face, attendant de patte ferme son attaque, muscles bandés.

Il courait vers lui lorsqu'il sentit un choc dans son côté droit – quelqu'un venait de l'attaquer. Ivre de rage d'avoir été interrompu dans son attaque et d'avoir été arraché de force à sa proie, sa colère se décupla sous l'effet de la douleur que lui infligeait son nouvel adversaire. L'adversaire en question, une lionne à la fourrure d'un rouge très sombre, griffait son flanc avec violence tandis qu'elle projetait ses mâchoires vers la jugulaire du félin aux yeux dorés.
D'une soudaine torsion de la colonne vertébrale, Khassim bascula son corps vers la Mositu, leurs deux corps subissant un roulé-boulé en touchant le sol, et, profitant de son poids supérieur à celui de son ennemie, il la plaqua avec violence au sol, ses pattes avant plantées avec force dans les épaules de la lionne brune. Il montra les crocs, le visage haineux, cherchant à son tour la gorge de son ennemie tandis qu'elle lui griffait le ventre de toute la force de ses pattes arrières.
Le mouvement offensif du Jangowa trouva sa fin brutale lorsque la lionne projeta ses pattes arrières dans le ventre du guerrier des sables, entraînant une fois de plus les deux lions qui roulèrent de nouveau, enchaînèrent plusieurs tours avant que Khassim, aidé par l'élan de leur mouvement, ne se débarrasse de la Mositu en l'arrachant à lui d'un coup de pattes. Il se releva sans attendre – ne jamais laisser à l'adversaire le temps de t'attaquer lorsque tu es au sol, car tu y vulnérable, lui avait appris son père lors de leurs entraînements. Malgré la vive douleur des blessures fraîches que lui avait infligé la lionne, il frappa un grand coup dans le sable, se donnant l'élan pour se dresser à nouveau, faisant face une fraction de seconde à son ennemie qui avait fait de même.
D'un même mouvement, les deux animaux se projetèrent l'un contre l'autre, cherchant tous deux, dans un combat de titans, à frapper le plus fort, à envoyer l'autre au sol, à atteindre l'endroit sensible et vital de l'adversaire. Chacun dressé sur ses pattes arrières, appuyés l'un contre l'autre, ils quêtaient le moindre instant de faiblesse pour frapper là où ça ferait le plus mal – si possible pour infliger une blessure mortelle.

Epic Music

Tandis que la bataille faisait rage, le tonnerre grondant au loin, Hatari n'avait d'yeux que pour la lionne qui lui faisait face. Jadis alliés et loyaux l'un envers l'autre, il ne restait plus rien de leur passé commun. Si le mâle avait longtemps gardé Léhona en estime, la voir au milieu des lions du désert alors qu'elle n'était plus entravée par aucune chaîne avait achevé de la faire basculer de l'autre côté. Du côté de ceux qu'il défierait. Et tandis que ses crocs tâchés de sang reflétaient la lumière de la lune, Hatari se mit en marche. Son pas était pesant et mesuré, comme au ralenti au cœur de la mêlé. Mais qu'importe, il avait un objectif en vu et il ne le quittait pas des yeux. Même lorsqu'elle s'élança à nouveau dans la mêlée, abattant un mositu de plus, il continua sa progression, imperturbable. Il était de ceux qui pouvaient rester de marbre même au coeur d'une mêlée.

Tout en s'approchant, l'exilé regarda la lionne se débattre avec son adversaire, qu'elle finit par laisser aux pattes de deux autres Jangowas, qui firent bien vite taire les protestations de leur ennemi. Et soudain, elle s'élança, presque face à lui. Sans nul doute, elle avait elle aussi une cible, mais cette fois-ci, il ne laisserait pas sa chance passer. Lorsqu'elle passa à sa hauteur, il s'interposa, et elle le percuta de plein fouet, puis recula, furieuse d'avoir été ralentie. Elle dévoila ses crocs et gronda, avant de poser les yeux sur son nouvel adversaire. Adversaire qu'elle ne pouvait ignorer, désormais. Si son sang battait dans ses veines, Hatari n'en resta pas moins de marbre. Le visage fermé, seul la lueur qui animait ses yeux pouvait témoigner des sentiments qui l'habitaient. Colère, soif de revanche, détermination farouche.

Ses yeux bruns fixèrent ceux de la lionne, comme pour lui transmettre un message silencieux. Comme pour lui rappeler ce qu'ils avaient jadis pu vivre ensemble. Il lui en avait voulu de ne pas être intervenu en tant qu'impératrice, et elle l'avait assuré de sa peine, rétorquant qu'elle portait des chaînes qu'elle ne pouvait briser tant qu'Akili était en vie. Il l'avait cru, et quelle erreur il avait fait ! L'exilé voyait bien, désormais, que tout cela n'avait été que des paroles en l'air pour se protéger, seule face à lui. Mais désormais, elle ne pouvait plus nier. Plus fuir. A elle d'assumer. Il s'avança encore d'un pas vers elle, sa crinière en bataille oscillant à la même cadence que ses muscles puissants roulant sous sa peau. Il avait changé depuis son exil, il le savait parfaitement, et il était devenu plus impressionnant ; plus encore au coeur de cette mêlée sauvage, où la lueur qui animait ses yeux ne laissait aucun doute quant à ses intentions. D'une voix glaciale, il déclara simplement :

─ Il semblerait que le destin nous rattrape.

Puis, sans attendre un instant de plus, il se jeta sur la lionne, et la renversa. Ils étaient deux égaux, chacun aussi expérimenté que l'autre, mais il avait l'avantage de la force d'un mâle, et de l'âge. Si Léhona était une redoutable guerrière, elle n'en devenait pas moins âgée, et restait plus mince que lui. Dans un rugissement puissant, il lui adressa tous les reproches qu'il avait à lui faire, à la fois en colère et peiné de s'être trompé sur le compte de Léhona. Il l'avait apprécié, et devoir la mettre à terre lui coûtait, sans qu'il admette réellement de le reconnaitre. Mais il avait promis, et elle était Jangowa. Dans un geste vif, il planta ses crocs puissant dans l'épaule de la lionne, refermant ses mâchoires sur la peau et les muscles de son adversaire. Il ne savait pas s'il laisserait une trace. Il ne savait pas non plus quelle serait l'étendu de la blessure, mais il était certain d'une chose ; plus qu'une simple plaie, cette morsure laisserait une trace dans l'esprit de la lionne. Il le savait, parce que celle des Jangowas restait ancré dans sa mémoire.

La Mositu était vive et, à n'en pas douter, inhabituellement bien entraînée au combat pour son clan. Mais cela n'allait pas l'aider, songeait Khassim avec hargne tout en lacérant la lionne brune de ses griffes. Oh, non... Quand il en aurait fini avec elle, elle regretterait d'avoir reçu cette éducation guerrière et de n'être pas restée avec les autres lâches et faibles félins, avec le fils d'Akili, en-dehors du Désert.
Elle parvint malgré tout, d'un rapide mouvement, à se retrouver derrière lui. Devinant son prochain coup une fraction de seconde avant qu'elle ne l'assène, il eut le temps de se décaler légèrement d'un dérapage. Il ne put cependant éviter la masse sombre qui s'abattit sur son dos: elle manqua son objectif premier – la nuque du félin des sables – mais planta avec force ses crocs dans le bas du dos de son adversaire. Fou de rage, Khassim émit un violent grondement tandis que, obéissant à une impulsion envoyée par son corps rompu au combat, il mit tout son poids sur le haut de son corps, dressé sur les pattes arrières. Comme il l'espérait, il retomba au sol, sur le dos – écrasant ainsi la lionne. Le choc brutal lui coupa cependant le souffle un instant à lui aussi, et il roula sur le côté afin de se donner le temps de se relever.

Une brève inspiration après, il était de nouveau sur ses pattes et s'élançait une fois de plus sur son ennemie, qui, debout également, montrait les crocs.
Coups de griffes, morsures, coups de pattes... Les deux félins s'échangeaient coup sur coup, indifférents à la douleur, indifférents à la pluie qui leur brouillait la vue, indifférents au sang qui les faisait glisser, indifférents à la saleté qui imprégnaient leurs pelages. Rien n'importait plus que l'autre individu, et la rage de vaincre. Aucun ne voulait céder un pouce de terrain à l'autre, malgré la souffrance qui se faisait de plus en plus cuisante, malgré la raideur qui s'emparait de leurs muscles.
Ce n'était pas aujourd'hui qu'il serait surpassé à l'art de la guerre, se jura Khassim en lui-même... Et il ne le serait sûrement pas par un Mositu.

Toutefois, un événement s'interposa entre les deux adversaires et vint changer la donne. Le lion des sables revenait une fois encore à la charge après que la lionne brune et lui aient été forcés de se séparer un instant infinitésimal avant de reprendre leur combat mortel. Soudain, alors qu'il plongeait une nouvelle fois vers la femelle rouge – cela en devenait presque lassant. Khassim avait envie d'en finir une bonne fois pour toute, et vite –, ses yeux parcoururent machinalement, à la volée, la foule de félins derrière son adversaire. Ils rencontrèrent une silhouette vaguement familière au guerrier des dunes: une forme massive et pâle... Mais pas un des siens.
Dans cet infime instant durant lequel le mâle aux yeux dorés avait détourné son attention de la Mositu, il reconnut l'étranger. Bien sûr, ce pelage, cette carrure... Hatari. Le traître, qui avait bafoué l'autorité de son Empereur et piétiné les lois Jangowas. Celui qui était revenu dans le Désert, foulant de ses pattes immondes le sol sacré du territoire Jangowa, le jour maudit de la mort d'Akili. Celui-là même qui avait été honteusement épargné par le tout jeune Empereur Vako. Et aujourd'hui, ce détestable traître revenait une fois de plus, se battant contre ses anciens camarades.
Aujourd'hui, il était temps qu'il paie.

Khassim tombait toujours sur la lionne sombre, mais c'était à peine s'il lui prêtait attention maintenant. La femelle s'écarta vivement, si bien que le Jangowa tomba seulement sur sa patte avant et non sur sa nuque.
Se reconcentrant autant qu'il le pouvait malgré ses troublantes pensées concernant Hatari, il attrapa de la mâchoire l'épaule de la Mositu qui riposta d'un coup de griffe. Maintenant focalisé sur son nouvel objectif, il n'y prêta guère attention: il tira de toutes ses forces de la mâchoire, arrachant un bref instant son adversaire du sol, pour aussitôt la plaquer au sol avec violence.
Malgré l'avantage que cela aurait pu lui procurer pendant quelques secondes, Khassim ne s'attarda pas. Profitant du mince moment de répit qui lui était accordé, il bondit, survolant le corps étendu de la Mositu, esquivant un autre lion brun encore debout – pas pour longtemps, estima le lion des sables, car un camarade de clan de Khassim se dirigeait à vive allure vers lui – et fonça sur la forme claire devant lui.

La Mositu pouvait attendre; si elle n'était pas encore morte lorsqu'il aurait exécuté ce qu'il avait à faire, il se chargerait d'elle, mais pour le moment il avait plus important à traiter.
Hatari avait maintenant plongé sur Léhona. Malgré toute l'aversion que Khassim pouvait avoir envers elle, elle restait sa camarade de clan, et à choisir entre elle et ce traître d'Hatari, il n'y avait pas la moindre hésitation à avoir.
Dans un rugissement rageur, le jeune mâle plongea sur l'intrus, le percutant dans le flanc et l'arrachant de l'ancienne Impératrice. Aujourd'hui, il aurait sa revanche.

Sand of Time

Durant l'infime moment pendant lequel il plongea ses crocs dans l'épaule de Léhona, le grand mâle fut étonné de ne pas la sentir se débattre sous lui. Un bref instant, Hatari eut l'impression qu'elle abandonnait, et se rendait à son triste destin. Qu'importe, il n'aurait pas de pitié pour elle, pas plus que pour n'importe quel Jangowa. Sous ses crocs, il sentait la chair se déchirer, et le sang coula. Le sang de son ancienne impératrice. Comment aurait-il pu un jour imaginer la mettre à terre ?

Soudain, un rugissement de rage s'éleva au cœur de la mêlée, et une lourde masse vînt heurter l'exilé de plein fouet au niveau du flanc, le jetant à terre. Le souffle coupé par le choc, ce dernier se releva tant bien que mal, à la recherche du lion qui avait fait ça. Quel ne fut pas sa jubilation lorsqu'il croisa le regard de Khassim, le fils de Chenko. Chenko qui avait voulu le tuer. Chenko qui était en partie responsable de son exil. Le regard d'acier de son fils témoignait de la haine qu'il ressentait envers son ancien camarade - si tant est que le mâle clair avait un jour était considéré comme tel. A son tour, Hatari poussa un puissant rugissement, comme pour mettre Khassim au défi. Qu'il vienne, lui aussi, et il serait le second à mordre la poussière. Le fils du général n'était même pas parti en exil qu'Hatari avait déjà vécu plus de choses que la plupart des lions de ces Terres.

S'élançant à son tour, Hatari plongea pour jeter ses crocs dans la chair tendre du mâle, à la jonction du flanc et de la cuisse, là où la peau était si fine et fragile. Dévoilant ses crocs puissants, l'exilé plongea sur Khassim, déchirant la peau et tout ce qui se trouvait là. Comme animé d'une volonté extérieure, il jubilait de sentir sur sa langue le sang du jeune mâle arrogant et imbu de lui-même. Comme c'était plaisant ! Sous ses dents, il sentait la chair se déchirer, et cause des ravages que seul le temps pourrait guérir. Si ce n'était pas une blessure profonde, elle se révèlerait néanmoins être handicapante - au moins à court terme - et affreusement douloureuse. Hatari le savait, pour s'être lui-même fait avoir. Le sang coulant sur son menton et sur sa crinière clair, l'exilé ne lâchait rien, libérant tout sa rage dans ce coup de dent si banal. Mais soudain, une voix s'éleva ; faible et peu assurée :

─ Partir … il faut partir … Partir … il faut partir …

N'en croyant pas ses oreilles, Hatari lâcha enfin son adversaire pour porter son regard sur la femelle à l'origine de ce cri désespéré. Quelle ne fut pas sa colère lorsqu'il compris que c'était les ordres de Kwadja. La meneuse de Mositu abandonnait. Elle laissait tomber. Comment pouvait-elle seulement songer à cela ? De rage, Hatari rugit puissamment. A quoi bon tous ses morts si c'était pour tourner le dos à l'ennemi et s'enfuir ? A quoi bon tous ses beaux discours sur la vie ou le péril pour récupérer la terre de leurs Ancêtres ? L'exilé était effaré, et plus que tout en colère. Une fois encore, les choses ne tournaient pas comme elles auraient dû le faire, et il se retrouvait contraint de laisser tomber ses projets. Non, pas cette fois ! Lui resterait ! Il aurait sa vengeance !

C'était une soif de vengeance attisé par la haine et la colère qui animait désormais Hatari, dont le regard brillait de mille flammes. Qu'ils fuient, tous ces Mositus ; ils n'avaient pas la trempe des lions du désert, et pas non plus des véritables guerriers. Mais quand bien même il était prêt à mourir, le grand mâle finit par comprendre qu'il ne gagnerait pas cette fois-là. Tout autour de lui, les lions au pelage sombre abandonnaient leurs adversaires pour retourner là d'où il venait. Partout, les Jangowas se réunissaient pour abattre les fuyards à la traîne ou les blessés. Bientôt, il serait seul, et le piège se refermerait sans plus aucune issue. Était-ce cela qu'Hatari voulait ? Mourir au milieu de tous ceux qu'il haïssait, sans avoir obtenu sa vengeance ? Mourir sans avoir trouvé les réponses aux questions de son passé ? Non. Ce n'était pas ce qui était prévu. Ça ne pouvait pas se passer comme cela ! Mais fuir était une option qui répugnait au lion clair, tant c'était pour lui un signe de lâcheté et de faiblesse. Néanmoins, c'était sa seule issue. C'était fuir, ou mourir. Et à choisir, mieux valait fuir pour prendre plus belle revanche.

Tandis que les derniers râles se faisaient entendre, l'exilé regarda Khassim, et dans un geste furieux, lui asséna un violent coup de patte, marquant son œil d'une large cicatrice. Comme lui il y a des années de cela. Cette cicatrice qui ornait désormais son œil, lui empêchant d'oublier ce qui s'était passé, ravivant chaque jour cette douloureuse déchéance. Qu'importe que la blessure de Khassim ne laisse pas de trace physique, elle en laisserait une morale, et le brûlerait mieux qu'une pierre brûlante. Ainsi, il ne pourrait oublier l'exilé qu'il avait voulu tuer. Celui qui avait bravé les frontières et défié l'autorité des siens pour assister à la déchéance de l'Empereur. Ainsi, la prochaine fois qu'il se reverrait, l'un d'eux ne se relèverait plus. Ce fut d'une voix glaciale que l'Exilé s'exprima une dernière fois en ce jour sombre :

─ Ne m'oublie pas, Khassim. Cela ne fait que commencer.

Puis, dans un rugissement de colère, il tourna le dos, et détala dans le désert, loin des Jangowas et de son passé. Un jour viendrait où il obtiendrait sa vengeance, quel que soit le prix à payer.

[Désolé Khassim, je serai bien resté pour te coller une raclée, mais bon, pas trop le choix ]

Khassim eut l'intense bonheur de sentir le corps de l'exilé s'écraser au sol sous son poids – avant de se séparer d'Hatari et de rouler non loin. Le Jangowa ne voulut pas perdre un instant: il se redressa et fut sur pattes au moment où son adversaire se relevait également. Un bref échange de regards eut lieu – il était difficile de savoir lequel était, en cet instant, le plus heureux de tomber sur l'autre – et sans attendre, ils attaquèrent.
Hatari s'élança et plongea pour attraper et déchirer une fine couche de peau sur son ventre. Le lion des sables gronda de douleur et de rage, et en retour, enfonça ses griffes aiguisées dans les épaules offertes de l'autre mâle. Dans un même mouvement, il se contorsionna dans le double but de dégager sa chair de l'emprise des crocs d'Hatari et de pouvoir plonger ses crocs quelque part dans le corps de l'exilé. S'il ne parvint pas à se libérer de la douloureuse étreinte de son ennemi, il put en revanche atteindre son épaule, qu'il mordit à pleins crocs. Ses pattes se déplacèrent et tâchèrent d'enserrer le corps d'Hatari pour l'empêcher de s'arracher à sa prise.
La douleur que Khassim ressentait était toujours aussi intense, mais elle était secondée par la rage de vaincre. En cet instant, rien d'autre qu'Hatari ne comptait. Hatari et la volonté ardente et indomptable de le faire payer. Aussi le Jangowa refusait-il de laisser la douleur l'atteindre véritablement. Il ne pouvait pas, ne voulait pas flancher, même si cela demandait d'autant plus d'énergie et était autrement moins facile que de reposer tous ses muscles dans un abandon final. Ça, il se le jurait, on ne le verrait jamais faiblir devant cet immonde traître.
Il savait qu'il en était de même pour l'autre félin. Aucun ne cèderait. Aucun n'admettrait une quelconque défaite. Le combat qui s'était engagé était un combat à mort. Pas la moindre merci ne pouvait exister entre ces deux félins aux visions du monde si antinomiques, tous deux le savaient.

Aussi fut-ce une intense surprise lorsque le mâle aux yeux bruns suspendit ses gestes, lâchant finalement la chair du plus jeune. Khassim, d'abord incrédule, comprit qu'il écoutait une voix qui portait faiblement par-dessus la clameur des combats. Une voix épuisée, terrifiée, une voix pitoyable. Dont la propriétaire criait à tous de fuir.
Le Jangowa eut un sourire carnassier. Il avait fallu du temps aux Mositus pour comprendre toute l'étendue de leur fatale erreur. C'en était même surprenant qu'ils n'aient pas fui plus tôt. Et maintenant, constatant leur évidente infériorité, ils fuyaient la queue entre les pattes, repartant par où ils étaient venus. Comme c'était satisfaisant...
Dans un geste rageur, l'exilé lança un dernier coup de patte dans le visage de son ancien camarade de clan. Le guerrier du désert sentit l'estafilade formée le brûler tandis que le sang coulait.
Sa jubilation ne fut pourtant pas le moins du monde atténuée lorsqu'il constata qu'Hatari fuyait. Comme l'indigne lion qu'il était, il abandonnait le combat. Son adversaire se releva aussi prestement que le lui permettaient ses blessures. Le lion crème lui enjoignit de ne pas l'oublier – pas de risque là-dessus, il ne pourrait effacer de sa mémoire le souvenir de ce fourbe et lâche individu!

- Je t'attends, Hatari, lança-t-il avec force. Qu'il sache que Khassim ne le craignait pas et qu'il n'attendait rien avec plus d'ardeur que le retour du traître, pour lui faire payer ses actes.

Il observa son ennemi s'éloigner au loin. Ses dernières paroles résonnaient encore dans son esprit – quelle douceur avaient ses mots! Ils lui promettaient la revanche qu'il espérait tant.

- Je t'attendrai, Hatari... répéta-t-il à voix basse pour lui-même. Tu ne m'échapperas pas; ni à moi, ni à ton destin.

Enfin il fit volte-face. L'exilé avait disparu au loin, avalé par le Désert. Quelques Mositus faisaient de même, partant clopin-clopant, abandonnant à leur sort leurs camarades trop gravement blessés pour fuir. Les Jangowas finissaient d'achever leurs proies agonisantes. C'était terminé.
Khassim ressentit alors une grande fierté et une profonde joie à l'idée que les lions bruns aient été chassés une bonne fois pour toute du sol jangowa. Étant donné le terrible carnage qui venait d'avoir lieu, il était à peu près sûr d'affirmer qu'ils avaient, cette fois, compris la leçon et qu'ils ne reviendraient pas.
Le Grand Désert appartenait aux seuls Jangowas. Il était temps que chaque individu de la Terre des Lions le comprenne.