Étonnamment, cette route me devenait familière. Je n'étais plus à mon premier voyage à destination du baobab aussi avais-je eu le temps de repérer ces quelques raccourcis pour ne pas allonger ma route plus que de raison. La tête tourné vers les étoiles, j'observais ce ciel nocturne en espérant que Sadaka ne se réveille pas en mon absence gardant ainsi l'impression que sa mère l'avait veillé toute la nuit durant. Quelque part, je me sentais comme une jeune lionne qui s'était discrètement extirpée de son foyer pour une rencontre secrète et certainement pas approuvée par ses parents ce qui dans mon cas, s'affirmait en la personne de Samekh qui n'aurait certainement pas aimé cette décision.

Franchissant les frontières du nouveau territoire Pridelander, je n'osais trop m'approcher du baobab. Cela n'était-il pas étrange qu'une exilée s'ajourne aussi fréquemment près de ces lions et en particulier de leur prince ? Mes visites se faisaient de plus en plus souvent et j'en venais même à craindre de lasser Kumpa. Nous qui nous étions habitués à nous voir si peu, nos habitudes avaient quelque peu étaient chamboulées...

« Dois-je prévenir le prince de votre venue ? » m'interpella soudainement une voix dans mon dos.

Comme prise sur les faits, je me retournais précipitamment pour faire face à ce garde-frontière d'âge mâture mais au regard bienveillant à mon égard. Comme s'il possédait un savoir que j'ignorais, un étrange sourire était dessiné sur ses babines. Remise de ma stupeur, je repris un air plus digne et hocha positivement de la tête avant de le voir s'éloigner d'une démarche vive. Les Pridelanders ne perdaient pas leur temps...

Soufflant avec excès l'air qui emplissait mon museau, je m'allongeais paisiblement sur le sol avant de plonger à nouveau mon regard dans les étoiles. Cette visite n'avait rien d'ordinaire et je me doutais qu'une certaine mise au point était à faire. Bien qu’inconsciemment, Sadaka avait révélé une précieuse partie de mon passé au prince de Prideland et c'était injuste de laisser Kumpa avec tant de questions sans réponses. Il était mon ami après tout et entre amis, on se confiait des secrets pas vrai ? Ce n'était plus ce banal prince que j'avais autrefois rencontré en compagnie de mon mentor, j'avais appris à le connaître et lui accordait aujourd'hui ma confiance. Peut-être était-il temps de faire tomber les barrières...

L'effluve masculine du lion empli mon museau et je tournais prestement la tête, guettant son arrivée. Cela avait été plutôt rapide... Ce ne fut qu'en apercevant la faille capillaire du lion que je réalisais l'avoir tiré de son sommeil par mon arrivée imprévue. Un poil gênée, cet embarras s'envola dès lors que j’aperçus ce large sourire qui fendait les babines du lion qui visiblement ne semblait pas m'en tenir rigueur.

« C'est plutôt rare de ne pas te voir apprêter de ta parure royale... Désolée de t'avoir de ton sommeil visiblement profond. » plaisantais-je à demi-mot, un sourire aux babines.

Ayant calée mon rythme de vie sur celui de mon fils, j'en perdais souvent la notions du temps quitte à vivre en décalage avec les autres. C'était également le cas avec Amarok que je ne pouvais me permettre de voir qu'en raison d'un sommeil profond de mon lionceau, trop embarrassée à l'idée de sans cesse demander l'aide de Samba ou celle de sa fille. Faute d'avoir trop longtemps vécue en vadrouille et libre de toutes contraintes, j'avais conservée ces habitudes de vagabond et j'aimais pouvoir me rendre vers autrui quitte à quelques fois laisser Sadaka seul... mais mon fils grandissait et bientôt, il serait grand d'une année. Le temps passait si vite...

Reportant mon attention sur le prince doré, je lui offrais un léger sourire amusé faute de sa crinière en bataille. Avec une telle allure, son image de prince héritier semblait laisser aux côtés de sa famille pour que se présente devant Kumpa, simple lion et ami. Après un bref rire, je dirigeais mon regard vers les étoiles scintillantes abritant le ciel nocturne.

« Je me disais que tu avais peut-être quelques questions après que Sadaka ait révéler notre sang bleu... et je ne souhaitais pas que divers scénarios farfelus émergent dans ton esprit accompagnés de théories frauduleuses. »

Mon passé était quelque chose de très précieux à mon cœur et connu de peu de personne si ce n'était mon mentor et mon fils... et maintenant Kumpa. Chacun avait reçu divers morceaux d'histoires et le seul à connaître le fin fond de l'histoire n'était autre que Samekh néanmoins, j'étais prête à livrer la vérité à Kumpa si ce dernier me la demandait. On disait souvent que les conversations nocturnes entraînaient diverses confessions.

La tentative bien que vaine du lion pour remettre sa crinière en place m'amusais et je me surprenais à pouffer comme ces jeunes insouciantes de tous problèmes. Il lui faudrait bien plus que d'un coup de patte pour rétablir de l'ordre dans cet amont de crins rebelles. Les quelques mots du mâle apaisèrent ma gêne même si je soupçonnais Kumpa d’œuvrer dans le but d'ôter précisément cet embarras. Il se souciait suffisamment des autres pour s'attarder sur un tel détail.

La plaisanterie nous ayant quitté après que le sujet épineux ait été abordé, nous reprîmes tous deux un air plus sérieux. D'une voix pourtant douce, Kumpa me fit part de sa gêne quant à évoquer mon passé qu'il devinait houleux. Décidément l'embarras était roi en cette nuit étoilée... N'étant pas dupe, il savait pertinemment qu'un sang bleu n'était exilé qu'en raison d'une haute faute commise, une faute qui ne pouvait être pardonnée. Quels genres de scénarios s'était-il imaginé et surtout me voyait-il sous un autre regard ? Non, son sourire à ma venue n'avait pas été forcé, j'étais restée son amie et son regard inchangé.

Un soupir las d'un passé bien lourd à porté, je me demandais par où commencer cette histoire, mon histoire, sans trop chambouler le mâle. Ce n'était point un récit simple à évoquer et bien que ma volonté ait été de fer, je me retrouvais malgré moi quelque peu hésitante. Prenant une inspiration plus accentuée, je décidais finalement de me lancer, guider par ce poids qui me pesait au cœur :

« Oui, j'ai commis une faute grave... » consentais-je, la voix basse. « Une faute qui m'a valu d'être exilée par mon propre père, sous le visage muet de ma mère. »

Cette image resterait éternellement gravé dans ma mémoire et jamais je ne pourrais l'oublier tant sa violence m'avait frapper l'esprit. Cette lionne qui m'avait mis au monde, cette lionne que l'on appelait ma mère n'avait pas même essayer d'empêcher mon exil. Elle avait tout simplement observée la scène comme une spectatrice lambda et laisser faire. Luttant contre ces souvenirs qui affluaient à l'intérieur même de mes pensées, je me concentrais sur le regard bleuté de Kumpa.

« Mais tu n'as pas à penser de moi que je suis une meurtrière, je n'ai jamais tué … ma seule faute a été d'avoir aimé. »

Sur ces quelques derniers mots, je quittais le soutien visuel de mon ami pour concentrer mon regard vers les landes, là où se trouvait mon fils. Il y avait encore tant de choses que je lui gardais secrets de peur de blesser son petit cœur... Son regard changerait-il ? Cette question m'obsédait et me retenait recluse dans cette sphère mensongère que j'avais crée dans l'espoir de protéger mon fils de la vérité. Par ces révélations, je sentais ces barrières que je m'étais efforcée de bâtir ces dernières années se briser misérablement.

De par notre sang dont le rayonnement était semblable, Kumpa pouvait aisément comprendre la difficultés d'aimer avec notre cœur. C'était rassurant de se confier à un ami dont la situation était semblable bien que je n'étais plus princesse de rien. Par la même occasion, Kumpa me confiait la nature arrangée du mariage de ses parents bien que cela ne m'étonnait guère, c'était courant chez les sang-bleus après tout. Si certains enviaient notre statut de privilégiés, ils en ignoraient tout des conséquences.

« Il est de tradition que nos sang-bleus épousent un lion ou une lionne du Soleil et de préférence de bon parti. Mes parents ne m'avaient imposé aucune patte, j'étais assez libre dans mon choix mais l'arrivée d'un voyageur sur nos terres a marqué un tournant dans ma vie. »

Dès lors, mon esprit fut envahi de souvenirs aussi doux que douloureux. Je revivais la première fois où mon regard s'était posé sur Sheru... son pelage atypique aux lions du Soleil m'avait immédiatement sauté aux yeux et j'étais dès lors tombée sous le charme du lion. Plus j'apprenais à le connaître et plus mes sentiments se confirmaient. Il m'avait fasciné par ses récits d'aventures dans des contrées lointaines et par ses belles paroles, je me sentais vivre ses expériences à ses côtés. Autant qu'il m'avait partager son expérience de la vie, je lui avais fait découvrir mes terres dont j'étais si fière et l'admiration que j'avais lu dans ses yeux m'avait émerveillé.

« Son nom était Sheru et il était différent de tous ces lions que j'avais pu connaître jusqu'alors. Très vite nous tombâmes amoureux et un soir, nous eurent l'idée de fuir ensemble loin de la tyrannie de mon père et de ces règles qui interdisaient notre amour. Mais tout ne se passa comme prévu... » narrais-je, le regard perdu dans la nuit sombre qui dissimulée toute cette agitation dans mes prunelles. « Des patrouilleurs nous interceptèrent durant notre fuite. Ils pensaient à un enlèvement, mon père ayant voulu garder cette passion secrète qu'il pensait simple amour passager. Tout se passa si vite... alors même que je tentais d'expliquer aux lions que Sheru n'était en rien un criminel, il fut assassiné sous mes yeux. Il est mort par ma faute et je n'ai rien pu faire pour l'aider... »

Ma voix s'était soudainement brisée, accablée par le remord. Y avait-il une peine plus atroce que voir l'être aimé mourir sous nos yeux ? Jusqu'à la toute fin j'avais soutenu son regard, le suppliant de ne pas me quitter, lui qui avait été le premier à me faire découvrir ce que signifiait la liberté et l'amour. Malgré le temps qui passait, les souvenirs demeuraient douloureux et j'avais réalisé que jamais ce deuil ne me quitterait. Un premier amour ne se remplace ni ne s'efface jamais et même si sa magie se dissipe un jour, une partie de notre âme continuera toujours de lui appartenir. Un soupir las, je repris mon récit la voix lourde de pénibles souvenirs.

« J'ai réalisé que mon frère aîné était à la tête de cette patrouille et bien que connaissant mon amour pour Sheru, il avait ordonné son exécution. Folle de rage, je vins le retrouver dans la grotte royale où je réclamais des explications et ma colère fut telle que je leva la patte sur ce dernier, rendant son œil invalide. Alerté par mes feulements, mon père arriva juste à temps pour me voir blesser son héritier. Pensant que je l'avais trahi lui et notre clan en défendant un étranger et en levant la patte sur leur futur roi, il me condamna à l'exil. 

C'est ainsi que je suis arrivée sur la Terre des Lions. »

Malgré toute l'affection que me portait mon peuple, aucun n'avait su défier l'ordre de mon père qui était connu pour son intolérance envers les traîtres et ceux qui désobéissaient à ses ordres. La tête basse et le cœur brisé, j'avais alors quitté mes terres natales, n'ayant que mes larmes et le souvenir d'un amour perdu pour m'accompagner. Les récits de Sheru en tête, j'avais suivi ses indications pour me rendre sur la Terre des Lions, là où se trouvait le royaume de Prideland dont Sheru m'avait tant parlé. C'était son rêve qui m'avait guidé jusqu'ici mais plutôt que de mener la vie dont nous avions rêver, j'avais longuement errer seule, rongée par l'amertume de mon exil du moins jusqu'à ma rencontre avec Samekh. Autant que Sheru avait su illuminer mon cœur par l'amour, Samekh m'avait apporté un souffle d'espoir et tout ce chemin que j'avais parcouru au jour d'aujourd'hui, je ne le devais qu'à mon mentor.

C'est là mon histoire : l'histoire d'une princesse du soleil condamné à l'exil pour avoir donné son cœur à un étranger.

Si mon frère n'avait jamais été amoureux ? Je l'ignorais, il me n'avait jamais confier de telle chose mais bien qu'un doute avait un jour fleuri dans mon conscience, je n'avais jamais voulu croire en l'évidence : Hasire avait bel et bien été amoureux mais c'était un amour impossible relevant de l'inceste. Mon frère n'avait ignorer mes sentiments que pour répondre aux siens. Ne pouvant révéler ses sentiments, il avait choisi de tuer Sheru en justifiant ses actes par le sang étranger qui coulait dans ses veines, criant qu'un voyageur n'était pas digne d'une princesse du soleil et que seul lui pouvait me rendre heureuse. Hasire n'avait jamais été un lion simple à comprendre et bien qu'il soit mon frère, certaines parts d'ombre de son cœur me restaient inconnues. Nous avions toujours été ensemble depuis notre enfance, il avait été un frère exemplaire quoique sur-protecteur et je conservais de magnifiques souvenirs de notre temps passé ensemble. Mon ressenti à son égard n'était jamais clarifié, tantôt je le haïssais et tantôt je voulais comprendre pour effacer cette plaie de mon cœur. Calmer dans mes hardeurs et la peine acceptée, j'aurais aimé avoir une dernière discussion avec mon frère mais cela nous était impossible.

Un sourire fade aux babines, j'observais Kumpa qui se révélait être d'une bonne écoute quoique je n'avais pas douté de cela. Un bon roi devait être à l'écoute de ses sujets et bien que j'étais pas soumise au règne du lion doré, je pensais sincèrement qu'il serait être digne du titre qui l'attendait. Me confier à Kumpa était différent que lorsque que cela avait été le cas avec Samekh et surtout, cela était dans un tout autre contexte. Samekh m'avait parlé de son passé le jour où il m'avait envoyé dans le Nord en compagnie de Rono, il craignait que nos chemins ne puissent se croiser à nouveau et par cette peur, il avait souhaitait tout me confier de lui et j'en avais fait autant. Rien n'avait jamais été simple avec ce lion de feu et nous avions vécu bien des choses ensemble. Samekh était comme une étoile étincelante dont jamais l'éclat ne tarissait et qui venait me guider même dans les nuits les plus sombres.

« Merci de m'avoir écoutée. » murmurais-je la voix basse.

Kumpa avait raison, me confier à lui semblait avoir ôter un poids à un mon cœur. Longtemps gardé pour ma seule conscience, je parvenais peu à peu à me libérer des chaînes de mon passé et à le confesser à ceux en qui j'avais conscience. Ces blessures avaient beau être douloureuses, elles faisaient partie de moi et avait permis de façonner la lionne que j'étais aujourd'hui. Je m'étais endurcie et la princesse du Soleil semblait si loin derrière moi... Par moment, il m'arrivait de regretter ces jours innocents mais j'en avais cesser avec ces regrets dès lors que Sadaka était né. Aucun souvenirs n'égalerait jamais le bonheur qu'il m'avait offert d'être mère.

Plongée dans un profonde réflexion, j'écoutais mon ami méditer sur l'amour. Pouvions-nous être satisfaits de l'amour ou étions-nous condamnés à n'en connaître que la douleur et le chagrin ? Je croyais en l'amour et quand bien même ces deux histoires que j'avais vécue n'avait pas connu de fin heureuses, elles m'avaient comblé de joie. Lorsque l'on tombait amoureux, ce n'était jamais deux fois d'un même amour. Chaque histoire avait sa particularité, son origine, ses rebondissements... tout lui était propre et le distinguait d'autres romances. Après un léger soupire, j'entrepris de répondre à Kumpa suite à ses interrogations quand à ce sentiment si mystérieux :

« L'amour peut être source de joie comme source de peine, ce n'est pas quelque chose de simple et bien que mon cœur soit parsemé de cicatrices, je conserve tout de même des souvenirs heureux. Je préféré m'accrocher à eux plutôt que de subir la fatalité de l'amour. Ne garder que le meilleur pour éviter le pire... J'aurais aimé être capable de cette facilité mais c'est impossible, ces blessures sont la preuve que notre amour n'avait pas été vain mais sincère. »

La peine et le chagrin était une partie indissociable de l'amour mais ils étaient ce qui rendaient l'amour plus fort, l'amour plus beau. Chacun nous saignions différemment de nos blessures mais au final, nous connaissions tous la douleur d'aimer un jour ou l'autre. Certaines personnes pensaient que l'on ne pouvait aimer qu'une fois, je n'étais pas d'accord. Autrefois, je pensais la même chose qu'eux mais le temps avait passé et j'avais réalisé que c'était nous-même qui nous empêchions d'aimer une seconde fois. Pourquoi se condamner aux souvenirs d'un amour perdu et qui n'était plus que temps passé quand nous pouvions à nouveau goûter à ce délice ? Il suffisait d'y croire une seconde et parfois, nous avions besoin d'être aidé quand la blessure était trop grande.

« Tu sais, après la mort de Sheru, je ne voulais plus croire en l'amour. J'étais brisée et sans cesse tourner vers le passé mais Uhucha m'a aidé à retrouver la lumière. Il m'a permit de croire en nouveau à l'amour et pour cela, je lui en serais éternellement reconnaissante. » confiais-je, un doux souvenir aux babines.

Je n'avais jamais donné mon cœur à moitié et j'avais bien conscience qu'une part de moi-même ne cesserait jamais d'aimer ces deux lions. Le regard tourné vers mon ami, je l'observais d'un drôle de regard comme si je venais de surprendre l'un de ses secrets. Il m'avait confié supposer et étonnement, l'amour ne semblait pas son sujet idéal. Se pourrait-il que ...

« N'es-tu jamais tombé amoureux ? » demandais-je finalement, un peu étonnée.

Un sourire discret étirait mes babines à la remarque du mâle. Ma relation avec Uhucha n'avait été connue de nous seuls, nous avions œuvré dans l'ombre et appris à nous connaître comme à nous aimer et dire que cela faisait parti de mon jardin secret n'était pas faux lorsqu'on savait que même Samekh n'avait pas été mis au courant de cette relation.

Autant que Kumpa riait nerveusement, j'étais surprise d'apprendre que le prince doré n'avait jamais goûté à l'amour. Attentive à ses mots, j'étais ravie d'en savoir plus sur le jeune Kumpa, le redoutable Don Juan de la savane.

« Oui je comprend, tu ne devais pas avoir la tête à cela après tous ces événements mais on dit que l'amour nous tombe dessus sans même que l'on s'y attende. » dis-je dans un sourire.

Soucieux de son peuple et des affaires royales, Kumpa avait du s'oublier lui-même pour s'occuper des autres et de son royaume. Il semblait ne plus avoir de temps à se consacrer, être prince héritier était bien plus compliquée qu'on ne le pensait et je pensais pouvoir comprendre les difficultés de mon ami de par mon expérience et celle de mon frère qui était toujours venu me confier ses peines et ses craintes.

« Maintenant quoi ? » enchaînais-je dans un petit rictus.

Il m'était impossible de m'imaginer ce lion doré cavaleur ne l'ayant connu qu'après la mort de son père mais les vagues scénarios que je parvenais à visualiser ne manquait pas de me faire rire dans mon fort intérieur. N'existait-il donc pas une lionne capable de voler le cœur de ce prince et le faire sien ? Kumpa méritait d'être heureux et l'amour en était un facteur indiscutable.

« Lorsque tu deviendras roi, tu devras te trouver une reine pour régner à tes côtés mais également pour assurer ta descendance. »

Je me demandais si nous pourrions continuer à nous voir de la sorte lorsque Kumpa accéderait au trône mais également lorsqu'il aurait une compagne à la patte... cette dernière risquerait de mal pendre ces rencontres nocturnes que nous multiplions avec le temps ce que je pouvais concevoir néanmoins, j'avais pris goût à ces visites et j'osais penser qu'il en était pareillement pour le lion. C'était comme une bulle que nous arrachions au temps et qui n'était destiné qu'à nous deux où le temps de cette rencontre, nous nous éloignions de nos soucis quotidiens pour soulager nos peines en se confiant l'un à l'autre. Oui, j'aimais beaucoup ces moments.

Débarrassé de ses ennuis en devenant roi ? Probablement pas, un souverain n'était jamais tranquille et quand bien même les jours les plus sombres s'éloignaient, d'autres apparaissaient ensuite à l'horizon. Peut-être avais-je été rendue sceptique par tous ces événements qui avaient animé ma vie, allez savoir et alors même que mon cœur n'était pas à la joie, mes babines s'élargirent d'elles-même pour imiter le sourire de Kumpa. On disait que voir nos amis heureux nous emplissait nous même de plaisir.

« Qu'est-ce qu'un roi ? » répétais-je, presque étonnée de cette question.

Le regard azur du mâle était planté dans le mien et je devinais à quel point sa question était sérieuse. Cela le préoccupait-il ? Kumpa était en âge d'être nommé souverain mais ayant perdu ses terres face aux Nyeusis, il ne pouvait être nommé roi de rien aussi pensais-je que son couronnement serait précédé de la reconquête de son royaume. N'ayant pris qu'un bref moment de réflexion, je croisais à mon tour le regard du lion doré pour lui répondre ceci :

« Un roi est un juste souverain qui veille sur son peuple et agit de manière à les rendre heureux. Il veille sur eux autant qu'il veille sur sa propre famille et ne laisse jamais son propre désir empiéter sur le bien commun. Il est amené à prendre des décisions parfois difficiles mais, elles seront toujours portées sur le futur et amenées pour le bien de ses sujets. Pour moi, un roi est un guide et un protecteur qui veille sur les siens, qu'ils soient de son sang ou non. »

Mon ton était presque symbolique tant je tenais la royauté à cœur, cette dernière avait bercée mon enfance. Ce n'était pas un sujet enclin aux plaisanteries, d'autant plus lorsqu'une question était posée de manière aussi sérieuse. La voix plus douce, je rajoutais ces quelques mots à l'intention de mon ami tandis qu'un sourire éclairait mes babines :

« Tu es déjà roi Kumpa, aux yeux de tous. »

Il s'était démené pour rapatrier divers clans à sa solde afin de récupérer ses terres et il n'avait jamais perdu espoir et continuer de se battre. Kumpa n'avait peut-être pas encore eu son couronnement mais il était évident que ce titre lui avait déjà été assigné dans le cœur de tous dont le mien.

La mort de son père lui pesait encore sur le cœur et à ses yeux, il ne serait vengé qu'au moment où Kumpa aurait repris ses terres. Les Nyeusis... ils étaient inévitablement l'ennemi à défaire.

« Je comprends tes doutes Kumpa, il n'y a aucune honte à en avoir. »

Taquin mais sincère, le lion doré m'assurait que j'étais une héroïne aux yeux de tous et mon regard annonçait ma gêne suite à ces quelques mots. Je ne m'étais jamais considérer comme telle et ce titre honorifique me mettait mal à l'aise, le trouvant inapproprié. Serais-je toujours une héroïne à leurs yeux si les Pridelanders apprenaient que j'avais failli en succombant au charme d'un Nyeusis qui n'avait pas laisser mon cœur indifférent ? Mon cœur et ma raison s'était livré bataille et l'issu de ce combat, tous la connaissaient.

« Ne dis pas n'importe, j'ai simplement honoré une promesse faite à un ami. »

Pour avoir longtemps erré comme une exilée que l'on regardait de haut et avec mépris, il était difficile de s’accoutumer à ces nouvelles éloges. Je m'esclaffais légèrement face à la conclusion du prince bien que mes joues s'empourpraient. Cela pouvait semblait être un banal compliment mais il me touchait, la royauté ne m'avait jamais vraiment quitté et Kumpa devait être le seul habitant de ces terres à me voir comme telle.

« Tu sais, parfois tout ça me manque... Mes terres natales, mes amis, ma famille...  » murmurais-je, plongée dans un amas de souvenirs. « Je sais combien il est difficile d'être arraché à son royaume quand on est né pour le gouverner mais j'ai foi en toi Kumpa, tu as bâti de grandes alliances comme nul autre lion ne l'avait fait avant toi. De là où il est, je suis persuadée que ton père te regarde et qu'il est fier d'avoir un fils tel que toi. »

Mon regard se déposait dans celui du mâle doré, un sourire aux babines. J'ignorais comment nous étions passé de l'état de connaissances à celui d'amis mais j'en étais heureuse, j'avais fait des rencontres magnifiques sur ces terres et peut-être que mon exil n'avait pas été une chose si mauvaise. Continuer à vivre sur mes terres après la mort de Sheru m'aurait certainement amené à me tuer à petit feu mais loin de ces mauvais souvenirs, j'avais pu me bâtir une nouvelle identité et me relever de cette profonde tristesse pour devenir plus forte et j'étais même devenue mère, la plus belle consécration de toute une vie.

« Les Nyeusis seront vaincus et tu reprendras ce qui te revient de droit. » affirmais-je d'abord la voix pleine de détermination avant de reprendre plus légère et taquine : « C'est la vision d'une super princesse alors tu peux t'y fier. »

Bien qu'elle acceptait désormais les dires de son ami, Kuzali restait quelque peu mal à l'aise devant tant de compliment. C'était inhabituel, elle n'avait jamais recherché la reconnaissance de tout un peuple mais seulement le soulagement d'un proche. Ce qui avait été accompli au Rocher de la Fierté n'était pas l’œuvre d'une seule lionne mais de tout un groupe de rescapé. Si elle avait été la première à tenter une évasion, elle avait pu compter sur le soutien de Makeo dans l'accomplissement de leurs fuites et c'était également la jeune Nawapa qui lui avait permis de retrouver la force nécessaire à cet acte héroïque. Rien ne pouvait être accompli si l'on restait seul et cela, Kuzali l'avait finalement acceptée avec le temps. Après la mort de son premier amour, elle s'était juré de ne plus jamais laisser son cœur s'attacher à qui que ce soit mais, elle n'avait pas prévu de faire de telles rencontres par la suite et voilà qu'aujourd'hui, elle était entourée de lions formidables qui lui avaient à nouveau fait prendre goût au bonheur. Ouvrir son cœur n'était pas une faiblesse bien au contraire, c'était de là que nous puisions une nouvelle force.

« Je n'étais pas seule et tu le sais, que ce soit Makeo ou Nawapa ou même le soutien que m'a apporté ta mère, c'est également grâce à eux que cette promesse a aboutit. »

La lionne dorée déposait son regard éclatant de pureté dans celui azuré de son ami, un beau sourire aux babines. Bien que la gêne était toujours présente, entendre de tels mots faisait toujours chaud au cœur et grâce à Kumpa, la lionne semblait vivre de moins en moins dans l'ombre de son statut d'exilée. Elle avait beau être considéré comme une paria par certains, Kuzali ne s'était jamais aussi sentie vivante.

« Un rayon de soleil, tu dis... Ma mère avait l'habitude de m'appeler de la sorte. » murmurait la lionne nostalgique avant d'ajouter dans un souffle : « Merci. »

Récemment, leurs multiples rencontres avaient rapprochés les deux lions et passé les rituels protocolaires, les deux amis pouvaient se confier à cœur ouvert l'un à l'autre. Comme si cela était contagieux, la lionne pu entrevoir le prince rougir à son tour et elle détourna précipitamment le regard, comme si elle venait d'assister à un moment volé. C'était bien la première fois qu'elle voyait agir Kumpa de la sorte et sans qu'elle ne sache vraiment pourquoi, cela la perturbait. Heureusement, le rire léger du mâle fit fuir cette gêne occasionnée et la lionne dorée se mêlait joyeusement à son ami, leurs deux rires retentissant comme une douce mélodie dans la nuit.

« Tu peux te fier à une super princesse, elles se trompent rarement. » ajoutait-elle encore secouée par ses éclats de rire avant de reprendre, la voix plus douce : « Je suis heureuse d'être ton amie, Kumpa. J'espère que nous continuerons de nous voir lorsque tu deviendras roi... et que tu ne m'oubliera pas. »

Un doux sourire aux babines, Kuzali quittait les étoiles du regard pour déposer sur son ami ses prunelles chaleureuses. Un roi avait de nombreux devoirs envers son peuple mais la lionne dorée espérait sincèrement que cela n'empiéterait pas sur leur amitié à laquelle elle tenait énormément. Perdre des êtres chers à son cœur était une peur ancrée dans le cœur de la lionne et qui continuait de la terroriser et ce malgré le temps et l'âge. Les séquelles d'un passé douloureux...

Alors même que la lionne dorée s'inquiétait de ne plus pouvoir voir le mâle aussi souvent, ce dernier lui assurait immédiatement que jamais une telle chose ne pourrait se produire et qu'il ne pouvait l'oublier. D'abord surprise par la précipitation du prince, un doux sourire éclaira finalement les babines de la lionne tandis que ses craintes étaient apaisées par les mots de Kumpa. Constamment apeurée à l'idée de perdre ceux qui étaient chers à son cœur, aucunes paroles ne pouvaient lui faire plus plaisir que celles qu'elle entendait.

« Dans ce cas nous sommes deux. »

Kuzali avait bien trop pris goût à ces multiples rencontres pour voir tout ceci prendre fin. Elle aimait la compagnie de Kumpa et sentait reposée lorsque ce dernier était présent, comme si ses soucis étaient jetés à la trappe et qu'il faisait simplement bon de vivre.

« C'est une promesse alors, ne laissons pas l'avenir nous séparer. »

Le futur était incertain et surtout très instable mais avec un peu de volonté, ils pouvaient tous deux maintenir ce lien qui les unissait mais quel lien exactement ? Kuzali ne savait vraiment trop le décrire mais elle pouvait affirmer une chose : il était spécial. Ce regard qu'elle posait sur le prince n'était pas n'importe quel regard et à ne pas s'y méprendre, il semblait la regardait lui aussi d'une manière particulière.

« Un roi se doit d'avoir une reine... ta promise est-elle déjà choisie ? »

Il était courant de voir des mariages arrangés dans les grandes familles de sang-bleus et Kuzali ne s'était pas rendu compte qu'elle venait tout juste de penser à voix haute. Un peu gênée de cette question soudaine, elle détourna le regard vers ses pattes avant de reprendre de l'aplomb et croiser les iris azur du prince. Elle souhaitait sincèrement connaître la réponse. Peut-être craignait-elle de voir Kumpa lui être enlevé par une autre qui refuserait catégoriquement que les deux lions se rencontrent. Pourquoi ? Cela, en revanche, elle l'ignorait.

Il y avait quelque chose dans l'air, quelque chose de différent d'ordinaire. Cet air pur les avait-il toujours entouré ou bien était-ce la première fois que les deux lions en prenaient conscience ? Un étrange silence s'était installé et Kuzali se demandait bien à quoi pouvait penser le prince, peut-être avait-il d'ores et déjà trouvé une promise et le cœur de la lionne dorée se pinçait douloureusement à cette idée. Ce n'était pas ce qu'elle souhaitait. Sa détermination semblait faillir et alors que la lionne s'apprêtait à quitter le regard du mâle, ce dernier lui répondit de manière affirmative. Bien qu'il riait, Kuzali, elle, ne riait pas du tout. Sa réponse était étrange et la lionne pouvait sentir que quelque chose se tramait dans l'esprit du prince.

Alors qu'elle fronçait légèrement les sourcils, signe d'incompréhension, le mâle se mit à sourire et cela suffit à rassurer la lionne. Kumpa continuait son petit manège comme s'il souhaitait retarder le moment de l'annonce et la princesse du soleil pouvait sentir son cœur s'accélérer sans pour autant déterminer si cela était dû à l'attente qui lui semblait interminable ou bien ses propres sentiments enfouis. Quels étaient-ils d'ailleurs ? Après une bouffée d'air qui semblait donner la force nécessaire au prince de continuer, ce dernier lui demanda d'être sienne, à sa manière.

« Moi ? » répétait la lionne, aussi surprise que perplexe.

Bien qu'intérieurement elle avait souhaité entendre cette réponse, vivre ce moment était une toute autre chose. Cela lui semblait invraisemblable et la lionne resta muette de surprise un long moment, peinant à réaliser la chose. Kumpa la souhaitait comme compagne... et cela impliquait également pour Kuzali de devenir Reine. Cette simple pensée suffit à achever la lionne qui se redressa précipitamment sur ses quatre pattes, l'esprit affolé.

« Kumpa, je suis une exilée, je ne peux pas être ta reine ! Je... le père de mon fils est un Nyeusis, ce sont tes ennemis jurés à toi et à ton peuple ! »

Pour la première fois depuis longtemps, on pouvait voir une panique secouer la lionne qui semblait alors dans tous ses états. Comme si la princesse venait de se réveiller après un long sommeil, Kuzali échappait à cet bulle intime qui s'était créer entre les deux lions et la réalité semblait la rattraper.

« Je... je dois partir. » balbutiait péniblement la lionne avant de s'enfuir sans même laisser au prince le temps de réagir.

Prenant ses pattes à son cou, la lionne dorée courait à présent loin du baobab. Tout cela était trop rapide, elle n'était pas prête. Ce que Kumpa venait de lui offrir, toutes les lionnes au monde en rêvait mais Kuzali peinait à réaliser.

Malgré le tapage engendré par ses puissantes pattes qui martelaient le sol, la lionne ne pouvait ignorer son cœur en folie. Tout son être lui criait de retourner vers Kumpa et lui révéler le fond de sa pensée mais quelque chose la retenait. Kumpa voulait d'elle, il voulait d'elle comme compagne et comme reine pour régner à ses côtés, il lui offrait une stabilité dont la lionne n'avait jamais oser rêver mais tout cela était trop soudain. Kuzali avait tout simplement pris peur, effrayée par ce nouvel amour qui s'offrait à elle et qu'elle n'avait pas vu venir. Ce qu'elle ne contrôlait pas la terrorisait et cet amour soudain l'effrayait. Kuzali était une lionne d'expérience dans ce domaine mais jamais ses romances ne s'étaient terminée avec une happy ending soit frappées par la mort soit frappées par la violence et le chagrin et elle redoutait ses sentiments qui d'ores et déjà soulevaient son cœur lorsqu'elle pensait au prince doré.

Elle avait peur de s'autoriser à aimer une nouvelle fois car la lionne le savait, cette fois-ci elle serait incapable de se relever.