Khassim était fier, fier et heureux. Aujourd'hui, c'était lui, Jangowa d'à peine plus de quatre ans, qui dirigeait la patrouille frontalière.
Cela faisait donc quelques jours qu'il avait quitté le clan, accompagné de deux autres mâles, pour quadriller le territoire au niveau des frontières, guère loin des Gorges. Évidemment, jusqu'ici le temps s'était écoulé lentement, sans qu'aucun incident ni événement inhabituel ne vienne perturber la surveillance du territoire. Et heureusement, après tout, se disait Khassim. Il était plus que temps que les étrangers comprennent que le territoire Jangowa était, eh bien, Jangowa.

Bien sûr, c'est sur ces pensées que le mâle gris-brun capta une odeur inconnue et absolument pas Jangowa.
Khassim grommela. Avait-il pensé trop vite? D'un regard, il intima l'ordre aux deux lions de le suivre, et tous trois se mirent rapidement en route jusqu'à la source de l'odeur. Il apparut rapidement que la source en question était un lion qui ne cherchait aucunement à se cacher: Khassim vit une silhouette d'un orange vif se dresser au milieu du terrain nu.
Le lion était très imposant, très voyant avec sa crinière flamboyante, et il était resté du bon côté de la frontière. Bon, se dit Khassim, il souhaitait clairement être vu.

Le Jangowa ralentit en arrivant au niveau du mâle étranger. Celui-ci avait une expression neutre, impassible sur le visage, et il ne semblait pas hostile. Du moins n'esquissa-t-il aucun mouvement en voyant approcher les lions félins du Désert. Cela confirma la pensée première de Khassim: il semblait les attendre.
Cela ne signifiait pas que Khassim allait se départir de sa méfiance, loin de là. Qui savait ce qu'il était venu faire ici?
Le mâle aux yeux ambrés jaugea l'étranger du regard: il était assez âgé, mais grand et massif, et sans aucun doute il savait se battre. Il dégageait également une assurance certaine. Malgré tout cela, son pelage et sa crinière épais étaient un grave handicap dans un climat aussi chaud que celui du Désert. Il était clair que l'inconnu n'appréciait pas cette température, ce qui le gênerait en cas de combat.

Malgré sa méfiance, le lion des sables décida de ne pas attaquer (du moins pas tant que le mâle orange ne fasse preuve d'agressivité, bien sûr...). Puisque l'étranger les attendait, eh bien, Khassim allait lui demander pourquoi, et l'autre avait intérêt à avoir une réponse satisfaisante et une excellente raison de se trouver ici.
Il se planta fermement en face du lion, les deux Jangowas plus jeunes se plaçant de part et d'autre du chef de la patrouille.

- Que viens-tu faire ici, étranger? demanda-t-il d'une voix forte, la tête haute. Sa voix était rude et montrait sa méfiance, toutefois Khassim était-il disposé à écouter ce que le félin orange avait à dire, ce qui était déjà quelque chose.

Khassim avait bien évidemment compris que l'étranger voulait les voir et leur parler, mais cela ne l'empêcha pas d'être légèrement surpris quant à la réaction du grand mâle.
Celui-ci se leva et répondit calmement, avec le sourire, même, à la question du Jangowa. Il déclara s'appeler Mobali et être le commandant des guerriers Pridelanders – soit leur Général, nota Khassim dans un coin de sa tête. Il ne savait pas si les choses marchaient de la même manière chez les Pridelanders et chez les Jangowas, mais ce lion occupait un poste similaire à celui tant rêvé par le lion gris-brun –, venu pour parler à l'Empereur du Désert.
Cette affirmation surprit Khassim plus encore que le sourire et l'aspect paisible arboré par ce Mobali: quel événement justifierait la présence d'un messager sur ces terres? Les clans proches du Désert avaient forcément connaissance des coutumes casanières des Jangowas et de leur aversion des étrangers... Qui risquerait à tenter de parler à l'Empereur? Et pour quelle raison?

Reculant d'un pas ou deux pour avoir l'ensemble du Pridelander dans son champ de vision, il fit quelques pas autour de lui, le jaugeant de nouveau du regard, cette fois de plus près.
Il examina les larges pattes, sans aucun doute pourvues de solides griffes, la carrure imposante, les mâchoires puissantes, et s'arrêta sur le visage du lion. Il était ouvert, un sourire engageant aux babines, les yeux même exprimant le calme.
Bien sûr, il semblait venir en paix, comme il l'affirmait, mais lé méfiance automatique des étrangers inculquée par Chenko poussait le jeune lion à rester sur ses gardes.

- Qu'est-ce qui me dit que je peux te faire confiance? lâcha simplement Khassim, les yeux brûlants. Planté face à Mobali, il montrait sa détermination à ne pas laisser passer le lion roux sans une excellente réponse.

Le Pridelander, Mobali, lui rendit son regard. Il semblait à Khassim qu'il n'y avait aucune animosité dans ses yeux, bien qu'une légère impatience après sa question. Malgré cela, son ton était posé quand il répondit.
Il énonça clairement l'absence de bonne raison que le Jangowa avait de lui faire confiance – au moins était-il franc, songea le lion mince avec une certaine ironie –, enchaînant cependant avec un certain nombre d'arguments: il avait attendu la patrouille à la frontière au lieu de s'aventurer dans le Désert, il était désavantagé par son épaisse fourrure et était seul contre trois.
Khassim prit le temps de méditer ces paroles tout en faisant lentement les cents pas le long de la frontière, les deux jeunes mâles de son clan restant debout, immobiles. Il avait effectivement pensé aux raisons soulevées par le grand félin roux, mais comment être certain de sa sincérité.
Faites-moi confiance, avait-il dit. C'était là toute la question, car si Khassim introduisait une menace dans le Désert, ce serait lui le responsable.

- J’ai été franc, j’espère que ça pourra vous convaincre, ne serait-ce qu’un peu, acheva le chef des guerriers étranger, après avoir donné sa parole à Khassim. Mobali semblait ardemment déterminé à mener sa mission à bien.

Finalement Khassim cessa ses va-et-vient, prit une courte inspiration et fit face au Pridelander. Il jeta un bref regard en coin à chacun des Jangowas plus jeunes qui l'entouraient, silencieux. Tous deux le regardaient: ils attendaient ses ordres.
Alors la fierté et l'assurance du lion gris-brun se regonfla. Il était le Jangowa le plus âgé, le chef de la patrouille. C'était lui qui décidait. Et Khassim sentait également la saveur douce-amère de la responsabilité, presque comme un avant-goût de son futur poste de Général.

Alors il se redressa et dit, d'un ton ferme et impassible:

- Très bien. Je te mènerai à Vako. Mais surveille tes moindres faits et gestes, Pridelander, et ne t'avise pas de tenter quoi que ce soit contre nous: tu le payerais très cher... l'avertit-il.

Sans attendre de réponse, Khassim fit volte-face et adressa un ordre aux deux membres restants de la patrouille: ils termineraient sans lui leur tour des frontières avant de rentrer au camp comme cela était prévu à l'origine.
Une seconde après, le Jangowa s'éloignait à grands pas, car après tout, pour que cette histoire soit rapidement réglée et que Mobali quitte leur territoire sans traîner, il suffisait d'amener aussi vite que possible le Pridelander auprès de l'Empereur.

Khassim aurait été amplement satisfait d'un trajet rapide, sans encombre et surtout silencieux jusqu'à Vako. Car, très franchement, taper la discute avec un étranger – tout chef des guerriers qu'il fut –, non merci, ça ne l'intéressait pas, loin de là. Hélas pour lui, ce sentiment n'était pas réciproque, car après quelques secondes d'un silence gêné – enfin, gêné aux yeux de Mobali, pas de Khassim. Lui s'en fichait pas mal à vrai dire –, le lion doré reprit la parole.
Ses paroles furent cependant particulièrement surprenantes à ses yeux: il le complimentait. Et ce n'était pas qu'un petit compliment, non, il avait employé le mot remarquable. Voilà qui ne manqua pas de surprendre le Jangowa, qui ne s'y attendait absolument pas.
C'était au tour de Khassim d'être gêné – heureusement qu'il regardait droit devant lui, et non dans la direction du Pridelander –, car il ne savait que répondre. Le compliment lui avait plu, bien sûr, surtout sachant que tout le monde au sein de son clan ne connaissait pas encore, voire ne reconnaissait pas sa valeur. Et celui qui avait dit cela était le chef des guerriers de son clan!
En même temps, Khassim ne savait pas quelle était la valeur de ce lion. Mobali avait l'étoffe d'un bon guerrier: grand, bien bâti, sûr de lui... Mais l'était-il vraiment? Le lion des sables n'avait aucune idée de la manière dont les choses se passaient en-dehors du Grand Désert, peut-être que le rang de Général était plus facilement accessible chez les Pridelanders.
Et surtout, cela ne changeait rien au fait que Mobali était un étranger. Il ne venait pas du Désert, et Khassim avait été élevé pendant toute sa vie avec la perspective que tout étranger était un ennemi ou ne faisait simplement pas le poids face aux Jangowas. Et si le lion du Désert conduisait bel et bien le Pridelander à Vako, cela ne signifiait pas qu'il l'appréciait ni même lui faisait confiance, loin de là...

Ses sentiments étaient confus, il n'avait toujours pas décidé. Allait-il répondre ou non? Et si oui, quoi?
Fort heureusement, Mobali décida de ne pas s'appesantir sur le sujet. Manifestement décidé à briser le silence qui régnait entre eux, il demanda à Khassim comment il parvenait à supporter l'écrasante chaleur du Désert. Là, le Jangowa s'autorisa un coup d’œil amusé, voire même suffisant, sur le lion orange. C'était vrai qu'avec sa carrure et sa masse de poils, il devait souffrir!

- Nous, Jangowas, sommes taillés pour vivre dans le Grand Désert, répondit finalement Khassim. Les dernières traces de gêne qu'il avait ressentie s'effaçaient: il était dans son élément maintenant, au sens littéral comme au figuré. Tout en nous est adapté à cet environnement, contrairement à vous autres étrangers.

Khassim n'ajouta rien de plus. Une réponse brève, qui n'entrait pas dans les détails. La question avait beau être inoffensive – à dire vrai, elle constituait même un aveu de faiblesse de Mobali –, Kuzali, l'étrangère dorée, avait beau lui avoir dit que tout étranger n'était pas nécessairement une menace, il était méfiant et peu disposé à entamer la discussion sur son clan avec un étranger.
D'autant qu'il leur restait encore du chemin à faire, et si déjà le Pridelander avait du mal à supporter le climat, il ferait mieux de garder toute son énergie pour la traversée du Désert, se disait le Jangowa avec humeur.

- Tu as intérêt à pouvoir tenir encore un moment si tu veux voir l'Empereur, parce que nous ne sommes pas encore arrivés, ajouta finalement Khassim d'une voix neutre. Comme quoi, il fallait de la détermination pour rencontrer l'Empereur des Jangowas!

La réponse de Mobali fut surprenante pour le félin du Désert. Le Pridelander arbora un sourire sincère, affirmant sa détermination.


- Le plus dur reste le poids de la responsabilité, le soleil n’est rien à côté.

Malgré son a priori défavorable envers les étrangers – a priori qui ne faisait que s'accentuer lorsqu'un félin avait l'audace que pénétrer le Grand Désert, un sol qui n'était pas le sien –, Khassim ne put s'empêcher de ressentir une pointe de… de respect, d'admiration ? envers le grand lion doré. Il chassa toutefois rapidement ce sentiment de son esprit, se rappelant sévèrement à l'ordre : s'il était vrai que le dévouement de Mobali à son clan était honorable, rien ne disait qu'il méritait l'estime du Jangowa. Il devait faire attention à garder son impassibilité si soigneusement étudiée et à ne pas s'émouvoir si facilement…

Cependant, il était vrai que Mobali était un spécimen intéressant à étudier, qui attisait, bien malgré lui, la curiosité du lion des sables. Khassim ne connaissait pas grand-chose à ceux qui vivaient en-dehors du Désert, et il ne s'y intéressait généralement guère. Mais il fallait avouer que depuis sa rencontre avec une étrangère dorée et la discussion qui avait suivi, il lui arrivait de prêter un peu trop d'attention aux étrangers... Oh, rien de bien grave. Il lui arrivait d'être plus intrigué par les choses au-delà du Désert, rien de plus, mais c'était déjà trop pour Khassim.
Aussi se contenta-t-il d'un vague hochement de tête assorti d'un bruit de gorge indéfinissable et neutre en réponse à l'assertion du Pridelander. Il espéra que ce serait tout, mais non, bien sûr, ce serait trop simple, comme d'habitude...

Vaguement surpris, Khassim jeta un coup d’œil, sourcil légèrement relevé, au Pridelander qui venait de prendre la parole pour le remercier d'avoir accepté de le mener à Vako.

- Inutile de me remercier. Ces paroles, prononcées du même ton impassible que le reste, auraient pu sembler amicales si le lion des sables s'était arrêté là. Mais le Jangowa ouvrit de nouveau la gueule, cette fois avec une tonalité plus froide et plus dure, presque tranchante. Tu découvriras que si la raison de ta venue est faible et que tu fais futilement perdre du temps à l'Empereur, tu le paieras bien plus cher que si je m'étais contenté de te chasser à la frontière.

Sur ces mots peu rassurants, le visage de Khassim se fendit d'un sourire carnassier à l'intention de l'étranger. En vérité, s'il éprouvait un amusement authentique à cette idée, c'était en bonne partie par anticipation de la réaction de Mobali. En bref, le mâle à la fine carrure espérait de la surprise, voire même, pourquoi pas, une once de peur de la part de l'étranger orange.
C'était vrai, c'était puéril. C'étaient des paroles gamines, et il avait agi comme un lionceau qui fait le guerrier, espérant de fortes réactions de la part des adultes. Mais le jeune mâle n'avait pu s'en empêcher – il espérait avoir ne serait-ce qu'un tout petit peu choqué le massif Pridelander.

Mais en quelques secondes, son amusement s'évapora comme un filet d'eau sous le soleil écrasant du Désert et il se rembrunit encore plus qu'auparavant. Effectivement, si Vako considérait que le "mystérieuse message" qui avait amené Mobali jusqu'ici ne justifiait pas cette intrusion, le Pridelander en pâtirait. Mais Khassim aussi, étant celui qui avait amené l'intrus jusqu'ici.
Sans doute rien de grave, mais Khassim baisserait dans l'estime de l'Empereur – estime qu'il n'avait déjà sans doute pas et qu'il lui était vital de gagner – et de ce fait, s'éloignerait du poste de Général tant convoité. A cette pensée, le sang du lion se glaça dans ses veines. Non, il ne devait surtout pas être blâmé pour l'intrusion d'un étranger jusqu'au sein du clan Jangowa. Le menace de Khassim proférée à l'encontre de Mobali était véritable, maintenant plus que jamais: il jeta du coin de l’œil un regard dur au grand lion doré. Tous deux avait le plus grand intérêt à ce que Vako soit de bonne humeur en ce jour... Même si, songea une part du Jangowa avec aigreur, Vako avait déjà l'air d'adorer les étrangers, vu comme il avait laissé Hatari s'enfuir le jour de la mort d'Akili. Mais ce n'était pas suffisant, Khassim ne pouvait pas se bercer d'illusions.
Il avait sans doute commis une erreur. A cette pensée, le lion des sables soupira. Encore une conséquence désagréable de son côté tête brûlée... Il n'avait manifestement pas assez réfléchi avant d'accepter de mener Mobali jusqu'à l'Empereur du Désert.

Mais maintenant, il n'était plus temps de reculer, et les regrets ne serviraient à rien. Ils étaient tous deux allés trop loin, au sens propre comme au sens figuré. Khassim allait devoir payer les conséquences de son irréflexion, si conséquences il y avait.
Le mâle le plus jeune leva le nez et inspira profondément. Pendant tout ce temps, ils n'avaient cessé de progresser au cœur du Désert, et l'habitant des dunes savait qu'ils étaient maintenant tout près de l'endroit où il avait laissé le clan pour partir en patrouille frontalière, quelques jours plus tôt. Son flair le lui confirma: il sentit l'odeur puissante et familière des siens, non loin.

- Nous y sommes presque, lança Khassim au félin derrière lui.

Bon, manifestement toutes les paroles et les quasi-menaces de Khassim n'avaient aucun effet sur le lion orangé. Il n'eut pas l'air ébranlé le moins du monde, mais afficha au contraire sur son visage une expression déterminée et souriante.
Le Jangowa se demanda in petto si ce Pridelander semblait jamais perdre confiance en lui. Il l'avait vu sourire et arborer un air grave, mais il semblait toujours calme, mesuré et sûr de lui. Ce qui était sans doute, devait-il s'avouer, un comportement dont il pouvait s'inspirer. Après tout, une telle attitude inspirait le respect des autres, et Khassim savait qu'il en aurait besoin. Un bon Général se devait d'avoir le dévouement de ses semblables, et il pouvait l'obtenir en étant respecté.

Mobali exprima, en réponse aux affirmations de Khassim, sa foi en le message qu'il amenait à Vako. Il se disait certain qu'il valait la peine et le risque de s'introduire dans le Désert sacré des Jangowas, et répéta une fois de plus son dévouement envers son clan, ce qui de nouveau attira l'intérêt du Jangowa.
Il resta toutefois légèrement perplexe sur un détail du discours du Pridelander... Celui-ci affirmait que l'empereur du Grand Désert "ne tuerait jamais un messager".

- L'empereur ne tuerait pas un messager, non, probablement pas... et surtout pas celui-ci, songea presque amèrement Khassim, qui repensait encore à la manière dont Vako avait laissé s'échapper Hatari, des mois auparavant. En revanche, si effectivement ton message ne justifiait pas ta venue sur nos terres, malgré tout ce que tu as pu m'affirmer, il pourrait te chasser à coups de griffes de notre Désert. Et si les blessures s'avéraient conséquentes, tu pourrais mourir d'une infection, termina-t-il silencieusement. Mais une fois de plus, le félin aux yeux dorés ne pensait pas vraiment ce qu'il disait. C'était probablement ce qu'aurait fait Akili, l'ancien empereur, mais Vako n'était pas pareil et Khassim doutait fortement qu'il ferait une chose pareille.

Le mince félin secoua légèrement la tête et tâcha de retrouver sa concentration sur son objectif présent. Peu importaient ses réflexions sur son empereur à cet instant. D'autant qu'il approchait rapidement du clan; les deux mâles ne tarderaient pas à se trouver entourés de félins qui ne manqueraient pas d'être hostiles à Mobali, même s'ils ne l'attaqueraient probablement pas puisqu'il se trouvait avec l'un des leurs.
Suite à cette pensée vaguement inquiétante, une question autrement plus angoissante surgit soudain dans l'esprit de Khassim: que penserait son père de tout cela? Au fond, c'était le seul individu du clan – Vako mis à part, mais c'était pour des raisons plus pratiques et plus terre-à-terre, puisque s'il ne parvenait pas à s'attirer l'estime de son empereur, son rêve de devenir Général s'envolerait en fumée – dont l'avis sur Khassim comptait aux yeux de son fils. Et il n'était pas sûr que cette quasi-folie qu'il avait faite en amenant le Pridelander orange sur leur territoire serait au goût de Chenko.
Mais il était trop tard pour reculer, maintenant. Ce qui était fait était fait, se rappela-t-il une fois de plus. La seule chose qu'il pouvait faire désormais, c'était préparer les arguments qu'il donnerait à son père si celui-ci venait à lui reprocher ce qu'il avait fait.

Finalement, levant la tête dans la fine brise tiède du Désert, il renifla une nouvelle fois l'air. Les Jangowas étaient pratiquement à portée de voix désormais, ils ne tarderaient pas à apparaître, probablement derrière une des dunes que Khassim avait devant lui.
Se retournant vivement, une dernière fois, il adressa une ultime recommandation au félin derrière lui:

- Suis-moi de près, ne t'arrête pas et n'adresse pas la parole aux autres.

Inutile de tenter le diable, n'est-ce pas? Autant l'amener directement à Vako et en finir avec ça une bonne fois pour toute.
Aussi, lorsque l'assemblée de félins apparut derrière un imposant tas de sable, la plupart profitant de la chaleur du début d'après-midi, le mâle gris-brun ne leur accorda pas un regard, concentré sur son objectif. Ignorant les regards curieux, surpris ou, comme il s'y attendait, agressifs, il rechercha la fourrure pâle de son empereur.
Une fois celui-ci repéré, il se dirigea droit sur lui d'un pas vif, sans un regard en arrière – Mobali avait intérêt à avoir suivi sa recommandation. Il s'arrêta à quelques pas de lui, inclina la tête pour le saluer avant de lui expliquer la situation sans attendre que celui-ci la lui demande.

- Vako, j'ai rencontré Mobali, le chef des guerriers Pridelander, qui attendait à la frontière. Il dit avoir un message important à te livrer.

Après un ultime signe de tête respectueux à l'adresse de l'empereur du Désert, Khassim se retourna et s'éloigna à grands pas, leur laissant l'intimité qu'ils pouvaient requérir pour parler du message du grand mâle orangé.
Il ne pouvait se départir d'un certain sentiment de malaise. Il espérait qu'il ne s'agissait pas d'un plan tordu visant à assassiner Vako, auquel cas lui, Khassim, apparaîtrait comme celui qui l'y avait aidé, même sans le vouloir.
Secouant la tête avec un soupir, il tenta de chasser ces pensées de sa tête. Les heures les plus chaudes de la journée approchaient, et il comptait se trouver un coin tranquille pour se reposer avant de partir à la chasse, une fois que la température se serait rafraîchie. Puisqu'il ne pouvait plus rien pour l'affaire Mobali, autant profiter du temps libre qu'il avait gagné...