Patrouillant et en surveillant les frontières, j’examinai chaque limite. Les étrangers s’étaient habitués à s’approprier le territoire en songeant qu’il était inhabitable et profitant de l’occasion, j’essayai de me débarrasser de l’odeur des hyènes qui avaient autrefois conquis la zone. Malgré notre victoire, la bataille était d’un goût amer ca désormais, c’était sur Prideland que demeuraient les hyènes. En approchant de l’orée de l’ancien territoire des hyènes, mes prunelles fixaient attentivement la brume pesante et la pente roide. Malheureusement, d’un geste brusque et contre-gré, mes pattes filèrent du rebord pour me laisser emporter. La chute n’était pas saumâtre grâce à un filet de peau mais il en aurait fallu de peu… Piètre sentinelle, je scrutai du regard le territoire qui s’étendait autour de moi. Ce n’était que vétille et néant, et je plaignais les hyènes pour avoir eu un logis aussi hostile.

En posant une patte qui avait aux abords fait valser la poussière non-loin de là, mon corps se laissait aux ossements tassés et condensés. Effleurant la fumée verdâtre des geysers, le sol rocailleux chevauché par des collines tâtait mes coussinets. Même si ma volonté ne s’était pas fait entendre pour se retrouver sur un endroit aussi antithétique, j’admirai la fumée sordide sans pour autant détacher ma surveillance. Malgré le charme envoutant et le silence pesant du cimetière, je me devais de rentrer avant d’être cible d’inquiétudes.

Cependant, en recherchant mon chemin entre plusieurs carcasses, je m’étais finalement perdue. Fouettant les cendres à l’aide de mon plumeau, je me débarrassai den la poussière sur mon pelage brun et essayait bien de mal de retrouver mon chemin. Cependant, en prenant garde à ne pas heurter un jet de buée. Finalement, exténuée, j’avais pris l’aise de me reposer sur un perchoir fixé sur un ossement qui semblait épais. La corporalité était épaisse, et n’était pas flexible. Fixant du haut de mon estrade, mes prunelles s’émerveillaient devant le spectacle où la fumée verte jaillissait des volcans, sans remarquer l’effluve d’un lion qui se rapprochait.

Avant d’orienter les oreilles pour reconnaître l’immensité du son, une voix glaciale et froide provenant du derrière m’arracha un léger sursaut. « Ne devrais-tu pas surveiller ton royal mâle avant qu'il n'enfante une autre femelle ...? » L’éloquence m’irrita à haut point que sous l’effet du courroux, mes prunelles s’étaient dilatées pour former deux points vermillon. Virant la tête vers l’origine des paroles, un lion crème aux yeux luisant d’agressivités et où des cicatrices s’étaient dessinées sur son pelage épais s’était installé à quelques mètres de mon perchoir. Si les hyènes avaient déserté leur logis, il n’en était pas moins que les lions les plus téméraires s’aventurent en ses lieux où le néant et la décrépitude demeuraient éternels.

« Qu’aurai-je à faire d’un mâle infidèle ? Qu’il aille engrosser milles femelles, je n’en reste pas moins étonnée. » Lâchais-je, le regard neutre et les sourcils froncés.

Massempo était maintenant qu’un lion parmi autres. Le fait qu’il avait hésité à prendre une compagne entre Khiaja et moi m’avait déplu mais sous le contrecoup de la passivité avait été muette. Je ne lui étais uniquement reconnaissante à une seule chose : m’avoir donné Tahani. Bien qu’elle hérite les traits de son père, je chérissais mon trésor et rien ne pourra lui arriver. J’en avais fait le serment. Maintenant que le lion aux yeux malachites se rapprochait au fur et à mesure de Khiaja, ma considération vis-à-vis de lui n’était pas qu’à désirer.

« Je ne suis pas reine. Je ne l’ai jamais été et je ne désire pas ce rang. »

Quand le mâle m’avait épelé « reine », j’avais laissé place à un regard gêné. Etant humble et emblème de la modestie chez les Outlanders, parader comme un paon n’était pas une activité exercée et la survie était initialement le but de chaque Exilé. Je me revoyais jeune, alors que je battais des cils pour charmer chaque lion et étant coureuse de jupons, mes journées s’étaient résumées ainsi. La modestie, ce doute aimable de son mérite, est dans la nature aussi bien que l'amour-propre ; mais l'humilité n'est qu'une pénitence que l’on impose à l'orgueil.

« Je me nomme Kalahani. A qui dois-je l’honneur ? » En me relevant de mon estrade, je fixais sans provocation le borgne. Les cicatrices présentes sur son anatomie révélaient comme des miroirs ses apparences et sa corporalité musclée me raclait la gorge.

Un rictus mut ses babines lors de mes propos et cela attira mon attention. Plus je m’enfonçai dans le sujet, plus le lion se rapprochai sans pour autant me quitter du regard. Restant prudente, j’ignorais quelle était son intention en m’approchant et ma prudence fut alertée. Son regard ombragé où se dessinait un sourire semblait tenir l’idée de Reine. Dans le clan, seul Massempo gardait le nom « Roi » et plusieurs commençaient à le flatter ainsi, alors que ses femelles ne privilégiaient pas de ce nom ô combien désiré. De plus, comment élire une de ses amantes Reine alors que son corps était tiré par les deux côtés ?

« Que faîtes-vous en de lieux si sombres ? » Le questionnais-je, un regard intrigué.

Que faire dans un endroit qui était le domicile de vétille et disgrâce ? S’il cherchait quelque chose ici, je doutais qu’il le trouve. Peu sont les lions qui avaient le désir ardent d’explorer le Cimetière malgré le danger qui soit. Certes, ce n’était pas un endroit vraiment paradisiaque pour bâtir un nid mais la fumée qui s’évaporait des creux.

Alors que je lui avais demandé quel nom portera ce minois, ce dernier me susurra « Ton futur violeur. ». Mon sang ne fit qu’un tour mais sans me détacher du contact avec du mal, fouetta les cendres verdâtres. Ma patte décala pour être usée si besoin, mais aucune approche inconvenable n’était détectée.

« Que voulez-vous dire par là ? »

Mon corps effleurant le sien, le borgne ressentait un certain embarras. Il me fixait longuement et il ne fit que provoquer ma gêne, et son sourire insalubre en disait tant sur mon interlocuteur. Ce que je voulais absolument savoir étaient ses intentions envers moi. Malgré ayant conservé une attitude bienveillante et passive, je ne souhaitais nullement user de mes griffes et mes crocs.

Sans me décaler, je fixai attentivement le lion qui se rapprochait au fur et à mesure. Bien que ses approches soient assez intimes, je restais tout de même prudente. Ce n’était pas uniquement la fumée qui s’évaporait des creux, mais également l’objet de désir du lion crème dont je redoutais bien d’ailleurs. Quand il se lécha les lèvres, cela ne fit qu’augmenter ma peur vis-à-vis de lui mais j’essayais de rester plus calme que jamais. La peur qui débordait n’était attisée que par le lion borgne.

Quand ce dernier s’approcha de ma oreille, je m'intervertis sans trop m’éloigner et mon oreille titla. Etant ignorante de ses desseins, je ne confiais pas vraiment ma confiance en cet inconnu qui m’avait susurré à l’oreille sa demande explicite entre deux mots. Son désir ardent n’était pas vraiment de me satisfaire en parsemant mon âme d’idée de vengeance mais uniquement celle de concevoir un enfant. La naïveté ayant été pièce de mon histoire délogeait de fines séquelles et jamais après ma périlleuse adolescence m’était résignée auprès de la ingénuité. Cependant, malgré peu rancunière, l’idée de me rapiécer n’était pas feinte. J’avais beau avoir échappé à la manipulation, mais la notion m’envoutait à haut point. Cependant, j’avançai mon répit muet face à l’idée d’une voix rauque mais hésitante.

«Je lui en veux peut-être mais… Je resterai fidèle. »

N’était-ce pas le devoir d’une compagne ? Certes, Massempo se laissait charmer par Khiaja à mon plus grand désarroi mais je n’avais toujours eu la conviction qu’il m’aimait encore. L’espoir était un brasier ardent qui s’enflammait en moi et le souffle du désespoir commençait peu à peu à soupirer sur cet embrasement. Me poussant sur l’autre côté du perchoir, mes prunelles stabilisaient le lion et d’un hochement de tête, l’invita à partager mon estrade.

Le borgne m’avait fusillé du regard peu après mes éloquences et mes oreilles, surprises par la peur, s’étaient plaquées sur le crâne. Restant de marbre face à l’échange de regards, son râle emporté par l’écho silencieux du Cimetière m’arracha un sursaut. En guise de réponse face à mon invitation, il bondit à mes côtés et continuait son approche malsaine.

Malgré ma bonté concernant l’estrade, ce dernier continuait ses propos sur Massempo. D’une voix suave comme celle qu’il utilisait dès le début, le lion crème incriminait Massempo face à son infidélité où la campagne se résignait à lui pardonner ses batifolages avec une autre femelle. Ma sérénité fut égarée lorsqu’il évoqua Tahani. Ce sujet était sensible et mes pavillons n’acceptaient pas que l’on allègue mon enfant en mauvais termes. Serait-ce uniquement les coups bas qu’il voulait m’infliger face au déclin de son invitation encore ignorée jusque là.

Ces paroles n’étaient pas infidèles à leur interlocuteur. Pendant un instant, un sentiment de honte m’enveloppa dans un couvert mêlé à la peur et à la disgrâce. Que pensait Tahani de la passivité de sa vielle mère ? La lionne brune avait eu une discussion houleuse avec son père et l’honnêteté chez elle fut un emblème, alors que sa mère ne daigner même pas adresser la parole à son géniteur peu après son adultère.

« Que veux-tu ? » laissais-je échapper entre un soupir, reportant mon regard vers le sien. J’avais pris non seulement la peine de le tutoyer mais également de me rapprocher de lui, restait à voir ses désirs…

Le malaise qui s’était aimablement installé n’avait fait qu’animer le sourire ombrageux du lion crème, et ma demande concernant l’objet de ses désirs avait mû ses lippes. Devrais-je considérer ce rictus comme refuge de bienveillance ou abri d’animosité ? Sans doute au regard de sa face balafrée considérerai-je cette esclaffe comme inimitié mais cette risée été assouvie de désir, et cela me peinait énormément.

Sous l’emprise du lion crème, ce dernier se rapprochait sans gêne pour humer mon odeur et cela me gêna en provoquant des convulsions de trouble. Reportant mon attention sur le félin à la carrure imposante, un sourire de satisfaction avait maintes manœuvré ses lèvres et mes prunelles n’imploraient que sa réponse. Quand ma voix perça le silence, il avait ouvert ses yeux pour élever un jeune rire rauque en témoignant de sa triomphe. Quelle était sa récompense ?

Lors de sa énième avance, ce dernier s’accola à mon pelage terreux plus qu’avant. En plaçant une griffe sous mon ventre, cela me tiqua peu et son ergot amertuma mon flanc. Restant immoile, le prénommé Uhucha s’approcha de mon oreille pour y murmurer quelques mots : « Ta chair ; Uhucha veut ton ventre. » Sans doute après avoir prononcé son propre nom, il avait considéré cela comme une présentation brève de sa personne.

Caressant ma bedaine à l’aide de son éperon, je fus habituée à ses cajoleries. Lorsque ce dernier me proposa de porter son enfant, j’avais basculé la tête vers le côté pour étendre une réflexion. Que faire ? Après tout, ma bonté ne sera récompensée en offrant à Uhucha l’enfant qu’il souhaitait, mais ce lionceau m’aiderait sans doute à me rebeller contre Massempo. Il ne fallait qu’un mot pour le dire. Reportant mon attention sur Uhucha, j’érigea un silence avant de murmurer d’une voix sûre :

« J’accepte. »