Marchant d'un pas souple, Hatari était en route vers le désert pour continuer quelque chose qui lui tenait à cœur. Ou du moins, pour achever quelque chose qu'il avait commencé il y a de cela presque deux ans, désormais. Lorsqu'il avait été exilé. Akili n'était plus, et il était temps de défier Vako. Pas au sens propre, néanmoins. Non, le mâle solitaire voulait simplement tester ses frontières. Mais, tandis qu'il avançait, une forme se découpa au loin. Elle se rapprochait rapidement. Une seconde se découpa bientôt derrière. Plissant les yeux, l'exilé compris que le premier lion - un jeune mâle - tentait de fuir, tandis que le second - un Mositu sans doute, au vu de son pelage - le coursait. Hatari était prêt à passer son chemin, lorsque - jetant un dernier coup d’œil au fuyard - il cru reconnaître Jango. Cela faisait presque deux ans qu'il ne l'avait pas vu, mais l'adolescent lui ressemblait beaucoup. Et tandis qu'il se rapprochait, l'intuition de l'ancien Jangowa se confirma. Sans qu'il sache comment, c'était bien Jango qui se trouvait en danger.

Si Hatari n'était pas du genre à venir en aide à tout le monde, c'était là une situation particulière. Il tenait à Jango, d'une certaine manière. Et quoi qu'il se passe ensuite, il ne pouvait pas le laisser se faire mettre à terre par un autre lion sans intervenir, et ce juste sous ses yeux. Si l'exilé n'avait rien contre les Mositus, rien ne le liait non plus à eux. Et entre le lion et Jango, il n'y avait aucun doute. S'élançant en direction de l'adolescent, Hatari le rejoignit en quelques foulées. Et, alors que celui-ci manquait de trébucher parmi les racines du marais, le mâle longiligne se ramassa sur lui-même, avant de bondir sur le Mositu. Dans un rugissement furieux, il roula au sol avec lui, plongeant ses griffes dans les flancs bruns de son rival. S'il avait autrefois été plutôt pacifique, Hatari ne l'était plus. Son exil lui avait forgé un nouveau caractère, plus sauvage et plus solitaire. Ainsi qu'un nouveau physique. Plus trapu, plus musclé. Si le désert l'avait endurcit, ses longs voyages sur la Terre des lions l'avaient éprouvés.

Le Mositu commença par répliquer, entaillant lui aussi la peau de son adversaire. Mais il en fallait plus à Hatari pour rendre les armes. Attrapant son ennemi par le cou, il plongea ses crocs puissants dans la peu, faisant couler le sang encore une fois. Il ne voulait pas tuer. Il souhaitait simplement le dissuader, et lui faire tourner le dos. Dans n'importe quelle autre situation, le Mositu n'aurait pas donné cher de sa peau. Mais Hatari ne pouvait pas mettre à terre un compagnon de Lukah. Pas sans savoir les raisons d'une telle chasse. Pas sans s'être expliqué avec eux. Alors il se contentait de rendre le lion moins fringuant, et moins fier, aussi. Parce qu'il ne se contenterait pas d'une simple trêve. Non, il voulait voir le mâle tourner le dos et fuir à son tour. Et c'est ce qui finit par se passer. Sans réellement comprendre - et sans doute aussi parce qu'il n'avait pas réellement pour but de blesser Jango - le Mositu finit par se défaire d'Hatari, et s'éloigna à grande foulée, un grognement de colère à la gueule. La tête haute, l'exilé le regarda s'éloigner, quelques blessures laissant rouler quelques larmes de sang ça et là. Mais il ne sentait rien. Ce n'était rien. Alors, il tourna son regard brun vers l'adolescent.

Jango détailla rapidement son pelage, avant de s'exclamer :

─ Hatari tu es blessé !

Un coin de la babine du grand mâle s'étira, formant un début de sourire, légèrement moqueur. Ce n'était rien. A peine quelques égratignures. Ce n'était rien en comparaison de ce qu'il avait gagné à jouer sa vie contre Chenko, Akili et les siens. Les leurs. Ce n'était plus les siens, désormais. Plus ses compagnons pour lesquels il aurait donné sa vie. Des étrangers. Des ennemis. Voila ce qu'ils étaient devenus.

─ Eum..merci infiniment Hatari. Une fois encore je te dois une grande dette. Je ne saurai jamais te remercier assez...

Ce disant, il baissa la tête, et se mit à fixer le sol, comme gêné. Mal à l'aise. Si aucune larme ne roulait encore sur sa joue, il n'en était pas loin. Hatari le savait. Il savait ce qu'on pouvait ressentir à cet instant là. Vouloir paraître fort, quand tout semblait s'écrouler. Quand tout ne cessait de disparaitre. Quand le monde paraissait hostile et impossible à vivre. Alors, l'exilé s'approcha lentement. Il appréciait Jango. Sans réellement savoir pourquoi. Peut-être parce qu'il avait eu l'occasion de le voir naître, ou presque ? Peut-être parce qu'il éprouvait de la compassion pour le petit mâle qui avait dû quitter tout ce qu'il connaissait pour suivre ses parents, quand bien même il était menacé de mort s'il restait. Hatari s'était toujours juré de l'aider lorsqu'il le reverrait. Peut-être le moment était-il venu ?

─ Tu ne me dois rien, Jango. Je suis heureux de l'avoir fait. Ne crois nullement que je vais te juger, cela ne m'appartient pas. Je ne le ferai jamais.

Il avait volontairement marqué une pause entre ses deux phrases. Pour que Jango comprenne qu'il était sincère. Ce n'était pas à lui de juger de ce qu'avait fait Jango. Il était mal placé pour le faire. Et il pouvait tout à fait comprendre ce qui pouvait avoir motivé le jeune mâle. La vie était quelque chose de compliqué à saisir, et personne ne l'appréhendait jamais pleinement. Toute une vie ne suffisait pas, et il n'y avait d'autre choix que de se lancer. Faire un choix. Bon ou mauvais, peu importait. Seul comptait ce qu'il pouvait en ressortir. Ce qu'on pouvait en retirer pour devenir plus fort. Plus apte à affronter son destin. Hatari voulait seulement l'aider à le comprendre, et lui épargner la violence de certaines choses. Lui les avait subi, et ne souhaitait la même chose pour personne. Alors, mettant sa tête au niveau de celle de Jango, il plongea son regard chocolat dans celui azur de l'adolescent, et demanda d'une voix calme et profonde :

─ Que s'est-il passé, Jango ?

Une fois de plus, encore, Hatari me prouva qu'il n'allait pas me juger, que je ne lui devais rien. Pourquoi tant de générosité ? Qui étais-je pour lui ? Je n'étais qu'un ado qu'il avait vu grandir, un ado qui lui devait deux vies désormais. Pourquoi, alors que j'estimais lui être redevable de tant de choses, il persistait à me dire que je ne lui devais rien ? Ce lion s'était auto-désigné, peut-être même involontairement au début, comme mon ange gardien. Pourquoi voulait-il m'offrir tant, alors que rien ne nous liait ?

- Non, bien sûr...tu ne me jugeras pas...mais, malgré tout, je suis faible, je ne sais pas me défendre seul, je quitte ma famille pour vivre autrement et voilà que je regrette ce choix alors qu'il appartient au passé et que je devrais me concentrer sur le présent...et que, par-dessus tout, toi, et encore toi ! tu me sauves une fois de plus la vie, et je suis incapable de te rendre la pareille, ni même de comprendre pourquoi tu fais cela...

Il savait déjà quel était mon état et ma confusion, et il manifesta son envie de m'aider. Hatari, qu'aurais-je fait sans toi de ma vie...mais je te dois déjà tant, je ne veux pas en plus te demander ton aide pour tourner la page du passé, même si je devais ne pas y arriver seul.

Je revis ce jour de notre rencontre, où je n'avais pas osé lui parler tant il paraissait grognon et intimidant pour moi, alors tout jeune lionceau. Nos rapports avaient bien changés depuis, et je pouvais fièrement affirmer que ce lion me considérait assez hautement, et que j'étais un des rares à pouvoir bénéficier de ce privilège, ainsi que mes parents. Maman...je me dis qu'elle voudrait peut-être savoir que je vais bien, savoir que je suis même temporairement avec Hatari, le lion le plus digne de confiance que j'ai jamais connu et elle aussi. Cette réflexion me guida : je devais lui raconter tout ce qui était vraiment important...

- Lorsque j'ai appris que le père de Chombo nous traquerait, en particulier son fils et sa fille, et qu'un matin Chombo sentit son odeur non loin de nous, alors j'ai décidé de fuir, pour mener une nouvelle vie loin des intrigues politiques, familiales. Je voulais oublier mon passé, mais je n'y suis pas parvenu. Je me sens seul. Et aujourd'hui, un Mositu qui me prenait pour un Jangowa en exil règlementaire a décidé de me pourchasser pour me faire je ne sais quoi.
Ils me manquent Hatari...mais je ne peux pas les rejoindre, car je ne veux pas m'avouer vaincu...et que Chombo me fait un peu peur, malgré tout l'amour évident qu'il nous porte. Il n'a pas un mauvais fond hein, mais sa personnalité me fait un peu peur. En tout cas je sais qu'il te considère hautement maintenant que nous lui avons raconté tous les détails.
Enfin maintenant je suis perdu, je suis seul, et si je n'avais pas eu la chance de te tomber dessus, je serais peut-être même mort sans que personne n'en sache rien...

Je ne pouvais plus, c'était trop pour moi. Quelques larmes perlèrent le long de mes joue, et je fermai les yeux pour les laisser couler, en silence, en gardant la tête baissée. La seule chose qui m'empêchait de sauter au cou de ce lion qui était un véritable héros pour moi c'était mon âge, le fait que je n'étais plus lionceau, et le respect de son amour propre. Si seulement je pouvais me montrer à sa hauteur, aussi fort, aussi fier. C'était mon modèle, je voulais être lui, pouvoir me débrouiller seul aussi bien que lui...mais je ne savais lui ressembler, et j'avais honte de cela. Il devait me trouver bien ridicule et misérable, mais malgré cela il ne disait rien, pour ne pas m'offenser et me redonner un peu d'espoir peut-être.

Il était un lion trop bon pour être réel, et pourtant, c'était mon protecteur bienveillant qui, bien qu'absent, avait su me trouver au bon moment. Son nom résonnait dans ma tête : Hatari...

Il avait quitté sa famille. Quitté Valaka et Shara. C'était donc cela ? Mais était-ce la seule chose ? Hatari en doutait, aussi continua t-il d'écouter avec bienveillance. Jango se sentait faible. Incapable de se débrouiller seul. Et pourtant, l'exilé était certain qu'il avait de quoi vivre en solitaire, il suffisait juste qu'il en prenne conscience. Mais lorsque le monde que l'on connaissait change du tout au tout, il devenait difficile de réussir à sortir la tête de l'eau. Des Histoire des familles, Hatari en avait eu aussi. Il savait à quel point elles pouvaient être douloureuses, et destructrices. Et maintenant qu'il était parti, le jeune mâle était tiraillé entre l'envie de s'en sortir seul et de devenir un mâle respecté, et l'envie de retourner auprès de sa famille, et de ceux qu'il aimait. Il pensait les deux incompatibles, pourtant elles ne l'étaient pas. Loin de là.

Tandis que Jango baissait la tête, les larmes se mirent à couler sur ses joues, roulant jusqu'à s'écraser sur le sol sec, laissant de petites tâches sombres sur le sol. Hatari avait l'impression de se revoir, il y a quelques années de cela. Et même si leurs histoires étaient différentes, leurs situations étaient similaires par bien des côtés. Réfléchissant quelques instants, l'exilé laissa planer un moment de silence, permettant entre autre à Jango de se ressaisir. Lui aussi était partagé, désormais, entre l'envie d'aider Jango, et la réticence à révéler son passé, et ce qu'il gardait au plus profond de lui. Pourtant, il avait promis qu'il aiderait l'adolescent. Alors il le ferait, quoi qu'il puisse lui en coûter. Redressant la tête, il se mit à marcher d'un pas tranquille, tout en demandant :

─ Dis moi, Jango, as-tu déjà entendu parler de mon passé ?

Ce disant, il passa près de lui, frôlant son pelage, et l'incita du regard à le suivre. Ce n'était pas en restant figé que les choses avançaient, et encore moins en ressassant les choses. Hatari l'avait appris à ses dépends.

Hatari m'avait écouté sans m'interrompre, même s'il voulait peut-être un peu plus de précision, et même sans aucun signe montrant une quelconque impatience de sa part. Il m'écouta tout simplement, puis laissa planer un petit silence le temps d'assimiler mes "péripéties". Qu'allait-il me dire ? Je savais juste qu'il ne semblait pas vouloir m'incriminer de quoi que ce soit, cela pouvait se lire sur son visage qui n'avait rien de quelqu'un de mécontent, mais ressemblant plutôt à une personne pensive, qui cherchait la meilleure solution. J'avais un peu honte de l'inciter à ce point à m'aider, après tout ce qu'il avait déjà fait pour ma famille et moi...je me promis alors qu'un jour, ce serait à mon tour de l'aider, en souvenir de tout ce qu'il a déjà fait et ce qu'il risque d'avoir probablement à faire à l'avenir...

─ Dis moi, Jango, as-tu déjà entendu parler de mon passé ?

A ces mots, il passa près de moi et commença à marcher. Sentir son pelage frôler le mien, même un seul très court instant, me redonna un peu de cœur au ventre. Je ne saurai expliquer pourquoi, mais cela eut pour effet de m'apaiser un peu, ce qui me permis de reprendre mon souffle et un peu de mon calme, histoire de maîtriser ces larmes qui n'en finissaient pas. Je le suivis alors, avant de faire quelques rapides pas pour le rattraper et me situer à sa hauteur, avant de lui dire :

- Je dois t'avouer que non...et malgré ma curiosité, maman ne sut me répondre, mais je ne sais pas si elle ignorait vraiment ou si elle respectait simplement cette histoire...

Je regardais le sol : qu'avait-il donc à me dire ? A quoi son passé ressemblait-il ? J'imaginais que si personne n'en avait entendu parlé c'était parce qu'il n'était pas des plus glorieux, et cela poussa ma curiosité. Nous ressemblerions-nous autant ? Avions-nous autant de liens entre nous, non seulement d'un adulte envers un ado qu'il considère comme son protégé, mais aussi d'un passé qui ne passe pas ?

- Que s'est-il passé Hatari...?

Je ne voulais pas trop insister, mais au moins montrer que j'étais curieux d'en apprendre plus quant à sa vie. Et qui savait ? Peut-être serai-je capable de lui apporter le soutient que j'espérait tant lui fournir. Je lui devais beaucoup de choses, mais au moins aurais-je peut-être l'occasion d'honorer ma dette en commençant par là.

Après quelques instants, Jango trottina pour rattraper Hatari, avant de caler son rythme sur le sien :

─ Je dois t'avouer que non...et malgré ma curiosité, maman ne sut me répondre, mais je ne sais pas si elle ignorait vraiment ou si elle respectait simplement cette histoire...

Sans doute qu'elle l'ignorait. Peu de lions connaissaient réellement son histoire, même parmi les Jangowas. Qui sait, peut-être qu'au fond, personne ne savait qui il était. Certains Jangowas avaient-ils réellement cru qu'il était né dans le désert ? Sans père ni mère ? Ses histoires avec Kifua avaient pourtant été visibles de tous, bien que personne ne se soit jamais interposé. Non, au fond, ce n'était pas de l'ignorance. Juste de l'indifférence.

─ Que s'est-il passé Hatari...?

Le grand mâle tourna un instant son regard chocolat vers son compagnon, avant de détourner le regard. Il n'avait guère l'habitude de raconter ce qui s'était passé, et c'était douloureux à chaque fois. Douloureux, mais aussi amer. Chaque bribes de son passé faisait ressurgir de l'incompréhension et de la colère, et les raconter lui rappelait à chaque fois qu'il n'avait pas les réponses. Qu'il était lui-même ignorant. Et c'était difficile de l'avouer.

─ Je ne sais pas, Jango. Je n'ai jamais su. J'ai cherché, sans jamais trouver de réponses. Mais tout cela sera bientôt terminé.

Si sa voix était posée, ses yeux trahissaient ses pensées. De la colère, mais aussi le soulagement de savoir qu'il aurait bientôt les réponses qu'il cherchait depuis tout petit. La satisfaction de prendre sa revanche sur le passé, aussi. Mais ça, il n'irait pas le raconter à l'adolescent. Il ne voulait pas avoir à lui raconter. Soufflant légèrement, Hatari marqua un temps de silence, avant de reprendre :

─ Je ne suis pas né dans le désert, Jango. Je ne suis donc pas un Jangowa, et je ne l'ai jamais été. Je suis né sur Prideland, avec mon jumeau, Usiku. Mais une nuit, mon Oncle - Kifua - m'a emmené loin de chez moi. Dans le désert.

Au fur et à mesure qu'il racontait, sa voix se faisait un peu plus tendue, et son expression plus dure. Il laissait volontairement les détails dans l'ombre. Jango n'avait pas besoin de savoirs ce que tout cela avait engendré. Néanmoins, Hatari ne lui cacherait rien. A lui de poser les bonnes questions, simplement.

Je ne compris pas, du moins pas immédiatement, pourquoi Hatari détourna assez rapidement son regard. Je me disais d'abord que c'était simplement pour chercher le meilleur moyen de me résumer sa vie, mais je finis par m'apercevoir qu'il y avait autre chose. Pauvre Hatari, que t'est-il donc arrivé pour que cela semble si douloureux ? Et par-dessus tout : que puis-je faire pour t'aider ?

Mais il ne savait pas...et malgré une voix maîtrisée, ce qui ne m'étonnait guère de lui, ses yeux laissaient filtrer quelque chose de bien plus violent. De la colère. Attisée par un désir de vengeance, mais de vengeance contre qui ? Ou contre quoi ? Dis-moi ce qu'il y a à savoir de toi Hatari...et il me le dit. Il me dit qu'il n'était pas né dans le Désert, qu'il avait un frère jumeau...cette histoire, bien que différente, me rappelait celle de maman. Des jumeaux séparés à un trop jeune âge, pour le simple plaisir de lions malveillants...

Cependant il ne donna pas plus de détails, me laissant le choix entre imaginer moi-même, poser les questions pour en savoir davantage ou le laisser tranquille et ne plus y penser par respect pour sa vie privée. Mais, malgré tout le respect que j'avais pour cette chose, et en particulier venant de lui, j'avais davantage d'affection pour lui, et l'envie d'essayer de l'aider en jouant un peu le rôle d'un psy me titillait trop fortement pour me permettre de me taire. Alors je me lançai :

- Tu...Est-ce que tu sais pourquoi il a fait ça ? Comme Shujaa avec maman et Chombo ?

Je n'osais pas encore aller plus loin, mais je ne saurai bientôt plus me retenir. Kifua était donc son oncle. J'ai toujourscru à un père célibataire...comme quoi personne ne savait rien sur les autres chez les Jangowas. Ou bien l'indifférence de beaucoup était en cause. Après tout : comment peut-on ignorer l'arrivée d'un Jangowa avec un lionceau qui n'était pas le sien ? Mais non ! Suis-je bête ! Tout le monde pouvait penser qu'il était le sien d'avec une lionne extérieure au clan et qu'il pouvait l'avoir amené ca la mère ne pouvait s'en occuper ? En vérité, si les Jangowas étaient refermés sur eux-mêmes, ce n'était pas uniquement par haine de l'extérieur : c'était aussi et surtout par volonté d'ignorer le monde. Eux seuls comptaient, et même au sein du clan personne ne se souciait de ses compagnons. Un clan aussi rempli d'égoïstes, comment peut-il avoir survécu aussi longtemps ?

Je posai ma patte sur l'épaule d'Hatari, pour faire une petite pause, et lui dis :

- Est-ce que...Est-ce que ton frère te manque ? Comme maman a manqué à Chombo...je ne sais pas ce que c'est que d'avoir un frère, alors je me dis que l'exemple que j'ai dans ma famille doit être la réalité...Est-ce qu'on s'aime en étant frères et est-ce que c'est difficile de vivre loin de lui ?

Bon, niveau tact, je ne m'en rendis compte qu'après, je n'avais pas fait de mon mieux, mais j'étais aussi curieux. Et je pensais aussi qu'Hatari avait besoin de parler, alors j'allais le faire parler, coûte que coûte. Je lui devais bien ça, au moins ça.

Sans qu'il s'en rende forcément compte, chacun des mots que Jango prononçait était comme une douloureuse piqure de rappel pour Hatari. Il ne pouvait pas en vouloir au jeune adolescent, mais il ne faisait que lui rappeler les terribles manques de son passé :

─ Tu...Est-ce que tu sais pourquoi il a fait ça ? Comme Shujaa avec maman et Chombo ? Est-ce que...Est-ce que ton frère te manque ? Comme maman a manqué à Chombo...je ne sais pas ce que c'est que d'avoir un frère, alors je me dis que l'exemple que j'ai dans ma famille doit être la réalité...Est-ce qu'on s'aime en étant frères et est-ce que c'est difficile de vivre loin de lui ?

Il avait posé une patte sur son épaule. Pour un peu, Hatari aurait préféré fuir ce geste simple. Parce que, depuis qu'il avait quitté Prideland, mis à part Niwata, personne n'avait été aussi proche. Difficile de croire que les lions les plus proches de lui étaient aussi ceux qui appartenaient au Clan qui avait tenté de le tuer. Qui le cherchait. Et qui le tuerait à la moindre occasion qui se présenterait. Néanmoins, Hatari ne se défila pas. Il continua d'avancer, les crocs serrés et le visage tendu.

─ Non, je ne sais pas. Mais un jour, je le découvrirai. Quoi qu'il m'en coûte.

Un jour. Bientôt. D'ici peu. Hatari ne savait pas réellement ce qu'il attendait, mais au fond de lui, son instinct lui disait que ce n'était pas le moment. Les choses changeaient sur la Terre des Lions, et il valait sans doute mieux attendre. Les mystérieux Nyeusis semblaient bien étranges, tandis que différentes alliances entre les clans se formaient, choses rares sur la Terre des Lions. Entre Guerre et Paix, nul doute que rien ne serait plus pareil. Ni pour eux, ni pour lui. Tandis qu'il songeait à cela, sa colère se dissipa un peu, laissant place à des regrets. Quoi que lui-même fasse, rien ne serait plus jamais pareil. Il ne jouerait plus jamais avec Usiku, innocents comme ils l'avaient été. Et songer que c'était l'être qu'il aimait le plus qui l'avait trahi était affreusement douloureux. Insoutenable.

─ Plus qu'un frère, Usiku était mon jumeau, Jango. L'être le plus cher à mes yeux. J'aurai tout donné pour lui, tout sacrifié. Le voir disparaître a été insupportable. Quand Kifua m'a emmené cette nui-là, j'ai perdu bien plus qu'un frère. J'ai tout perdu. Et je ne le retrouverai jamais.

Sans le savoir, ni même sans être réellement sûr de ce que je provoquais involontaire, je commençai à me rendre compte que mes paroles, bien loin d'apporter le réconfort que je voulais à ce brave Hatari, ne faisaient que le rendre plus sinistre, presque...agressif. Je ne voulais pas le faire souffrir, et pourtant, je le faisais. Bien piètre remerciement envers ce lion qui avait tout fait pour moi. Que lui offrais-je en retour ? Je bredouillai :

- Je...j'espère que tu trouveras ce que tu cherches..

Il continua d'avancer, sans réellement se défiler de mon geste affectueux. Je ne savais pas trop comment interpréter cela : est-ce que ça voulait dire qu'il s'en fichait ? Qu'il ne voulais pas d'affection ? J'étais troublé, et le peu de maîtrise que j'avais de mes sentiments laissa librement s'afficher ce trouble attristé sur ma face.

Il sortit de ses réflexions pour m'en dire plus sur son jumeau, et ce qu'il avait perdu. Je dû me pincer les lèvres pour me retenir de poser davantage de questions : ce n'était pas comme ça que j'allais l'aider, cette méthode avait déjà fait ses preuves, et elle se révélait inefficace. Mais je ne savais pas quoi faire, ni dire, pour l'aider, alors je me contentai de continuer ma route à ses côtés, silencieusement.

J'essayai pendant ce temps de réfléchir. Qu'était-il bon de faire dans mon cas ? Devais-je continuer mon chemin, ou bien tout simplement retourner à la "maison" ? Peut-être y avait-il davantage de dangers à rester sur la Lande à voyager dans tous les sens. Mais je me souvins alors d'une chose : j'ignorais si Oncle Chombo avait vaincu son père...mon grand-père, Shujaa. Et s'il avait été tué ? Il était probable que maman aussi, et papa ! Mais ! C'est atroce ! Je les avais quittés sans même savoir s'ils allaient vivre plus longtemps ! Quel fils indigne j'étais !

- Dis-moi, Hata...Penses-tu que...Shujaa, le père d'Oncle Chombo et Maman, soit venu à bout de Chombo ? Selon sa réputation, il était très puissant au combat, très musclé et endurant...penses-tu que...une nouvelle larme perla le long de mes joues, tant cette pensée était horrible. Je sentais ma gorge se resserrer de plus en plus, jusqu'au point où je ne pouvais articuler qu'à grand peine, entre quelques discrets sanglots qui s'amplifiaient pourtant : Penses-tu que...que...Chom..bo...et Maman...

Je ne pouvais en dire plus, car je me rendais maintenant véritablement compte que l'erreur que j'avais faite en fuguant. Peut-être n'avais-je plus la moindre famille, et j'étais là, fuyard honteux, alors que ce jour était celui où ma famille avait le plus besoin de moi. Si mes parents étaient morts...c'était cependant tout ce que je méritais, après avoir fugué lâchement. Je le méritais, mais cette fatalité ne m'empêcha pas de pleurer, au contraire ! Je ne pouvais plus cette fois m'arrêter. J'avais besoin de les savoir en vie, savoir que Chombo avait vaincu...mais selon toute vraisemblance, Shujaa avait probablement tué Chombo, la garde crocodile postée devant la grotte, Maman, Papa, Eiki...le petit Eiki qui n'avait rien demandé à personne, adopté par Oncle Chombo car il était seul et abandonné. C'était sans doute la mort des plus injustes de cette éventualité...et je doutais que Chombo avait pu inverser ce tragique destin. Shujaa était trop fort, le Désert entier le savait, il ne servait à rien de lutter...sinon à l'énerver et à le pousser à commettre le pire des carnages que je pouvais imaginer...

─ Je...j'espère que tu trouveras ce que tu cherches..


Des réponses à ses questions ? Sa famille ? Oui, le grand mâle les trouveraient. Tout comme il espérait retrouver un certain apaisement après s'être vengé. Après avoir obtenu la revanche après laquelle il courait depuis des années. Mais sa victoire signifierait la défaite d'un autre. Et coûterait à beaucoup d'autres. Mais peu importait, ces autres-là n'étaient plus les mêmes que par le passé.

─ Dis-moi, Hata...Penses-tu que...Shujaa, le père d'Oncle Chombo et Maman, soit venu à bout de Chombo ? Selon sa réputation, il était très puissant au combat, très musclé et endurant...penses-tu que...Penses-tu que...que...Chom..bo...et Maman...


Une autre larme avait perlée sur sa joue, synonyme de la détresse qui envahissait le jeune mâle. L'exilé ne savait guère de quoi il parlait, mais il avait eu vent de rumeurs. C'était l'avantage de n'avoir aucune attache, et de errer sur tous les territoires. Il avait épié des conversations. Saisit des informations. Son but n'était pas d'espionner, simplement de se tenir au courant des dernières nouvelles. Et de suivre les Pridelanders. Si Hatari ne connaissait que peu Valaka, Shaara, et ce certain Chombo - avec qui la première rencontre avait été houleuse - les savoir morts l'aurait peiné. Valaka avait le même statut que lui, et ils s'étaient battus ensemble pour la même cause. Savoir qu'elle n'était plus l'aurait rendu plus seul encore qu'il ne l'était, bien que ce soit futile.

─ Je ne peux te dire quelle a été l'issue de tout cela. Personne ne le pourra ici. Songe à eux, Jango. Et écoute ce que tu ressent.

Hatari avait parlé d'une voix calme et apaisante. Son caractère lunatique avait du bon, parfois. Il était capable de passer de la colère à la compassion en un rien de temps. Il aurait souhaité pouvoir faire plus pour le jeune mâle, mais il ne le pouvait pas. S'il avait pu aller aider ses anciens compagnons de route, il l'aurait fait sans hésiter. Mais il était trop tard, désormais. Soit Jango avait encore toutes les raisons de croire que sa famille avait survécu et que Shujaa avait perdu - et alors il les retrouverait un jour - soit il s'avérait que tous étaient tombés, et que l'adolescent se retrouverait seul. Seul, dans un monde qui lui paraitrait bien trop hostile. Si tel était le cas, l'exilé le prendrait sous son aile. Il n'était plus du genre à couver les lionceaux de l'oeil, ni même à prêter main forte aux lions en difficultés, mais c'était différent. Jango était l'un des seuls liens qui le rattachait encore à quelque chose. A son passé, somme toute. Alors, parce qu'il avait partagé un passé commun avec Valaka, il protégerait son fils, jusqu'à ce que ce dernier soit en mesure de se débrouiller. Quoi qu'il lui en coûte.

─ Peut-être retrouveras-tu ta famille, peut-être pas. Mais sache que tu ne seras pas seul, Jango. Tu n'es pas seul. Quoi qu'il ait pu se passer, je tenais Valaka en estime. Tu es son fils, et pour elle, je ne te laisserai pas tomber. Où que je sois, tu pourras venir me trouver lorsque tu en sentiras le besoin. Il y a bien des choses que l'on apprends par soi-même, mais parfois, la vie rend cet apprentissage difficile. Si je peux adoucir ta peine, alors je le ferai.

Il prenait là un engagement qu'il ne s'autoriserait pas à rompre. Peut-être cela lui coûterait-il. Peut-être que cela empièterait sur sa propre vie, mais qu'importe. Il venait de faire une promesse qui, si elle ne paraissait pas l'être, était plus que réfléchie.

- Je ne peux te dire quelle a été l'issue de tout cela. Personne ne le pourra ici. Songe à eux, Jango. Et écoute ce que tu ressent.

Cette phase, douce à mes oreilles de par le ton employé par mon ange gardien, me fit relever la tête. Elle me poussa à maîtriser cette tristesse qui s'évacuait avec bien trop de ferveur. Elle me forçait à contrôler mes émotions. Elle m'obligeait à ne plus rester la victime de mon chagrin. Elle me contraignait à devenir fort. Pourquoi ? Quel effet magique cette phrase avait-elle ? Je ne saurai le dire, mais c'était là ce que je devais faire.

Je réfléchis. J'écoutai mon intuition. Avaient-ils survécus ? Le seul moyen d'en être certain était d'y retourner, mais s'ils étaient vivants, je ne voulais pas les rejoindre définitivement, et s'ils n'étaient plus de ce monde, je risquais de me retrouver confronter à mon grand-père...Il fallait aller au-delà de ça ! Chombo était un grand guerrier, sa réputation dans Outland me l'avait laissé penser. Mas Shujaa avait une grande réputation dans le Désert.

- J'écoute ce que j'arrive à entendre...deux grands guerriers s'affrontaient ce jour-là, difficile de deviner qui était le plus à même de gagner...Je pense que...qu'Oncle Chombo avait trop d'enjeux derrière pour ne pas prendre tous les risques nécessaires. Shujaa ne croyait en rien, comme un mercenaire, un peu. Oncle Chombo voulait venger quelqu'un, et il avait une famille à sauver. Sachant cela, Chombo peut avoir gagné...mais je n'en sais rien.

Hatari sembla réfléchir, longuement. Je me demandai bien ce qui se passait dans sa tête, sous cet air neutre mais compatissant. J'allais le lui demander, lorsqu'il pris la parole, et pour me faire comme une promesse, celle de m'aider à surmonter toute épreuve que je pouvais voir sur mon chemin. Par les moustaches d'Akili ! Hatari, pourquoi sacrifier un pan de ta vie à ma protection, à ma personne, alors que tu avais toi-même tant de choses à accomplir ?

J'étais là, estomaqué comme jamais personne ne pouvait l'être, tant sa promesse me touchait. Qu'y répondre ? J'avais beau être émotif, je lui aurais bien sauté au cou, comme je l'aurais fait étant petit...mais j'avais grandi, et il fallait que je me maîtrise un peu mieux qu'un simple lionceau. D'un coup je repensai à tout ce qui s'était passé depuis ce jour lointain où nous nous étions rencontrés, avec maman. Ils revenaient tous deux d'une chasse. Ce jour-là, il m'intimidait quelque peu, je n'osais pas trop lui parler, mais jamais je n'aurais pensé, à cette époque, finir par le connaître et devenir aussi proche de lui. Jamais je n'aurais pensé qu'il aurait tout sacrifié pour maman ou même moi.

- Hatari...merci...pour tout.

C'était tout ce que j'étais capable de dire, mais c'était déjà pas mal, non ? Je voulais lui montrer plus, mais je ne savais pas comment, sans qu'il se sente envahi ou gêné ou autre. Je n'étais plus un enfant, je ne pouvais plus lui faire de câlin comme le jour où avec Oncle Chombo ils avaient faillit se foutre sur la gueule. Nan, j'étais presque adulte, je devais mieux gérer mes sentiments et mes réflexes...

Mais, un ami restait un ami, et je cédai à l'impulsion de lui "sauter" délicatement au cou, sans y mettre tout mon poids, histoire de pas le faire tomber, des larmes de joie aux yeux. J'avais un ami, fidèle, sur lequel je pouvais compter. J'en avais si peu, voire aucun, que cela me rendait presque heureux, si cette ombre au tableau concernant ma famille n'était pas présente. Une fois dans sa crinière, je murmurais une dernière fois "merci".