J'étais bouleversé, il n'y avait pas d'autres mots. Ce que j'avais appris au retour de mon voyage, celui qui m'a permis de rencontrer Léhona, m'avait laissé gueule bée pendant quelques jours. Comment voulez-vous réagir à l'annonce de votre sœur qui vous dit qu'elle est depuis peu enceinte, hein ? Enfin, depuis peu...si elle le sait c'est que cela fait au moins un mois voire un mois et demi qu'elle l'est, et son ventre ne cessait de prendre du volume. Alors je décidai de me retirer quelques jours de la vie familiale ou même de celle du clan, pour me retrouver seul avec moi-même, et mes peurs les plus profondes. Puis, après avoir longuement réfléchit en solitaire dans ma grotte, éloigné de tous, ma décision était prise et j'allai en parler à Valaka et Shaara.

Je dus longuement débattre avec eux car après les événements de l'Oasis, ils ne voulaient plus avoir à faire dans un clan. Ils voulaient la liberté, ne plus se battre pour un groupe de lions avec lesquels ils ne partageaient aucun des idéaux fondateurs. Mais mon argument était le suivant : ils partageaient avec eux d'être des exilés, dont personne ne voulait ailleurs. De plus, je leur dis la vérité : qu'avec l'affaiblissement dû à sa grossesse et mes absences de plus en plus fréquentes, je n'allais pouvoir les protéger plus longtemps, et elle-même ne serait plus apte à se protéger seule, et il fallait que Shaara s'absente encore parfois pour trouver de quoi manger.

Ils finirent par admettre que la priorité était de rester en vie, ce qui me soulagea. Ainsi, ils étaient prêts à faire leur entrée dans Outland. Il fallait dorénavant que je trouve le moyen de les faire entrer rapidement, et il n'était pas bien difficile de le trouver. La princesse Tahani me savait honorable et de son côté, c'était donc le moment de lui demander une petite faveur de plus. Je savais que cela allait augmenter ma dette envers elle, mais j'étais prêt à tout faire pour protéger au mieux ma famille.

Perdu dans mes pensées, je la trouvai dans la termitière, allongée, et seule, pensive. Je n'osai trop la déranger, tout d'abord, puis je me dis que c'était important et que le temps me manquait. Ainsi j'arrivai prêt d'elle, et constatant qu'elle était soucieuse au point de ne m'avoir point entendu, je décidai de l'aider à se relever, car après tout, elle était encore épuisée d'avoir porté ses deux enfants. Je savais qui était le père, et je ne cachais pas mon opinion défavorable à cela, malgré l'inutilité qu'il y avait à le faire savoir. Ce Samekh, que je n'aimais guère et me rendait la pareille, était le père, rien qu'à voir l'emportement dont il avait fait preuve lorsque nous lui avions interdit le passage avec Killik, et la joie à peine contenue de la princesse lorsqu'elle le vit ce jour-là, cela m'avait mis la puce à l'oreille. J'avais été amoureux moi aussi, et je savais reconnaître de tels comportements. Je soupçonnais même que leur conception fut pour ce jour-là, puisque les dates pouvaient correspondre...

Elle dut remarquer mon air soucieux lorsqu'elle me remercia. En effet, je ne prenais plus guère le temps de dissimuler mes sentiments et encore moins avec l'urgence qui dirigeait ma faveur envers elle...Elle me mena dans un endroit à l'abri des regards et oreilles, et me demanda ce qu'il y avait. Il ne fallait pas y aller par quatre chemins, je n'avais que peu de temps devant moi.

- Je souhaite d'abord vous présenter mes excuses pour absence prolongée depuis un mois ou peu s'en faut. Je cherchais mon neveu assez loin d'ici. Je vous dois des explications : ma famille, venue du Désert, est arrivée ici par hasard et je l'ai recueillie chez moi, à la rivière. Seulement mon neveu, le fils de ma sœur, est partie.
Ensuite, lorsque je revins de mon voyage infructueux en recherches, j'appris que ma sœur était enceinte, donc d'un mois voire plus. Vous savez ce que cela veut dire. Avec le temps de gestation puis de récupération après la mise à bas, elle va s'affaiblir, vous le savez. Avec mes devoirs envers le clan, je ne pourrai la protéger lorsqu'elle se retrouvera seule, lorsque son compagnon ira chasser pour elle par exemple. Ce que je viens vous demander est de les faire accepter le plus rapidement possible comme Outlanders. Ici, ils bénéficieront de l'abri d'un clan entier. J'inclinai alors la tête le plus humblement et respectueusement possible, et cela était plus que convainquant car c'était entièrement sincère : elle avait du pouvoir sur moi, c'était indéniable, et je la respectais pour ses qualités, auxquelles je faisais désormais le plus grand et pressant appel : Je vous demande d'accepter ma Dame. J'ai passé tant de temps de ma vie à la chercher, je ne voudrai pas les perdre maintenant.

Ainsi j'attendais que la bonté de la Princesse se révèle à nouveaux à mes yeux. Je ne savais pas quelle décision elle allait prendre, mais je savais qu'elle y réfléchirai au mieux. Malgré ce qu'on pouvait dire d'elle, elle était entièrement prête, selon moi, à prendre sa place sur le trône d'Outland. Et cette maturité prendrait la bonne décision, je le savais. Je l'espérais. Je lui faisais confiance pour cela.

Après m'avoir écouté attentivement mes paroles, après avoir sourit lors de l'évocation que j'avais pu faire de ses petits, elle m'expliqua point par point pourquoi cela s'annonçait être compliqué, et elle m'évoqua les arguments qui seraient susceptibles de jouer en ma faveur. Seulement, un malentendu subsistait, et je me devais de retirer cela le plus rapidement possible.

- Ma Dame, il y a erreur...ma famille était déjà arrivée avant mon absence, et mon neveu s'est enfui depuis. Mon voyage visait à le retrouver, sans succès...mais le cœur du problème n'est pas ici.

Une fois cela fait, je me reconcentrai sur les détails "administratifs" qu'elle me donnait, prenant le temps de tous me les réévoquer mentalement afin de ne rien oublier, puis je détaillai une fois de plus mes réponses dans une immenses tapisserie mentale relativement complexe...mais pas pour moi. Il suffisait, si le terme était bien choisi, de simplifier à l'extrême ma situation familiale compliquée...

- Mon beau-frère a mon âge et je vois bien qu'il a besoin d'un but, autre que de s'occuper de sa compagne. Il sera fier de servir à nouveau un clan.

C'était vrai, je pouvais le jurer. Je connaissais Shaara comme mon propre frère, et c'était évident qu'il voulait servir quelqu'un en qui il avait confiance absolue. Sa fuite du Désert avait été contrainte, pour sauver son fils...et suivre celle qu'il aimait. Autrement, il aimait son clan, et s'il n'était pas belliqueux et n'avait aucune haine pour les Mositus, il était neutre et ne faisait qu'obéir au chef qu'il reconnaissait. Mais la guerre a eu raison de sn engagement et il en cherchait un nouveau, ailleurs...Quant à ma sœur...

- Ma sœur jumelle est plus réticente, car sa dernière expérience dans un clan s'est soldée par une honte de servir un chef tel qu'Akili...c'est pour cela qu'ils sont exilés. Mais avec le bébé, elle a besoin d'un entourage. Et si je lui ai proposé Outland, c'est parce que j'ai confiance en vous, et que je sais que vous ne demanderez pas de tuer le voisin simplement parce qu'il est différent. Outland n'est, pour parler vulgairement, qu'un ramassis de vauriens aux yeux de leurs clans d'origine, de gens ayant osé dire "non" aux lois et coutumes de leurs pays, de gens comme elle. Elle y sera plus à sa place que partout ailleurs. Elle ne fera pas que profiter, elle vous donnera son engagement.

Seulement voilà, j'avais oublié un détail que la Princesse n'oublia pas de me rappeler : elle était justement princesse...pas reine. Seul Massempo pouvait décider. Un vieux roi que personne ne voit et dont personne n'a entendu la moindre décision politique depuis près de deux années ne méritait pas pour moi le titre de roi. Mais il en allait ainsi, et je ne pouvais pas en passer outre.

Elle me parla de la possibilité que Valaka avait à se rendre chez les Pridelanders...c'était alléchant de l'envoyer dans un endroit si bien réputé, et de plus gouverné par un ami de la reine, j'imaginais donc quelqu'un de confiance, mais...c'était hors de question que Valaka se trouve aussi éloignée de moi. Je ne voulais plus la perdre de vue, plus jamais, et cela interdisait cette éventualité. De plus, je n'étais pas vraiment sûr qu'elle puisse faire un aussi long voyage dans son état...

- Kumpa est peut-être un lion honorable et à l'écoute de la veuve et de l'orphelin...mais ma sœur ne peut être en sécurité que là où je suis. Je ne veux pas avoir à m'en séparer. Comprenez, je n'ai jamais su que j'avais une sœur jusqu'au jour où, il y a environ un an, elle a débarqué sur Outland. Depuis je les héberge chez moi, à la rivière, mais ce n'est pas un lieux où vivre lorsqu'on est enceinte, et encore moins par la suite mère d'un lionceau en bas âge. Peu importe les clauses du contrat d'engagement, elle et son compagnon sont prêts à nous rejoindre !

La seule étape qu'il restait était de convaincre Massempo...