C'était une journée des plus banales. Le soleil brûlant et ardent était déjà haut dans le ciel et éclairait de ses chauds rayons l'immensité du Grand Désert.
Kivumbi, que ses pattes avaient amenées jusqu'ici, cherchait un point d'eau, une oasis où il pourrait boire et se reposer. Il avait réussi à attraper quelques mammifères ce matin pour son petit déjeuner et la viande avait assécher sa gorge, tout comme la chaleur oppressante qui régnait ici.
Il plissa les yeux et aperçut un peu plus loin des palmiers dépassant à l'horizon. Croyant d'abord que c'était un mirage, il s'avança de plus en plus jusqu'à arriver sur une dune. Baissant les yeux, les palmiers étaient bien là, en contre-bas. Une petite marre s'étendait à côté, protégée par l'ombre des grands arbres. Il se réjouit de sa trouvaille, n'ayant pas d'ordinaire l'habitude de trouver des petites oasis.
Il glissa sur la dune, arrivant en douceur en bas de la descente, faisant glisser le sable chaud et doré. Kivumbi secoua sa crinière et apprécia avec délice le bonheur de se retrouver à l'ombre avec de l'eau à portée de pattes. Il s'empressa de plonger sa langue dans l'eau, fraîche quoiqu'un peu tiède tout de même. Le Jangowas bût de tout son saoul jusqu'à ne plus pouvoir avaler une seule goutte.
Il s'allongea de tout son long à côté d'un des plus grands palmiers et observa le paysage qui s'étalait à perte de vue devant lui. Une infinité de grains de sable, chauffés par le dieu soleil qui rendaient cet endroit aride et étouffant.

Soudain, un bruit attira son attention. Un bruit, puis une mince effluve. Le mâle clair se redressa rapidement, les muscles prêts à l'attaque. Il n'arrivait pas à mettre de Clan sur l'odeur, le vent qui soufflait étant contre lui. Même s'il y avait peu de chance qu'ici, au milieu du Grand Désert il s'agisse de quelqu'un d'autre qu'un Jangowas, il préférait se méfier. Il tourna son regard dans tous les sens et l'arrêta au-delà des palmiers, derrière quelques plantes. Ses oreilles à l'affût, la queue fouettant l'air, il patientait. Il attendait que l'inconnu se montre, révélant son physique, son pelage, mais surtout son appartenance. Le mâle clair n'avait pas l'habitude d'attaquer sans raison, mais les inconnus qui se présentaient dans le Grand Désert n'étaient pas des plus aimables et préféraient la plupart du temps la violence à la place des mots en raison des conditions de survie ici qui n'étaient propre qu'aux lions aux pelages clairs. Si il voulait se battre, le lion des sables n'y voyait aucune objection : il se battrait en retour, fier loyal et courageux, comme tout Jangowas.

A l'instar d'un inconnu, ce fut simplement une lionne des sables qui sortit de derrière les buissons. Elle marchait vers lui, le regard vif et la tête haute. Ses muscles se détendirent et il lui adressa un petit sourire après avoir remarqué qu'elle n'avait aucune attitude agressive à son égard.
Il la détailla de bas en haut, observant les plusieurs tâches marrons qu'elle arborait sur son pelage beige. Le jeune mâle releva la tête pour affronter le regard doré de la Jangowas, écoutant ce qu'elle avait à lui dire.

- Excuse moi de te déranger camarade mais je crois bien que tu te situe à l'endroit que j'ai trouvé ce matin même pour tenir dans cette canicule.

Le Jangowas hocha la tête pour dire qu'il comprenait. Il ne s'était pas préoccupé de savoir si quelqu'un avait élu domicile ici, étant donné que quand il était arrivé il n'avait vu personne. Certes il avait senti une légère odeur, mais celle-ci avait semblé lointaine, ça ne l'avait donc pas inquiété plus que ça.
Ouvrant la gueule pour lui répondre qu'il était prêt à s'en aller si elle le désirait, il la vit s'asseoir l'air serein et paisible et reprendre la parole.

- Tu peux rester ici si ça te chante , sache juste que moi, je ne bougerai pas de là tant que le soleil n'est pas couché , et il faudra partager. J'ai bien faillis te sauter dessus toutes griffes dehors, avec ce vent, difficile de deviner que tu étais d'ici.

Un petit rire léger s'échappa de la bouche du lion. Il remua la queue et, la gorge sèche, s'approcha de la mare pour étancher sa soif, la canicule ayant déjà asséché sa gorge. Il leva ses yeux dorés vers le soleil avant de le tourner vite fait vers la lionne des sables, secouant sa crinière pour faire passer de l'air.

- Excuse moi, je ne savais pas que cet endroit était déjà pris. Il est si difficile de trouver de l'eau en ce moment que je me suis un peu précipité. Si ça ne te dérange pas, je préfère rester encore un peu ici.
J'étais moi même sur mes gardes, disons qu'ici, il n'est pas rare de trouver des inconnus ayant plutôt de mauvaises intentions...

Comme pour appuyer ses propos, il tourna la tête de chaque côté pour vérifier qu'il n'y avait personne en vue. Mais non, c'était le calme plat. Kivumbi regarda la lionne et s'allongea un peu, la canicule lui donnant mal de crâne.

Le Jangowas observait le désert ardent et dû plusieurs fois cligner des yeux, croyant que c'était sa vue qui lui jouait des tours et rendait l'horizon tremblotant et flou. Mais après quelques instants de réflexion, il se rendit compte que ce n'était que l'atmosphère et la chaleur du lieu qui déferlaient ces vagues d'air et brouillaient le lointain.
Il tentait sans succès de faire une sorte de ventilateur avec sa queue, mais les simples légers mouvements d'air frais étaient bien vite estompés par la chaleur de la canicule.
Voyant la lionne pâle s'allonger à son tour, le tableau qu'offrait les deux lions des sables aux voyageurs étaient un poil comique. Ils ne se connaissaient pas et pourtant se laissaient aller à une discussion des plus simples, comme s'ils étaient des amis de longue date. Le mâle était bien content de cette rencontre, ainsi elle lui permettait de s'occuper l'esprit et de chasser pendant un moment l'air ambiant qui ne cessait de l'étouffer. Ce devait certainement être à cause de cette température excessive qui rendait la motivation des deux félins à bouger proche de zéro. Mieux valait discuter et se reposer à l'ombre, plutôt qu'à arpenter l'infinie étendue de sable où le soleil desséchait votre corps en un rien de temps.
Kivumbi laissa à la lionne le plaisir d'exprimer ses futurs projets et il en fut amusé. D'ordinaire, le lion n'appréciait pas spécialement la compagnie des femelles, les trouvant trop ennuyeuses. Mais cette Jangowas, le mâle le sentait, avait beaucoup d'énergie à revendre et surtout beaucoup d'ambitions, ce qui la rendait différente des autres lionnes qu'il avait pu fréquenter auparavant.

- Sinon, moi je suis Swayli, guerrière Jangowas et futur meilleure combattante du clan, je veux me donner le défis de parvenir à gagner contre qui que ce soit ! Même toi ! D'ailleurs , qui es tu ?

Le lion sourit à son tour, éclairant ainsi ses yeux dorés. Son attitude, il le voyait dans son regard, ressemblait à celles des lionceaux quand ils s'apprêtent à jouer ou à faire des choses qui sortent de l'ordinaire. Plongeant ses yeux dans les siens, il décela ces étincelles de malice et de détermination, contrastant avec un visage parfaitement calme. Comme pour répondre à sa présentation, il inclina légèrement la tête pour la saluer.

- Enchanté Swayli, moi c'est Kivumbi, guerrier Jangowas tout comme toi. Je vois que tu as beaucoup d'ambitions, c'est bien pour une jeune lionne de ton âge. Mais c'est beaucoup de travail. Et quand tu auras atteint ton but, que comptes-tu faire ? Défier l'Empereur ? Après tout, à quoi ça sert de pouvoir gagner contre n'importe qui, s'il n'y a pas de récompense au bout ?

Le Jangowas le regarda à son tour avec de la malice dans les yeux. Il voulait la tester, voir quelles étaient réellement ses motivations.
Plus jeune, Kivumbi avait également eu des rêves, des ambitions dépassants littéralement tous ses espoirs. Puis en grandissant il s'était assagi, se contentant simplement de devenir un bon guerrier Jangowas, fier et loyal, qui puisse servir et honorer son Clan. Bien sûr qu'il avait rêver d'être le meilleur combattant du Clan, et pourquoi pas l'Empereur, mais cette époque remontait à loin. Après tout, quel lionceau n'y croyait pas ?

L'attitude de la jeune adulte venait de changer. Son visage avait perdu ses traits calmes et doux, et le lion voyait dans son regard qu'une multitude de pensées venaient hanter son esprit. Seulement, il ne savait pas qu'elles étaient ces fameuses réflexions, et ni par quoi elles avaient été provoquées. Le Jangowas avait observé ce changement au moment où il avait énoncé le fait de battre l'Empereur. Avait-il vu juste ? Était-ce vraiment sa préoccupation ? Néanmoins, le lion des sables ne voyait pas la raison de ce silence si prolongé. Un silence d'ailleurs qui rendait gêné le mâle, se demandant bien quelle pouvait être la cause. Swayli, dont le visage impassible laissait présager des pensées les plus profondes, gardait le visage bas et une posture parfaitement immobile. Au moment où des vautours faisaient entendre leurs sinistres cris dans le ciel, la lionne secoua la tête pour se remettre dans le moment présent et prit la parole, donnant un léger sursaut au mâle clair.

- Je n'ai pas besoins de battre l'Empereur pour prouver mes capacité et encore moins qui je suis.

Sa voix était sèche, tranchante. Elle avait fendu l'air comme un coup de griffe, étonnant par ailleurs le guerrier. Son regard trahissait un sentiment que Kivumbi avait déjà vu, un sentiment que lui même avait déjà ressenti. De la culpabilité. Le mâle en avait été rempli y a de cela quelques lunes passées, à cause de la mort de son jeune frère. Mais cette culpabilité ne cessait de le suivre et lui collait à la peau. Ce sentiment, il ne le connaissait que trop bien. Mais au fil du temps il avait réussi à le refouler et à s'en débarrasser, même si des fois il revenait au galop, pendant les moments où les souvenirs du Jangowas affluaient par millier.
Le guerrier écouta les paroles de la lionne avec attention, cherchant dans ses yeux d'où pouvait venir cette contrariété qui emplissait son regard. Il savait très bien que cela ne servirait à rien de lui demander, elle ne lui en parlerait pas. Après tout, ils se connaissaient à peine. Qui révélerait ses secrets les plus enfouis aux premiers inconnus ? Certainement pas lui, ni les Jangowas en général.
Seulement il se demandait pourquoi Swayli tenait tant à se justifier, à montrer sa valeur aux yeux des autres. Il est vrai que les lions des sables aimaient prouver leur courage et leur force. Mais cette reconnaissance que semblait aspirait la femelle avait une signification, très certainement.

- Pourquoi donc vouloir te justifier ? Tu sembles avoir en toi caché un passé bien complexe pour vouloir absolument montrer ta loyauté au Clan, demanda-il d'un ton inquisiteur.
Il remarqua que le comportement de la lionne avait changé du tout au tout. Elle avant si calme et pleine de malice, s'était comme renfermée sur elle-même. Ses griffes s'enfonçaient dans le sol non sans une certaine tension. Haussant un sourcil, le mâle se releva pour s'asseoir bien convenablement devant la lionne et attendit sa réponse.

Le lion se demandait bien ce qui pouvait à ce point tourmenter la jeune lionne. Un passé difficile se murait derrière la façade beige de la Jangowas. Kivumbi chercha le regard de la femelle quand celle-ci le détourna. Ses muscles crispés jusqu'à exploser étaient secoués de spasmes, démontrant le stresse auquel la féline était en proie. Le regard du lion des sables se posa sur sa queue qui agitait l'air avec nervosité et il la suivit pendant quelques instants, jusqu'à ce que la lionne reprenne la parole.
Des paroles qui tombaient sous le sens, même si elles suscitaient l'attention du lion. Après tout, tout le monde valait bien quelque chose, non ? Quand bien même le passé qui suivait derrière la personne, chaque être avait sa propre importance sur cette terre. C'est dans la nature animale de faire des erreurs, personne n'est parfait. Même si, du point de vue de Kivumbi, certains lions au vu de leur courage valaient mieux que d'autres, il ne sous-estimait pas la part d'importance que chacun avait. Si bien sûr ces habitants n'étaient pas avides de mauvaises intentions.
Il sentait dans la voix douce et monotone de la féline qu'elle se cherchait encore. Ses yeux, fixant le sol, n'exprimaient rien de plus qu'un trou noir, un puits sans fond. Mais quand ils se posèrent sur le lion beige, il put y lire une étincelle de détermination. Il écouta la lionne et malgré la voix sèche qu'elle avait pu utiliser, il ne put se retenir de prendre cette intonation doucereuse et calme, se transformant presque en murmure.

- Je ne sais pas ce que tu as vécu auparavant Swayli, mais j'espère que les épreuves que tu as affrontées te serviront comme force à l'avenir.

Il esquissa un petit sourire réconfortant. Non qu'il voulait lui donner l'impression d'éprouver de la pitié, mais il savait ce qu'était ce sentiment de culpabilité qu'elle avait l'air de ressentir. Ce moment là où la vie décide de tout gâcher et de te donner le mauvais rôle, assommant ton esprit de rancune et d'abjection. Cette phrase, il l'avait entendu maintes et maintes fois de la bouche de son père, celui-ci tentant de réconforter sa mère dans ses moments où elle ne tenait plus, où la force l'abandonnait. Le Jangowas se l'était repassé en boucle et en boucle, la mémorisant encore et encore. Il revoyait alors son père, une patte passée autour des épaules de sa mère, celle-ci pleurant toutes les larmes de son corps après la disparition de son jeune fils. Son fils, son petit soleil. Et Kivumbi, lui, observait tout dans un coin sombre, reculé de tous, se mordant les pattes du déshonneur qui régnait dans ses pensées. Le mâle s'était longtemps considéré comme le responsable de la mort de Sirocco avant de se faire une raison : le désert était le véritable et seul meurtrier. Néanmoins cette possibilité d'assassinat dormait au coin de sa tête et resurgissait dans les instants où le lion clair se ressassait les moments de sa jeunesse, jusqu'au jour fatidique. Arriverait-il un jour à clamer son innocence ? Aux yeux des autres, personne ne l'avait jamais inculpé. C'était à ses propres yeux que tout se jouait.
Sortant de sa rêverie, le lion secoua lentement la crinière pour se tourner vers la femelle, les yeux brillants.